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LUI. Les traditions sont diffеrentes d’un peuple ? l’autre. Mais partout nous voyons une seule et m?me chose : l’homme cherche la femme, la choisit, fait tout pour l’avoir, l’ach?te, la prend. Mais on ne voit pas le contraire. Et en gеnеral, c’est bien connu, l’homme chasse la femme jusqu’? ce qu’elle le capture.
ELLE. C’est une vieille fable.
LUI. Du reste, se battre seul contre une morale acceptеe par tous est toujours sans espoir et n’a pas de sens. Et si l’on va ? l’encontre de notre nature biologique cela conduit inеvitablement ? toutes sortes de nеvroses qui s’observent chez la majoritе d’entre nous.
ELLE. Vous compris?
LUI. Pourquoi devrais-je ?tre une exception? Cessons cette discussion, voulez-vous?
ELLE. Comme vous voulez. Je vous aurais m?me invitе ? danser, mais je suis certaine que vous ne savez pas.
LUI. Si, pourquoi? Un peu moins bien qu’un ours, mais s?rement mieux qu’un еlеphant.
ELLE. On peut peut-?tre essayer. (Elle le tire par la main, l’invitant ? danser et fait quelques pas avec lui.)
LUI. Non, ce n’est pas la peine. Vous allez y perdre vos pieds.
ELLE. Donc, vous aussi vous avez des probl?mes, bien que vous soyez un grand thеoricien en mati?re de sexe. Et qu’en est-il dans la pratique?
LUI. Dans la pratique, tout mon temps est accaparе par le travail. Le reste m’intеresse peu.
ELLE. Et les enfants? Et votre femme chеrie? (Elle ajoute, non sans une pointe de causticitе :) Qui vous pla?t sous tous les rapports?
LUI. Je n’ai pas d’enfants.
ELLE. Pas de femme non plus, peut-?tre?
LUI. Eh bien, si vous voulez la vеritе, pas de femme non plus, ? prеsent.
ELLE. «? prеsent» vous voulez dire maintenant pendant que vous ?tes ? l’h?tel?
LUI. Je n’ai pas du tout de femme. Depuis deux ans.
ELLE. Une petite amie, bien s?r.
LUI. Non plus.
ELLE. (Franchement surprise.). Comment ?a? un psychologue parlerait l? d’un cas lourd.
LUI. ?a ne va pas aussi mal que vous le pensez, c’est bien pire.
ELLE. Que vous est-il arrivе?
LUI. Rien de particulier. Une histoire tr?s triviale.
ELLE. Dites.
LUI. Vous ne prеfеrez pas boire?
Il remplit les fl?tes et ils trinquent.
ELLE. Et maintenant, racontez.
LUI. En fait, Il n’y a rien ? raconter. Je me suis mariе dans mon temps. Alors, j’еtais jeune et stupide. D’ailleurs, pas moins stupide que jeune.
ELLE. Et apr?s?
LUI. Un matin, je me suis rеveillе en comprenant qu’elle et moi n’avions absolument rien ? nous dire. Nos intеr?ts communs se rеsumaient au lit et m?me eux s’amenuisaient de jour en jour. Et au lieu d’apporter tout de suite un correctif, nous nous sommes mutuellement pourri la vie.
ELLE. Effectivement, c’est une histoire triviale. Mais pourquoi cela s’est-il passе comme ?a?
LUI. L’homme se lasse toujours du mariage. De devoir ?tre chaque jour ensemble. De ne pouvoir se rеfugier en soi. D’?tre conscient qu’il est liе. Les femmes aiment nous tenir en laisse sans comprendre que plus la laisse est courte, plus nous voulons nous en libеrer.
ELLE. Mais vous vous en ?tes libеrе, pourtant?
LUI. Oui. Nous nous sommes sеparеs.
ELLE. C’est tout?
LUI. Non. Puis, l’?ge avan?ant, je ne suis pas devenu moins stupide et je me suis remariе.
ELLE. J’esp?re que cette fois vous avez choisi celle qui vous convenait?
LUI. Eh bien, apr?s mon premier mariage, moi j’еvitais les femmes, mais, d’une certaine mani?re, elle m’a remarquе. Tiens, voil?, d’ailleurs, un exemple de qui choisit qui.
ELLE. Pourquoi l’avez-vous еpousеe?
LUI. Et pourquoi nous marions-nous, en gеnеral? Vous croyez que c’est par affinitе d’?mes? Par dеsir de rester ensemble toute la vie et de mourir le m?me jour? Non. Par stupiditе. Par la force du hasard. ? cause d’une taille fine et d’une jolie veste.
ELLE. Et comment cela a-t-il fini?
LUI. Quelque deux ans apr?s, ma femme m’a trompе avec une nullitе, et je l’ai chassеe. D’ailleurs, si je veux ?tre prеcis, c’est moi qui ai d? partir car la plus grosse part de nos biens lui est revenue.
ELLE. Vous l’aimiez beaucoup?
LUI. Non, pas beaucoup. Ou plut?t, pas du tout. Mais ?a a еtе un coup dur pour moi.
ELLE. Pourquoi, si vous ne l’aimiez pas plus que ?a?
LUI. Eh bien, vous savez… Rentrer chez soi et trouver sa femme au lit avec un autre homme…
ELLE. Je vous comprends mieux que ce que vous croyez… Et depuis vous ne vous en ?tes pas remis?
LUI. ? prеsent, si. Mais j’essaie de me tenir le plus loin possible des femmes. Je me suis br?lе deux fois, cela me suffit. Comme dit la chanson, je ne crois plus en l’amour.
ELLE. Mais on peut rencontrer aussi des femmes sans qu’il soit question d’amour, mais comme ?a… par commoditе.
LUI. J’ai peur. Il suffit d’une minute d’inattention et te voil? pris au pi?ge. Et il est extr?mement difficile de s’en dеfaire. Les femmes savent que nous avons besoin d’elles physiologiquement et elles en usent effrontеment. Et puis, qu’y a-t-il en elles de bien?
ELLE. Chez les femmes? Beaucoup de choses. Et qu’y a-t-il de mal?
LUI. Elles vous enfoncent dans le quotidien, demandent de l’argent, aiment tirer au clair les relations, vous sеparent de vos amis… (Un temps.) Mais le pire de tout, c’est qu’elles vous emp?chent de travailler.
ELLE. On dit que c’est toujours plus gai avec des femmes que sans elles.
LUI. Avec des femmes comme vous, peut-?tre. Mais avec les autres… (Apr?s un petit silence.) Au vrai, celles-ci aussi s’ennuient avec moi. Je suis quelqu’un qui retarde sur son еpoque : j’aime aller ? la p?che, еcouter de la musique classique…
ELLE. Vous avez еtе dе?u par deux femmes et vous incriminez toutes les femmes.
LUI. Pour les femmes, je ne sais pas, mais les еpouses, elles sont toutes pareilles. En changer une par une autre n’a aucun sens. Je ne trouve de joie que dans le travail.
ELLE. Tout ne tourne pas rond dans votre vie et c’est pourquoi le travail est pour vous un moyen de vous enivrer. Mais justement, il vous faut sans doute vous arr?ter et penser ? ce que vous voulez.
LUI. Nous voulons tous une seule chose, le bonheur.
ELLE. Mais nous sentons confusеment en quoi il consiste. Et si nous nous sommes fixе le mauvais but, alors plus nous nous obstinons ? atteindre le bonheur, plus nous nous en еloignons. Tout le malheur est l?.
LUI. Oui, c’est vrai…
Pause.
Les deux sont perdus dans leurs pensеes. La femme s’approche ? nouveau de la fen?tre et plonge son regard dans l’obscuritе, promenant, pensive, son doigt sur le carreau.
LUI. Qu’avez-vous vu par la fen?tre?
ELLE. Toujours pareil : l’obscuritе, la lumi?re blafarde des rеverb?res, la pluie…Et la danse effrеnеe des branches nues sur la musique du vent. Le vent, le vent partout…Vous prenez l’avion demain?
LUI. Oui.
ELLE. Quand?
LUI. T?t le matin.
ELLE. Donc, aujourd’hui, dеj?. Aujourd’hui…
LUI. Je vois que vous ?tes plongеe dans la mеlancolie.
ELLE. Oui… Nous sommes l? ? parler et le matin s’annonce, froid, gris, matin d’automne…
L’homme s’approche d’elle, par derri?re, et doucement enveloppe ses еpaules. Elle continue de regarder par la fen?tre.
LUI. Qu’еcrivez-vous sur le carreau?
ELLE. Rien. Nos prеnoms. « Serguе? plus inconnue еgale amour ».
LUI. Et moi je ne connais toujours pas le prеnom de cette inconnue.
ELLE. « Qui est-elle? Que veut-elle?
Seule des cieux connue?
Mais mon cCur fol appelle
Cette belle inconnue » …
(Elle le regarde.) Ou il n’est pas encore fol?
LUI. Cette romance de Glinka est belle, mais vous, encore une fois, vous n’avez pas rеpondu.
ELLE. Vaut-il la peine d’alourdir votre mеmoire d’un nouveau nom de femme? Du reste, si vous voulez, appelez-moi Henriette.
LUI. Pourquoi Henriette?
ELLE. Pourquoi pas?
LUI. Vous vous appelez vraiment ainsi?
ELLE. Vous rappelez-vous l’histoire du cеl?bre bourreau des cCurs Casanova? Un jour il sеduisit la belle Henriette, passa une nuit de r?ve avec elle ? l’h?tel vous voyez, ? l’h?tel aussi lui offrit une bague avec un diamant et lui jura un amour еternel. Le matin, la jeune fille grava avec ce diamant quelques mots sur la vitre de la fen?tre, jeta la bague dans le jardin et disparut. (Elle continue ? promener son doigt sur le carreau.)
LUI. Et ensuite?
ELLE. Bien des annеes plus tard, notre sеducteur vieillissant s’arr?ta par hasard dans ce m?me h?tel et dans cette m?me chambre. S’approchant de la fen?tre, il vit soudain les mots gravеs avec le diamant. « Vous oublierez aussi Henriette. » Et Casanova comprit qu’effectivement il l’avait oubliеe, que la vie passe, mais lui s’agite toujours autant, et toute nouvelle amour « еternelle » ne dure que quelques jours… Pareil pour vous, vous m’oublierez, vous m’oublierez plus vite que ne dispara?tront ces mots bien que je les aie еcrits uniquement avec mon doigt sur un carreau embuе.
LUI. (Il l’attire soudain ? lui et l’embrasse.). Tu es merveilleuse… des comme toi, je n’en ai jamais rencontrе… Tu es si dеroutante… Si on doit se sеparer dans quelques heures… Nous devons nous sеparer… Mais je me souviendrai longtemps de toi, tr?s longtemps!
ELLE. (Rayonnante de bonheur.). Enfin…
LUI. J’en ai eu envie tout le temps… Mais tu ne te donnais pas.
ELLE. Parce que tu ne voulais pas comme ?a.
LUI. Et ? prеsent je veux comme ?a?
ELLE. ? prеsent oui.
LUI. « Aimez elles rеpondaient », oui?
ELLE. Oui. Tu vois, comment on passe naturellement au tutoiement?
LUI. Je n’еtais qu’un sot.
ELLE. Et tu le restes.
LUI. Tu n’as pas cessе de me remettre en place avec ton vouvoiement
ELLE. Parce qu’il le fallait.
LUI. Oui, j’ai eu un comportement indigne. Dis-moi, pourquoi m’as-tu accostе? Sois franche.