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IR?NE. Oubliez ?a. J’ai entendu parler de ces r?gles : ne pas avoir de relations amoureuses avec des coll?gues de travail, avec ses patientes et ses еtudiantes, avec les femmes de parents et c?tera. S’il faut suivre tout ?a ? la lettre, qui aura donc des relations avec nous ? Et o? ? Retenez une chose : il faut toujours faire la cour, et ? toutes les femmes : collaboratrices, еpouses de vos amis et, d’autant plus, еpouses de vos ennemis. Et m?me parfois, vous n’allez pas le croire, ? sa propre femme.
LE DOCTEUR. Donc, selon vous, ces principes…
IR?NE. Laissez tomber les principes. Dites-moi, plut?t, honn?tement, que tout simplement je ne vous plais pas assez.
LE DOCTEUR. Je vous assure que vous me plaisez beaucoup.
IR?NE. Quand une femme pla?t vraiment, on lui fait la cour, sans penser ? rien. C’est l? l’unique principe juste.
LE DOCTEUR. Donc, vous ne serez certainement pas offensеe, si je vous propose d’aller d?ner quelque part ?
IR?NE. Je serai offensеe, si vous ne le proposez pas. Pour dire la vеritе, il y a longtemps qu’il convenait de le faire.
LE DOCTEUR. Je sais, mais il est difficile de s’y rеsoudre d?s la premi?re rencontre…
IR?NE. Et ? partir de quelle rencontre un homme doit-il agir, si ce n’est lors de la premi?re ? Car il peut ne pas y avoir de deuxi?me rencontre.
LE DOCTEUR. Mais l?, tout de suite, de but en blanc…
IR?NE. Comment cela, « de but en blanc » ? Vous avez des еlans d’escargot et chargez avec l’impеtuositе d’une tortue ! Nous nous connaissons depuis deux ans et ce n’est qu’aujourd’hui que vous vous ?tes dеcidе ? manifester votre intеr?t pour moi.
LE DOCTEUR. (Perplexe.) Deux ans ? Vous ?tes s?re ? Nous serions-nous dеj? rencontrеs ?
IR?NE. ? prеsent, je vois quel effet je produis vеritablement sur vous. Une femme qui pla?t, on ne l’oublie pas.
LE DOCTEUR. Vous me plaisez beaucoup, mais… (Il se tait. Son visage se marque d’un trouble еvident. Est-il possible que le virus de destruction de la mеmoire agisse si vite ?)
IR?NE. (Parcourant le cabinet du regard.) Votre cabinet est encore plus imposant et plus impressionnant. On voit tout de suite que l’on est dans la salle de rеception d’un mеdecin qui a rеussi.
LE DOCTEUR. (Perplexe.) Vous ?tes dеj? venue ? Avant ?
IR?NE. Bien s?r, et pas qu’une fois. Auriez-vous oubliе ? Avant, me semble-t-il, il n’y avait pas l? cette statuette de bronze.
LE DOCTEUR. Vous ?tes s?re d’avoir еtе ici auparavant ?
IR?NE. Comment n’en serais-je pas s?re, si c’est moi-m?me qui vous ai amenе mon mari. Vous ne vous en souvenez vraiment pas ?
LE DOCTEUR. Moi ? (Incertain.) Mais pourquoi ? Bien s?r que je me souviens. (Il verse d’une fiole des gouttes dans un verre, ajoute de l’eau de la carafe et boit, s’effor?ant de faire cela ? la dеrobеe.)
IR?NE. ? propos, je me fais du souci pour lui. Excusez-moi, je dois vеrifier s’il n’est pas parti.
IR?NE sort. LE DOCTEUR se prend le pouls. IR?NE revient.
LE DOCTEUR. Il est parti ?
IR?NE. Non.
LE DOCTEUR. Dommage.
IR?NE. Voil?, docteur, je voudrais que vous me donniez un certificat de santе de mon mari avec sa fiche mеdicale recouvrant toutes ces annеes. J’ai entrepris des dеmarches pour obtenir une pension d’invaliditе pour lui et l’attestation d’un mеdecin en vue peut ?tre tr?s utile.
LE DOCTEUR. M-m-m… Voyez-vous, je n’ai pas encore dеterminе en quoi consiste sa maladie.
IR?NE. Comment, deux ans n’y ont pas suffi ? ? vous ? Un mеdecin si expеrimentе ?
LE DOCTEUR. « Deux ans » ?
IR?NE. Donnez-moi, je vous prie, sa fiche mеdicale et je ne vous dеtournerai plus de votre travail.
LE DOCTEUR. Je… Je dois d’abord la prеparer.
IR?NE. Qu’y a-t-il ? prеparer ? Imprimez-la et voil? tout.
LE DOCTEUR. J’ai l’impression que mon ordinateur bogue… Ne pourriez-vous pas repasser un peu plus tard aujourd’hui ?
IR?NE. Bien s?r. (Elle se l?ve, se dirige vers la sortie, mais s’arr?te.) Au fait, que dois-je comprendre ? M’avez-vous invitеe ? d?ner ou pas ? Ou bien, cela aussi, vous l’avez oubliе ?
LE DOCTEUR. Naturellement, vous ?tes invitеe.
IR?NE. Je ne voudrais pas para?tre insistante, mais lorsqu’un homme invite une dame, d’ordinaire il lui communique le lieu et le moment o? il vient la chercher ou le lieu et le moment o? ils doivent se rencontrer. Je dois me prеparer. Je ne peux tout de m?me pas aller ? un rendez-vous avec vous ainsi fagotеe.
LE DOCTEUR. Vous ?tes, ? mes yeux, irrеprochable.
IR?NE. Non, non. Je dois me changer. Ainsi donc, je repasserai dans une demi-heure et nous nous mettrons d’accord sur tout. Et par la m?me occasion, je prendrai la fiche mеdicale.
LE DOCTEUR. Parfait.
IR?NE. Vous en avez fini avec mon mari ?
LE DOCTEUR. Pas encore.
IR?NE. Alors, jusque-l?, je vous le laisse. (Avec un sourire tr?s engageant.) ? tout de suite.
IR?NE sort. LE DOCTEUR reste seul. Son visage exprime un mеlange de joie et de dеcontenancement. Entre MICHEL.
MICHEL. Docteur…
LE DOCTEUR. (L’air de souffrir.) N’allez pas me dire que vous souffrez d’amnеsie.
MICHEL. Mais je ne souffre pas du tout d’amnеsie. Qu’est-ce qui vous fait dire ?a ?
LE DOCTEUR. Alors, que voulez-vous, donc, de moi ?
MICHEL. Ma femme m’a dit d’attendre dans la salle d’attente, mais je m’y ennuie. Est-ce que je peux rester assis, ici ?
LE DOCTEUR. Je prеf?re dans la salle d’attente.
MICHEL. Je prеf?re ici.
LE DOCTEUR. Bon, d’accord. ? une condition : vous ne parlez pas.
MICHEL. Je ne dirai pas un mot.
LE DOCTEUR. Vous promettez de ne pas oublier ?
MICHEL. Je n’oublie jamais rien.
LE DOCTEUR. (Soupirant.) Eh bien, c’est parfait.
MICHEL s’assoit discr?tement dans un coin. LE DOCTEUR cherche la fiche mеdicale dans son ordinateur, visiblement sans succ?s. LE DOCTEUR s’adresse, ? tout hasard, ? MICHEL.
Vous ne vous rappelez pas, par hasard, si je vous ai fait une fiche mеdicale ?
MICHEL. Vous l’avez faite.
LE DOCTEUR. Quand ? Ce matin ?
MICHEL. Non, il y a tr?s longtemps. Il y a un an, ou deux.
MICHEL. Et vous vous en souvenez ?
MICHEL. Bien s?r que je m’en souviens.
LE DOCTEUR. Pourquoi, alors, ne puis-je pas la retrouver dans mon ordinateur ?
MICHEL. Je ne sais pas. Vous voulez que je vous aide ?
LE DOCTEUR. (Le repoussant.) Pas la peine ! (Il renouvelle ses recherches dans son ordinateur.)
Entre une Femme portant un costume en prince de galles irrеprochable. Ses gestes sont assurеs, elle parle avec clartе et prеcision, a les mani?res d’une personne dеcidеe.
LA FEMME. Bonjour.
MICHEL. (Heureux.) C’est toi ?
LA FEMME. Comme tu vois, chеri.
MICHEL. Je m’ennuie de toi, ici. Je suis content que tu sois venue !
MICHEL et LA FEMME s’enlacent et s’embrassent.
LA FEMME. Rentre ta chemise et arrange ta coiffure. Comment vas-tu ?
MICHEL. ? merveille.
LE DOCTEUR. Vous permettez ? Qui ?tes-vous ?
MICHEL. C’est ma femme.
LA FEMME. (Tendant la main au Docteur.) Comme vous le savez, je m’appelle Jeanne Grelot.
LE DOCTEUR. (Abasourdi.) Enchantе.
JEANNE. Je ne vous dеrange pas ?
LE DOCTEUR. Asseyez-vous. (Il emm?ne Michel ? part.) Qui est cette femme ?
MICHEL. Mais je vous l’ai dit : ma femme.
LE DOCTEUR. Mais, tout ? fait rеcemment vous avez enlacе ? cette m?me place une autre femme dont vous avez dit aussi qu’elle еtait votre femme !
MICHEL. Docteur, vous avez des hallucinations. Il faut vous soigner. Ici, il n’y a eu aucune femme.
LE DOCTEUR, dеsorientе, prend une nouvelle dose de mеdicament. Ayant rassemblе ses idеes, il s’adresse ? JEANNE.
LE DOCTEUR. J’esp?re que vous ne vous offusquerez pas si je vous demande de me prеsenter une pi?ce d’identitе.
JEANNE. Еtrange demande. Du reste, c’est comme vous voulez. Voici mon permis de conduire. (Elle tend son document.) Jeanne Grelot. ? votre service.
LE DOCTEUR regarde attentivement le permis de conduire et le rend ? JEANNE.
LE DOCTEUR. (Perplexe.) Tout est en ordre.
JEANNE. Vous en doutiez ? Je ne vous demande pas vos papiers, parce que je sais qui vous ?tes. Il ne serait pas superflu, bien s?r, de vеrifier votre licence, mais cela est l’affaire du parquet et moi je suis avocate. ? ce propos, voici ma carte de visite.
LE DOCTEUR. Que me vaut l’honneur de votre visite ?
JEANNE. La santе de mon mari m’inqui?te.
LE DOCTEUR. Elle m’inqui?te aussi. Mais je prеf?rerais en parler avec vous, seul ? seule.
JEANNE. (? Michel.) Chеri, attends-moi dans la salle d’attente, ensuite, nous irons ensemble ? la maison.
MICHEL sort docilement.
LE DOCTEUR. Savez-vous, que votre… heu-heu… mari est malade ?
JEANNE. Qui mieux que moi peut le savoir ?
LE DOCTEUR. Et savez-vous quelle est sa maladie ?
JEANNE. Il souffre d’amnеsie.
LE DOCTEUR. Depuis quand ?
JEANNE. (Еtonnеe.) Que signifie « depuis quand » ?
LE DOCTEUR. Depuis quand est-il malade ?