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Pièces choisies
Pièces choisies
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Pièces choisies

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JEANNE. (Еtonnеe.) Comment ? Vous ne savez pas ?

LE DOCTEUR. Pourquoi devrais-je le savoir ?

JEANNE. Mais voyons, vous le suivez depuis deux ans !

LE DOCTEUR. Moi ? Deux ans ??

JEANNE. Docteur, qu’arrive-t-il ? votre mеmoire ? Comment pouvez-vous soigner des malades, si vous-m?me ne vous souvenez de rien ?

LE DOCTEUR. Bien, deux ans, soit. Parlez-moi de la maladie de votre mari en termes plus prеcis. Votre cohabitation est-elle difficile ?

JEANNE. Quelle femme trouve facile de vivre avec son mari ?

LE DOCTEUR. Nous n’allons pas entrer dans les probl?mes personnels, parlons des probl?mes mеdicaux. Quelles sont les manifestations concr?tes de sa maladie ?

JEANNE. Il se souvient de choses tr?s compliquеes et lointaines, et oublie les plus simples. Il peut, par exemple, se remplir une tasse de cafе et oublier de le boire. Ou bien avaler deux fois le m?me mеdicament.

LE DOCTEUR. ?a m’arrive aussi.

JEANNE. (Caustique.) J’ai dеj? pu m’en rendre compte.

LE DOCTEUR. Comment supportez-vous tout cela ?

JEANNE. Je suis quelqu’un qui agit en vertu du devoir. Je fais non ce qui me pla?t, mais ce que je dois faire. Je mange non ce qui me pla?t, mais ce qui contient moins de calories. Je frеquente non ceux qui me sont agrеables, mais ceux qui me sont utiles. Je ne vis pas avec le mari avec qui je voudrais ?tre, mais avec celui qui m’est еchu. Se plaindre et se lamenter est inutile. Il faut travailler, travailler comme un bCuf et porter sa croix.

LE DOCTEUR. Je vous admire.

JEANNE. Merci. Mais, finalement, mon ex-mari n’est pas une si mauvaise personne. Il y a pire. Je me rеp?te cela cent fois par jour. Chaque femme devrait se le rеpеter. Il y a pire.

LE DOCTEUR. Pourquoi avez-vous dit « ex-mari » ? Seriez-vous divorcеs ?

JEANNE. Pas le moins du monde. Nous sommes lеgalement mariеs. Mais qu’est-ce qu’un mari qui oublie ce qu’un mari – un homme – ne doit pas oublier ? Vous me comprenez ?

LE DOCTEUR. M-m-m… Et que faites-vous dans ces cas-l? ? Vous le lui rappelez ?

JEANNE. S’il faut rappeler ? un homme de telles choses, alors il n’y a plus rien ? espеrer.

LE DOCTEUR. Vous avez raison.

JEANNE. Savez-vous, ? quelle conclusion m’a amenеe l’exercice du droit ? Plus il y a d’hommes qui oublient, plus il y a de femmes qui souffrent.

LE DOCTEUR. L’exercice de la mеdecine aussi arrive ? la m?me conclusion. Cependant, dites-moi, ne vous est-il pas venu ? l’esprit, que l’oubli de ces choses par votre mari, pouvait s’expliquer par le fait que… hum-hum…

JEANNE. Qu’il a une femme ?

LE DOCTEUR. C’est vous qui l’avez dit, pas moi.

JEANNE. Ne me faites pas rire, cela est exclu.

LE DOCTEUR. Oui ? Et comment rеagiriez-vous si nous faisions la supposition que, peu avant vous, serait venue avec lui ?… Comment vous dire ?a ?… Naturellement, ce n’est qu’une supposition…

JEANNE. Ne tournez pas autour du pot, docteur. Jouez franc jeu. J’ai les nerfs solides.

LE DOCTEUR. N’allez pas le juger. Selon moi, il a oubliе qui еtait sa femme.

JEANNE. Il s’en souvient parfaitement. (Elle appelle son mari.) Michel !

MICHEL entre.

JEANNE. Chеri, dis ? cette personne, comment je m’appelle.

MICHEL. L’aurait-il oubliе ?

JEANNE. Il l’a su, mais il l’a oubliе. (Avec ironie.) Cette personne souffre d’amnеsie.

MICHEL. (Au docteur.) Je suis sinc?rement dеsolе pour vous.

LE DOCTEUR. Moi aussi je suis dеsolе pour moi.

MICHEL. Pourquoi ne suivez-vous pas un traitement ? Je peux vous recommander un bon mеdecin. Voici sa carte de visite.

LE DOCTEUR. (Jetant un Cil sur la carte.) Je vous remercie, c’est ma carte ! Dites-nous, plut?t, comment s’appelle cette dame.

MICHEL. Еtrange question. Vous pensez que je ne sais pas comment s’appelle ma propre femme ? Ma femme, avec qui j’ai еtе dans la m?me еcole ?

LE DOCTEUR. Bon, mais comment s’appelle-t-elle, bon sang ?

MICHEL. Jeanne. Pourquoi ?

JEANNE. Rien, chеri. Tu peux retourner dans la salle d’attente. (Sur un ton sеv?re.) Et tu n’en bouges pas !

MICHEL sort.

LE DOCTEUR. Bizarre. Si ce n’еtait pas sa femme, qui еtait-ce, donc ?

JEANNE. Qui ?

LE DOCTEUR. La femme qui еtait ici avant vous.

JEANNE. Si c’est vrai, alors je sais qui elle est.

LE DOCTEUR. (Avec intеr?t.) Tiens donc ? Et qui est-elle ?

JEANNE. Une putain doublеe d’une affairiste.

LE DOCTEUR. Vous y allez un peu fort. Elle m’a semblе tout ? fait attirante.

JEANNE. Malheureusement, les putains sont toujours attirantes. ? la diffеrence de nous, les honn?tes femmes.

LE DOCTEUR. Bon, vous la connaissez ou non ?

JEANNE. Bien s?r que non, et je ne veux pas la conna?tre. Je ne fraye pas avec de telles personnes. Du reste, aucune femme, en rеalitе, n’est venue ici et vous le savez parfaitement.

LE DOCTEUR. Il est venu une femme.

JEANNE. Elle n’est pas venue.

LE DOCTEUR. Elle est venue. (S’essuyant le front.) Mais, peut-?tre, en effet, n’est-elle pas venue.

JEANNE. Excusez-moi, je veux vеrifier si Michel est toujours l?. Il faut toujours avoir un Cil sur lui.

JEANNE sort et revient.

LE DOCTEUR. Toujours l? ?

JEANNE. Oui.

LE DOCTEUR. Dommage.

JEANNE. Cessons ces discussions sur les femmes et passons aux choses sеrieuses. Je ne suis pas venue ici pour entendre des rеcits fantastiques, mais pour le certificat mеdical de mon mari.

LE DOCTEUR. Pour еtablir un certificat mеdical, je dois d’abord еtudier sa maladie. C’est pourquoi je vous demande depuis quand…

JEANNE. (L’interrompant.) Premi?rement, je vous ai tout dit, vingt fois dеj?.

LE DOCTEUR. (Tr?s еtonnе.) Quand ?

JEANNE. (Sans l’entendre.) Deuxi?mement, au lieu de poser des questions inutiles, vous feriez mieux de regarder sa carte mеdicale. Elle est dans votre ordinateur. Il y a tout.

LE DOCTEUR. Je n’ai aucune carte mеdicale le concernant !

JEANNE. Que dois-je comprendre ? Seriez-vous ? ce point nеgligent que vous ne la remplissez pas ? Vous savez parfaitement que cette nеgligence est assimilable ? une faute professionnelle !

LE DOCTEUR. Vous vous oubliez !

JEANNE. (Sur un ton dur.) Nullement. Je ne souffre pas encore d’amnеsie. Et je tiens ? vous rappeler que la carte mеdicale est un document non seulement mеdical, mais aussi juridique. En cas de plainte lеgale contre vous de la part du malade, elle permettra d’еtablir la conformitе ou la non-conformitе du traitement prescrit par vous. Je crains que vous ne l’ayez pas remplie ou que vous l’ayez sciemment effacеe pour masquer aux finances publiques les sommes que vous avez per?ues de nous pour les visites.

LE DOCTEUR. Je n’ai re?u aucune somme !

JEANNE. Ne vous inquiеtez pas, nous n’avons pas l’intention de vous demander de les rendre. La seule chose que je veux, c’est un certificat attestant de l’еtat de gravitе dans lequel se trouve mon mari et sa carte mеdicale.

LE DOCTEUR. (Il est compl?tement dеconcertе.) Le certificat, ? la limite, je peux vous le donner, mais…

JEANNE. (Intraitable.) Ainsi que la carte mеdicale.

LE DOCTEUR. O? vais-je la trouver ?

JEANNE. Dans votre ordinateur. Dans le tiroir de votre bureau. Est-ce que je sais moi ? Trouvez-la, refaites-la, cela ne me regarde pas. Que la carte mеdicale soit pr?te dans une heure ! Dans exactement soixante minutes je reviens la chercher ! Et n’essayez pas ? nouveau de vous trouver une quelconque excuse comme la derni?re fois.

JEANNE se dirige vers la sortie. ? l’entrеe, elle se heurte ? un nouveau visiteur. C’est un homme d’apparence tr?s respectable, v?tu d’un costume strict bien taillе. Ils se lancent un regard furtif. JEANNE sort. L’HOMME ne remarque pas tout de suite LE DOCTEUR, apparu de derri?re un paravent. En l’apercevant, il sursaute.

LE DOCTEUR. En quoi puis-je vous ?tre utile ?

L’HOMME. (Tressaillant.) Je… je… je…

LE DOCTEUR. Qui ?tes-vous ?

L’HOMME. Je… je… je…

LE DOCTEUR. Oui, vous, vous, vous ! Pas moi, que diable !

L’HOMME. Je… Je ne pense pas que mon nom ait quelque importance pour vous.

LE DOCTEUR. Alors, pourquoi ne le donneriez-vous pas ?

L’HOMME. En effet, pourquoi ?

LE DOCTEUR. C’est bien ce que je dis, pourquoi ?

L’HOMME. Tenez, vous voyez, nous disons tous les deux « pourquoi ».

LE DOCTEUR. Alors, pourquoi, malgrе tout, ne le donnez-vous pas ?

L’HOMME. Parce que je n’en vois pas la nеcessitе.

LE DOCTEUR. Cessez de tourner autour du pot et parlez franc : de quoi souffrez-vous ?

L’HOMME. Puis-je parler avec vous d’homme ? homme ?

LE DOCTEUR. Le voudrions-nous que nous ne pourrions parler de femme ? femme.

L’HOMME. Vous avez raison.

LE DOCTEUR. Eh bien, accouchez, ne craignez rien, qu’est-ce qui vous am?ne ?

L’HOMME. Je ne sais par quoi commencer…

LE DOCTEUR. Soyez plus hardi, vous n’avez pas ? avoir honte du tout. La quasi-totalitе des hommes rencontrent ces probl?mes-l?.

L’HOMME. Comment connaissez-vous mes probl?mes ?

LE DOCTEUR. Je les devine.

L’HOMME. Vous ne pouvez pas les conna?tre. Le fait est que… Comment le dire…

LE DOCTEUR. Allons, allons, ne rougissez pas. Vous ?tes venu voir un mеdecin. Et ici, les secrets sont gardеs.

L’HOMME. (Apr?s hеsitation.) Bon, ?a va. Pour ?tre honn?te, j’avais d’abord dеcidе de me faire passer pour malade. Mais maintenant, je me dis, pourquoi ne pas dire les choses comme elles sont ?