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LUI. Vous revenez, c’est s?r?
ELLE. Pensez-vous que je veuille rester sans champagne? (Elle sort.)
L’homme, ne sachant que penser, regarde dans le couloir, revient, ?te sa veste, va ? nouveau ? la porte mais, ? ce moment-l?, la femme revient. Elle est v?tue d’une robe de soirеe et tient dans ses mains une bo?te et un petit bouquet de fleurs.
LUI. (Rеjoui et еtonnе.). O? et comment avez-vous eu le temps de vous mеtamorphoser si vite?
ELLE. J’ai dеcidе de rеactiver votre curiositе. (Embrassant du regard la pi?ce :) Eh bien, qu’attendez-vous? Pourquoi rien n’est-il pr?t?
LUI. Et que faut-il prеparer?
ELLE. Tout de m?me, quel empotе! Mettons la table ici.
Ils transportent la table au centre de la pi?ce.
ELLE. ? prеsent, versez de l’eau dans le vase.
La femme sort une nappe de la bo?te, en recouvre la table, pose des chandeliers et des chandelles sortis de la m?me bo?te. L’homme, apportant un vase rempli d’eau, y met les fleurs, aide la femme ? enlever du chariot le champagne, le couvert et le hors-d’Cuvre. La femme installe le vase et allume les chandelles. ? prеsent la table prend un vrai air de f?te.
LUI. O? vous ?tes-vous procurе tout cela? Votre absence n’a durе que deux minutes.
ELLE. C’est un secret.
LUI. Vous ?tes un vrai myst?re. Et d’o? viennent les fleurs?
ELLE. De la for?t. Que pouvais-je faire d’autre quand vous-m?me n’y avez pas pensе?
LUI. Vous ?tes une femme rare.
ELLE. Visiblement, c’est qu’avant vous n’avez pas eu de chance avec les femmes, c’est tout. Еteignez la lumi?re.
LUI. Maintenant c’est confortable et beau. J’aurais еtе incapable de faire pareil.
ELLE. Mais vous voyez notre rencontre comme un arrangement alors que moi je veux qu’elle soit un rendez-vous. Eh bien? C’est vous l’h?te. Peut-?tre, allez-vous m’inviter ? m’asseoir et allez-vous ouvrir la bouteille?
LUI. C’est vous qui avez tout organisе et c’est moi qui me sens invitе.
ELLE. En ce cas, je m’assois sans cеrеmonie.
La femme s’assoit. L’homme ouvre la bouteille de champagne et remplit les fl?tes.
LUI. Vous m’offrez une f?te remarquable.
ELLE. Alors buvons ? cette f?te. Faisons de ce jour notre premi?re f?te et nommons cette f?te sеparation.
Ils boivent.
LUI. Je dois avouer que, quand vous le voulez, vous savez ?tre tr?s charmante.
ELLE. C’est ce que je veux toujours, mais ?a ne rеussit pas toujours.
LUI. ?a rеussit, croyez-moi. (Il veut ? nouveau l’еtreindre.)
ELLE. (S’еcartant calmement de ses еtreintes.). Si vous ne savez pas o? mettre vos mains, versez plut?t du vin. Mon verre est vide, ne le voyez-vous pas?
LUI. (Regagnant sa place et remplissant les fl?tes.). ? quoi buvons-nous, ? prеsent?
ELLE. (Haussant les еpaules.). ? l’amour. Au succ?s. ? la rencontre. (Avec un ton lеg?rement moqueur :) Ou bien, vous pouvez boire debout ? la santе des belles femmes. N’?tes-vous pas un amateur follement expеrimentе et connaisseur du sexe fеminin?
LUI. Eh bien… Alors, je propose de passer au tutoiement.
ELLE. Pas la peine. Je n’aime pas le tutoiement entre deux personnes qui se connaissent tr?s peu. Par exemple, un supеrieur hiеrarchique, allez savoir pourquoi, se croit autorisе ? tutoyer ses subalternes. Tr?s souvent ce n’est pas un signe d’intimitе mais une manifestation de familiaritе et de goujaterie. (Regardant l’homme :) Il ne faut pas chercher bien loin les exemples.
LUI. J’entends votre reproche. Mais maintenant ce « tu » sera tout autre, rien ? voir avec celui d’avant. Pas mеprisant, mais amical. Et il sera mutuel. Vous ?tes d’accord?
ELLE. Attendons un peu. Le temps n’est pas encore venu pour cela. ? propos, au sujet du «tu» mеprisant. Je crois comprendre que vous n’avez pas aimе que je vienne m’asseoir ? votre table et que, pour le dire simplement, je commence ? vous allumer.
LUI. Eh bien, pour ?tre honn?te, ce n’еtait pas tr?s beau.
ELLE. Comme vous l’avez dit auparavant, c’еtait immoral. Pour vous, seules les femmes d’une certaine catеgorie peuvent se conduire ainsi.
LUI. En gros, oui.
ELLE. Mais si ?a n’avait pas еtе moi mais vous qui еtiez venu vous asseoir ? ma table, vous еtiez mis ? me dire des compliments et ? m’inviter ? passer la nuit avec vous, ?’aurait еtе moral?
LUI. Eh bien… Oui, ?’aurait еtе moral.
ELLE. Pourquoi?
LUI. (Haussant les еpaules.). Il faut bien que quelqu’un fasse preuve d’initiative, sinon le genre humain s’еteindrait.
ELLE. Fasse preuve d’initiative? Parfait. Mais pourquoi pas moi? Quand j’ai commencе ? parler avec vous au restaurant, vous avez pris cela pour du dеvergondage. Et si j’avais tentе aussi de vous еtreindre, comme vous venez de le faire vous-m?me? Qu’auriez-vous pensе alors de moi?
LUI. ? chaque jeu ses r?gles.
ELLE. Il en rеsulte que, dans ce jeu, il est juste permis aux femmes d’?tre la proie mais pas le chasseur. Je ne reconnais pas de telles r?gles.
LUI. Les femmes aussi chassent. Simplement, elles ont leurs propres procеdеs.
ELLE. Laissons ces plaisanteries. Je vois que toutes ces discussions sur l’еgalitе des sexes, les prеjugеs еculеs, la libertе sexuelle et ainsi de suite ne valent pas un clou. Au fond, la morale reste inchangеe : l’homme peut tout, la femme tr?s peu. Elle doit rester assise, baisser timidement les yeux et attendre qu’on s’intеresse ? elle. Et si je n’accepte pas cette morale, on me traite de je ne sais trop quoi. C’est bien ?a?
LUI. Oui et non.
ELLE. Alors pourquoi, lorsqu’il est question de moralitе, attend-on immanquablement d’une femme de la discrеtion, de la puretе, de la pudeur et c?tera? Pourquoi n’exige-t-on pas la m?me chose d’un homme? Pourquoi, pour le dire dans un style soutenu, y a-t-il des femmes dеchues mais pas d’hommes dеchus?
LUI. Selon vous, les normes de conduite des femmes ont еtе inventеes par les mеchants et affreux hommes? Mais elles ont leur origine dans la nature elle-m?me. C’est justement de ?a qu’il еtait question, aujourd’hui, ? notre confеrence.
ELLE. Selon votre psychobiologie? C’est, je crois, comme ?a que s’appelle votre spеcialitе? N’est-ce pas ennuyeux?
LUI. Que dites-vous l?! (S’animant :) C’est extr?mement intеressant. Et savez-vous en quoi cela consiste? Le fait est que notre psychologie, nos reprеsentations de l’interdit et du permis, du bien et du mal… (S’interrompant.) Excusez-moi, cela vous ennuie, sans doute.
ELLE. Pourquoi donc? Continuez.
LUI. Non, ce n’est intеressant que pour moi. Vous allez trouver ?a trop spеcial et abscons.
ELLE. Qu’y a-t-il l? d’abscons? (Avec le ton d’un confеrencier tout ? fait sеrieux mais des еtincelles de joie dans les yeux :) Il me semble que vous vouliez dire que notre psychologie, nos reprеsentations de l’interdit et du permis, du bien et du mal se forment d?s le plus jeune ?ge sous l’influence de la famille, de l’еcole, des еducateurs, des enfants du m?me ?ge, des livres, des films, des coutumes et des traditions nationales, bref de notre milieu social. Au bout du compte, se forme une psychologie dеterminеe par la sociеtе ou, pour le dire autrement, une psychologie sociale.
L’homme l’еcoute avec un еtonnement grandissant.
ELLE. Mais l’?tre humain n’est pas seulement un ?tre raisonnable, il est aussi un animal ayant une nature biologique. En lui se trouvent depuis sa naissance des instincts naturels, des dеsirs et des peurs. L’еtouffement de la psychologie naturelle de l’homme par l’еducation et par la vie en sociеtе conduit ? toutes sortes de complexes et m?me ? des dysfonctionnements psychiques. Ces questions sont еtudiеes en dеtail dans les travaux capitaux de Fox, Kislevski et Zarembo.
LUI. (Explosant.). Qu’est-ce que ?a veut dire, bon sang!
ELLE. (Sur le ton de l’innocence.). Quoi donc?
LUI. Mais c’est mon exposе! Presque mot pour mot!
ELLE. Non!? Qui l’aurait cru!
LUI. Cessez de faire l’imbеcile! Qui ?tes-vous, bon sang?
ELLE. Comment? Une fille de petite vertu.
LUI. Suffit! Vous y еtiez aussi? Pourquoi ne vous ai-je pas vue? Vous ?tes psychologue?
ELLE. Toutes les femmes sont psychologues.
LUI. Vous savez tr?s bien que je parle de votre profession. Si vous n’?tes pas psychologue, vous ?tes biologiste?
ELLE. Non.
LUI. Oh et puis, je n’y comprends rien. Qui ?tes-vous? Que voulez-vous? D’o? vous vient cette connaissance des langues? Et comment connaissez-vous mes travaux? Je suis s?r que vous m’espionnez, mais pourquoi?
ELLE. Je vous assure que je ne vous espionne pas. Je m’intеresse simplement ? vous.
LUI. Non, il y a quelque chose qui n’est pas clair dans tout ?a. Votre conduite est une еnigme.
ELLE. Je vous ai dеj? dit que toutes les еnigmes semblent inexplicables tant qu’on ne dеcouvre pas le mot. Alors elles se rеv?lent terriblement simples et n’apportent que dеsenchantement.
LUI. Une chose est claire pour moi depuis un moment dеj?, c’est que vous n’?tes pas une fille de trottoir. Vous ?tes trop instruite et intelligente.
ELLE. M?me des femmes instruites sont contraintes de gagner leur vie.
LUI. Il me semble que votre voix m’est famili?re. Ne nous sommes-nous pas dеj? rencontrеs?
ELLE. Non. Je veux croire que si nous nous еtions rencontrеs, vous vous seriez souvenu de moi.
LUI. C’est juste.
ELLE. Cessez de vous casser la t?te sur une еnigme qui n’existe pas. Continuons plut?t notre controverse.
LUI. Mais d’abord, buvons.
ELLE. ? notre rencontre? C’est dеj? fait.
LUI. Non, nous avons bu ? notre sеparation. Votre toast n’еtait pas heureux, portons en un nouveau.
ELLE. D’accord.
Ils choquent les verres et boivent.
ELLE. Passez-moi votre assiette, je vais vous servir. (Elle lui sert un hors-d’Cuvre.)
LUI. Merci.
ELLE. Et si on revenait ? notre controverse? J’y tiens.
LUI. Pourquoi? Nous dеbattions? Sur quoi?
ELLE. Vous еtiez sur le point de m’expliquer pourquoi vous pouvez choisir une femme qui vous pla?t, tandis que moi je ne peux pas choisir un homme.
LUI. Ce n’est pas tout ? fait ?a. L’homme choisit, mais la femme est en droit d’accepter ou de refuser le choix de l’homme. C’est pourquoi, au bout du compte, c’est elle qui choisit.
ELLE. Mes ces choix ne sont pas d’еgale valeur. Supposons qu’? un bal se trouvent cent dames et cent cavaliers, et que sur ces cent c’est moi que cinq hommes dеcident d’inviter ? danser. C’est vrai, j’ai la possibilitе de choisir parmi les cinq. Mais eux ont choisi parmi cent femmes!
LUI. Il faut croire que la nature savait ce qu’elle faisait; d’une mani?re ou d’une autre chacun aura sa partenaire.
ELLE. Pas tous.
LUI. (Apr?s un court silence.). Pas tous, en effet.
ELLE. Et le couple qui se forme n’est pas toujours assorti.
LUI. C’est vrai aussi.
ELLE. Donc, vous considеrez qu’une femme doit toujours ?tre non pas l’archet mais le violon?
LUI. La question n’est pas ce que je consid?re ou non. Le monde est comme ?a, tout simplement.
ELLE. Mais pourquoi? Les femmes n’ont-elles pas le droit de chercher leur bonheur et de faire ce qu’il faut pour l’atteindre? Les hommes et les femmes ne sont-ils pas еgaux?
LUI. Еgal ne signifie pas identique. Un chat m?le et un chat femelle sont aussi juridiquement еgaux, mais biologiquement ils se conduisent diffеremment. Pareil pour les humains. Physiquement, une femme ne peut pas prendre un homme, le possеder. C’est toujours lui qui la prend, et elle, elle se donne. D’o? diffеrentes normes de conduite : il choisit, elle attend d’?tre choisie.
ELLE. Vous raisonnez en professionnel. Donc, une femme ne peut pas chercher.
LUI. Ce n’est pas elle qui doit chercher, elle, on doit la trouver. C’est pourquoi le premier motif du comportement d’une femme, c’est d’?tre attirante.
ELLE. Mais peut-?tre n’est-ce pas une loi de la biologie, mais une question d’еducation et de tradition?