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Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке
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Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке

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C’est m?me ? cette occasion, qu’au foyer de l’Opеra-Comique, j’ai rencontrе la petite Lola d’Amеrique et c’est ? cause d’elle que je me suis tout ? fait dessalе.

Il existe comme ?a certaines dates qui comptent parmi tant de mois o? on aurait tr?s bien pu se passer de vivre. Ce jour de la mеdaille ? l’Opеra-Comique fut dans la mienne, dеcisif.

? cause d’elle, de Lola, je suis devenu tout curieux des Еtats-Unis, ? cause des questions que je lui posais tout de suite et auxquelles elle ne rеpondait qu’? peine. Quand on est lancе de la sorte dans les voyages, on revient quand on peut et comme on peut…

Au moment dont je parle, tout le monde ? Paris voulait possеder son petit uniforme. Il n’y avait gu?re que les neutres et les espions qui n’en avaient pas, et ceux-l? c’еtait presque les m?mes. Lola avait le sien d’uniforme officiel et un vrai bien mignon, rehaussе de petites croix rouges partout, sur les manches, sur son menu bonnet de police, coquinement posе de travers toujours sur ses cheveux ondulеs. Elle еtait venue nous aider ? sauver la France, confiait?elle au Directeur de l’h?tel, dans la mesure de ses faibles forces, mais avec tout son cCur! Nous nous compr?mes tout de suite, mais pas compl?tement toutefois, parce que les еlans du cCur m’еtaient devenus tout ? fait dеsagrеables. Je prеfеrais ceux du corps, tout simplement. Il faut s’en mеfier еnormеment du cCur, on me l’avait appris et comment! ? la guerre. Et je n’еtais pas pr?s de l’oublier.

Le cCur de Lola еtait tendre, faible et enthousiaste. Le corps еtait gentil, tr?s aimable, et il fallut bien que je la prisse dans son ensemble comme elle еtait. C’еtait une gentille fille apr?s tout Lola, seulement, il y avait la guerre entre nous, cette foutue еnorme rage qui poussait la moitiе des humains, aimants ou non, ? envoyer l’autre moitiе vers l’abattoir. Alors ?a g?nait dans les relations, forcеment, une manie comme celle-l?. Pour moi qui tirais sur ma convalescence tant que je pouvais et qui ne tenais pas du tout ? reprendre mon tour au cimeti?re ardent des batailles, le ridicule de notre massacre m’apparaissait, clinquant, ? chaque pas que je faisais dans la ville. Une roublardise immense s’еtalait partout.

Cependant j’avais peu de chances d’y еchapper, je n’avais aucune des relations indispensables pour s’en tirer. Je ne connaissais que des pauvres, c’est-?-dire des gens dont la mort n’intеresse personne. Quant ? Lola, il ne fallait pas compter sur elle pour m’embusquer. Infirmi?re comme elle еtait, on ne pouvait r?ver, sauf Ortolan peut-?tre, d’un ?tre plus combatif que cette enfant charmante. Avant d’avoir traversе la fricassеe boueuse des hеro?smes, son petit air Jeanne d’Arc m’aurait peut-?tre excitе, converti, mais ? prеsent, depuis mon enr?lement de la place Clichy, j’еtais devenu devant tout hеro?sme verbal ou rеel, phobiquement rеbarbatif. J’еtais guеri, bien guеri.

Pour la commoditе des dames du Corps expеditionnaire amеricain, le groupe des infirmi?res dont Lola faisait partie logeait ? l’h?tel Paritz et pour lui rendre, ? elle particuli?rement, les choses encore plus aimables, il lui fut confiе (elle avait des relations) dans l’h?tel m?me, la Direction d’un service spеcial, celui des beignets aux pommes pour les h?pitaux de Paris. Il s’en distribuait ainsi chaque matin des milliers de douzaines. Lola remplissait cette fonction bеnigne avec un certain petit z?le qui devait d’ailleurs un peu plus tard tourner tout ? fait mal.

Lola, il faut le dire, n’avait jamais confectionnе de beignets de sa vie. Elle embaucha donc un certain nombre de cuisini?res mercenaires, et les beignets furent, apr?s quelques essais, pr?ts ? ?tre livrеs ponctuellement juteux, dorеs et sucrеs ? ravir. Lola n’avait plus en somme qu’? les go?ter avant qu’on les expеdi?t dans les divers services hospitaliers. Chaque matin Lola se levait d?s dix heures et descendait, ayant pris son bain, vers les cuisines situеes profondеment aupr?s des caves. Cela, chaque matin, je le dis, et seulement v?tue d’un kimono japonais noir et jaune qu’un ami de San Francisco lui avait offert la veille de son dеpart.

Tout marchait parfaitement en somme et nous еtions bien en train de gagner la guerre, quand certain beau jour, ? l’heure du dеjeuner, je la trouvai bouleversеe, se refusant ? toucher un seul plat du repas. L’apprеhension d’un malheur arrivе, d’une maladie soudaine me gagna. Je la suppliai de se fier ? mon affection vigilante.

D’avoir go?tе ponctuellement les beignets pendant tout un mois, Lola avait grossi de deux bonnes livres! Son petit ceinturon tеmoignait d’ailleurs, par un cran, du dеsastre. Vinrent les larmes. Essayant de la consoler, de mon mieux, nous parcour?mes, sous le coup de l’еmotion, en taxi, plusieurs pharmaciens, tr?s diversement situеs. Par hasard, implacables, toutes les balances confirm?rent que les deux livres еtaient bel et bien acquises, indеniables. Je suggеrai alors qu’elle abandonne son service ? une coll?gue qui, elle, au contraire, recherchait des « avantages ». Lola ne voulut rien entendre de ce compromis qu’elle considеrait comme une honte et une vеritable petite dеsertion dans son genre. C’est m?me ? cette occasion qu’elle m’apprit que son arri?re-grand-oncle avait fait, lui aussi, partie de l’еquipage ? tout jamais glorieux du Mayflower dеbarquе ? Boston en 1677, et qu’en considеration d’une pareille mеmoire, elle ne pouvait songer ? se dеrober, elle, au devoir des beignets, modeste certes, mais sacrе quand m?me.

Toujours est-il que de ce jour, elle ne go?tait plus les beignets que du bout des dents, qu’elle possеdait d’ailleurs toutes bien rangеes et mignonnes. Cette angoisse de grossir еtait arrivеe ? lui g?ter tout plaisir. Elle dеpеrit. Elle eut en peu de temps aussi peur des beignets que moi des obus. Le plus souvent ? prеsent, nous allions nous promener par hygi?ne de long en large, ? cause des beignets, sur les quais, sur les boulevards, mais nous n’entrions plus au Napolitain, ? cause des glaces qui font, elles aussi, engraisser les dames.

Jamais je n’avais rien r?vе d’aussi confortablement habitable que sa chambre, toute bleu p?le, avec une salle de bains ? c?tе. Des photos de ses amis, partout, des dеdicaces, peu de femmes, beaucoup d’hommes, de beaux gar?ons, bruns et frisеs, son genre, elle me parlait de la couleur de leurs yeux, et puis de ces dеdicaces tendres, solennelles, et toutes, dеfinitives. Au dеbut, pour la politesse, ?a me g?nait, au milieu de toutes ces effigies, et puis on s’habitue.

D?s que je cessais de l’embrasser, elle y revenait, je n’y coupais pas, sur les sujets de la guerre ou des beignets. La France tenait de la place dans nos conversations. Pour Lola, la France demeurait une esp?ce d’entitе chevaleresque, aux contours peu dеfinis dans l’espace et le temps, mais en ce moment dangereusement blessеe et ? cause de cela m?me tr?s excitante. Moi, quand on me parlait de la France, je pensais irrеsistiblement ? mes tripes, alors forcеment, j’еtais beaucoup plus rеservе pour ce qui concernait l’enthousiasme. Chacun sa terreur. Cependant, comme elle еtait complaisante au sexe, je l’еcoutais sans jamais la contredire. Mais question d’?me, je ne la contentais gu?re. C’est tout vibrant, tout rayonnant qu’elle m’aurait voulu et moi, de mon c?tе, je ne concevais pas du tout pourquoi j’aurais еtе dans cet еtat-l?, sublime, je voyais au contraire mille raisons, toutes irrеfutables, pour demeurer d’humeur exactement contraire.

Lola, apr?s tout, ne faisait que divaguer de bonheur et d’optimisme, comme tous les gens qui sont du bon c?tе de la vie, celui des privil?ges, de la santе, de la sеcuritе et qui en ont encore pour longtemps ? vivre.

Elle me tracassait avec les choses de l’?me, elle en avait plein la bouche. L’?me, c’est la vanitе et le plaisir du corps tant qu’il est bien portant, mais c’est aussi l’envie d’en sortir du corps d?s qu’il est malade ou que les choses tournent mal. On prend des deux poses celle qui vous sert le plus agrеablement dans le moment et voil? tout! Tant qu’on peut choisir entre les deux, ?a va. Mais moi, je ne pouvais plus choisir, mon jeu еtait fait! J’еtais dans la vеritе jusqu’au trognon, et m?me que ma propre mort me suivait pour ainsi dire pas ? pas. J’avais bien du mal ? penser ? autre chose qu’? mon destin d’assassinе en sursis, que tout le monde d’ailleurs trouvait pour moi tout ? fait normal.

Cette esp?ce d’agonie diffеrеe, lucide, bien portante, pendant laquelle il est impossible de comprendre autre chose que des vеritеs absolues, il faut l’avoir endurеe pour savoir ? jamais ce qu’on dit.

Ma conclusion c’еtait que les Allemands pouvaient arriver ici, massacrer, saccager, incendier tout, l’h?tel, les beignets, Lola, les Tuileries, les Ministres, leurs petits amis, la Coupole, le Louvre, les Grands Magasins, fondre sur la ville, y foutre le tonnerre de Dieu, le feu de l’enfer, dans cette foire pourrie ? laquelle on ne pouvait vraiment plus rien ajouter de plus sordide, et que moi, je n’avais cependant vraiment rien ? perdre, rien, et tout ? gagner.

On ne perd pas grand-chose quand br?le la maison du propriеtaire. Il en viendra toujours un autre, si ce n’est pas toujours le m?me, Allemand ou Fran?ais, ou Anglais ou Chinois, pour prеsenter, n’est-ce pas, sa quittance ? l’occasion… En marks ou francs? Du moment qu’il faut payer…

En somme, il еtait salement mauvais, le moral. Si je lui avais dit ce que je pensais de la guerre, ? Lola, elle m’aurait pris pour un monstre tout simplement, et chassе des derni?res douceurs de son intimitе. Je m’en gardais donc bien, de lui faire ces aveux. J’еprouvais, d’autre part, quelques difficultеs et rivalitеs encore. Certains officiers essayaient de me la souffler, Lola. Leur concurrence еtait redoutable, armеs qu’ils еtaient eux, des sеductions de leur Lеgion d’honneur. Or, on se mit ? en parler beaucoup de cette fameuse Lеgion d’honneur dans les journaux amеricains. Je crois m?me qu’? deux ou trois reprises o? je fus cocu, nos relations eussent еtе tr?s menacеes, si au m?me moment cette frivole ne m’avait dеcouvert soudain une utilitе supеrieure, celle qui consistait ? go?ter chaque matin les beignets ? sa place.

Cette spеcialisation de la derni?re minute me sauva. De ma part, elle accepta le remplacement. N’еtais-je pas moi aussi un valeureux combattant, donc digne de cette fonction de confiance! D?s lors, nous ne f?mes plus seulement amants mais associеs. Ainsi dеbut?rent les temps modernes.

Son corps еtait pour moi une joie qui n’en finissait pas. Je n’en avais jamais assez de le parcourir ce corps amеricain. J’еtais ? vrai dire un sacrе cochon. Je le demeurai.

Je me formai m?me ? cette conviction bien agrеable et renfor?atrice qu’un pays apte ? produire des corps aussi audacieux dans leur gr?ce et d’une envolеe spirituelle aussi tentante devait offrir bien d’autres rеvеlations capitales au sens biologique il s’entend.

Je dеcidai, ? force de peloter Lola, d’entreprendre t?t ou tard le voyage aux Еtats-Unis, comme un vеritable p?lerinage et cela d?s que possible. Je n’eus en effet de cesse et de repos (? travers une vie pourtant implacablement contraire et tracassеe) avant d’avoir menе ? bien cette profonde aventure, mystiquement anatomique.

Je re?us ainsi tout pr?s du derri?re de Lola le message d’un nouveau monde. Elle n’avait pas qu’un corps Lola, entendons-nous, elle еtait ornеe aussi d’une t?te menue, mignonne et un peu cruelle ? cause des yeux bleu grisaille qui lui remontaient d’un tantinet vers les angles, tels ceux des chats sauvages.

Rien que la regarder en face, me faisait venir l’eau ? la bouche comme par un petit go?t de vin sec, de silex. Des yeux durs en rеsumе, et point animеs par cette gentille vivacitе commerciale, orientalo-fragonarde qu’ont presque tous les yeux de par ici.

Nous nous retrouvions le plus souvent dans un cafе d’? c?tе. Les blessеs de plus en plus nombreux clopinaient ? travers les rues, souvent dеbraillеs. ? leur bеnеfice il s’organisait des qu?tes, « Journеes » pour ceux-ci, pour ceux-l?, et surtout pour les organisateurs des « Journеes ». Mentir, baiser, mourir. Il venait d’?tre dеfendu d’entreprendre autre chose. On mentait avec rage au-del? de l’imaginaire, bien au-del? du ridicule et de l’absurde, dans les journaux, sur les affiches, ? pied, ? cheval, en voiture. Tout le monde s’y еtait mis. C’est ? qui mentirait plus еnormеment que l’autre. Bient?t, il n’y eut plus de vеritе dans la ville.

Le peu qu’on y trouvait en 1914, on en еtait honteux ? prеsent. Tout ce qu’on touchait еtait truquе, le sucre, les avions, les sandales, les confitures, les photos; tout ce qu’on lisait, avalait, su?ait, admirait, proclamait, rеfutait, dеfendait, tout cela n’еtait que fant?mes haineux, truquages et mascarades. Les tra?tres eux-m?mes еtaient faux. Le dеlire de mentir et de croire s’attrape comme la gale. La petite Lola ne connaissait du fran?ais que quelques phrases mais elles еtaient patriotiques: « On les aura!.. », « Madelon, viens!.. » C’еtait ? pleurer.

Elle se penchait ainsi sur notre mort avec ent?tement, impudeur, comme toutes les femmes d’ailleurs, d?s que la mode d’?tre courageuse pour les autres est venue.

Et moi qui prеcisеment me dеcouvrais tant de go?t pour toutes les choses qui m’еloignaient de la guerre! Je lui demandai ? plusieurs reprises des renseignements sur son Amеrique ? Lola, mais elle ne me rеpondait alors que par des commentaires tout ? fait vagues, prеtentieux et manifestement incertains, tendant ? faire sur mon esprit une brillante impression.

Mais, je me mеfiais des impressions ? prеsent. On m’avait possеdе une fois ? l’impression, on ne m’aurait plus au boniment. Personne.

Je croyais ? son corps, je ne croyais pas ? son esprit. Je la considеrais comme une charmante embusquеe, la Lola, ? l’envers de la guerre, ? l’envers de la vie.

Elle traversait mon angoisse avec la mentalitе du Petit Journal: Pompon, Fanfare, ma Lorraine et gants blancs… En attendant je lui faisais des politesses de plus en plus frеquentes, parce que je lui avais assurе que ?a la ferait maigrir. Mais elle comptait plut?t sur nos longues promenades pour y parvenir. Je les dеtestais, quant ? moi, les longues promenades. Mais elle insistait.

Nous frеquentions ainsi tr?s sportivement le Bois de Boulogne, pendant quelques heures, chaque apr?s-midi, le « Tour des Lacs ».

La nature est une chose effrayante et m?me quand elle est fermement domestiquеe, comme au Bois, elle donne encore une sorte d’angoisse aux vеritables citadins. Ils se livrent alors assez facilement aux confidences. Rien ne vaut le Bois de Boulogne, tout humide, grillagе, graisseux et pelе qu’il est, pour faire affluer les souvenirs, incoercibles, chez les gens des villes en promenade entre les arbres. Lola n’еchappait pas ? cette mеlancolique et confidente inquiеtude. Elle me raconta mille choses ? peu pr?s sinc?res, en nous promenant ainsi, sur sa vie de New York, sur ses petites amies de l?-bas.

Je n’arrivais pas ? dеm?ler tout ? fait le vraisemblable, dans cette trame compliquеe de dollars, de fian?ailles, de divorces, d’achats de robes et de bijoux dont son existence me paraissait comblеe.

Nous all?mes ce jour?l? vers le champ de courses. On rencontrait encore dans ces parages des fiacres nombreux et des enfants sur des ?nes, et d’autres enfants ? faire de la poussi?re et des autos bondеes de permissionnaires qui n’arr?taient pas de chercher en vitesse des femmes vacantes par les petites allеes, entre deux trains, soulevant plus de poussi?re encore, pressеs d’aller d?ner et de faire l’amour, agitеs et visqueux, aux aguets, tracassеs par l’heure implacable et le dеsir de vie. Ils en transpiraient de passion et de chaleur aussi.

Le Bois еtait moins bien tenu qu’? l’habitude, nеgligе, administrativement en suspens.

« Cet endroit devait ?tre bien joli avant la guerre?.. remarquait Lola. Еlеgant?.. Racontez-moi, Ferdinand!.. Les courses ici?.. Еtait-ce comme chez nous ? New York?.. »

? vrai dire, je n’y еtais jamais allе, moi, aux courses avant la guerre, mais j’inventais instantanеment pour la distraire cent dеtails colorеs sur ce sujet, ? l’aide des rеcits qu’on m’en avait faits, ? droite et ? gauche. Les robes… Les еlеgantes… Les coupеs еtincelants… Le dеpart… Les trompes all?gres et volontaires… Le saut de la rivi?re… Le Prеsident de la Rеpublique… La fi?vre ondulante des enjeux, etc.

Elle lui plut si fort ma description idеale que ce rеcit nous rapprocha. ? partir de ce moment, elle crut avoir dеcouvert Lola que nous avions au moins un go?t en commun, chez moi bien dissimulе, celui des solennitеs mondaines. Elle m’en embrassa m?me spontanеment d’еmotion, ce qui lui arrivait rarement, je dois le dire. Et puis la mеlancolie des choses ? la mode rеvolues la touchait. Chacun pleure ? sa fa?on le temps qui passe. Lola c’еtait par les modes mortes qu’elle s’apercevait de la fuite des annеes.

« Ferdinand, demanda-t-elle, croyez-vous qu’il y en aura encore des courses dans ce champ-l??

– Quand la guerre sera finie, sans doute, Lola…

– Cela n’est pas certain, n’est-ce pas?..

– Non, pas certain… »

Cette possibilitе qu’il n’y e?t plus jamais de courses ? Longchamp la dеconcertait. La tristesse du monde saisit les ?tres comme elle peut, mais ? les saisir elle semble parvenir presque toujours.

« Supposez qu’elle dure encore longtemps la guerre, Ferdinand, des annеes par exemple… Alors il sera trop tard pour moi… Pour revenir ici… Me comprenez-vous Ferdinand?.. J’aime tant, vous savez, les jolis endroits comme ceux-ci… Bien mondains… Bien еlеgants… Il sera trop tard… Pour toujours trop tard… Peut-?tre… Je serai vieille alors, Ferdinand. Quand elles reprendront les rеunions… Je serai vieille dеj?… Vous verrez Ferdinand, il sera trop tard… Je sens qu’il sera trop tard… »

Et la voil? retournеe dans sa dеsolation, comme pour les deux livres. Je lui donnai pour la rassurer toutes les espеrances auxquelles je pouvais penser… Qu’elle n’avait en somme que vingt et trois annеes… Que la guerre allait passer bien vite… Que les beaux jours reviendraient… Comme avant, plus beaux qu’avant. Pour elle au moins… Mignonne comme elle еtait… Le temps perdu! Elle le rattraperait sans dommage!.. Les nommages… Les admirations, ne lui manqueraient pas de sit?t… Elle fit semblant de ne plus avoir de peine pour me faire plaisir.

« Il faut marcher encore? demandait-elle.

– Pour maigrir?

– Ah! c’est vrai, j’oubliais cela… »

Nous quitt?mes Longchamp, les enfants еtaient partis des alentours. Plus que de la poussi?re. Les permissionnaires pourchassaient encore le Bonheur, mais hors des futaies ? prеsent, traquе qu’il devait ?tre, le Bonheur, entre les terrasses de la Porte Maillot.

Nous longions les berges vers Saint-Cloud, voilеes du halo dansant des brumes qui montent de l’automne. Pr?s du pont, quelques pеniches touchaient du nez les arches, durement enfoncеes dans l’eau par le charbon jusqu’au plat-bord.

L’immense еventail de verdure du parc se dеploie au-dessus des grilles. Ces arbres ont la douce ampleur et la force des grands r?ves. Seulement des arbres, je m’en mеfiais aussi depuis que j’еtais passе par leurs embuscades. Un mort derri?re chaque arbre. La grande allеe montait entre deux rangеes roses vers les fontaines. ? c?tе du kiosque la vieille dame aux sodas semblait lentement rassembler toutes les ombres du soir autour de sa jupe. Plus loin dans les chemins de c?tе flottaient les grands cubes et rectangles tendus de toiles sombres, les baraques d’une f?te que la guerre avait surprise l?, et comblеe soudain de silence.

« C’est voil? un an qu’ils sont partis dеj?! nous rappelait la vieille aux sodas. ? prеsent, il n’y passe pas deux personnes par jour ici… J’y viens encore moi par l’habitude… On voyait tant de monde par ici!.. »

Elle n’avait rien compris la vieille au reste de ce qui s’еtait passе, rien que cela. Lola voulut que nous passions aupr?s de ces tentes vides, une dr?le d’envie triste qu’elle avait.

Nous en compt?mes une vingtaine, des longues garnies de glaces, des petites, bien plus nombreuses, des confiseries foraines, des loteries, un petit thе?tre m?me, tout traversе de courants d’air; entre chaque arbre il y en avait, partout, des baraques, l’une d’elles, vers la grande allеe, n’avait m?me plus ses rideaux, еventеe comme un vieux myst?re.

Elles penchaient dеj? vers les feuilles et la boue les tentes. Nous nous arr?t?mes aupr?s de la derni?re, celle qui s’inclinait plus que les autres et tanguait sur ses poteaux, dans le vent, comme un bateau, voiles folles, pr?t ? rompre sa derni?re corde. Elle vacillait, sa toile du milieu secouait dans le vent montant, secouait vers le ciel, au-dessus du toit. Au fronton de la baraque on lisait son vieux nom en vert et rouge; c’еtait la baraque d’un tir: Le Stand des Nations qu’il s’appelait.

Plus personne pour le garder non plus. Il tirait peut-?tre avec les autres le propriеtaire ? prеsent, avec les clients.

Comme les petites cibles dans la boutique en avaient re?u des balles! Toutes criblеes de petits points blancs! Une noce pour la rigolade que ?a reprеsentait: au premier rang, en zinc, la mariеe avec ses fleurs, le cousin, le militaire, le promis, avec une grosse gueule rouge, et puis au deuxi?me rang des invitеs encore, qu’on avait d? tuer bien des fois quand elle marchait encore la f?te.

« Je suis s?re que vous devez bien tirer, vous Ferdinand? Si c’еtait la f?te encore, je ferais un match avec vous!.. N’est-ce pas que vous tirez bien Ferdinand?

– Non, je ne tire pas tr?s bien… »

Au dernier rang derri?re la noce, un autre rang peinturlurе, la Mairie avec son drapeau. On devait tirer dans la Mairie aussi quand ?a fonctionnait, dans les fen?tres qui s’ouvraient alors d’un coup sec de sonnette, sur le petit drapeau en zinc m?me on tirait. Et puis sur le rеgiment qui dеfilait, en pente, ? c?tе, comme le mien, place Clichy, celui-ci entre les pipes et les petits ballons, sur tout ?a on avait tirе tant qu’on avait pu, ? prеsent sur moi on tirait, hier, demain.

« Sur moi aussi qu’on tire Lola! que je ne pus m’emp?cher de lui crier.

– Venez! fit?elle alors… Vous dites des b?tises, Ferdinand, et nous allons attraper froid. »

Nous descend?mes vers Saint-Cloud par la grande allеe, la Royale, en еvitant la boue, elle me tenait par la main, la sienne еtait toute petite, mais je ne pouvais plus penser ? autre chose qu’? la noce en zinc du Stand de l?-haut qu’on avait laissеe dans l’ombre de l’allеe. J’oubliais m?me de l’embrasser Lola, c’еtait plus fort que moi. Je me sentais tout bizarre. C’est m?me ? partir de ce moment?l?, je crois, que ma t?te est devenue si difficile ? tranquilliser avec ses idеes dedans.

Quand nous parv?nmes au pont de Saint-Cloud, il faisait tout ? fait sombre.

« Ferdinand, voulez-vous d?ner chez Duval? Vous aimez bien Duval, vous… Cela vous changerait les idеes… On y rencontre toujours beaucoup de monde… ? moins que vous ne prеfеriez d?ner dans ma chambre? » Elle еtait bien prеvenante, en somme, ce soir-l?.

Nous nous dеcid?mes finalement pour Duval. Mais ? peine еtions-nous ? table que l’endroit me parut insensе. Tous ces gens assis en rangs autour de nous me donnaient l’impression d’attendre eux aussi que des balles les assaillent de partout pendant qu’ils bouffaient.

« Allez-vous-en tous! que je les ai prеvenus. Foutez le camp! on va tirer! Vous tuer! Nous tuer tous! »

On m’a ramenе ? l’h?tel de Lola, en vitesse. Je voyais partout la m?me chose. Tous les gens qui dеfilaient dans les couloirs du Paritz semblaient aller se faire tirer et les employеs derri?re la grande Caisse, eux aussi, tout juste faits pour ?a, et le type d’en bas m?me, du Paritz, avec son uniforme bleu comme le ciel et dorе comme le soleil, le concierge qu’on l’appelait, et puis des militaires, des officiers dеambulants, des gеnеraux, moins beaux que lui bien s?r, mais en uniforme quand m?me, partout un tir immense, dont on ne sortirait pas, ni les uns ni les autres. Ce n’еtait plus une rigolade.

« On va tirer! que je leur criais moi, du plus fort que je pouvais, au milieu du grand salon. On va tirer! Foutez donc le camp tous!.. » Et puis par la fen?tre que j’ai criе ?a aussi. ?a me tenait. Un vrai scandale. « Pauvre soldat! » qu’on disait. Le concierge m’a emmenе au bar bien doucement, par l’amabilitе. Il m’a fait boire et j’ai bien bu, et puis enfin les gendarmes sont venus me chercher, plus brutalement eux. Dans le Stand des Nations il y en avait aussi des gendarmes. Je les avais vus. Lola m’embrassa et les aida ? m’emmener avec leurs menottes.

Alors je suis tombе malade, fiеvreux, rendu fou, qu’ils ont expliquе ? l’h?pital, par la peur. C’еtait possible. La meilleure des choses ? faire, n’est-ce pas, quand on est dans ce monde, c’est d’en sortir? Fou ou pas, peur ou pas.

?a a fait des histoires. Les uns ont dit: « Ce gar?on-l?, c’est un anarchiste, on va donc le fusiller, c’est le moment, et tout de suite, y a pas ? hеsiter, faut pas lanterner, puisque c’est la guerre!.. » Mais il y en avait d’autres, plus patients, qui voulaient que je soye seulement syphilitique et bien sinc?rement fol et qu’on m’enferme en consеquence jusqu’? la paix, ou tout au moins pendant des mois, parce qu’eux les pas fous, qui avaient toute leur raison, qu’ils disaient, ils voulaient me soigner pendant qu’eux seulement ils feraient la guerre. ?a prouve que pour qu’on vous croye raisonnable, rien de tel que de possеder un sacrе culot. Quand on a un bon culot, ?a suffit, presque tout alors vous est permis, absolument tout, on a la majoritе pour soi et c’est la majoritе qui dеcr?te de ce qui est fou et ce qui ne l’est pas.

Cependant mon diagnostic demeurait tr?s douteux. Il fut donc dеcidе par les autoritеs de me mettre en observation pendant un temps. Ma petite amie Lola eut la permission de me rendre quelques visites, et ma m?re aussi. C’еtait tout.

Nous еtions hеbergеs nous, les blessеs troubles, dans un lycеe d’Issy-les-Moulineaux, organisе bien expr?s pour recevoir et traquer doucement ou fortement aux aveux, selon les cas, ces soldats dans mon genre dont l’idеal patriotique еtait simplement compromis ou tout ? fait malade. On ne nous traitait pas absolument mal, mais on se sentait tout le temps, tout de m?me, guettе par un personnel d’infirmiers silencieux et dotеs d’еnormes oreilles.

Apr?s quelque temps de soumission ? cette surveillance on sortait discr?tement pour s’en aller, soit vers l’asile d’aliеnеs, soit au front, soit encore assez souvent au poteau.

Parmi les copains rassemblеs dans ces locaux louches, je me demandais toujours lequel еtait en train, parlant bas au rеfectoire, de devenir un fant?me.

Pr?s de la grille, ? l’entrеe, dans son petit pavillon, demeurait la concierge, celle qui nous vendait des sucres d’orge et des oranges et ce qu’il fallait en m?me temps pour se recoudre des boutons. Elle nous vendait encore en plus, du plaisir. Pour les sous?officiers, c’еtait dix francs le plaisir. Tout le monde pouvait en avoir. Seulement en se mеfiant des confidences qu’on lui faisait trop aisеment dans ces moments-l?. Elles pouvaient co?ter cher ces expansions. Ce qu’on lui confiait, elle le rеpеtait au mеdecin-chef, scrupuleusement, et ?a vous passait au dossier pour le Conseil de guerre. Il semblait bien prouvе qu’elle avait ainsi fait fusiller, ? coups de confidences, un brigadier de Spahis qui n’avait pas vingt ans, plus un rеserviste du Gеnie qui avait avalе des clous pour se donner mal ? l’estomac et puis encore un autre hystеrique, celui qui lui avait racontе comment il prеparait ses crises de paralysie au front… Moi, pour me t?ter, elle me proposa certain soir le livret d’un p?re de famille de six enfants, qu’еtait mort qu’elle disait, et que ?a pouvait me servir, ? cause des affectations de l’arri?re. En somme, c’еtait une vicieuse. Au lit par exemple, c’еtait une superbe affaire et on y revenait et elle nous donnait bien de la joie. Pour une garce c’en еtait une vraie. Faut ?a d’ailleurs pour faire bien jouir. Dans cette cuisine-l?, celle du derri?re, la coquinerie, apr?s tout, c’est comme le poivre dans une bonne sauce, c’est indispensable et ?a lie.

Les b?timents du lycеe s’ouvraient sur une tr?s ample terrasse, dorеe l’еtе, au milieu des arbres, et d’o? se dеcouvrait magnifiquement Paris, en sorte de glorieuse perspective. C’еtait l? que le jeudi nos visiteurs nous attendaient et Lola parmi eux, venant m’apporter ponctuellement g?teaux, conseils et cigarettes.

Nos mеdecins nous les voyions chaque matin. Ils nous interrogeaient avec bienveillance, mais on ne savait jamais ce qu’ils pensaient au juste. Ils promenaient autour de nous, dans des mines toujours affables, notre condamnation ? mort.

Beaucoup de malades parmi ceux qui еtaient l? en observation, parvenaient, plus еmotifs que les autres, dans cette ambiance doucereuse, ? un еtat de telle exaspеration qu’ils se levaient la nuit au lieu de dormir, arpentaient le dortoir de long en large, protestaient tout haut contre leur propre angoisse, crispеs entre l’espеrance et le dеsespoir, comme sur un pan tra?tre de montagne. Ils peinaient des jours et des jours ainsi et puis un soir ils se laissaient choir d’un coup tout en bas et allaient tout avouer de leur affaire au mеdecin?chef. On ne les revoyait plus ceux-l?, jamais. Moi non plus, je n’еtais pas tranquille. Mais quand on est faible ce qui donne de la force, c’est de dеpouiller les hommes qu’on redoute le plus, du moindre prestige qu’on a encore tendance ? leur pr?ter. Il faut s’apprendre ? les considеrer tels qu’ils sont, pires qu’ils sont c’est-?-dire, ? tous les points de vue. ?a dеgage, ?a vous affranchit et vous dеfend au?del? de tout ce qu’on peut imaginer. ?a vous donne un autre vous-m?me. On est deux.

Leurs actions, d?s lors, ne vous ont plus ce sale attrait mystique qui vous affaiblit et vous fait perdre du temps et leur comеdie ne vous est alors nullement plus agrеable et plus utile ? votre progr?s intime que celle du plus bas cochon.

? c?tе de moi, voisin de lit, couchait un caporal, engagе volontaire aussi. Professeur avant le mois d’ao?t dans un lycеe de Touraine, o? il enseignait, m’apprit-il, l’histoire et la gеographie. Au bout de quelques mois de guerre, il s’еtait rеvеlе voleur ce professeur, comme pas un. On ne pouvait plus l’emp?cher de dеrober au convoi de son rеgiment des conserves, dans les four-gons de l’Intendance, aux rеserves de la Compagnie, et partout ailleurs o? il en trouvait.

Avec nous autres il avait donc еchouе l?, vague en instance de Conseil de guerre. Cependant, comme sa famille s’acharnait ? prouver que les obus l’avaient stupеfiе, dеmoralisе, l’instruction diffеrait son jugement de mois en mois. Il ne me parlait pas beaucoup. Il passait des heures ? se peigner la barbe, mais quand il me parlait, c’еtait presque toujours de la m?me chose, du moyen qu’il avait dеcouvert pour ne plus faire d’enfants ? sa femme. Еtait-il fou vraiment? Quand le moment du monde ? l’envers est venu et que c’est ?tre fou que de demander pourquoi on vous assassine, il devient еvident qu’on passe pour fou ? peu de frais. Encore faut-il que ?a prenne, mais quand il s’agit d’еviter le grand еcartelage il se fait dans certains cerveaux de magnifiques efforts d’imagination.

Tout ce qui est intеressant se passe dans l’ombre, dеcidеment. On ne sait rien de la vеritable histoire des hommes.

Princhard, il s’appelait, ce professeur. Que pouvait-il bien avoir dеcidе, lui, pour sauver ses carotides, ses poumons et ses nerfs optiques? Voici la question essentielle, celle qu’il aurait fallu nous poser entre nous hommes pour demeurer strictement humains et pratiques. Mais nous еtions loin de l?, titubants dans un idеal d’absurditеs, gardеs par les poncifs belliqueux et insanes, rats enfumеs dеj?, nous tentions, en folie, de sortir du bateau de feu, mais n’avions aucun plan d’ensemble, aucune confiance les uns dans les autres. Ahuris par la guerre, nous еtions devenus fous dans un autre genre: la peur. L’envers et l’endroit de la guerre.

Il me marquait quand m?me, ? travers ce commun dеlire, une certaine sympathie, ce Princhard, tout en se mеfiant de moi, bien s?r.

O? nous nous trouvions, ? l’enseigne o? tous nous еtions logеs, il ne pouvait exister ni amitiе, ni confiance. Chacun laissait seulement entendre ce qu’il croyait ?tre favorable ? sa peau, puisque tout ou presque allait ?tre rеpеtе par les mouchards ? l’aff?t.

De temps en temps, l’un d’entre nous disparaissait, c’est que son affaire еtait constituеe, qu’elle se terminerait au Conseil de guerre, ? Biribi ou au front et pour les mieux servis ? l’Asile de Clamart.

D’autres guerriers douteux arrivaient encore, toujours, de toutes les armes, des tr?s jeunes et des presque vieux, avec la frousse ou bien cr?neurs, leurs femmes et leurs parents leur rendaient visite, leurs petits aussi, yeux еcarquillеs, le jeudi.

Tout ce monde pleurait d’abondance, dans le parloir, sur le soir surtout. L’impuissance du monde dans la guerre venait pleurer l?, quand les femmes et les petits s’en allaient, par le couloir blafard de gaz, visites finies, en tra?nant les pieds. Un grand troupeau de pleurnicheurs ils formaient, rien que ?a, dеgo?tants.

Pour Lola, venir me voir dans cette sorte de prison, c’еtait encore une aventure. Nous deux, nous ne pleurions pas. Nous n’avions nulle part, nous, o? prendre des larmes.

« Est-ce vrai que vous soyez rеellement devenu fou, Ferdinand? me demande-t-elle un jeudi.

– Je le suis! avouai-je.

– Alors, ils vont vous soigner ici?

– On ne soigne pas la peur, Lola.

– Vous avez donc peur tant que ?a?

– Et plus que ?a encore, Lola, si peur, voyez-vous, que si je meurs de ma mort ? moi, plus tard, je ne veux surtout pas qu’on me br?le! Je voudrais qu’on me laisse en terre, pourrir au cimeti?re, tranquillement, l?, pr?t ? revivre peut-?tre… Sait-on jamais! Tandis que si on me br?lait en cendres, Lola, comprenez?vous, ?a serait fini, bien fini… Un squelette, malgrе tout, ?a ressemble encore un peu ? un homme… C’est toujours plus pr?t ? revivre que des cendres… Des cendres c’est fini!.. Qu’en dites-vous?.. Alors, n’est-ce pas, la guerre…

– Oh! Vous ?tes donc tout ? fait l?che, Ferdinand! Vous ?tes rеpugnant comme un rat…

– Oui, tout ? fait l?che, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans… Je ne la dеplore pas moi… Je ne me rеsigne pas moi… Je ne pleurniche pas dessus moi… Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu’elle contient, je ne veux rien avoir ? faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c’est eux qui ont tort, Lola, et c’est moi qui ai raison, parce que je suis le seul ? savoir ce que je veux: je ne veux plus mourir.