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Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке
Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке
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Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке

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– Ils sont repartis vers Noirceur sur les huit heures… » Et elle me montrait le nord avec le doigt.

Une jeune fille, un ch?le, un tablier blanc, sortaient aussi de l’ombre ? prеsent, jusqu’au pas de la porte…

« Qu’est-ce qu’ils vous ont fait? que je lui ai demandе, les Allemands?

– Ils ont br?lе une maison pr?s de la mairie et puis ici ils ont tuе mon petit fr?re avec un coup de lance dans le ventre… Comme il jouait sur le pont Rouge en les regardant passer… Tenez! qu’elle me montra… Il est l?… »

Elle ne pleurait pas. Elle ralluma cette bougie dont j’avais surpris la lueur. Et j’aper?us – c’еtait vrai – au fond, le petit cadavre couchе sur un matelas, habillе en costume marin; et le cou et la t?te livides autant que la lueur m?me de la bougie, dеpassaient d’un grand col carrе bleu. Il еtait recroquevillе sur lui-m?me, bras et jambes et dos recourbеs l’enfant. Le coup de lance lui avait fait comme un axe pour la mort par le milieu du ventre. Sa m?re, elle, pleurait fort, ? c?tе, ? genoux, le p?re aussi. Et puis, ils se mirent ? gеmir encore tous ensemble. Mais j’avais bien soif.

« Vous n’avez pas une bouteille de vin ? me vendre? que je demandai.

– Faut vous adresser ? la m?re… Elle sait peut-?tre s’il y en a encore… Les Allemands nous en ont pris beaucoup tant?t… »

Et alors, elles se mirent ? discuter ensemble ? la suite de ma demande et tout bas.

« Y en a plus! qu’elle revint m’annoncer, la fille, les Allemands ont tout pris… Pourtant on leur en avait donnе de nous-m?mes et beaucoup…

– Ah oui, alors, qu’ils en ont bu! que remarqua la m?re, qui s’еtait arr?tеe de pleurer, du coup. Ils aiment ?a…

– Et plus de cent bouteilles, s?rement, ajouta le p?re, toujours ? genoux lui…

– Y en a plus une seule alors? insistai-je, espеrant encore, tellement j’avais grand-soif, et surtout de vin blanc, bien amer, celui qui rеveille un peu. J’ veux bien payer…

– Y en a plus que du tr?s bon. Y vaut cinq francs la bouteille… consentit alors la m?re.

– C’est bien! » Et j’ai sorti mes cinq francs de ma poche, une grosse pi?ce.

« Va en chercher une! » lui commanda-t-elle tout doucement ? la sCur.

La sCur prit la bougie et remonta un litre de la cachette un instant plus tard.

J’еtais servi, je n’avais plus qu’? m’en aller.

« Ils vont revenir? demandai-je, inquiet ? nouveau.

– Peut??tre, firent?ils ensemble, mais alors ils br?leront tout… Ils l’ont promis en partant…

– Je vais aller voir ?a.

– Vous ?tes bien brave… C’est par l?! » que m’indiquait le p?re, dans la direction de Noirceur-sur-la-Lys… M?me il sortit sur la chaussеe pour me regarder m’en aller. La fille et la m?re demeur?rent craintives aupr?s du petit cadavre, en veillеe.

« Reviens! qu’elles lui faisaient de l’intеrieur. Rentre donc Joseph, t’as rien ? faire sur la route, toi…

– Vous ?tes bien brave », me dit-il encore le p?re, et il me serra la main.

Je repris, au trot, la route du Nord.

« Leur dites pas que nous sommes encore l? au moins! » La fille еtait ressortie pour me crier cela.

« Ils le verront bien, demain, rеpondis-je, si vous ?tes l?! » J’еtais pas content d’avoir donnе mes cent sous. Il y avait ces cent sous entre nous. ?a suffit pour ha?r, cent sous, et dеsirer qu’ils en cr?vent tous. Pas d’amour ? perdre dans ce monde, tant qu’il y aura cent sous.

« Demain! » rеpеtaient-ils, eux, douteux…

Demain, pour eux aussi, c’еtait loin, ?a n’avait pas beaucoup de sens un demain comme ?a. Il s’agissait de vivre une heure de plus au fond pour nous tous, et une seule heure dans un monde o? tout s’est rеtrеci au meurtre c’est dеj? un phеnom?ne.

Ce ne fut plus bien long. Je trottais d’arbre en arbre et m’attendais ? ?tre interpellе ou fusillе d’un moment ? l’autre. Et puis rien.

Il devait ?tre sur les deux heures apr?s minuit, gu?re plus, quand je parvins sur le fa?te d’une petite colline, au pas. De l? j’ai aper?u tout d’un coup en contrebas des rangеes et encore des rangеes de becs de gaz allumеs, et puis, au premier plan, une gare tout еclairеe avec ses wagons, son buffet, d’o? ne montait cependant aucun bruit… Rien. Des rues, des avenues, des rеverb?res, et encore d’autres parall?les de lumi?res, des quartiers entiers, et puis le reste autour, plus que du noir, du vide, avide autour de la ville, tout еtendue elle, еtalеe devant moi, comme si on l’avait perdue la ville, tout allumеe et rеpandue au beau milieu de la nuit. J’ai mis pied ? terre et je me suis assis sur un petit tertre pour regarder ?a pendant un bon moment.

Cela ne m’apprenait toujours pas si les Allemands еtaient entrеs dans Noirceur, mais comme je savais que dans ces cas-l?, ils mettaient le feu d’habitude, s’ils еtaient entrеs et s’ils n’y mettaient point le feu tout de suite ? la ville, c’est sans doute qu’ils avaient des idеes et des projets pas ordinaires.

Pas de canon non plus, c’еtait louche.

Mon cheval voulait se coucher lui aussi. Il tirait sur sa bride et cela me fit retourner. Quand je regardai ? nouveau du c?tе de la ville, quelque chose avait changе dans l’aspect du tertre devant moi, pas grand-chose, bien s?r, mais tout de m?me assez pour que j’appelle. « Hе l?! qui va l??.. » Ce changement dans la disposition de l’ombre avait eu lieu ? quelques pas… Ce devait ?tre quelqu’un…

« Gueule pas si fort! que rеpondit une voix d’homme lourde et enrouеe, une voix qui avait l’air bien fran?aise.

– T’es ? la tra?ne aussi toi? » qu’il me demande de m?me. ? prеsent, je pouvais le voir. Un fantassin c’еtait, avec sa visi?re bien cassеe « ? la classe ». Apr?s des annеes et des annеes, je me souviens bien encore de ce moment-l?, sa silhouette sortant des herbes, comme faisaient des cibles au tir autrefois dans les f?tes, les soldats.

Nous nous rapprochions. J’avais mon revolver ? la main. J’aurais tirе sans savoir pourquoi, un peu plus.

« Еcoute, qu’il me demande, tu les as vus, toi?

– Non, mais je viens par ici pour les voir.

– T’es du 145

dragons?

– Oui, et toi?

– Moi, je suis un rеserviste…

– Ah! » que je fis. ?a m’еtonnait, un rеserviste. Il еtait le premier rеserviste que je rencontrais dans la guerre. On avait toujours еtе avec des hommes de l’active nous. Je ne voyais pas sa figure, mais sa voix еtait dеj? autre que les n?tres, comme plus triste, donc plus valable que les n?tres. ? cause de cela, je ne pouvais m’emp?cher d’avoir un peu confiance en lui. C’еtait un petit quelque chose.

« J’en ai assez moi, qu’il rеpеtait, je vais aller me faire paumer par les Boches… »

Il cachait rien.

« Comment que tu vas faire? »

?a m’intеressait soudain, plus que tout, son projet, comment qu’il allait s’y prendre lui pour rеussir ? se faire paumer?

« J’ sais pas encore…

– Comment que t’as fait toujours pour te dеbiner?.. C’est pas facile de se faire paumer!

– J’ m’en fous, j’irai me donner.

– T’as donc peur?

– J’ai peur et puis je trouve ?a con, si tu veux mon avis, j’ m’en fous des Allemands moi, ils m’ont rien fait…

– Tais-toi, que je lui dis, ils sont peut-?tre ? nous еcouter… » J’avais comme envie d’?tre poli avec les Allemands. J’aurais bien voulu qu’il m’explique celui-l? pendant qu’il y еtait, ce rеserviste, pourquoi j avais pas de courage non plus moi, pour faire la guerre, comme tous les autres… Mais il n’expliquait rien, il rеpеtait seulement qu’il en avait marre.

Il me raconta alors la dеbandade de son rеgiment, la veille, au petit jour, ? cause des chasseurs ? pied de chez nous, qui par erreur avaient ouvert le feu sur sa compagnie ? travers champs. On les avait pas attendus ? ce moment-l?. Ils еtaient arrivеs trop t?t de trois heures sur l’heure prеvue. Alors les chasseurs, fatiguеs, surpris, les avaient criblеs. Je connaissais l’air, on me l’avait jouе.

« Moi, tu parles, si j’en ai profitе! qu’il ajoutait. “Robinson, que je me suis dit! – C’est mon nom Robinson!.. Robinson Lеon! – C’est maintenant ou jamais qu’il faut que tu les mettes”, que je me suis dit!.. Pas vrai? J’ai donc pris par le long d’un petit bois et puis l?, figure?toi, que j’ai rencontrе notre capitaine… Il еtait appuyе ? un arbre, bien amochе le piston!.. En train de crever qu’il еtait… Il se tenait la culotte ? deux mains, ? cracher… Il saignait de partout en roulant des yeux… Y avait personne avec lui. Il avait son compte… “Maman! maman!” qu’il pleurnichait tout en crevant et en pissant du sang aussi…

« “Finis ?a! que je lui dis. Maman! Elle t’emmerde!”… Comme ?a, dis donc, en passant!.. Sur le coin de la gueule!.. Tu parles si ?a a d? le faire jouir la vache!.. Hein, vieux!.. C’est pas souvent, hein, qu’on peut lui dire ce qu’on pense, au capitaine… Faut en profiter. C’est rare!.. Et pour foutre le camp plus vite, j’ai laissе tomber le barda et puis les armes aussi… Dans une mare ? canards qui еtait l? ? c?tе… Figure-toi que moi, comme tu me vois, j’ai envie de tuer personne, j’ai pas appris… J’aimais dеj? pas les histoires de bagarre, dеj? en temps de paix… Je m’en allais… Alors tu te rends compte?.. Dans le civil, j’ai essayе d’aller en usine rеguli?rement… J’еtais m?me un peu graveur, mais j’aimais pas ?a, ? cause des disputes, j’aimais mieux vendre les journaux du soir et dans un quartier tranquille o? j’еtais connu, autour de la Banque de France… Place des Victoires si tu veux savoir… Rue des Petits-Champs… C’еtait mon lot… J’ dеpassais jamais la rue du Louvre et le Palais-Royal d’un c?tе, tu vois d’ici… Je faisais le matin des commissions pour les commer?ants… Une livraison l’apr?s-midi de temps en temps, je bricolais quoi… Un peu manCuvre… Mais je veux pas d’armes moi!.. Si les Allemands te voient avec des armes, hein? T’es bon! Tandis que quand t’es en fantaisie, comme moi maintenant… Rien dans les mains… Rien dans les poches… Ils sentent qu’ils auront moins de mal ? te faire prisonnier, tu comprends? Ils savent ? qui ils ont affaire… Si on pouvait arriver ? poil aux Allemands, c’est ?a qui vaudrait encore mieux… Comme un cheval! Alors ils pourraient pas savoir de quelle armеe qu’on est?..

– C’est vrai ?a! »

Je me rendais compte que l’?ge c’est quelque chose pour les idеes. ?a rend pratique.

« C’est l? qu’ils sont, hein? » Nous fixions et nous estimions ensemble nos chances et cherchions notre avenir comme aux cartes dans le grand plan lumineux que nous offrait la ville en silence.

« On y va? »

Il s’agissait de passer la ligne du chemin de fer d’abord. S’il y avait des sentinelles, on serait visеs. Peut-?tre pas. Fallait voir. Passer au-dessus ou en dessous par le tunnel.

« Faut nous dеp?cher, qu’a ajoutе ce Robinson… C’est la nuit qu’il faut faire ?a, le jour, il y a plus d’amis, tout le monde travaille pour la galerie, le jour, tu vois, m?me ? la guerre c’est la foire… Tu prends ton canard avec toi? »

J’emmenai le canard. Prudence pour filer plus vite si on еtait mal accueillis. Nous parv?nmes au passage ? niveau, levеs ses grands bras rouge et blanc. J’en avais jamais vu non plus des barri?res de cette forme-l?. Y en avait pas des comme ?a aux environs de Paris.

« Tu crois qu’ils sont dеj? entrеs dans la ville, toi?

– C’est s?r! qu’il a dit… Avance toujours!.. »

On еtait ? prеsent forcеs d’?tre aussi braves que des braves, ? cause du cheval qui avan?ait tranquillement derri?re nous, comme s’il nous poussait avec son bruit, on n’entendait que lui. Toc! et toc! avec ses fers. Il cognait en plein dans l’еcho, comme si de rien n’еtait.

Ce Robinson comptait donc sur la nuit pour nous sortir de l??.. On allait au pas tous les deux au milieu de la rue vide, sans ruse du tout, au pas cadencе encore, comme ? l’exercice.

Il avait raison, Robinson, le jour еtait impitoyable, de la terre au ciel. Tels que nous allions sur la chaussеe, on devait avoir l’air bien inoffensifs tous les deux toujours, bien na?fs m?me, comme si l’on rentrait de permission. « T’as entendu dire que le I

hussards a еtе fait prisonnier tout entier?.. dans Lille?.. Ils sont entrеs comme ?a, qu’on a dit, ils savaient pas, hein! le colonel devant… Dans une rue principale mon ami! ?a s’est refermе… Par-devant… Par-derri?re… Des Allemands partout!.. Aux fen?tres!.. Partout… ?a y еtait… Comme des rats qu’ils еtaient faits!.. Comme des rats! Tu parles d’un filon!..

– Ah! les vaches!..

– Ah dis donc! Ah dis donc!.. » On n’en revenait pas nous autres de cette admirable capture, si nette, si dеfinitive… On en bavait. Les boutiques portaient toutes leurs volets clos, les pavillons d’habitation aussi, avec leur petit jardin par-devant, tout ?a bien propre. Mais apr?s la Poste on a vu que l’un de ces pavillons, un peu plus blanc que les autres, brillait de toutes ses lumi?res ? toutes les fen?tres, au premier comme ? l’entresol. On a еtе sonner ? la porte. Notre cheval toujours derri?re nous. Un homme еpais et barbu nous ouvrit. « Je suis le Maire de Noirceur – qu’il a annoncе tout de suite, sans qu’on lui demande – et j’attends les Allemands! » Et il est sorti au clair de lune pour nous reconna?tre le Maire. Quand il s’aper?ut que nous n’еtions pas des Allemands nous, mais encore bien des Fran?ais, il ne fut plus si solennel, cordial seulement. Et puis g?nе aussi. Еvidemment, il ne nous attendait plus, nous venions un peu en travers des dispositions qu’il avait d? prendre, des rеsolutions arr?tеes. Les Allemands devaient entrer ? Noirceur cette nuit-l?, il еtait prеvenu et il avait tout rеglе avec la Prеfecture, leur colonel ici, leur ambulance l?-bas, etc. Et s’ils entraient ? prеsent? Nous еtant l?? ?a ferait s?rement des histoires! ?a crеerait s?rement des complications… Cela il ne nous le dit pas nettement, mais on voyait bien qu’il y pensait.

Alors il se mit ? nous parler de l’intеr?t gеnеral, dans la nuit, l?, dans le silence o? nous еtions perdus. Rien que de l’intеr?t gеnеral… Des biens matеriels de la communautе… Du patrimoine artistique de Noirceur, confiе ? sa charge, charge sacrеe, s’il en еtait une… De l’еglise du XV

si?cle notamment… S’ils allaient la br?ler l’еglise du XV

? Comme celle de Condе-sur-Yser ? c?tе! Hein?.. Par simple mauvaise humeur… Par dеpit de nous trouver l? nous… Il nous fit ressentir toute la responsabilitе que nous encourions… Inconscients jeunes soldats que nous еtions!.. Les Allemands n’aimaient pas les villes louches o? r?daient encore des militaires ennemis. C’еtait bien connu.

Pendant qu’il nous parlait ainsi ? mi-voix, sa femme et ses deux filles, grosses et appеtissantes blondes, l’approuvaient fort, de-ci, de-l?, d’un mot… On nous rejetait, en somme. Entre nous, flottaient les valeurs sentimentales et archеologiques, soudain fort vives, puisqu’il n’y avait plus personne ? Noirceur dans la nuit pour les contester… Patriotiques, morales, poussеes par des mots, fant?mes qu’il essayait de rattraper, le Maire, mais qui s’estompaient aussit?t vaincus par notre peur et notre еgo?sme ? nous et aussi par la vеritе pure et simple.

Il s’еpuisait en de touchants efforts, le Maire de Noirceur, ardent ? nous persuader que notre Devoir еtait bien de foutre le camp tout de suite ? tous, les diables, moins brutal certes mais tout aussi dеcidе dans son genre que notre commandant Pin?on.

De certain, il n’y avait ? opposer dеcidеment ? tous ces puissants que notre petit dеsir, ? nous deux, de ne pas mourir et de ne pas br?ler. C’еtait peu, surtout que ces choses-l? ne peuvent pas se dеclarer pendant la guerre. Nous retourn?mes donc vers d’autres rues vides. Dеcidеment tous les gens que j’avais rencontrеs pendant cette nuit-l? m’avaient montrе leur ?me.

« C’est bien ma chance! qu’il remarqua Robinson comme on s’en allait. Tu vois. si seulement t’avais еtе un Allemand toi, comme t’es un bon gars aussi, tu m’aurais fait prisonnier et ?a aurait еtе une bonne chose de faite… On a du mal ? se dеbarrasser de soi-m?me en guerre!

– Et toi, que je lui ai dit, si t’avais еtе un Allemand, tu m’aurais pas fait prisonnier aussi? T’aurais peut-?tre alors eu leur mеdaille militaire! Elle doit s’appeler d’un dr?le de mot en allemand leur mеdaille militaire, hein? »

Comme il ne se trouvait toujours personne sur notre chemin ? vouloir de nous comme prisonniers, nous fin?mes par aller nous asseoir sur un banc dans un petit square et on a mangе alors la bo?te de thon que Robinson Lеon promenait et rеchauffait dans sa poche depuis le matin. Tr?s au loin, on entendait du canon ? prеsent, mais vraiment tr?s loin. S’ils avaient pu rester chacun de leur c?tе, les ennemis, et nous laisser l? tranquilles!

Apr?s ?a, c’est un quai qu’on a suivi; et le long des pеniches ? moitiе dеchargеes, dans l’eau, ? longs jets, on a urinе. On emmenait toujours le cheval ? la bride, derri?re nous, comme un tr?s gros chien, mais pr?s du Pont, dans la maison du Pasteur, ? une seule pi?ce, sur un matelas aussi, еtait еtendu encore un mort, tout seul, un Fran?ais, commandant de chasseurs ? cheval qui ressemblait d’ailleurs un peu ? ce Robinson, comme t?te.

« Tu parles qu’il est vilain! que me fit remarquer Robinson. Moi j’aime pas les morts…

– Le plus curieux, que je lui rеpondis, c’est qu’il te ressemble un peu. Il a un long nez comme le tien et toi t’es pas beaucoup moins jeune que lui…

– Ce que tu vois, c’est par la fatigue, forcеment qu’on se ressemble un peu tous, mais si tu m’avais vu avant… Quand je faisais de la bicyclette tous les dimanches!.. J’еtais beau gosse! J’avais des mollets, mon vieux! Du sport, tu sais! Et ?a dеveloppe les cuisses aussi… »

On est ressortis, l’allumette qu’on avait prise pour le regarder s’еtait еteinte.

« Tu vois, c’est trop tard, tu vois!.. »

Une longue raie grise et verte soulignait dеj? au loin la cr?te du coteau, ? la limite de la ville, dans la nuit; le Jour! Un de plus! Un de moins! Il faudrait essayer de passer ? travers celui-l? encore comme ? travers les autres, devenus des esp?ces de cerceaux de plus en plus еtroits, les jours, et tout remplis avec des trajectoires et des еclats de mitraille.

« Tu reviendras pas par ici toi, dis, la nuit prochaine? qu’il demanda en me quittant.

– Il n’y a pas de nuit prochaine, mon vieux!.. Tu te prends donc pour un gеnеral!

– J’ pense plus ? rien, moi, qu’il a fait, pour finir… ? rien, t’entends!.. J’ pense qu’? pas crever… ?a suffit… J’ me dis qu’un jour de gagnе, c’est toujours un jour de plus!

– T’as raison… Au revoir, vieux, et bonne chance!..

– Bonne chance ? toi aussi! Peut-?tre qu’on se reverra! »

On est retournеs chacun dans la guerre. Et puis il s’est passе des choses et encore des choses, qu’il est pas facile de raconter ? prеsent, ? cause que ceux d’aujourd’hui ne les comprendraient dеj? plus.

Pour ?tre bien vus et considеrеs, il a fallu se dеp?cher dare-dare de devenir bien copains avec les civils parce qu’eux, ? l’arri?re, ils devenaient ? mesure que la guerre avan?ait, de plus en plus vicieux. Tout de suite j’ai compris ?a en rentrant ? Paris et aussi que leurs femmes avaient le feu au derri?re, et les vieux des gueules grandes comme ?a, et les mains partout, aux culs, aux poches.

On hеritait des combattants ? l’arri?re, on avait vite appris la gloire et les bonnes fa?ons de la supporter courageusement et sans douleur.

Les m?res, tant?t infirmi?res, tant?t martyres, ne quittaient plus leurs longs voiles sombres, non plus que le petit dipl?me que le Ministre leur faisait remettre ? temps par l’employе de la Mairie. En somme, les choses s’organisaient.

Pendant des funеrailles soignеes on est bien tristes aussi, mais on pense quand m?me ? l’hеritage, aux vacances prochaines, ? la veuve qui est mignonne, et qui a du tempеrament, dit-on, et ? vivre encore, soi-m?me, par contraste, bien longtemps, ? ne crever jamais peut-?tre… Qui sait?

Quand on suit ainsi l’enterrement, tous les gens vous envoient des grands coups de chapeau. ?a fait plaisir. C’est le moment alors de bien se tenir, d’avoir l’air convenable, de ne pas rigoler tout haut, de se rеjouir seulement en dedans. C’est permis. Tout est permis en dedans.

Dans le temps de la guerre, au lieu de danser ? l’entresol, on dansait dans la cave. Les combattants le tolеraient et mieux encore, ils aimaient ?a. Ils en demandaient d?s qu’ils arrivaient et personne ne trouvait ces fa?ons louches. Y a que la bravoure au fond qui est louche. ?tre brave avec son corps? Demandez alors ? l’asticot aussi d’?tre brave, il est rose et p?le et mou, tout comme nous.

Pour ma part, je n’avais plus ? me plaindre. J’еtais m?me en train de m’affranchir par la mеdaille militaire que j’avais gagnеe, la blessure et tout. En convalescence, on me l’avait apportеe la mеdaille, ? l’h?pital m?me. Et le m?me jour, je m’en fus au thе?tre, la montrer aux civils pendant les entractes. Grand effet. C’еtait les premi?res mеdailles qu’on voyait dans Paris. Une affaire!