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— Je pourrais toujours lui envoyer des photos de sa ville vues d’ici.
— Avec nos senseurs à courte portée, nous pourrions même lui donner en temps réel le nombre de ses pulsations à la minute, ajouta Atzakis, qui était jusqu’alors resté à l’écart.
— Ne plaisante pas, s’il te plaît, s’écria Élisa, renforçant sa demande d’un geste de la main.
— Tu ne me crois pas ? Regarde, alors.
Par son O^COM, Atzakis fit apparaître sur l’écran géant la vue du camp de base du Professeur. En quelques secondes, il agrandit l’image jusqu’à cadrer sa tente laboratoire.
— Ce que vous voyez…
— C’est ma tente ! s’exclama Élisa avant qu’il n’ait pu finir sa phrase.
— Exact. Et maintenant, regardez.
Soudainement, ce fut comme si la toile de la tente avait disparu : on voyait parfaitement tous les objets qui étaient à l’intérieur.
— Mon bureau, mes livres… incroyable.
— S’il y avait quelqu’un à l’intérieur, je pourrais même vous faire voir la chaleur générée par son flux sanguin, et je pourrais donc calculer le nombre de ses pulsations.
De toute évidence satisfait de la démonstration qu’il venait de faire, l’extraterrestre se mit à se promener dans la pièce, l’air fier.
Mais tout d’un coup, le colonel, qui ne s’était pas encore remis de sa surprise, fut foudroyé par une pensée et s’exclama rageusement :
— Comment ça, “ s’il y avait quelqu’un ” ? Il doit y avoir quelqu’un. Où diable ont donc fini les prisonniers ?
Élisa s’approcha de l’écran pour mieux voir.
— Ils les ont peut-être déplacés. On peut avoir une vue complète du reste du camp ?
— Aucun problème.
En quelques secondes, Atzakis mit en place un panoramique sur le camp. Les senseurs scrutèrent tous les recoins, mais sans trouver aucune trace des deux hommes.
— Ils doivent s’être échappés, affirma laconiquement le colonel. Ça veut dire qu’on les retrouvera bientôt dans nos pieds. Heureusement que le général a été emmené par mes hommes. Ensemble, ces trois-là seraient capables d’en faire plus que le diable en personne.
— Peu importe, dit Élisa. Nous avons pour l’instant des problèmes bien plus sérieux à résoudre.
Elle n’avait pas encore terminé sa phrase que la porte de la capsule interne de transport numéro trois s’ouvrit. Une avenante jeune femme en sortit d’un pas souple et ondulant. Elle tenait une espèce de plateau absolument transparent sur lequel étaient posés plusieurs contenants colorés.
— Messieurs-dames -annonça pompeusement Atzakis en arborant l’un de ses plus beaux sourire- je vous présente l’officier navigateur le plus ensorcelant de toute la galaxie.
Jack, dont la mâchoire était tombée sous l’effet de la surprise, ne put que balbutier un simple « bonjour » avant de recevoir un coup de coude bien ajusté entre sa dixième et sa onzième côtes droites.
— Bienvenue à bord, dit-elle dans un anglais assez hésitant. Vous devez avoir faim, j’imagine. Je vous ai amené quelque chose à manger.
— Merci, trop aimable, répondit Élisa piquée, fulminant son homme di regard.
La jeune femme n’ajouta rien. Elle posa son plateau sur un support à leur gauche, illumina à nouveau son visage d’un sourire splendide, et, quelques instants après, disparut dans la capsule dont elle était descendue.
— Mignonne, pas vrai ? commenta Atzakis en regardant le colonel.
— Mignonne ? Qui ? De quoi parles-tu ? s’empressa de répondre le colonel, que le coup reçu lançait encore.
Atzakis éclata d’un grand rire, puis, d’un geste de la main, les invita à se servir.
— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Élisa, qui, dépourvue de toute élégance, reniflait les différents plats.
— Du foie de Nebir, précisa aussitôt l’extraterrestre, de la côte de Hanuk et des racines de Hermes bouillies, le tout accompagné d’une boisson, disons « énergétique ».
— C’était autre chose au Masgouf, commenta laconiquement la jeune femme. Mais j’ai une faim de loup, et je pense que je goûterai quand même quelque chose.
Elle prit un morceau de côte entre les doigts et commença à la ronger jusqu’à l’os, sans trop de difficultés.
— Tout ça ne nous donnera pas un mal de ventre inouï, pas vrai, Zak ? Prends-en toi aussi, mon amour. Le goût est un peu étrange, mais ce n’est pas mauvais du tout.
Le colonel, horrifié, regardait Élisa qui dévorait sans retenue tous les mets étranges qui étaient sur le plateau, et il se borna à marmonner :
— Non, non, merci. Je n’ai pas faim.
Son attention fut en revanche attirée par l’étrangeté du plateau et des contenants qui servaient de plats. Il en attrapa un, rouge vif, et en palpa la matière. C’était étrange, nettement froid. Plus froid que ce qu’il n’aurait dû être, et malgré tout, le plat qu’il contenait était brûlant. Il en effleura la surface du bout de l’index. Elle était incroyablement lisse. Ça ne semblait être ni du métal, ni du plastique. Comment aurait-ce pu être du plastique, d’ailleurs ? Ils l’utilisaient dans de tout autres buts. L’autre chose très bizarre était que, malgré la perfection de la surface extérieure, il ne renvoyait absolument aucun reflet. La lumière était comme engloutie par ce matériau mystérieux. Il approcha son oreille de la surface lisse, et la frappa délicatement de son majeur replié. De façon incroyable, le contenant n’émit aucun son. C’était comme s’il frappait du doigt sur un gros morceau de ouate.
— Mais en quoi sont faits ces objets ? demanda-t-il, passablement intrigué. Et le plateau ? On dirait qu’il est fait dans le même matériau.
Assez surpris par la question, Atzakis s’approcha lui aussi du plateau. Il prit un autre récipient, vert pâle, cette fois-ci, et le porta à hauteur de ses yeux.
— En fait, ce n’est pas un véritable “ matériau ”.
— Comment ça ? Que veux-tu dire ?
— Qu’est-ce que vous utilisez, vous, pour contenir des objets, de la nourriture, des liquides, ou des produits en général ?
— Eh bien, d’habitude, pour transporter les matériaux nous nous servons de caisses de carton ou de bois. Pour servir la nourriture, nous utilisons des casseroles de métal, des assiettes en céramique, et des verres en verre, et pour transporter ou conserver des aliments et des liquides en général, nous utilisons des contenants de plastique des formes les plus diverses.
— Du plastique ? Le même plastique que celui qui nous intéresse ? demanda Atzakis, abasourdi.
— Je crois bien que oui, répondit tout bas le colonel. En fait, le plastique est devenu l’un des plus gros problèmes de notre planète, en termes de pollution. Vous nous avez dit vous-mêmes en avoir trouvé d’énormes quantités partout.
Il fit une brève pause avant d’ajouter :
— C’est pour ça que votre proposition de le récupérer nous a autant intéressés. Nous tiendrions la solution d’un problème gigantesque.
— Donc, si je comprends bien, vous utilisez le plastique comme contenant et puis vous le jetez sans retenue en polluant chaque recoin de votre planète ?
— Oui, c’est bien ça, répondit Jack, de plus en plus gêné.
— Mais c’est de la folie, c’est insensé. Vous êtes en train de vous empoisonner de vos propres mains.
— Eh bien, si tu prends en compte le smog généré par nos moyens de locomotion, nos usines et les systèmes générateurs d’énergie, nous avons déjà réussi à faire bien pire. Sans parler des déchets radioactifs que nous ne savons pas encore comment recycler.
— Vous êtes des fous inconscients. Vous êtes en train de détruire la plus belle planète du système solaire. Et c’est aussi de notre faute, hélas.
— Comment ça, de votre faute ?
— Eh bien, c’est nous qui avons modifié votre ADN, il y a de cela une centaine de milliers d’années. Nous vous avons donné une intelligence supérieure à celle de tous les autres êtres vivants de la Terre. Et c’est comme ça que vous l’utilisez ?
— Nous l’avons utilisée pour amener la planète à sa ruine.
Jack parlait la tête basse, comme un élève que son professeur réprimande parce qu’il n’a pas fait ses devoirs.
— Mais vous êtes revenus, maintenant. J’espère sincèrement que vous pourrez nous aider à réparer les dégâts que nous avons faits.
— J’ai peur que ce ne soit pas si facile que ça, dit Atzakis, de plus en plus troublé. L’analyse que Pétri a faite sur l’état de vos océans nous a permis de constater que la quantité de poissons présents a été réduite de plus de quatre-vingt pour cent depuis la dernière fois que nous sommes venus. Comment cela a-t-il pu se produire ?
Jack aurait alors volontiers disparu sous le sol, s’il l’avait pu.
— Il n’y a aucune justification, parvint-il à dire d’un filet de voix. Nous ne sommes qu’un ramassis d’êtres décérébrés, plein de morgue, arrogants, vantards et inintéressants.
Élisa, qui avait écouté en silence tous les reproches d’Atzakis, avala le dernier morceau de foie de Nebir, s’essuya la bouche du revers de la main, puis dit tranquillement :
— Mais nous ne sommes pas tous comme ça, tu sais ?
L’extraterrestre la regarda avec surprise, mais elle continua avec assurance :
— Ce sont les soi-disant « puissants » qui nous ont mis dans cette situation. La majeure partie des personnes normales se bat tous les jours pour la défense de l’environnement et de toutes les formes de vie qui peuplent notre planète bien-aimée. C’est un peu facile d’arriver après des milliers d’années d’un endroit qui est à des millions de kilomètres et de nous faire la morale. Vous nous avez peut-être donné l’intelligence, mais vous ne nous avez pas donné le début du commencement des consignes d’utilisation !
Jack la regarda et comprit qu’il était éperdument amoureux de cette femme.
Atzakis était resté bouche bée. Il ne s’attendait pas à une réaction de ce genre. Face à lui, Élisa continua, lancée.
— Si vous voulez vraiment nous aider, il faudra mettre à notre disposition toutes vos connaissances technologiques, médicales et scientifiques, le tout le plus rapidement possible, vu que vous ne resterez pas très longtemps sur cette planète dévastée.
— D’accord, d’accord. Ne t’énerve pas, essaya de la contrer Atzakis. Il me semble que nous nous sommes mis à votre disposition sans hésitation pour vous donner un coup de main, non ?
— C’est vrai, tu as raison. Je te demande pardon. Dans le fond, vous auriez pu prendre votre plastique et rentrer là d’où vous veniez sans même nous dire bonjour ; mais vous êtes là, et vous allez risquer votre peau avec nous.
Élisa regrettait sincèrement son éclat. Pour dédramatiser un peu la situation, elle s’écria alors joyeusement :
— Mais le repas était vraiment bon.
Puis elle s’approcha de l’extraterrestre, et le regardant de bas en haut, elle lui dit doucement :
— Excuse-moi, je n’aurais pas dû.
— Ne t’inquiète pas, je comprends parfaitement. Et pour te prouver que je ne t’en tiens pas rigueur, je t’offre ceci.
Élisa tendit sa main ouverte, et Atzakis y déposa une minuscule chose foncée.
— Merci, mais qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle, intriguée.
— La solution à vos problèmes avec le plastique.
Nassiriya — Le dîner
Après que le sénateur eut brusquement mit fin à la conversation, ils continuèrent tous les trois à regarder un moment l’écran devant eux, qui affichait des dessins abstraits multicolores se croisant dans un mouvement sans fin.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda le grand maigre, mettant fin à cette espèce d’hypnose collective.
— Moi j’aurais une idée, répondit le gros. Ça fait un bon moment qu’on ne s’est rien mis sous la dent et je vois des burgers partout.
— Et où penses-tu trouver un burger à cette heure-ci ?
— Je ne sais pas, mais ce que je sais c’est que si je ne mange pas tout de suite, je vais m’évanouir.
— Oh, le pauvre, il va s’évanouir, commenta le maigre en contrefaisant une voix d’enfant.
Puis son intonation changea :
— Avec toutes les réserves que tu as sur les hanches, tu pourrais rester un mois sans manger.
— Ok, arrêtez tous les deux avec ces bêtises, s’écria le général, irrité. Nous devons arrêter un plan d’action.
— Mais moi je réfléchis mal, l’estomac vide, dit tout bas le gros.
— D’accord, s’écria Campbell, en levant les mains pour indiquer qu’il renonçait. Allons manger quelque chose. On cherchera un plan à table, de toute façon, on a encore pas mal de temps avant l’arrivée du sénateur.
— Voilà qui est parler, Général, s’écria le gros, satisfait. Je connais un petit endroit pas mal du tout, où ils font un magnifique ragoût de mouton aux patates, carottes et petits pois, en sauce curry.
— Eh bien je dois avouer qu’après cette description détaillée, j’ai un peu faim moi aussi, dit le maigre en se frottant les mains.
— C’est bon, vous m’avez convaincu, ajouta le général en se levant. Allons-y, mais tâchons de ne pas nous faire prendre. Même s’ils ne s’en sont pas encore rendu compte, je suis bel et bien un évadé.
— Et pas nous, peut-être ? répliqua le maigre. Nous nous sommes échappés du camp, et ils doivent nous chercher partout. Ça ne fait rien, on n’a qu’à s’en fiche pour l’instant.
Quelques minutes plus tard, une voiture sombre avec trois personnages louches à son bord filait dans la nuit, dans les rues presque désertes de la ville, soulevant sur son passage un nuage de fine poussière.
— Nous y sommes, c’est là ! s’écria le gros, assis à l’arrière. C’est un peu tard, mais je connais le propriétaire. Il n’y aura pas de problème.
Le maigre, au volant, chercha une place pour garer la voiture. Il fit le tour du pâté de maisons, puis se glissa sous l’auvent branlant d’une petite bicoque abandonnée. Il descendit rapidement de la voiture, et, circonspect, observa attentivement les alentours. Il n’y avait personne.
Il fit le tour de la voiture, ouvrit la portière passager et dit :
— Tout est tranquille, mon Général. Nous pouvons y aller.
Le gros descendit lui aussi de la voiture et se dirigea à grands pas vers l’entrée principale du restaurant. Il essaya de tourner la poignée, sans résultat. La porte était fermée, mais il y avait encore de la lumière à l’intérieur. Il essaya alors de regarder à travers la fenêtre, mais l’épaisse tenture de couleur ne lui permit pas de voir grand chose. Sans perdre davantage de temps, il se mit à frapper énergiquement, et ne cessa que quand il vit un petit homme, aux cheveux noirs et bouclés, apparaître derrière la tenture.
— Mais qui diable… s’exclamait-il, très irrité, mais il reconnut son corpulent ami, évita de terminer sa phrase et ouvrit.