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— Tu as vu que quand tu veux, tu peux faire quelque chose de bien ? Elle devrait être tranchante. Regarde si tu arrives à couper ces maudites cordes.
De sa main indemne, le gros attrapa le manche de la truelle et commença à en frotter le bord le plus coupant contre la corde, derrière son dos.
— Admettons qu’on arrive à se libérer, dit le gros, à voix basse, comment on va faire pour se tirer d’ici ? Il y a plein de monde dans le camp et nous sommes en pleine journée. J’espère que tu as un plan.
— Bien sûr que j’en ai un. Ce n’est pas moi, le cerveau de l’équipe ? s’exclama orgueilleusement le maigre. Pendant que tu faisais ta petite sieste, j’ai étudié la situation et je crois que j’ai trouvé un moyen pour filer.
— Je suis tout ouïe, répondit l’autre en continuant à frotter la truelle.
— Le type qui est de garde passe la tête toutes les dix minutes, et cette tente est la dernière à l’est du camp.
— Et alors ?
— Mais qu’est-ce qui m’a pris de te choisir comme associé pour ce boulot ? Tu as l’imagination et l’intelligence d’une amibe, en espérant que les amibes ne prennent pas mal la comparaison.
— Je te rappellerais qu’en fait, c’est moi qui t’ai choisi, vu que c’est à moi qu’on a confié le boulot, répliqua le gros, piqué au vif.
— Tu es arrivé à te libérer ? coupa court le maigre.
La conversation tournait mal et, effectivement, son acolyte avait parfaitement raison.
— Laisse-moi encore un peu de temps. Je crois qu’elle va lâcher.
En effet, peu après, la corde qui les retenait tous les deux au fût se rompit dans un claquement sec, et le ventre du gros, enfin libéré de cette contention, put reprendre ses dimensions habituelles.
— C’est bon, s’exclama le gros, tout content.
— Parfait. Mais on va la garder sur nous jusqu’à ce que le garde repasse. On doit faire en sorte que tout ait l’air comme avant.
— Ok, partenaire. Je refais semblant de dormir.
Ils n’eurent pas longtemps à attendre. Quelques minutes après, en effet, la tête de l’aide du Professeur réapparut dans la tente. Il fit son habituel contrôle sommaire de la situation, remit la fermeture éclair en place, se replaça à l’ombre de la véranda et alluma tranquillement une cigarette roulée.
— Maintenant, dit le maigre. Dépêchons-nous.
Vu les douleurs qu’ils avaient tous les deux, l’opération se révéla plus compliquée que prévu, mais, après avoir poussé quelques gémissements sourds et autant de jurons, ils se retrouvèrent debout, l’un en face de l’autre.
— Donne-moi la truelle, ordonna le maigre en enlevant son bâillon.
Des élancements l’empêchaient de se déplacer facilement, mais en plaquant sa main sur ses côtes, il réussit à soulager un peu la douleur. Il atteignit en quelques pas la paroi de la tente opposée à l’entrée, s’agenouilla et y enfila lentement la Trowel Marshalltown. La lame effilée de la truelle coupa comme du beurre le tissu léger côté est, ouvrant une petite fissure d’une dizaine de centimètres. Le maigre y colla son œil et regarda quelques instants par la fente. Comme il l’avait prévu, il n’y avait personne. Il ne distinguait que les ruines de la ville antique, à une centaine de mètres, où ils avaient auparavant caché la jeep qui aurait dû leur servir pour s’enfuir avec le magot.
— La voix est libre, dit-il, en prolongeant jusqu’au sol avec la lame de la truelle la petite fente déjà pratiquée. Allons-y.
Il se glissa en se faufilant dans la déchirure.
— Tu ne pouvais pas le faire un peu plus large, ce trou, non ? grogna le gros, entre deux gémissements, alors qu’il essayait péniblement de se glisser lui aussi à l’extérieur.
— Dépêche-toi. Il faut filer le plus vite possible.
— J’aimerais bien t’y voir. J’arrive à peine à marcher.
— Allez, grouille-toi et arrête de te plaindre. Rappelle-toi que si on n’arrive pas à se tirer, personne ne pourra nous éviter plusieurs années de prison.
Le mot « prison » avait toujours le pouvoir de redonner des forces au gros. Il ne dit plus rien, et souffrant en silence, suivit son compagnon qui se faufilait en catimini entre les ruines.
Ce fut le bruit lointain d’un moteur qui fit douter l’homme de garde. Il regarda un instant sa cigarette maintenant consumée, et la jeta d’un geste vif. Il se glissa sans hésiter dans la tente et ne put en croire ses yeux : les deux prisonniers avaient disparu. Près du fût, la corde jetée en vrac, un peu plus loin, les deux bouts de tissu qu’ils avaient utilisés comme bâillons, et une déchirure dans la toile de tente qui arrivait jusqu’au bas de la paroi du fond.
— Hisham, les gars -hurla l’homme à plein poumons- les prisonniers se sont échappés !
Vaisseau Théos — Le superfluide
La représentation de l’objet que Pétri avait placé dans l’interstice entre Kodon et la Terre avait laissé les deux Humains bouche bée.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette chose ? demanda Élisa, intriguée, en s’approchant pour mieux voir.
— On ne lui a pas encore donné de nom officiel.
Pétri ramena l’étrange objet au premier plan et ajouta en regardant le Professeur :
— Tu pourrais peut-être lui en choisir un, toi.
— Je pourrais toujours essayer, si seulement tu m’expliquais ce que c’est.
— Ça fait longtemps que nos plus grands scientifiques se consacrent à ce projet.
Pétri se croisa les mains derrière le dos, et se mit à marcher lentement à travers la pièce.
— Cet appareil est le résultat d’une série d’études qui excèdent en partie mes propres connaissances scientifiques.
— Et je peux vous assurer qu’elles sont remarquables, ajouta Atzakis, en tapant vigoureusement sur l’épaule de son ami.
— En quelques mots, il s’agit d’une sorte de système antigravitationnel. Il repose sur un principe qui est encore en cours d’étude, comme je vous le disais, mais que je peux essayer de vous résumer brièvement et simplement.
— Je pense que ce sera beaucoup mieux, commenta Élisa. N’oublie pas que nous appartenons à une espèce qui, comparée à la vôtre, peut tout à fait être qualifiée de sous-développée.
Pétri approuva discrètement. Puis il s’approcha de la représentation en trois dimensions de l’étrange objet et reprit tranquillement son explication.
— En géométrie, on définit cet objet comme un tore. L'anneau tubulaire est vide, et ce qu’on pourrait simplement appeler son « espace central » contient son système de propulsion et de contrôle.
— Jusque-là tout est clair, dit Élisa, très impatiente.
— Très bien. Voyons maintenant le principe de fonctionnement de ce système.
Pétri fit pivoter l’image du tore et en montra la partie intérieure.
— L'anneau est rempli d’un gaz, en général un isotope de l’hélium, qui, porté à une température proche du zéro absolu, se transforme en un liquide aux caractéristiques bien particulières. Concrètement, sa viscosité devient pratiquement nulle, et il peut circuler sans générer aucun frottement. Nous appelons cette caractéristique « superfluidité ».
— Là, je m’y perds un peu, dit tristement Élisa.
— En deux mots : quand il est opportunément stimulé par la structure de l’anneau, ce gaz, à l’état liquide, peut se déplacer à l’intérieur, sans aucune difficulté, à une vitesse proche de celle de la lumière, qu’il peut conserver pendant une durée théoriquement infinie.
— Stupéfiant, ne put que dire Jack, qui n’avait pas perdu la moindre syllabe de toute l’explication.
— D’accord, je crois que j’ai compris, cette fois, ajouta Élisa. Mais comment fera cet engin pour s’opposer aux effets de l’attraction gravitationnelle entre les deux planètes ?
— Là, les choses se compliquent un peu, répondit Pétri. Disons que la rotation du superfluide à une vitesse proche de celle de la lumière génère une courbure du continuum spatio-temporel autour de lui, et cela provoque un effet antigravitationnel.
— Pauvre de moi, s’écria Élisa. Mon vieux professeur de physique doit se retourner dans sa tombe.
— Et ce n’est pas le seul, ma chérie, ajouta le colonel. Si j’ai bien compris ce qu’essaient de nous expliquer ces messieurs, là, il s’agit de renverser des théories et des concepts que nos scientifiques ont tenté d’analyser et d’étudier leur vie durant. Le principe d’antigravité a été théorisé plus d’une fois, mais personne n’a jamais réussi à le démontrer totalement. Nous avons devant nous —il indiqua l’étrange objet- la preuve que c’est réellement possible.
— Je serais un peu plus prudent -dit Atzakis, refroidissant un peu l’enthousiasme du colonel. Je suis en devoir de vous informer que cette chose n’a jamais été testée sur des corps aussi grands que des planètes ; ou plutôt, nous avons essayé il y a deux cycles, mais ça ne s’est pas exactement passé comme nous le voulions. Qui plus est, des événements que nous n’avions pas prévu pourraient se produire et...
— Tu es toujours le même oiseau de mauvais augure, réagit Pétri en coupant son compagnon. Le mécanisme a été démontré plus d’une fois. Notre vaisseau lui-même utilise ce principe pour sa propulsion. Essayons d’être optimistes.
— Notamment parce qu’il me semble que nous n’avons pas vraiment d’autres alternatives, sauf erreur de ma part ? dit Élisa d’un ton amer.
— Malheureusement, je crois bien que non, dit Pétri, désolé, en baissant légèrement la tête. La seule chose que je craigne vraiment est que, vu les dimensions vraiment réduites de notre tore, nous ne parvenions pas à absorber complètement tous les effets de l’attraction gravitationnelle, et qu’une partie des gravitons puisse tout de même faire leur office.
— Tu es en train de nous dire que cet engin pourrait quoi qu’il en soit ne pas suffire pour prévenir la catastrophe ? demande Élisa en s’approchant de l’extraterrestre, menaçante.
— Peut-être pas complètement, répondit Pétri en faisant un petit pas en arrière. D’après les calculs que j’ai faits, je dirais que dix pour cent des gravitons pourraient échapper à cet espèce de piège.
— Ça pourrait donc être une tentative inutile ?
— Absolument pas, répondit Pétri. Nous réduirons les effets de quatre-vingt-dix pour cent. Il ne nous restera plus grand chose à gérer.
— On l’appellera « Newark » dit Élisa, satisfaite. Et maintenant, mettons-nous au travail. Sept jours, ça passe vite.
Base aérienne de Camp Adder — L'évasion
Les deux étranges personnages, encore travestis en Bédouins, venaient tout juste de rentrer dans leur planque en ville, quand une légère sonnerie intermittente émanant de l’ordinateur portable laissé allumé sur la table du salon attira leur attention.
— Et qui ça peut bien être, encore ? demanda le maigre, agacé.
Le gros, boitant de plus en plus, s’approcha de l’ordinateur, et, après avoir rentré un mot de passe très complexe, annonça :
— C’est un message de la base.
— Ils veulent sûrement connaître l’issue de l’opération.
— Laisse-moi une seconde, je le décode.
L’écran afficha d’abord une suite de caractères incompréhensibles, puis, après la saisie d’une combinaison de codes successifs, le message se recomposa petit à petit.
Le général a été capturé et conduit à la base aérienne de Camp Adder. Nécessité opération immédiate de récupération.
— C’est dingue, s’exclama le gros. Ils sont déjà au courant.
— Mais comment ont-ils su ?
— Eh bien, ils doivent avoir des canaux plus directs que les nôtres. Rien ne leur échappe, à ceux-là.
— Et comment on devrait faire, d’après eux ?
— Qu’est-ce que j’en sais. Le message dit juste qu’on doit aller le délivrer.
— Dans l’état où on est ? On est mal partis.
Le grand maigre tira une chaise de sous la table, la fit pivoter de quatre-vingt-dix degrés, puis, laissant échapper des gémissements de temps à autres, il s’y effondra.
— Manquait plus que ça.
Il posa un coude sur la surface plane et laissa flotter ses regards au-delà de la fenêtre qu’il avait en face de lui. Il remarqua que les vitres étaient vraiment sales, et que celle de droite était fêlée sur presque toute sa longueur.
Mais tout à coup, il leva brusquement les yeux vers son acolyte, et, après avoir ébauché un petit sourire sardonique, lui dit :
— J’ai une idée.
— Je le savais, je connais ce regard.
— Va chercher la trousse de premier secours, et montre-moi la bosse que tu as sur la tête.
— En fait, c’est plutôt mon poignet qui m’inquiète. J’ai peur qu’il soit cassé.
— T’inquiète pas, je t’arrange ça. Quand j’étais petit, je voulais être vétérinaire.
Après un peu plus d’une heure, des doses massives d’analgésiques et des pommades diverses passées en plusieurs endroits, les deux acolytes étaient presque remis à neuf.
S’étant regardé dans le miroir accroché près du mur de la porte d’entrée, le maigre, satisfait, estima :
— On peut s’y mettre, maintenant.
Il fila dans la chambre et en ressortit peu après avec deux uniformes américains impeccablement repassés.
— Mais où as-tu trouvé ça ? lui demanda le gros, stupéfait.
— Ça fait partie de l’équipement de secours que j’ai emporté. On ne peut jamais savoir.
— Tu es complètement dingue, commenta le gros, en secouant légèrement la tête. Et qu’est-ce qu’on est censés faire avec ça ?
— Voilà le plan, répondit le maigre, content de lui, en lançant vers son acolyte l’uniforme XXL. Toi, tu seras le général Richard Wright, responsable d’une agence gouvernementale ultrasecrète dont personne ne connaît l’existence.
— Bien sûr, puisqu’elle est ultrasecrète. Et toi ?
— Moi, je serai ton bras droit. Colonel Oliver Morris, pour vous servir, mon Général.
— Donc c’est moi ton supérieur. Ça me plaît.