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— Mais n’en prends pas l’habitude, ok ? fit le maigre, l’index levé. Et voilà nos papiers, et les badges correspondants.
— Dingue. On dirait des vrais.
— Et ce n’est pas tout, mon vieux -il lui montra une feuille de papier à en-tête signée de la main du colonel Jack Hudson- voici la demande officielle de prise en charge du prisonnier pour son transfert dans un lieu plus « sûr ».
— Mais où as-tu pris ça ?
— Je viens de l’imprimer pendant que tu étais sous la douche. Tu crois que tu es le seul roi de l’informatique ?
— Je suis épaté. Elle est mieux que l’original.
— On va s’introduire dans la base militaire et on se fera remettre le général. S’ils devaient nous faire des problèmes, on pourrait toujours leur dire d’appeler directement le colonel Hudson. Je ne pense pas que son portable capte, dans l’espace.
Ils éclatèrent tous les deux d’un rire bruyant.
Environ une heure après, alors que le soleil était désormais caché derrière une haute dune, une jeep militaire, avec à son bord un colonel et un général auxquels il ne manquait pas un bouton de guêtre, s’arrêta à la barrière d’accès de la base aérienne d’Imam Ali, ou Camp Adder, comme les Américains l’avaient rebaptisée pendant la guerre en Irak. Deux militaires armés jusqu’aux dents sortirent de la guérite blindée et se dirigèrent rapidement vers le véhicule. À couvert, deux autres soldats tenaient les passagers en joue.
— Bonsoir Colonel, dit le soldat le plus proche, après avoir salué militairement. Je peux voir vos papiers et ceux du général, s’il vous plaît ?
Le colonel grand et maigre, assis au volant, ne dit pas un mot. Il retira de la poche intérieure de sa veste une enveloppe jaune qu’il lui tendit. Le soldat prit son temps pour la lire, et pointa deux ou trois fois la torche électrique vers le visage de chacun d’eux. Le général sentit nettement la goutte de sueur qui, naissant sous la bosse de son front, descendait lentement sur son nez, pour tomber ensuite sur le troisième bouton de sa veste, invraisemblablement tendue par l’intense poussée du gros ventre qu’elle couvrait.
— Colonel Morris et Général White, fit le militaire, pointant à nouveau la torche sur le visage du colonel.
— Wright, général Wright ! répondit le colonel maigre d’un ton très irrité. Qu’est-ce qu’il y a, Sergent, vous ne savez pas lire ?
Le sergent, qui avait mal prononcé à dessein le patronyme du général, sourit légèrement et dit :
— Je vous fais accompagner. Suivez ces hommes.
D’un signe, il ordonna aux deux autres soldats de les précéder en direction de la prison.
Le colonel démarra lentement la jeep. Il n’avait pas fait dix mètres qu’il entendit crier derrière lui :
— Arrêtez-vous !
Le sang des deux occupants du véhicule gela dans leurs veines. Ils restèrent immobiles de très longs instants, jusqu’à ce que la voix reprenne :
— Vous avez oublié de récupérer vos papiers.
Le corpulent général soupira si fort de soulagement que tous ses boutons de veste faillirent sauter.
— Merci, Sergent, dit le maigre en tendant la main vers le soldat. Je vieillis plus vite que je ne le pensais.
Ils repartirent à nouveau et suivirent les deux soldats, qui, marchant d’un bon pas, les conduisirent rapidement à l’entrée d’un bâtiment bas, de piètre apparence. Le plus jeune des soldats frappa à la grande porte et entra sans attendre de réponse. Peu après, un gros Noir, avec une tête de dur, se présenta sur le seuil et se mit au garde-à-vous. Il les salua militairement et dit :
— Mon Général, mon Colonel. Entrez, je vous en prie.
Les deux officiers répondirent à son salut, et, essayant de faire taire les différentes douleurs qui se réveillaient petit à petit, se glissèrent dans l’énorme pièce.
— Sergent, dit résolument le maigre. Nous avons ici un ordre écrit du colonel Hudson qui nous autorise à prendre en charge le général Campbell.
Et il lui tendit l’enveloppe jaune.
Le gros sergent l’ouvrit et s’attarda longuement à en lire le contenu. Puis, fixant le colonel de ses yeux sombres et pénétrants, il déclara gravement :
— Je dois vérifier.
— Je vous en prie, répondit tranquillement l’officier.
Le gros Noir tira d’un tiroir du bureau une autre feuille qu’il confronta attentivement à celle qu’il tenait à la main. Il regarda de nouveau le colonel, et, sans laisser paraître la moindre émotion, ajouta :
— Les signatures coïncident. Pas d’objection à ce que je l’appelle ?
— Faites votre devoir. Mais tâchons de faire vite, s’il vous plaît. Nous n’avons déjà perdu que trop de temps, répliqua le colonel maigre, feignant de perdre patience.
Pas le moins du monde impressionné, le sergent glissa lentement la main dans la poche de son uniforme et en tira son téléphone portable. Il composa un numéro et attendit.
Les deux officiers retinrent leur respiration jusqu’à ce que le militaire, après avoir appuyé sur une touche de l’appareil, ne commente laconiquement :
— Il n’est pas joignable.
— Sergent, peut-on accélérer ? s’écria l’officier d’un ton bien plus autoritaire que précédemment. On ne va pas passer la nuit là.
— Va chercher le général, ordonna le gros sergent à l’un des soldats qui avaient accompagné les officiers.
Une dizaine de minutes après, un homme complètement chauve, avec de grosses moustaches, des sourcils gris et deux petits yeux noirs et vifs, apparut sur le seuil de la porte derrière le sergent. Il portait un uniforme de général, mais une des quatre étoiles réglementaires manquait sur son épaulette droite. Il était menotté, et, derrière lui, le soldat qui l’avait amené le tenait en joue.
En voyant les deux autres, le général tressaillit, puis, devinant leur plan, il resta silencieux et prit l’expression la plus triste qu’il put.
— Merci, soldat, dit le colonel maigre en tirant son Beretta M 9 de son étui. Nous nous chargeons de cette crapule.
Vaisseau Théos — Le plan d’action
— Tu ne trouves pas ça excitant, de savoir que nous allons sauver la Terre tous les deux, mon amour ? demanda Élisa en regardant le colonel avec des yeux de chaton enamouré et en lui prenant la main.
— “ Mon amour ? ” Tu ne vas pas un peu vite ? la reprit Jack, irrité.
Élisa tressaillit, et ne comprit qu’il se moquait d’elle que lorsqu’il lui sourit avec douceur et lui caressa la joue.
— Crapule. Ne me joue plus ce genre de tours, ou tu auras affaire à moi.
Elle frappait son buste de ses deux mains.
— Du calme, du calme, lui murmura Jack en l’attirant doucement à lui. D’accord, c’était une blague stupide. Je ne le ferai plus.
Cette étreinte soudaine eut sur elle un effet rassurant et relaxant. Elle sentit toute la tension accumulée jusqu’à alors fondre comme neige au soleil. Après tout ce qui s’était passé dans les dernière heures, c’était exactement ce dont elle avait besoin. Elle décida de se perdre dans ses bras, et, fermant lentement les yeux, appuya la tête sur son torse puissant et s’abandonna complètement.
Atzakis s’était entre-temps glissé dans la cabine H^COM, toujours diaboliquement trop étroite, et attendait que la réponse à sa demande de communication lui parvienne dans la lunette holographique qu’il avait devant lui.
Partant du centre de l’écran, une série d’ondes multicolores créait un effet semblable à celui d’une pierre jetée dans les eaux tranquilles d’une mare. Puis les ondes s’effacèrent progressivement, laissant apparaître le visage creusé et marqué par les années de son supérieur Ancien.
— Atzakis, dit l’homme en souriant légèrement, sa main osseuse levée en signe de salut. Que peut faire pour toi un pauvre vieux ?
— Nous avons dit la vérité aux deux Terriens.
— Démarche audacieuse, commenta l’Ancien en se prenant le menton entre le pouce et l’index. Comment l’ont-ils pris ?
— Disons que, passée la première stupeur légitime, il me semble qu’ils ont bien réagi.
Atzakis fit une brève pause, puis ajouta, d’un ton très sérieux :
— Nous leur avons proposé d’utiliser le tore au superfluide.
— Le tore ? s’exclama son interlocuteur en se levant d’un bond qui aurait fait pâlir d’envie un petit garçon. Mais il n’y a pas encore été soumis aux tests complets. Tu te rappelles ce qui s’est passé la dernière fois, pas vrai ? On pourrait générer une fluctuation gravitationnelle avec cet engin, et il y a en plus le risque de créer un mini trou noir.
— Je sais, je sais bien, répondit tout bas Atzakis. Mais je crois que nous n’avons pas d’alternatives. Si nous n’utilisons pas des moyens radicaux, le passage de Kodon pourrait cette fois-ci être fatal aux Terriens.
— Quel est ton plan ?
— On estime que les orbites des deux planètes se croiseront dans sept jours. Il faudrait que tu fasses préparer le tore et que tu le fasses apporter ici au moins un jour avant.
— Ça ne me laisse pas beaucoup de temps, tu le sais.
— Il faut que j’aie un peu de marge pour le positionner, le configurer et pour la procédure d’activation.
— J’ai un mauvais pressentiment, dit l’Ancien, passant une main dans ses cheveux blancs.
— J’ai Pétri avec moi. Tout ira bien.
— Vous êtes deux jeunes gens très capables, je n’ai aucun doute là-dessus, mais faites très attention. Cet engin pourrait se transformer en arme fatale.
— Essaie de nous le faire avoir dans les délais, on s’occupera du reste. Ne t’inquiète pas.
— D’accord. Je te recontacterai quand tout sera prêt. Bonne chance.
Le visage de son supérieur disparut de l’écran, qui se remit à afficher les ondes multicolores.
Atzakis quitta lentement son inconfortable fauteuil et resta un moment les mains appuyées sur la surface de la minuscule console. Mille pensées tournaient dans son esprit, et, quand un léger frisson lui parcourut le dos, il eut nettement la sensation qu’ils allaient au-devant d’une infinité de problèmes.
— Zak ! s’écria joyeusement son compagnon d’aventures en le voyant s’extraire de la cabine H^COM. Qu’a dit le vieux ?
Atzakis s’étira un peu, puis répondit tranquillement :
— Nous avons sa bénédiction. Si tout devait marcher comme prévu, nous aurions le tore, ou plutôt Newark, la veille du croisement.
— Espérons qu’on y arrivera. Ça ne va pas être facile de configurer cet engin en si peu de temps.
— Qu’est-ce qui t’inquiète, compagnon ? répliqua Atzakis avec un pâle sourire. Dans le pire des cas, nous ne ferons qu’ouvrir une distorsion spatio-temporelle qui engloutira d’un coup la Terre, Kodon, Nibiru, et tous les autres satellites.
Les deux Humains, qui était restés un peu à l’écart mais n’avaient pas perdu un seul mot de la conversation, restèrent comme pétrifiés.
— Mais qu’est-ce que tu dis ? réussit tout juste à balbutier Élisa, qui le regardait, abasourdie. “ Distorsion spatio-temporelle ? Engloutir ? ”. Tu veux nous dire que, si ce plan devait ne pas fonctionner, nous serions à l’origine de la destruction de notre peuple et du vôtre ?
— Eh bien, oui, il y a un risque minimum, commenta tranquillement Atzakis.
— Un “ risque minimum ? ” et tu nous le dis comme ça, avec cette expression calme et sereine sur le visage ? Tu dois être fou, et nous encore plus.
— Calme-toi, mon trésor, intervint Jack en la prenant par les épaules et en la regardant droit dans les yeux. Ils sont bien plus compétents et au point que nous, et s’ils ont décidé de suivre cette voie, nous ne pouvons rien faire d’autre que de les seconder et de leur apporter toute l’aide possible.
Le Professeur poussa un long soupir, avant de dire :
— Il faut que je m’assoie. Trop d’émotions aujourd’hui. Si ça continue, je vais y laisser mes dernières plumes.
Jack la soutint par le bras et l’accompagna vers le fauteuil le plus proche. Élisa s’y laissa tomber de tout son poids, avec un léger gémissement.
— On a peut-être un peu trop réduit le pourcentage d’oxygène dans l’air, murmura Atzakis à son compagnon.
— J’ai essayé de le rendre le plus compatible avec les besoins de tous, et de nous éviter d’avoir à utiliser ces antipathiques respirateurs.
— Je sais bien, compagnon, mais je crains qu’ils n’y soient excessivement sensibles.
— D’accord, je vais essayer de modifier le mélange. On peut s’adapter plus facilement, nous.
Le colonel, pour sa part, n’avait pas du tout l’air d’y être sensible, il était plus fringant que jamais. L’action et le risque étaient son pain quotidien, et il se trouvait parfaitement à son aise dans des situations de ce type. Il alla se placer exactement sous l’image tridimensionnelle de Newark qui se détachait encore majestueusement au milieu de la pièce.
— Bien. Cette chose pourrait tous nous sauver, ou nous conduire à la destruction totale.
— Analyse synthétique mais efficace, commenta Atzakis.
— Au point où nous en sommes, poursuivit le colonel d’un ton sérieux et d’une voix profonde, je crois que le moment est venu d’avertir le reste de la planète de la catastrophe imminente.
— Comment penses-tu faire ? demanda Élisa, depuis son fauteuil. On prend notre téléphone, on appelle le président des États-Unis et on lui dit : “ Bonjour, Monsieur le président. Savez-vous que nous sommes en compagnie de deux extraterrestres qui nous ont dit que, d’ici quelques jours, une planète arrivera qui nous balaiera tous ” ?
— Le minimum qu’il puisse faire, c’est de faire intercepter l’appel, d’envoyer du monde pour nous récupérer et nous faire interner en asile, répliqua Jack en souriant.
— Mais vous n’avez pas de système de communication globale comme notre Réseau ? demanda Pétri, intrigué, au colonel.
— Réseau ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
— C’est un système général d’interconnexion en mesure de mémoriser et de distribuer le Savoir à l’échelle planétaire. Nous pouvons tous y accéder, avec des niveaux de profondeur différents, par un système neuronal N^COM qu’on nous implante directement dans le cerveau à la naissance.
— Super, s’écria Élisa stupéfaite, avant de poursuivre : en fait, nous avons nous aussi un système de ce genre. Nous l’appelons internet, mais nous n’en sommes pas arrivés à votre niveau, bien sûr.
— Et ce ne serait pas possible d’utiliser votre “ internet ” pour envoyer un message à toute la planète ? demanda Pétri, curieux.
— Eh bien, ce n’est pas aussi simple, répondit Élisa. Nous pourrions introduire des informations dans le système, envoyer des messages à des groupes, peut-être même enregistrer des images et les diffuser le plus largement possible, mais personne ne nous croirait, et puis cela n’atteindrait pas tout le monde.
Elle réfléchit un peu, puis ajouta :