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Опасные связи / Les liaisons dangereuses. Книга для чтения на французском языке
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Опасные связи / Les liaisons dangereuses. Книга для чтения на французском языке

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Опасные связи / Les liaisons dangereuses. Книга для чтения на французском языке
Пьер Шодерло де Лакло

Чтение в оригинале (Каро)Littérature classique (Каро)
Роман Пьера Шодерло де Лакло «Опасные связи» – жемчужина французской классической литературы. История, рассказанная в романе, разворачивается перед читателями в письмах, которые пишут друг другу представители высшего французского света конца XVIII века. Несколько любовных линий романа переплетаются в одну красивую, порой печальную, но поучительную и яркую историю.

Роман «Опасные связи» приобрел скандальную известность и стал настоящей сенсацией после публикации. С тех пор он не теряет актуальности, потому что человеческие добродетели и пороки остаются неизменными во все века.

Книга переведена на многие языки мира и была неоднократно экранизирована. Предлагаем читателям насладиться литературным шедевром на языке оригинала.

Pierre Choderlos de Laclos

"Les Liaisons dangereuses : ou lettres recueillies dans une société et publiées pour l'instruction de quelques autres; Par М. C..... de L…"

TOME PREMIER

AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR

Nous croyons devoir prévenir le public, que, malgré le titre de cet ouvrage et ce qu’en dit le rédacteur dans sa préface, nous ne garantissons pas l’authenticité de ce recueil, et que nous avons même de fortes raisons de penser que ce n’est qu’un roman.

Il nous semble de plus que l’auteur, qui paraît pourtant avoir cherché la vraisemblance, l’a détruite lui-même, et bien maladroitement, par l’époque où il a placé les événements qu’il publie. En effet, plusieurs des personnages qu’il met en scène ont de si mauvaises mœurs, qu’il est impossible de supposer qu’ils aient vécu dans notre siècle ; dans ce siècle de philosophie, où les lumières, répandues de toutes parts, ont rendu, comme chacun sait, tous les hommes si honnêtes et toutes les femmes si modestes et si réservées.

Notre avis est donc que si les aventures rapportées dans cet ouvrage ont un fond de vérité, elles n’ont pu arriver que dans d’autres lieux ou dans d’autres temps, et nous blâmons beaucoup l’auteur, qui, séduit apparemment par l’espoir d’intéresser davantage en se rapprochant plus de son siècle et de son pays, a osé faire paraître, sous notre costume et avec nos usages, des mœurs qui nous sont si étrangères.

Pour préserver au moins, autant qu’il est en nous, le lecteur trop crédule de toute surprise à ce sujet, nous appuierons notre opinion d’un raisonnement que nous lui proposons avec confiance, parce qu’il nous paraît victorieux et sans réplique ; c’est que sans doute les mêmes causes ne manqueraient pas de produire les mêmes effets ; que cependant nous ne voyons point aujourd’hui de demoiselle, avec soixante mille livres de rente, se faire religieuse, ni de Présidente, jeune et jolie, mourir de chagrin.

PRÉFACE DU RÉDACTEUR

Cet ouvrage, ou plutôt ce recueil, que le Public trouvera peut-être encore trop volumineux, ne contient pourtant que le plus petit nombre des lettres qui composaient la totalité de la correspondance dont il est extrait. Chargé de la mettre en ordre par les personnes à qui elle était parvenue, et que je savais dans l’intention de la publier, je n’ai demandé, pour prix de mes soins, que la permission d’élaguer tout ce qui me paraîtrait inutile ; et j’ai tâché de ne conserver en effet que les lettres qui m’ont paru nécessaires, soit à l’intelligence des événements soit au développement des caractères. Si l’on ajoute à ce léger travail, celui de replacer par ordre les lettres que j’ai laissé subsister, ordre pour lequel j’ai même presque toujours suivi celui des dates, et enfin quelques notes courtes et rares, et qui, pour la plupart, n’ont d’autre objet que d’indiquer la source de quelques citations, ou de motiver quelques-uns des retranchements que je me suis permis, on saura toute la part que j’ai eue à cet ouvrage. Ma mission ne s’étendait pas plus loin[1 - Je dois prévenir aussi que j’ai supprimé ou changé tous les noms des personnes dont il est question dans ces lettres ; et que si, dans le nombre de ceux que je leur ai substitués, il s’en trouvait qui appartiennent à quelqu’un, ce serait seulement une erreur de ma part, et dont il ne faudrait tirer aucune conséquence.].

J’avais proposé des changements plus considérables, et presque tous relatifs à la pureté de diction ou de style, contre laquelle on trouvera beaucoup de fautes. J’aurais désiré aussi être autorisé à couper quelques lettres trop longues et dont plusieurs traitent séparément, et presque sans transition, d’objets tout à fait étrangers l’un à l’autre. Ce travail, qui n’a pas été accepté, n’aurait pas suffi sans doute pour donner du mérite à l’ouvrage, mais en aurait au moins ôté une partie des défauts.

On m’a objecté que c’étaient les lettres mêmes qu’on voulait faire connaître, et non pas seulement un ouvrage fait d’après ces lettres ; qu’il serait autant contre la vraisemblance que contre la vérité, que de huit à dix personnes qui ont concouru à cette correspondance, toutes eussent écrit avec une égale pureté. Et sur ce que j’ai représenté que, loin de là, il n’y en avait au contraire aucune qui n’eût fait des fautes graves, et qu’on ne manquerait pas de critiquer, on m’a répondu que tout lecteur raisonnable s’attendrait sûrement à trouver des fautes dans un recueil de lettres de quelques particuliers, puisque dans tous ceux publiés jusqu’ici de différents auteurs estimés, et même de quelques cadémiciens, on n’en trouvait aucun totalement à l’abri de ce reproche. Ces raisons ne m’ont pas persuadé, et je les ai trouvées, comme je les trouve encore, plus faciles à donner qu’à recevoir ; mais je n’étais pas le maître, et je me suis soumis. Seulement je me suis réservé de protester contre, et de déclarer que ce n’était pas mon avis ; ce que je fais en ce moment.

Quant au mérite que cet ouvrage peut avoir, peut-être ne m’appartient-il pas de m’en expliquer, mon opinion ne devant ni ne pouvant influer sur celle de personne. Cependant ceux qui, avant de commencer une lecture, sont bien aises de savoir à peu près sur quoi compter ; ceux-là, dis-je, peuvent continuer : les autres feront mieux de passer tout de suite à l’ouvrage même ; ils en savent assez.

Ce que je puis dire d’abord, c’est que si mon avis a été, comme j’en conviens, de faire paraître ces lettres, je suis pourtant bien loin d’en espérer le succès : et qu’on ne prenne pas cette sincérité de ma part pour la modestie jouée d’un auteur ; car je déclare avec la même franchise que si ce recueil ne m’avait pas paru digne d’être offert au Public, je ne m’en serais pas occupé. Tâchons de concilier cette apparente contradiction.

Le mérite d’un ouvrage se compose de son utilité ou de son agrément, et même de tous deux, quand il en est susceptible : mais le succès, qui ne prouve pas toujours le mérite, tient souvent davantage au choix du sujet qu’à son exécution, à l’ensemble des objets qu’il présente, qu’à la manière dont ils sont traités. Or ce recueil contenant, comme son titre l’annonce, les lettres de toute une société, il y règne une diversité d’intérêts qui affaiblit celui du Lecteur. De plus, presque tous les sentiments qu’on y exprime, étant feints ou dissimulés, ne peuvent même exciter qu’un intérêt de curiosité toujours bien au dessous de celui de sentiment, qui, surtout, porte moins à l’indulgence et laisse d’autant plus apercevoir les fautes qui s’y trouvent dans les détails, que ceux-ci s’opposent sans cesse au seul désir qu’on veuille satisfaire.

Ces défauts sont peut-être rachetés, en partie, par une qualité qui tient de même à la nature de l’ouvrage : c’est la variété des styles, mérite qu’un auteur atteint difficilement, mais qui se présentait ici de lui-même et qui sauve au moins l’ennui de l’uniformité. Plusieurs personnes pourront compter encore pour quelque chose un assez grand nombre d’observations, ou nouvelles, ou peu connues, et qui se trouvent éparses dans ces lettres. C’est aussi là, je crois, tout ce qu’on y peut espérer d’agréments, en les jugeant même avec la plus grande faveur.

L’utilité de l’ouvrage, qui peut-être sera encore plus contestée, me paraît pourtant plus facile à établir. Il me semble au moins que c’est rendre un service aux mœurs, que de dévoiler les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces lettres pourront concourir efficacement à ce but. On y trouvera aussi la preuve et l’exemple de deux vérités importantes qu’on pourrait croire méconnues, en voyant combien peu elles sont pratiquées : l’une, que toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mœurs, finit par en devenir la victime ; l’autre, que toute mère est au moins imprudente, qui souffre qu’une autre qu’elle ait la confiance de sa fille. Les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, pourraient encore y apprendre que l’amitié que les personnes de mauvaises mœurs paraissent leur accorder si facilement, n’est jamais qu’un piège dangereux, et aussi fatal à leur bonheur qu’à leur vertu. Cependant l’abus, toujours si près du bien, me paraît ici trop à craindre ; et, loin de conseiller cette lecture à la jeunesse, il me paraît très important d’éloigner d’elle toutes celles de ce genre. L’époque où celle-ci peut cesser d’être dangereuse et devenir utile, me paraît avoir été très bien saisie, pour son sexe, par une bonne mère, qui non seulement a de l’esprit, mais qui a du bon esprit. « Je croirais », me disait-elle, après avoir lu le manuscrit de cette correspondance, « rendre un vrai service à ma fille, en lui donnant ce livre le jour de son mariage. » Si toutes les mères de famille en pensent ainsi, je me féliciterai éternellement de l’avoir publié.

Mais, en partant encore de cette supposition favorable, il me semble toujours que ce recueil doit plaire à peu de monde. Les hommes et les femmes dépravés auront intérêt à décrier un ouvrage qui peut leur nuire, et comme ils ne manquent pas d’adresse, peut-être auront-ils celle de mettre dans leur parti les rigoristes, alarmés par le tableau des mauvaises mœurs qu’on n’a pas craint de présenter.

Les prétendus esprits forts ne s’intéresseront point à une femme dévote, que par cela même ils regarderont comme une femmelette, tandis que les dévots se fâcheront de voir succomber la vertu et se plaindront que la Religion se montre avec trop peu de puissance.

D’un autre côté, les personnes d’un goût délicat seront dégoûtées par le style trop simple et trop fautif de plusieurs de ces lettres ; tandis que le commun des Lecteurs, séduit par l’idée que tout ce qui est imprimé est le fruit d’un travail, croira voir dans quelques autres la manière peinée d’un auteur qui se montre derrière le personnage qu’il fait parler.

Enfin on dira peut-être assez généralement, que chaque chose ne vaut qu’à sa place, et que si d’ordinaire le style trop châtié des auteurs ôte en effet de la grâce aux lettres de société, les négligences de celles-ci deviennent de véritables fautes, et les rendent insupportables quand on les livre à l’impression.

J’avoue avec sincérité que tous ces reproches peuvent être fondés : je crois aussi qu’il me serait possible d’y répondre, et même sans excéder la longueur d’une préface ; mais on doit sentir que pour qu’il fût nécessaire de répondre à tout, il faudrait que l’ouvrage ne pût répondre à rien; et que si j’en avais jugé ainsi, j’aurais supprimé à la fois la préface et le livre.

Lettre Première. Cécile Volanges à Sophie Carnay

aux Ursulines de…

Tu vois, ma bonne amie, que je te tiens parole, et que les bonnets et les pompons ne prennent pas tout mon temps ; il m’en restera toujours pour toi. J’ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journée que dans les quatre ans que nous avons passés ensemble, et je crois que la superbe Tanville[2 - Pensionnaire du même couvent.] aura plus de chagrin à ma première visite, où je compte bien la demander, qu’elle n’a cru nous en faire toutes les fois qu’elle est venue nous voir in fiocchi. Maman m’a consultée sur tout ; et elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passé. J’ai une femme de chambre à moi ; j’ai une chambre et un cabinet dont je dispose, et je t’écris à un secrétaire très joli, dont on m’a remis la clef, et où je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m’a dit que je la verrais tous les jours à son lever ; qu’il suffisait que je fusse coiffée pour dîner, parce que nous serions toujours seules, et qu’alors elle me dirait chaque jour l’heure où je devrais l’aller joindre l’après-midi. Le reste du temps est à ma disposition, et j’ai ma harpe, mon dessin, et des livres comme au couvent ; si ce n’est que la Mère Perpétue n’est pas là pour me gronder, et qu’il ne tiendrait qu’à moi d’être toujours sans rien faire : mais comme je n’ai pas ma Sophie pour causer et pour rire, j’aime autant m’occuper.

Il n’est pas encore cinq heures ; je ne dois aller retrouver Maman qu’à sept ; voilà bien du temps, si j’avais quelque chose à te dire ! Mais on ne m’a encore parlé de rien ; et sans les apprêts que je vois faire, et la quantité d’ouvrières qui viennent toutes pour moi, je croirais qu’on ne songe pas à me marier, et que c’est un radotage de plus de la bonne Joséphine[3 - Tourière du couvent.]. Cependant Maman m’a dit si souvent qu’une demoiselle devait rester au couvent jusqu’à ce qu’elle se mariât, que puisqu’elle m’en fait sortir, il faut bien que Joséphine ait raison.

Il vient d’arrêter un carrosse à la porte, et Maman me fait dire de passer chez elle, tout de suite. Si c’était le Monsieur ? Je ne suis pas habillée, la main me tremble et le cœur me bat. J’ai demandé à la femme de chambre, si elle savait qui était chez ma mère : « Vraiment, m’a-t-elle dit, c’est M. C***. » Et elle riait. Oh ! je crois que c’est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé. Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu’à un petit moment.

Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile ! Oh ! j’ai été bien honteuse ! Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez Maman, j’ai vu un Monsieur en noir, debout auprès d’elle. Je l’ai salué du mieux que j’ai pu, et suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l’examinais ! « Madame », a-t-il dit à ma mère, en me saluant, « voilà une charmante demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. » À ce propos si positif, il m’a pris un tremblement tel, que je ne pouvais me soutenir ; j’ai trouvé un fauteuil, et je m’y suis assise, bien rouge et bien déconcertée. J’y étais à peine, que voilà cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tête ; j’étais, comme a dit Maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant ; … tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d’un éclat de rire, en me disant : « Eh bien ! qu’avez-vous ? Asseyez-vous, et donnez votre pied à Monsieur. » En effet, ma chère amie, le Monsieur était un cordonnier : je ne peux te rendre combien j’ai été honteuse ; par bonheur il n’y avait que Maman. Je crois que quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce cordonnier-là.

Conviens que nous voilà bien savantes ! Adieu. Il est près de six heures, ma femme de chambre dit qu’il faut que je m’habille. Adieu, ma chère Sophie ; je t’aime comme si j’étais encore au couvent.

P. S. Je ne sais par qui envoyer ma lettre : ainsi j’attendrai que Joséphine vienne.

Paris, ce 3 août 17**.

Lettre II. La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont

Au château de…

Revenez, mon cher Vicomte, revenez : que faites-vous, que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les biens vous sont substitués ? Partez sur-le-champ ! j’ai besoin de vous. Il m’est venu une excellente idée, et je veux bien vous en confier l’exécution. Ce peu de mots devrait suffire ; et, trop honoré de mon choix, vous devriez venir, avec empressement, prendre mes ordres à genoux : mais vous abusez de mes bontés, même depuis que vous n’en usez plus ; et dans l’alternative d’une haine éternelle ou d’une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma bonté l’emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes projets : mais jurez-moi qu’en fidèle Chevalier, vous ne courrez aucune aventure que vous n’ayez mis celle-ci à fin. Elle est digne d’un héros : vous servirez l’amour et la vengeance ; ce sera enfin une rouerie[4 - Ces mots roué et rouerie, dont heureusement la bonne compagnie commence à se défaire, était fort en usage à l’époque où ces Lettres ont été écrites.] de plus à mettre dans vos Mémoires : oui, dans vos Mémoires, car je veux qu’ils soient imprimés un jour, et je me charge de les écrire. Mais laissons cela, et revenons à ce qui m’occupe.

Madame de Volanges marie sa fille : c’est encore un secret ! mais elle m’en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu’elle ait choisi pour gendre ? le Comte de Gercourt. Qui m’aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt ? J’en suis dans une fureur !… Eh bien ! vous ne devinez pas encore ? oh ! l’esprit lourd ! Lui avez-vous donc pardonné l’aventure de l’Intendante ? Et moi, n’ai-je pas encore plus à me plaindre de lui, monstre que vous êtes[5 - Pour entendre ce passage, il faut savoir que le Comte de Gercourt avait quitté la Marquise de Merteuil pour l’intendante de…, qui lui avait sacrifié le Vicomte de Valmont, et que c’est alors que la Marquise et le Vicomte s’attachèrent l’un à l’autre. Comme cette aventure est fort antérieure aux événements dont il est question dans ces Lettres, on a cru devoir en supprimer toute la correspondance.] ?

Mais je m’apaise, et l’espoir de me venger rassérène mon âme.

Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l’importance que met Gercourt à la femme qu’il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu’il évitera le sort inévitable. Vous connaissez sa ridicule prévention pour les éducations cloîtrées et son préjugé plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes. En effet, je gagerais que, malgré les soixante mille livres de rente de la petite Volanges, il n’aurait jamais fait ce mariage, si elle eût été brune, ou si elle n’eût pas été au couvent. Prouvons-lui donc qu’il n’est qu’un sot ; il le sera sans doute un jour ; ce n’est pas là ce qui m’embarrasse : mais le plaisant serait qu’il débutât par là. Comme nous nous amuserions le lendemain en l’entendant se vanter ! car il se vantera ; et puis, si une fois vous formez cette petite fille, il y aura bien du malheur si le Gercourt ne devient pas, comme un autre, la fable de Paris.

Au reste, l’Héroïne de ce nouveau roman mérite tous vos soins :elle est vraiment jolie ! cela n’a que quinze ans, c’est le bouton de rose ; gauche, à la vérité, comme on ne l’est point, et nullement maniérée : mais, vous autres hommes, vous ne craignez pas cela ; de plus, un certain regard langoureux qui promet beaucoup en vérité ; ajoutez-y que je vous la recommande ; vous n’avez plus qu’à me remercier et m’obéir.

Vous recevrez cette lettre demain matin. J’exige que demain, à sept heures du soir, vous soyez chez moi. Je ne recevrai personne qu’à huit, pas même le régnant Chevalier : il n’a pas assez de tête pour une si grande affaire. Vous voyez que l’amour ne m’aveugle pas. À huit heures je vous rendrai votre liberté, et vous reviendrez à dix souper avec le bel objet ; car la mère et la fille souperont chez moi. Adieu, il est midi passé : bientôt je ne m’occuperai plus de vous.

Paris, ce 4 août 17**.

Lettre III. Cécile Volanges à Sophie Carnay

Je ne sais encore rien, ma bonne amie. Maman avait hier beaucoup de monde à souper. Malgré l’intérêt que j’avais à examiner, les hommes surtout, je me suis fort ennuyée. Hommes et femmes, tout le monde m’a beaucoup regardée, et puis on se parlait à l’oreille ; et je voyais bien qu’on parlait de moi : cela me faisait rougir ; je ne pouvais m’en empêcher. Je l’aurais bien voulu, car j’ai remarqué que quand on regardait les autres femmes, elles ne rougissaient pas ; ou bien c’est le rouge qu’elles mettent, qui empêche de voir celui que l’embarras leur cause ; car il doit être bien difficile de ne pas rougir quand un homme vous regarde fixement.

Ce qui m’inquiétait le plus était de ne pas savoir ce qu’on pensait sur mon compte. Je crois avoir entendu pourtant deux ou trois fois le mot de jolie ; mais j’ai entendu bien distinctement celui de gauche ; et il faut que cela soit bien vrai, car la femme qui le disait est parente et amie de ma mère ; elle paraît même avoir pris tout de suite de l’amitié pour moi. C’est la seule personne qui m’ait un peu parlé dans la soirée. Nous souperons demain chez elle.

J’ai encore entendu, après souper, un homme que je suis sûre qui parlait de moi, et qui disait à un autre : « Il faut laisser mûrir cela, nous verrons cet hiver. » C’est peut-être celui-là qui doit m’épouser ; mais alors ce ne serait donc que dans quatre mois ! Je voudrais bien savoir ce qui en est.

Voilà Joséphine, et elle me dit qu’elle est pressée. Je veux pourtant te raconter encore une de mes gaucheries. Oh ! je crois que cette dame a raison.

Après le souper on s’est mis à jouer. Je me suis placée auprès de Maman ; je ne sais pas comment cela s’est fait, mais je me suis endormie presque tout de suite. Un grand éclat de rire m’a réveillée. Je ne sais si l’on riait de moi, mais je le crois. Maman m’a permis de me retirer, et elle m’a fait grand plaisir. Figure-toi qu’il était onze heures passées. Adieu, ma chère Sophie ; aime toujours bien ta Cécile. Je t’assure que le monde n’est pas aussi amusant que nous l’imaginions.

Paris, ce 4 août 17**.

Lettre IV. Le Vicompte Valmont à la Marquise de Merteuil à Paris

Vos ordres sont charmants ; votre façon de les donner est plus aimable encore ; vous feriez chérir le despotisme. Ce n’est pas la première fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus être votre esclave ; et tout monstre que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps où vous m’honoriez de noms plus doux. Souvent même je désire de les mériter de nouveau, et de finir par donner, avec vous, un exemple de constance au monde. Mais de plus grands intérêts nous appellent ; conquérir est notre destin ; il faut le suivre : peut-être au bout de la carrière nous rencontrerons-nous encore ; car, soit dit sans vous fâcher, ma très belle Marquise, vous me suivez au moins d’un pas égal, et depuis que, nous séparant pour le bonheur du monde, nous prêchons la foi chacun de notre côté, il me semble que dans cette mission d’amour, vous avez fait plus de prosélytes que moi. Je connais votre zèle, votre ardente ferveur ; et si ce Dieu-là nous jugeait sur nos Œuvres, vous seriez un jour la Patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami serait au plus un Saint de village. Ce langage vous étonne, n’est-il pas vrai ? Mais depuis huit jours, je n’en entends, je n’en parle pas d’autre ; et c’est pour m’y perfectionner, que je me vois forcé de vous désobéir.

Ne vous fâchez pas et écoutez-moi. Dépositaire de tous les secrets de mon cœur, je vais vous confier le plus grand projet que j’aie jamais formé. Que me proposez-vous ? de séduire une jeune fille qui n’a rien vu, ne connaît rien ; qui, pour ainsi dire, me serait livrée sans défense ; qu’un premier hommage ne manquera pas d’enivrer, et que la curiosité mènera peut-être plus vite que l’amour. Vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il n’en est pas ainsi de l’entreprise qui m’occupe ; son succès m’assure autant de gloire que de plaisir. L’amour qui prépare ma couronne hésite lui-même entre le myrte et le laurier, ou plutôt il les réunira pour honorer mon triomphe. Vous-même, ma belle amie, vous serez saisie d’un saint respect, et vous direz avec enthousiasme : « Voilà l’homme selon mon cœur. »

Vous connaissez la Présidente de Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austères. Voilà ce que j’attaque ; voilà l’ennemi digne de moi ; voilà le but où je prétends atteindre :

Et si de l’obtenir je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.

On peut citer de mauvais vers, quand ils sont d’un grand poëte[6 - La Fontaine.].

Vous saurez donc que le président est en Bourgogne, à la suite d’un grand procès (j’espère lui en faire perdre un plus important). Son inconsolable moitié doit passer ici tout le temps de cet affligeant veuvage. Une messe chaque jour, quelques visites aux pauvres du canton, des prières du matin au soir, des promenades solitaires, de pieux entretiens avec ma vieille tante, et quelquefois un triste wist, devaient être ses seules distractions. Je lui en prépare de plus efficaces. Mon bon ange m’a conduit ici, pour son bonheur et pour le mien. Insensé ! je regrettais vingt-quatre heures que je sacrifiais à des égards d’usage. Combien on me punirait en me forçant de retourner à Paris ! Heureusement il faut être quatre pour jouer au whist ; et, comme il n’y a ici que le curé du lieu, mon éternelle tante m’a beaucoup pressé de lui sacrifier quelques jours. Vous devinez que j’ai consenti. Vous n’imaginez pas combien elle me cajole depuis ce moment, combien surtout elle est édifiée de me voir régulièrement à ses prières et à sa messe. Elle ne se doute pas de la divinité que j’y adore.

Me voilà donc, depuis quatre jours, livré à une passion forte. Vous savez si je désire vivement, si je dévore les obstacles : mais ce que vous ignorez, c’est combien la solitude ajoute à l’ardeur du désir. Je n’ai plus qu’une idée ; j’y pense le jour, et j’y rêve la nuit. J’ai bien besoin d’avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d’en être amoureux : car où ne mène pas un désir contrarié ! O délicieuse jouissance ! je t’implore pour mon bonheur et surtout pour mon repos. Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal ! nous ne serions auprès d’elles que de timides esclaves. J’ai dans ce moment un sentiment de reconnaissance pour les femmes faciles, qui m’amène naturellement à vos pieds. Je m’y prosterne pour obtenir mon pardon, et j’y finis cette trop longue lettre. Adieu, ma très belle amie : sans rancune.

Du château de…, ce 5 août 17**.

Lettre V. La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont

Savez-vous, Vicomte, que votre lettre est d’une insolence rare, et qu’il n’a tiendrait qu’à moi de m’en fâcher ? mais elle m’a prouvé clairement que vous aviez perdu la tête, et cela seul vous a sauvé de mon indignation. Amie généreuse et sensible, j’oublie mon injure pour ne m’occuper que de votre danger ; et quelque ennuyeux qu’il soit de raisonner, je cède au besoin que vous en avez dans ce moment.

Vous, avoir la Présidente de Tourvel ! mais quel ridicule caprice ! Je reconnais bien là votre mauvaise tête, qui ne sait désirer que ce qu’elle croit ne pas pouvoir obtenir. Qu’est-ce donc que cette femme ? des traits réguliers si vous voulez, mais nulle expression : passablement faite, mais sans grâce ; toujours mise à faire rire, avec ses paquets de fichus sur la gorge, et son corps qui remonte au menton ! Je vous le dis en amie, il ne vous faudrait pas deux femmes comme celle-là, pour vous faire perdre toute votre considération. Rappelez-vous donc ce jour où elle quêtait à Saint-Roch, et où vous me remerciâtes tant de vous avoir procuré ce spectacle. Je crois la voir encore, donnant la main à ce grand échalas en cheveux longs, prête à tomber à chaque pas, ayant toujours son panier de quatre aunes sur la tête de quelqu’un, et rougissant à chaque révérence. Qui vous eût dit alors, vous désirerez cette femme ? Allons, Vicomte, rougissez vous-même, et revenez à vous. Je vous promets le secret.

Et puis, voyez donc les désagréments qui vous attendent ! quel rival avez-vous à combattre ? un mari ! Ne vous sentez-vous pas humilié à ce seul mot ! Quelle honte si vous échouez ! et même combien peu de gloire dans le succès ! Je dis plus ; n’en espérez aucun plaisir. En est-il avec les prudes ? j’entends celles de bonne foi : réservées au sein même du plaisir, elles ne vous offrent que des demi-jouissances. Cet entier abandon de soi-même, ce délire de la volupté où le plaisir s’épure par son excès, ces biens de l’amour ne sont pas connus d’elles. Je vous le prédis ; dans la plus heureuse supposition, votre Présidente croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme son mari, et dans le tête-à-tête conjugal le plus tendre, on reste toujours deux. Ici c’est bien pis encore ; votre prude est dévote, et de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-être surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire : vainqueur de l’amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du diable ; et quand, tenant votre maîtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cœur, ce sera de crainte et non d’amour. Peut-être, si vous eussiez connu cette femme plus tôt, en eussiez-vous pu faire quelque chose ; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a près de deux qu’elle est mariée. Croyez-moi, Vicomte, quand une femme s’est encroûtée à ce point, il faut l’abandonner à son sort ; ce ne sera jamais qu’une espèce.

C’est pourtant pour ce bel objet que vous refusez de m’obéir, que vous vous enterrez dans le tombeau de votre tante, et que vous renoncez à l’aventure la plus délicieuse et la plus faite pour vous faire honneur. Par quelle fatalité faut-il donc que Gercourt garde toujours quelque avantage sur vous ? Tenez, je vous en parle sans humeur : mais, dans ce moment, je suis tentée de croire que vous ne méritez pas votre réputation ; je suis tentée surtout de vous retirer ma confiance. Je ne m’accoutumerai jamais à dire mes secrets à l’amant de Madame de Tourvel.

Sachez pourtant que la petite Volanges a déjà fait tourner une tête. Le jeune Danceny en raffole. Il a chanté avec elle ; et en effet elle chante mieux qu’à une pensionnaire n’appartient. Ils doivent répéter beaucoup de duos, et je crois qu’elle se mettrait volontiers à l’unisson. Mais ce Danceny est un enfant qui perdra son temps à faire l’amour, et ne finira rien. La petite personne de son côté est très farouche ; et, à tout événement, cela sera toujours beaucoup moins plaisant que vous n’auriez pu le rendre : aussi j’ai de l’humeur, et sûrement je querellerai le Chevalier à son arrivée. Je lui conseille d’être doux, car, dans ce moment, il ne m’en coûterait rien de rompre avec lui. Je suis sûre que si j’avais le bon esprit de le quitter à présent, il en serait au désespoir ; et rien ne m’amuse comme un désespoir amoureux. Il m’appellerait perfide, et ce mot de perfide m’a toujours fait plaisir ; c’est, après celui de cruelle, le plus doux à l’oreille d’une femme, et il est moins pénible à mériter. Sérieusement je vais m’occuper de cette rupture. Voilà pourtant de quoi vous êtes cause ! aussi je le mets sur votre conscience. Adieu. Recommandez-moi aux prières de votre Présidente.

Paris, ce 7 août 17**.

Lettre VI. Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil

Il n’est donc point de femme qui n’abuse de l’empire qu’elle a su prendre ! Et vous-même, vous que je nommai si souvent mon indulgente amie, vous cessez enfin de l’être et vous ne craignez pas de m’attaquer dans l’objet de mes affections ! De quels traits vous osez peindre Madame de Tourvel !… quel homme n’eût point payé de sa vie cette insolente audace ? à quelle autre femme qu’à vous n’eût-elle pas valu au moins une noirceur ? De grâce, ne me mettez plus à d’aussi rudes épreuves ; je ne répondrais pas de les soutenir. Au nom de l’amitié, attendez que j’aie eu cette femme, si vous voulez en médire. Ne savez-vous pas que la seule volupté a le droit de détacher le bandeau de l’amour ?

Mais que dis-je ? Madame de Tourvel a-t-elle besoin d’illusion ? non ; pour être adorable il lui suffit d’être elle-même. Vous lui reprochez de se mettre mal ; je le crois bien, toute parure lui nuit ; tout ce qui la cache la dépare. C’est dans l’abandon du négligé qu’elle est vraiment ravissante. Grâce aux chaleurs accablantes que nous éprouvons, un déshabillé de simple toile me laisse voir sa taille ronde et souple. Une seule mousseline couvre sa gorge ; et mes regards furtifs, mais pénétrants, en ont déjà saisi les formes enchanteresses. Sa figure, dites-vous, n’a nulle expression. Et qu’exprimerait-elle, dans les moments où rien ne parle à son cœur ? Non, sans doute, elle n’a point, comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit quelquefois et nous trompe toujours. Elle ne sait pas couvrir le vide d’une phrase par un sourire étudié ; et quoiqu’elle ait les plus belles dents du monde, elle ne rit que de ce qui l’amuse. Mais il faut voir comme, dans les folâtres jeux, elle offre l’image d’une gaîté naïve et franche ! comme, auprès d’un malheureux qu’elle s’empresse de secourir, son regard annonce la joie pure et la bonté compâtissante ! Il faut voir, surtout au moindre mot d’éloge ou de cajolerie, se peindre, sur sa figure céleste, ce touchant embarras d’une modestie qui n’est point jouée. Elle est prude et dévote, et de là vous la jugez froide et inanimée. Je pense bien différemment. Quelle étonnante sensibilité ne faut-il pas avoir pour la répandre jusque sur son mari, et pour aimer toujours un être toujours absent ! Quelle preuve plus forte pourriez-vous désirer ? J’ai su pourtant m’en procurer une autre.

J’ai dirigé sa promenade de manière qu’il s’est trouvé un fossé à franchir ; et, quoique fort leste, elle est encore plus timide : vous jugez bien qu’une prude craint de sauter le fossé[7 - On reconnaît ici le mauvais goût des calembours qui commençait à prendre et qui, depuis a fait tant de progrès.]. Il a fallu se confier à moi. J’ai tenu dans mes bras cette femme modeste. Nos préparatifs et le passage de ma vieille tante avaient fait rire aux éclats la folâtre dévote : mais dès que je me fus emparé d’elle, par une adroite gaucherie, nos bras s’entrelacèrent mutuellement. Je pressai son sein contre le mien ; et, dans ce court intervalle, je sentis son cœur battre plus vite. L’aimable rougeur vint colorer son visage, et son modeste embarras m’apprit assez que son cœur avait palpité d’amour et non de crainte. Ma tante, cependant, s’y trompa comme vous et se mit à dire : « L’enfant a eu peur ; » mais la charmante candeur de l’enfant ne lui permit pas le mensonge, et elle répondit naïvement : « Oh non, mais… » Ce seul mot m’a éclairé. Dès ce moment, le doux espoir a remplacé la cruelle inquiétude. J’aurai cette femme ; je l’enlèverai au mari qui la profane : j’oserai la ravir au Dieu même qu’elle adore. Quel délice d’être tour à tour l’objet et le vainqueur de ses remords ! Loin de moi l’idée de détruire les préjugés qui l’assiègent ! ils ajouteront à mon bonheur et à ma gloire. Qu’elle croie à la vertu, mais qu’elle me la sacrifie ; que ses fautes l’épouvantent sans pouvoir l’arrêter, et, qu’agitée de mille terreurs, elle ne puisse les oublier, les vaincre que dans mes bras. Qu’alors, j’y consens, elle me dise : « Je t’adore » ; elle seule, entre toutes les femmes, sera digne de prononcer ce mot. Je serai vraiment le dieu qu’elle aura préféré.

Soyons de bonne foi ; dans nos arrangements, aussi froids que faciles, ce que nous appelons bonheur est à peine un plaisir. Vous le dirai-je ? je croyais mon cœur flétri ; et ne me trouvant plus que des sens, je me plaignais d’une vieillesse prématurée. Mme de Tourvel m’a rendu les charmantes illusions de la jeunesse. Auprès d’elle je n’ai pas besoin de jouir pour être heureux. La seule chose qui m’effraie est le temps que va me prendre cette aventure ; car je n’ose rien donner au hasard. J’ai beau me rappeler mes heureuses témérités, je ne puis me résoudre à les mettre en usage. Pour que je sois vraiment heureux, il faut qu’elle se donne ; et ce n’est pas une petite affaire.

Je suis sûr que vous admireriez ma prudence. Je n’ai pas encore prononcé le mot d’amour ; mais déjà nous en sommes à ceux de confiance et d’intérêt. Pour la tromper le moins possible, et surtout pour prévenir l’effet des propos qui pourraient lui revenir, je lui ai raconté moi-même, et comme en m’accusant, quelques-uns de mes traits les plus connus. Vous ririez de voir avec quelle candeur elle me prêche. Elle veut, dit-elle, me convertir. Elle ne se doute pas encore de ce qu’il lui en coûtera pour le tenter. Elle est loin de penser qu’en plaidant, pour parler comme elle, pour les infortunées que j’ai perdues, elle parle d’avance dans sa propre cause. Cette idée me vint hier au milieu d’un de ses sermons, et je ne pus me refuser au plaisir de l’interrompre, pour l’assurer qu’elle parlait comme un prophète. Adieu, ma très belle amie. Vous voyez que je ne suis pas perdu sans ressource.

P. S. À propos, ce pauvre Chevalier s’est-il tué de désespoir ? En vérité, vous êtes cent fois plus mauvais sujet que moi, et vous m’humilieriez, si j’avais de l’amour-propre.

Du château de…, ce 9 août 17**.

Lettre VII. Cécile Volanges à Sophie Carnay[8 - Pour ne pas abuser de la patience du lecteur, on supprime beaucoup de lettres de cette correspondance journalière ; on ne donne que celles qui ont paru nécessaires à l'intelligence des événements de cette société. C'est par le même motif qu'on supprime aussi toutes les lettres de Sophie Carnay, et plusieurs de celles des acteurs de ces aventures.]

Si je ne t’ai rien dit de mon mariage, c’est que je ne suis pas plus instruite que le premier jour. Je m’accoutume à n’y plus penser, et je me trouve assez bien de mon genre de vie. J’étudie beaucoup mon chant et ma harpe ; il me semble que je les aime mieux depuis que je n’ai plus de maître : ou plutôt c’est que j’en ai un meilleur. M. le Chevalier Danceny, ce Monsieur dont je t’ai parlé, et avec qui j’ai chanté chez Mme de Merteuil, a la complaisance de venir ici tous les jours et de chanter avec moi des heures entières. Il est extrêmement aimable. Il chante comme un ange, et compose de très jolis airs dont il fait aussi les paroles. C’est bien dommage qu’il soit Chevalier de Malte ! Il me semble que s’il se mariait, sa femme serait bien heureuse… Il a une douceur charmante. Il n’a jamais l’air de faire un compliment, et pourtant tout ce qu’il dit flatte. Il me reprend sans cesse, tant sur la musique que sur autre chose : mais il mêle à ses critiques tant d’intérêt et de gaieté, qu’il est impossible de ne pas lui en savoir gré. Seulement quand il vous regarde, il a l’air de vous dire quelque chose d’obligeant. Il joint à tout cela d’être très complaisant. Par exemple, hier, il était prié d’un grand concert ; il a préféré de rester toute la soirée chez Maman. Cela m’a bien fait plaisir ; car, quand il n’y est pas, personne ne me parle, et je m’ennuie ; au lieu que quand il y est, nous chantons et nous causons ensemble. Il a toujours quelque chose à me dire. Lui et Madame de Merteuil sont les deux seules personnes que je trouve aimables. Mais adieu, ma chère amie : j’ai promis que je saurais pour aujourd’hui une ariette dont l’accompagnement est très difficile, et je ne veux pas manquer de parole. Je vais me remettre à l’étude jusqu’à ce qu’il vienne.

De…, ce 7 août 17**.

Lettre VIII. La Présidente de Tourvel à Madame de Volanges

On ne peut être plus sensible que je le suis, Madame, à la confiance que vous me témoignez, ni prendre plus d’intérêt que moi à l’établissement de Mademoiselle de Volanges. C’est bien de toute mon âme que je lui souhaite une félicité dont je ne doute pas qu’elle ne soit digne et sur laquelle je m’en rapporte bien à votre prudence. Je ne connais point M. le Comte de Gercourt ; mais, honoré de votre choix, je ne puis prendre de lui qu’une idée très avantageuse. Je me borne, Madame, à souhaiter à ce mariage un succès aussi heureux qu’au mien, qui est pareillement votre ouvrage, et pour lequel chaque jour ajoute à ma reconnaissance. Que le bonheur de Mademoiselle votre fille soit la récompense de celui que vous m’avez procuré ; et puisse la meilleure des amies être aussi la plus heureuse des mères !

Je suis vraiment peinée de ne pouvoir vous offrir de vive voix l’hommage de ce vœu sincère, et faire, aussitôt que je le désirerais, connaissance avec Mademoiselle de Volanges. Après avoir éprouvé vos bontés vraiment maternelles, j’ai droit d’espérer d’elle l’amitié tendre d’une sœur. Je vous prie, Madame, de vouloir bien la lui demander de ma part, en attendant que je me trouve à portée de la mériter.

Je compte rester à la campagne tout le temps de l’absence de M. de Tourvel. J’ai pris ce temps pour jouir et profiter de la société de la respectable Madame de Rosemonde. Cette femme est toujours charmante : son grand âge ne lui fait rien perdre ; elle conserve toute sa mémoire et sa gaieté. Son corps seul a quatre-vingt-quatre ans ; son esprit n’en a que vingt.

Notre retraite est égayée par son neveu le Vicomte de Valmont, qui a bien voulu nous sacrifier quelques jours. Je ne le connaissais que de réputation, et elle me faisait peu désirer de le connaître davantage ; mais il me semble qu’il vaut mieux qu’elle. Ici, où le tourbillon du monde ne le gâte pas, il parle raison avec une facilité étonnante, et il s’accuse de ses torts avec une candeur rare. Il me parle avec beaucoup de confiance, et je le prêche avec beaucoup de sévérité. Vous qui le connaissez, vous conviendrez que ce serait une belle conversion à faire : mais je ne doute pas, malgré ses promesses, que huit jours de Paris ne lui fassent oublier tous mes sermons. Le séjour qu’il fera ici sera au moins autant de retranché sur sa conduite ordinaire ; et je crois que, d’après sa façon de vivre, ce qu’il peut faire de mieux est de ne rien faire du tout. Il sait que je suis occupée à vous écrire, et il m’a chargée de vous présenter ses respectueux hommages. Recevez aussi le mien avec la bonté que je vous connais, et ne doutez jamais des sentiments sincères avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

Du château de…, ce 9 août 17**.

Lettre IX. Madame de Volanges à la Présidente de Tourvel

Je n’ai jamais douté, ma jeune et belle amie, ni de l’amitié que vous avez pour moi, ni de l’intérêt sincère que vous prenez à tout ce qui me regarde. Ce n’est pas pour éclaircir ce point, que j’espère convenu à jamais entre nous, que je réponds à votre réponse : mais je ne crois pas pouvoir me dispenser de causer avec vous au sujet du Vicomte de Valmont.

Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à trouver jamais ce nom-là dans vos lettres. En effet, que peut-il y avoir de commun entre vous et lui ? Vous ne connaissez pas cet homme ; où auriez-vous pris l’idée de l’âme d’un libertin ? Vous me parlez de sa rare candeur : oh ! oui ; la candeur de Valmont doit être en effet très rare. Encore plus faux et dangereux qu’il n’est aimable et séduisant, jamais, depuis sa plus grande jeunesse, il n’a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n’eut un projet qui ne fût malhonnête ou criminel. Mon amie, vous me connaissez ; vous savez si, des vertus que je tâche d’acquérir, l’indulgence n’est pas celle que je chéris le plus. Aussi, si Valmont était entraîné par des passions fougueuses ; si, comme mille autres, il était séduit par les erreurs de son âge, blâmant sa conduite, je plaindrais sa personne, et j’attendrais, en silence, le temps où un retour heureux lui rendrait l’estime des gens honnêtes. Mais Valmont n’est pas cela : sa conduite est le résultat de ses principes. Il sait calculer tout ce qu’un homme peut se permettre d’horreurs sans se compromettre, et pour être cruel et méchant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes. Je ne m’arrête pas à compter celles qu’il a séduites : mais combien n’en a-t-il pas perdues !

Dans la vie sage et retirée que vous menez, ces scandaleuses aventures ne parviennent pas jusqu’à vous. Je pourrais vous en raconter qui vous feraient frémir ; mais vos regards, purs comme votre âme, seraient souillés par de semblables tableaux : sûre que Valmont ne sera jamais dangereux pour vous, vous n’avez pas besoin de pareilles armes pour vous défendre. La seule chose que j’ai à vous dire, c’est que de toutes les femmes auxquelles il a rendu des soins, succès ou non, il n’en est point qui n’aient eu à s’en plaindre. La seule Marquise de Merteuil fait exception à cette règle générale ; seule elle a su lui résister et enchaîner sa méchanceté. J’avoue que ce trait de sa vie est celui qui lui fait le plus d’honneur à mes yeux : aussi a-t-il suffi pour la justifier pleinement aux yeux de tous, de quelques inconséquences qu’on avait à lui reprocher dans le début de son veuvage[9 - L’erreur où est Madame de Volanges nous fait voir qu’ainsi que les autres scélérats, Valmont ne décelait pas ses complices.].

Quoi qu’il en soit, ma belle amie, ce que l’âge, l’expérience, et surtout l’amitié, m’autorisent à vous représenter, c’est qu’on commence à s’apercevoir dans le monde de l’absence de Valmont ; et que si on sait qu’il soit resté quelque temps en tiers entre sa tante et vous, votre réputation sera entre ses mains ; malheur le plus grand qui puisse arriver à une femme. Je vous conseille donc d’engager sa tante à ne pas le retenir davantage ; et s’il s’obstine à rester, je crois que vous ne devez pas hésiter à lui céder la place. Mais pourquoi resterait-il ? que fait-il donc à cette campagne ? Si vous faisiez épier ses démarches, je suis sûre que vous découvririez qu’il n’a fait que prendre un asile plus commode, pour quelques noirceurs qu’il médite dans les environs. Mais, dans l’impossibilité de remédier au mal, contentons-nous de nous en garantir.

Adieu, ma belle amie ; voilà le mariage de ma fille un peu retardé. Le Comte de Gercourt, que nous attendions d’un jour à l’autre, me mande que son régiment passe en Corse ; et comme il y a encore des mouvements de guerre, il lui sera impossible de s’absenter avant l’hiver. Cela me contrarie ; mais cela me fait espérer que nous aurons le plaisir de vous voir à la noce, et j’étais fâchée qu’elle se fît sans vous. Adieu ; je suis, sans compliment comme sans réserve, entièrement à vous.

P. S. Rappelez-moi au souvenir de Mme de Rosemonde, que j’aime toujours autant qu’elle le mérite.

De…, ce 11 août 17**.

Lettre X. La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont

Me boudez-vous, Vicomte ? ou bien êtes-vous mort ? ou, ce qui y ressemblerait beaucoup, ne vivez-vous plus que pour votre Présidente ? Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse, vous en rendra bientôt aussi les ridicules préjugés. Déjà vous voilà timide et esclave ; autant vaudrait être amoureux. Vous renoncez à vos heureuses témérités. Vous voilà donc vous conduisant sans principes et donnant tout au hasard, ou plutôt au caprice. Ne vous souvient-il plus que l’amour est, comme la médecine, seulement l’art d’aider à la nature ? Vous voyez que je vous bats avec vos armes ; mais je n’en prendrai pas d’orgueil ; car c’est bien battre un homme à terre. Il faut qu’elle se donne, me dites-vous : eh ! sans doute, il le faut ; aussi se donnera-t-elle comme les autres, avec cette différence que ce sera de mauvaise grâce. Mais, pour qu’elle finisse par se donner, le vrai moyen est de commencer par la prendre. Que cette ridicule distinction est bien un vrai déraisonnement de l’amour ! Je dis l’amour ; car vous êtes amoureux. Vous parler autrement, ce serait vous trahir ; ce serait vous cacher votre mal. Dites-moi donc, amant langoureux, ces femmes que vous avez eues ; croyez-vous les avoir violées ? Mais, quelque envie qu’on ait de se donner, quelque pressée que l’on en soit, encore faut-il un prétexte ; et y en a-t-il de plus commode pour nous, que celui qui nous donne l’air de céder à la force ? Pour moi, je l’avoue, une des choses qui me flattent le plus, est une attaque vive et bien faite, où tout se succède avec ordre, quoique avec rapidité ; qui ne nous met jamais dans ce pénible embarras de réparer nous-mêmes une gaucherie dont au contraire nous aurions dû profiter ; qui sait garder l’air de la violence jusque dans les choses que nous accordons, et flatter avec adresse nos deux passions favorites, la gloire de la défense et le plaisir de la défaite. Je conviens que ce talent, plus rare que l’on ne croit, m’a toujours fait plaisir, même alors qu’il ne m’a pas séduite, et que quelquefois il m’est arrivé de me rendre, uniquement comme récompense. Telle, dans nos anciens tournois, la beauté donnait le prix de la valeur et de l’adresse.

Mais vous, vous qui n’êtes plus vous, vous vous conduisez comme si vous aviez peur de réussir. Eh ! depuis quand voyagez-vous à petites journées et par des chemins de traverse ? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste et la grande route ! Mais laissons ce sujet qui me donne d’autant plus d’humeur qu’il me prive du plaisir de vous voir. Au moins écrivez-moi plus souvent que vous ne faites, et mettez-moi au courant de vos progrès. Savez-vous que voilà plus de quinze jours que cette ridicule aventure vous occupe, et que vous négligez tout le monde.

À propos de négligence, vous ressemblez aux gens qui envoient régulièrement savoir des nouvelles de leurs amis malades, mais qui ne se font jamais rendre la réponse. Vous finissez votre dernière lettre par me demander si le Chevalier est mort. Je ne réponds pas, et vous ne vous en inquiétez pas davantage. Ne savez-vous plus que mon amant est votre ami-né ? Mais rassurez-vous, il n’est point mort ; ou s’il l’était, ce serait de l’excès de sa joie. Ce pauvre Chevalier, comme il est tendre ! comme il est fait pour l’amour ! comme il sait sentir vivement ! la tête m’en tourne. Sérieusement, le bonheur parfait qu’il trouve à être aimé de moi, m’attache véritablement à lui.

Ce même jour, où je vous écrivais que j’allais travailler à notre rupture, combien je le rendis heureux ! Je m’occupais pourtant tout de bon des moyens de le désespérer, quand on me l’annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espérait passer deux heures avec moi, avant celle où ma porte serait ouverte à tout le monde. Je lui dis que j’allais sortir : il me demanda où j’allais ; je refusai de le lui apprendre. Il insista : Où vous ne serez pas, repris-je avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pétrifié de cette réponse ; car s’il eût dit un mot, il s’ensuivait immanquablement une scène qui eût amené la rupture que j’avais projetée. Étonnée de son silence, je jetai les yeux sur lui, sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu’il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure cette même tristesse à la fois profonde et tendre à laquelle vous-même êtes convenu qu’il était si difficile de résister. La même cause produisit le même effet ; je fus vaincue une seconde fois. Dès ce moment, je ne m’occupai plus que des moyens d’éviter qu’il pût me trouver un tort. « Je sors pour affaire, lui dis-je avec un air un peu plus doux, et même cette affaire vous regarde ; mais ne m’interrogez pas. Je souperai chez moi, revenez, et vous serez instruit. » Alors il retrouva la parole ; mais je ne lui permis pas d’en faire usage. « Je suis très pressée, continuai-je : laissez-moi ; à ce soir. » Il baisa ma main et sortit.

Aussitôt, pour le dédommager, peut-être aussi pour me dédommager moi-même, je me décide à lui faire connaître ma petite maison dont il ne se doutait pas. J’appelle ma fidèle Victoire. J’ai ma migraine ; je me couche pour tous mes gens ; et, restée enfin seule avec la véritable, tandis qu’elle se travestit en laquais, je fais une toilette de femme de chambre. Elle fait ensuite venir un fiacre à la porte de mon jardin, et nous voilà parties. Arrivée dans ce temple de l’amour, je choisis le déshabillé le plus galant. Celui-ci est délicieux, il est de mon invention : il ne laisse rien voir, et pourtant fait tout deviner. Je vous en promets un modèle pour votre Présidente, quand vous l’aurez rendue digne de le porter.

Après ces préparatifs, pendant que Victoire s’occupe des autres détails, je lis un chapitre du Sopha, une lettre d’Héloïse et deux contes de La Fontaine, pour recorder les différents tons que je voulais prendre. Cependant mon Chevalier arrive à ma porte, avec l’empressement qu’il a toujours. Mon Suisse la lui refuse, et lui apprend que je suis malade : premier incident. Il lui remet en même temps un billet de moi, mais non de mon écriture, suivant ma prudente règle. Il l’ouvre, et y trouve, de la main de Victoire : « À neuf heures précises, au Boulevard, devant les Cafés. » Il s’y rend ; et là, un petit Laquais qu’il ne connaît pas, qu’il croit au moins ne pas connaître, car c’était toujours Victoire, vient lui annoncer qu’il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui échauffait la tête d’autant, et la tête échauffée ne nuit à rien. Il arrive enfin, et la surprise et l’amour causaient en lui un véritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet ; puis je le ramène vers la maison. Il voit d’abord deux couverts mis ; ensuite un lit fait. Nous passons jusqu’au boudoir, qui était dans toute sa parure. Là, moitié réflexion, moitié sentiment, je passai mes bras autour de lui et me laissai tomber à ses genoux. « Ô mon ami, lui dis-je, pour vouloir te ménager la surprise de ce moment, je me reproche de t’avoir affligé par l’apparence de l’humeur, d’avoir pu un instant voiler mon cœur à tes regards. Pardonne-moi mes torts : je veux les expier à force d’amour. » Vous jugez de l’effet de ce discours sentimental. L’heureux Chevalier me releva, et mon pardon fut scellé sur cette même ottomane où vous et moi scellâmes si gaiement et de la même manière notre éternelle rupture.