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La Cité Ravagée
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La Cité Ravagée

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"Messieurs, je déteste mettre fin à l’évocation de vos souvenirs mais on dirait bien que les marécages sont de retour."

Dagra regarda devant eux et vit qu'elle avait raison. Sa détermination vacilla. Bien que le brouillard des marais se dissipât, les signes annonciateurs d'un sol infesté de tourbières étaient visibles non seulement sur leur gauche mais aussi devant eux, faisant obstacle à leur chemin. À un demi-kilomètre de distance, une ligne vert sombre de conifères marquait le retour de la terre ferme. "Si on continue vers l'ouest, peut-être que les marécages rétréciront aux abords du littoral."

"Voilà qui est bien dit." Oriken donna une tape sur l'épaule de Dagra. "On trouvera un chemin. On finit toujours par trouver. Pas vrai ?"

"Ouais", grogna Dagra. "On finit toujours par trouver."

Ils finirent par trouver ce qu'ils cherchaient juste à l'approche du littoral. À cinq cents mètre le long du marais, ils trouvèrent un passage à gué fait de troncs d'arbres à demi-engloutis qui avaient été jetés sur la surface en rangées de trois.

"Eh bien, voilà !" dit Oriken avec un sourire. "Quelqu'un a eu une généreuse idée."

"Les dieux en soient remerciés," dit Dagra. "Mais je ne vais pas rester à attendre qui a fait ça." Il posa un pied sur le premier tronc à demi-submergé pour tester sa stabilité. "Ça m'a l'air assez ferme." Il avança de quelques pas, trouva son équilibre, puis se dirigea vers le tronc suivant.

Jalis sauta avec légèreté sur le morceau de bois. "Ce passage a l'air vieux de plusieurs décennies, peut-être même d’un bon siècle, et il a probablement été jeté sur les ruines d'un gué plus ancien. Quiconque l'a construit est mort depuis longtemps."

"Cent ans, un jour, les dieux voient l'avenir et mettent les pièces en place," dit Dagra. "Ils nous mettent à l'épreuve mais ils nous aident aussi."

"Eh, Dag," cria Oriken à l'arrière. "Je me moque qu'il s'agisse de dieux ou de bergers. Du moment qu'on peut traverser."

Dagra secoua la tête. "Les dieux t'ont envoyé à moi pour me mettre à l'épreuve, Orik. Moque-toi tant que tu veux, mon ami. Un de ces jours, tu verras que j'ai raison." Souriant à lui-même, il rajouta, Même si ça me prendra jusqu'à la vie suivante.

Eriqwyn errait le long du littoral légèrement ascendant, à quelques pieds de la côte rocheuse. Le bruit étouffé de la marée était le seul bruit audible, à part les cris lointains des mouettes derrière elle. Devant, il n'y avait pas d'oiseaux car les herbes jaunissaient et se faisaient plus rares en direction de la terre sans vie. L'inclinaison de la côte s'élevait régulièrement jusqu'à une falaise qui se jetait dans l'océan et encerclait un lointain promontoire de terre. La terre aride, pratiquement dépourvue d'arbres, à part quelques arbustes malingres, s'inclinait vers un mur déchiqueté qui s'étirait jusqu'à la lande. Un autre mur dominait le côté sud et, au-delà de ses remparts, on pouvait apercevoir les sommets brumeux de tours et de spires se dessinant vaguement contre le ciel bleu.

Son arc était tendu mais Eriqwyn ne s'attendait pas à devoir s'en servir. Plus elle approchait du périmètre du Lieu Interdit, moins il y avait de risques de voir des animaux sauvages de quelque espèce que ce soit. Ici, il n'y avait qu'une seule raison pour laquelle elle pourrait avoir besoin d'une arme ; et elle pria la déesse qu'un tel événement ne vit jamais le jour.

Il n'y avait pas besoin d'aller jusqu'au mur, elle voyait assez bien de loin pour s'assurer que rien ne se cachait près des contreforts ni entre les créneaux au-dessus. Virant vers l'intérieur des terres, elle marcha parallèlement au long mur, suivant un chemin que les Gardiens ou les chasseurs avaient parcouru depuis des générations. Loin à l'est, les lignes angulaires des bâtiments les plus au sud du Ruisseau du Vairon émergeaient derrière le pied de la Colline du Dragon couvert d'arbres, la cachette naturelle du village au nord et à l'ouest. Accélérant le pas, elle resta en alerte et lançait des coups d'œil prudents tout autour d'elle, surtout vers la muraille du Lieu Interdit.

Une demi-heure plus tard, Eriqwyn atteignit le coin nord-est du mur et la vaste lande s'ouvrit devant elle en bandes vertes et dorées, le soleil, déjà haut, rayonnait sur le paysage vallonné. Le regard fixé sur le mur nord, elle le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'horizon. Ce n'était pas son tour aujourd'hui de vérifier les entrées. C'était le travail de Linisa, qui emmènerait un chasseur en formation regarder pour la première fois au travers des barrières en fer du Lieu Interdit, tout comme un Gardien l'avait fait pour Eriqwyn quand elle n'était qu'une jeune fille, et tout comme Wayland le ferait bientôt avec Demelza.

Après s'être assurée que le littoral était vide, elle se dirigea vers le troisième et dernier tronçon de son circuit, suivant le chemin qui retournait au village. Après quelques minutes, elle aperçut une silhouette au devant d'elle.

Demelza, pensa-t-elle. En vadrouille, encore une fois. Pour aller jeter un coup d'œil entre les barrières ?

Aussitôt qu'elle l'aperçut, Demelza s'enfuit et partit à couvert sous les arbres. Fronçant les sourcils, l'instinct de chasseur d'Eriqwyn se réveilla et elle entra dans la forêt, marchant avec précaution dans le sous-bois entre les arbres. Eriqwyn, apercevant Demelza qui remontait vers le haut de la Colline du Dragon Rêveur, se pencha, à demi-courbée, et s'élança à sa poursuite. Au sommet plat de la colline se trouvait la clairière naturelle de l'Œil du Dragon. Eriqwyn resta à couvert et regarda la fille entrer dans la clairière. Demelza traversa en direction d'un bloc de pierre couvert de lierre au centre de la clairière, lieu d'offrande qui donna son nom à l'endroit, avec aujourd'hui pour seule présence celle du lierre, personne ne vénérant plus les dieux primordiaux depuis longtemps avant que Valsana ait changé le monde.

Eriqwyn attendit une longue minute, puis une deuxième, tandis que Demelza restait cachée derrière l'autel. De l'autre côté de la clairière, quelque chose remua dans les sous-bois. Les sens d'Eriqwyn se mirent en alerte. Ses yeux identifièrent vite la cause du mouvement. Dans les buissons, à ras du sol, une paire d'yeux jaunes espacés reflétaient la lumière du soleil. La créature sortit la tête du sous-bois et, immédiatement, Eriqwyn se saisit d'une flèche. Sarbek, pensa-t-elle tout en armant sa flèche. La créature, qui ressemblait à un loup et dont le dos était paré d'une crête en os, tranchante comme une épée, émergeant de sa fourrure sombre, s'avançait vers la clairière.

Les loups erraient rarement si près du Ruisseau du Vairon et les sarbeks encore moins. Ces bêtes préféraient les collines boisées du nord-est. Mais si l'une d'entre elles venaient à croiser un humain isolé et sans arme...

Le sarbek semblait se concentrer sur la pierre de l'autel derrière laquelle se cachait Demelza. La créature fit prudemment quelques pas en avant puis s'accroupit, prête à bondir.

Eriqwyn arma et lâcha sa flèche qui alla se ficha dans le dos du sarbek. La créature s'effondra dans un long gémissement aigu et Demelza sortit de sa cachette et accourut vers elle. Penchée, elle posa une main sur le flanc de l'animal et, de l'autre, elle caressa doucement la tête du sarbek. Eriqwyn sortit du sous-bois et la jeune fille la regarda de ses yeux emplis de larmes.

Que pleure-t-elle donc, au nom de Valsana ?

"Pourquoi vous avez fait ça ?" sanglota Demelza.

Eriqwyn fut prise de court. Ce n'était pas la réaction à laquelle elle s'attendait. "Tu ne devrais pas être si loin toute seule."

Demelza cligna des yeux et des larmes coulèrent sur ses joues. Elle reporta son attention vers le sarbek. Après un moment, la créature cligna des yeux, puis les ferma et, dans un dernier souffle, mourut. Toujours agenouillée, elle se tourna vers Eriqwyn. "Qu'est-ce qu'elle vous a fait ?" cria-t-elle.

"Je..." balbutia Eriqwyn avant de se ressaisir. "Tu étais en danger, jeune fille ! Manifestement, tu n'es pas à même de te débrouiller toute seule. Tu devrais me remercier, petite ingrate ! Si je n'avais pas été là, tu serais en train de te faire déchiqueter par les mâchoires de cet animal, à l'heure qu'il est."

Demelza pencha la tête, ses larmes s'écoulant sur la fourrure du sarbek mort. "Je n'étais pas en danger. Elle était mon amie. Vous ne pouviez pas voir ça ?" Elle se releva et fit face à Eriqwyn. "J'ai pas d'amis au village, non ?" dit-elle d'un ton accusateur. "Y a personne là-bas qui m'aime."

Eriqwyn prit une inspiration. "Ce n'est pas vrai, Demelza."

"Si, c'est vrai. Et vous le savez, parce que vous êtes de ceux qui m'aiment pas. Je le vois, vous savez ? Je suis pas stupide."

Eriqwyn ne trouva rien à dire. C'était vrai, elle n'aimait pas cette fille, sans pouvoir se l'expliquer. Et c'était aussi vrai pour beaucoup au village. Mais elle apercevait là une facette de Demelza qu'elle n'avait jamais vue auparavant. La mort du sarbek avait ému la jeune fille à un point qu'Eriqwyn n'avait pas imaginé.

"Tu ne peux pas faire de ces prédateurs sauvages des amis," dit -elle. Mais malgré toutes les années de formation qu'elle avait acquises, sa déclaration manquait de fermeté. Est-ce que le sarbek était vraiment sur le point d'attaquer ? Eriqwyn n'en était plus tout aussi sûre.

"Peut-être pas vous," sanglota Demelza. "Je ne tue que pour manger, pas parce que je crois que je vais me faire attaquer, et pas parce que ça me plaît."

Eriqwyn fut indignée. "Ça ne me plaît pas !"

Demelza lui lança un regard noir puis s'enfuit en courant vers les bois.

Eriqwyn posa son arc contre la pierre d'autel et laissa échapper un long souffle. Elle se tourna vers le sarbek, empoigna la flèche plantée dans son flanc et la délogea. Avec un chiffon qu'elle gardait dans une poche retenue à sa taille, elle en essuya la tête et la remit dans son carquois puis, immobile, elle regarda la créature morte. Peu importait la raison, le sarbek était mort et, dans les plaines désertes du Plateau de Scapa, on ne pouvait rien gaspiller. Avec un haussement d'épaule, elle dégaina son poignard, s'agenouilla et se mit au travail.

Chapitre Cinq

Complications Contractuelles

Alors qu'il se penchait vers le tonneau de Saltcoast Tan en grimaçant, Maros soulagea sa jambe blessée en faisant passer le poids de son corps sur son autre jambe. Il attrapa le rebord en fer du tonneau de bière, banda ses muscles et souleva le tonneau. D'une poigne aussi solide que l'objet en métal qu'il avait en main, il tint le tonneau plaqué contre son torse et, verrouillant sa prise, le maintint fermement. S'appuyant sur sa mauvaise jambe, il fit un pas en avant. Une douleur lui traversant le côté de la jambe lui fit proférer un juron ; la brise soufflant dans l'arrière-cour de la taverne lui rafraîchit la peau qui s'était couverte de sueur.

"Maudite jambe," grommela-t-il. Il fut un temps où je pouvais porter ce tonneau sans le moindre effort. Maintenant, ça me fait grogner et suer comme un porc en rut, sans même parler de cette maudite charrette.

Il sentit une envie soudaine d'envoyer un coup de pied à sa charrette mais il se retint ; ce serait bien inconséquent de perdre son sang-froid pour vingt gallons de sa bière préférée. D'un autre pas périlleux, il se rapprocha de l'arrière de la charrette. Il déposa son fardeau sur les planches à côté du tonneau de Carradosi Pale de moindre taille et d'un baril encore plus petit de Vorinsian Redanchor.

Frottant son ventre arrondi, il poussa un soupir et secoua la tête. "C'est plus que jamais Maros la Montagne, ces jours-ci," marmonna-t-il. "Maudite soit cette créature qui a planté sa foutue dent dans mon genou." Il fit le tour de la charrette en boitant et s'arrêta pour masser le côté endolori de sa jambe.

Ah, si je pouvais tuer cette lyakyn encore une fois ! Lui aplatir ses dents et lui arracher ses mâchoires de sa tête... Ce serait aussi satisfaisant que la première fois. Il soupira et secoua la tête. Ouais, mais rien ne me fera plus jamais marcher comme avant.

Soulevant le long bras de la charrette, il boita et grogna jusqu'à ce qu'il eut traversé l'arrière-cour plongée dans les ténèbres de la nuit et atteint la porte de derrière. Une fois là, il se mit à décharger les tonneaux vers le Camelot Solitaire.

La taverne était calme. À part quelques sabreurs assis à l'une de leurs tables habituelles, il n'y avait que quelques citadins clairsemés dans la salle commune. Maros avait laissé le jeune barman Jecaiah rentrer plus tôt voir sa femme ; il avait aussi permis à deux autres serveuses de rentrer plus tôt. Avec son stock de tonneaux pleins maintenant rangés sous le bar à côté de ceux déjà ouverts, Maros posa le baril de Redanchor sur le dessus du comptoir, prêt pour le lendemain, ou pour le jour d'après pour les clients aux goûts plus onéreux.

Il attrapa son tabouret et sortit en claudiquant de derrière son comptoir pour se rendre vers la table des sabreurs, et s'assit avec eux, le dos contre le mur.

"Mais qu'avaient-ils donc en tête ?" disait Alari. "Dix pour cent à se partager pour les trois d'entre eux," elle hocha la tête en direction de Maros, "moins la part du patron et de la boîte ; c'est pas mal mais ça ne les mènera pas loin."

À côté d'Alari, le novice dont elle avait la charge ricana. "Ils auraient dû prendre une flopée de petits boulots comme tu me l'as conseillé car d'ici un mois, peut-être un peu plus, il n'y en aura plus.

Maros regarda le jeune homme, le sourcil froncé. "Kirran, c'est tout à fait l'attitude à adopter pour un novice, surtout si tu veux le rester pour le restant de tes jours de sabreur."

"Oh, désolé, patron."

"Ne le sois pas. Ces petits boulots, quelqu'un doit bien les faire et, pour le moment, je ne vois que toi."

Kirran pinça les lèvres et ne dit plus rien.

De l'autre côté de la table, Henwyn éclata de rire. "Le patron t'a bien eu, là." Il prit une gorgée de vin. "Sérieusement, patron, tu penses que ce contrat en vaudra la peine ?"

Maros grommela. "Ton avis vaudra bien le mien, Hen. En vérité, je me pose des questions sur les motivations de cette Chiddari. C'est un paquet d'argent qu'elle a proposé mais il y a quelque chose qui me chiffonne dans cette affaire. Tu as déjà rencontré, toi, quelqu'un qui manifeste tant d'intérêt pour une babiole qu'elle n'a jamais vue ? À son âge ?"

Henwyn haussa les épaules et regarda en direction d'Alari. "Moi, j'aurais pris le contrat rien que pour les dix pour cent. C'est déjà une somme considérable. À vrai dire, je m'en veux de ne pas avoir été là quand tu l'as épinglé au tableau. Je l'aurais arraché. Un mois tout seul dans le désert ? Ah ouais, j'aurais bien pris ça."

"Tout seul ?" La fille à ses côtés le regarda d'un air abattu. "Et tu ne m'aurais pas emmenée pour me montrer les ficelles du métier ?"

"Bah." Henwyn sourit à travers sa barbe rasée de près. "Ne le prends pas mal, jeune fille, mais tu ne fais pas encore la différence entre tes seins et tes orteils, au stade où tu en es. Tu n'es pas encore prête à ne faire qu'un avec la terre pour autant de temps."

Elle lui jeta un regard froid. "Je connais le désert," dit-elle, puis elle tourna la tête ailleurs.

Alari se racla la gorge. "Tu en penses quoi de la légende ?" demanda-t-elle. "J'espère juste que tes amis sont bien préparés, c'est tout."

"Je n'en sais rien," admit Maros en déplaçant son poids sur son tabouret. "Je sais que certains ne sont pas d'accord, mais je pense qu'il n'y a que des sornettes là-dedans. Si je le pouvais, je serais dehors là-bas avec eux plutôt que cloué à cette Folie. Je n'ai jamais eu envie de m'aventurer dans les Terres Mortes, ni d'aller explorer la Cité Ravagée mais—" une toux grasse se fit entendre depuis la table voisine. Maros jeta un coup d'œil à Jerrick, un régulier du Camelot, assis tout seul comme à son habitude et postillonnant dans son verre. "Cette toux empire, mon vieux," dit Maros. "Tu devrais prendre de la teinture."

"Hein ?" Jerrick leva ses yeux chassieux et regarda Maros. "Ça m'avance à rien si c'est pour vous entendre, vous les jeunes."

"C'est une affaire de sabreurs," le réprimanda Maros. "Ce n'est pas pour tes oreilles."

"Ah bon, quand un homme entend ce qu'il entend, il a bien le droit de parler, non ? J'avais un ami sabreur autrefois, tu sais ? Ouais, je vois bien que c'est difficile d'imaginer qu'un vieux cabot comme moi ait eu des amis, hein ? Eh bien, j'en ai eu. Tous morts, maintenant. Lijah a été le premier à partir. Un bon gars." Jerrick soupira et fronça les sourcils. "Laisse-moi réfléchir... Ça doit bien faire cinquante ans que Lijah et moi étions assis dans cette taverne et il s'en est allé pour une mission. Ouais, ça s'appelait des missions en ce temps-là."

Maros lança un coup d'œil à Alari et lui fit un signe discret de l'épaule.

Jerrick toussa, portant une main à sa bouche, qu'il essuya ensuite sur son pantalon avant de lever un sourcil blanc et touffu. "Il avait dit qu'il serait absent pour un moment, qu'il partait en direction du sud pour retrouver une pierre pour une fille. Enfin, vous voyez le genre de quêtes insensées qui vous plaisent à vous, sabreurs. Je lui demande, au sud vers où et, de tous les endroits au monde, il me dit dans la Cité Ravagée. Eh ben, il est parti. L'est jamais revenu. Les gens avaient dit qu'il s'était perdu, attrapé par des monstres ou autre chose, tombé dans un marais, quelque chose comme ça. Moi, j'en suis pas sûr. Lijah était rusé."

Alari remuait sur son tabouret et attendit pendant que Jerrick éclaircit bruyamment sa gorge derrière sa main noueuse. Quand il eut fini, elle se pencha vers lui et demanda : "Qui était la jeune fille ?"

"Ça, si je le savais..."

Maros secoua la tête. "Je n'avais jamais entendu ça."

"Pas de raison que tu en aies entendu parler," dit Henwyn. "Un contrat parmi mille autres, il y a un demi-siècle de ça ?"

"Vérifie les archives," suggéra Alari.

"Non, il y aura rien," dit Maros. "Les archives ne remontent qu'à dix ans. Les anciens contrats et les dossiers des membres sont tous gardés à Brancosi."

Jerrick émit une autre quinte de toux puis tira de son manteau une pipe en bois et une poche de ce qui semblait être aux yeux de Maros du tobah corsé de népenthès. Malgré ses doigts noueux, il fourra habilement les feuilles humides dans sa pipe, puis prit une gorgée de bière. "Vivre par l'épée, mourir par l'épée, c'est comme ça que vous dites, vous les jeunes, non ? Oui, eh bien, moi, c'est ça, mon épée," dit-il en brandissant sa pipe et son verre, avalant ce qui restait de sa bière et se levant de sa chaise. "Au plaisir de bavarder avec vous, les gars." Il hocha la tête en direction d'Alari. "À toi aussi, jeune fille."

"Eh, Jerrick," le salua Maros.

Une expression perplexe se posa sur le visage du vieil homme. "Hein, de quoi on parlait déjà ?"

Maros sourit tristement. "De vie et de mort, je crois."

"Ah, oui." Le vieux sourit de toutes ses dents. "Deux sujets que je connais assez bien. Bon, allez." Il leva une main tachetée vers sa tête, comme s'il la portait à un chapeau, puis il traversa la grande salle et sortit dans le soir.

Tandis que les portes se refermaient dans un chuintement, Maros se perdit dans ses pensées. La révélation de Jerrick le dérangeait. Ça le dérangeait beaucoup.

Henwyn le regardait. "La prochaine fois que le courrier passe, renvoie-le avec une requête pour les dossiers d'il y a cinquante ans."

"Le courrier ne sera de retour que dans deux semaines," dit Maros. "Ensuite, il devra faire toute sa tournée avant de retourner à la Baie. Et il se passera probablement plusieurs semaines avant qu'il ne revienne. C'est trop long."

"Trop long pour quoi, patron ?" demanda la jeune fille assise près d'Henwyn.

Maros fronça les sourcils. "Désolée, jeune fille, j'ai oublié ton nom."

"Leaf," dit-elle.

"Hmm. Bon alors, Leaf. Que dirais-tu d'un petit contrat de coursier ? Pour montrer un peu à Henwyn ce que tu es capable de faire."

Les yeux de Leaf s'agrandirent. "Un travail rien que pour moi ? Et comment !"

"Bien. Rendez-vous ici, demain à midi. D'ici là, j'aurai rédigé le formulaire de requête."

"Où est-ce que je vais ?"

"Au quartier général de la Guilde à la Baie de Brancosi."

Leaf resta bouche bée. "Je ne suis jamais allée à la capitale."

"Eh bien, voilà ta chance. Mais ne traîne pas en route, je veux ces papiers aussi vite que possible."

"Quelle est l'urgence ?" Kirran essaya de garder un ton prudent.

Maros dévisagea le novice. "L'urgence, mon garçon, est que j'ai tendance à croire Jerrick, que son ami n'est pas juste mort en route. Si un sabreur est envoyé en mission"— il se surprit à utiliser la même expression ancienne que Jerrick et secoua la tête — "alors la probabilité est qu'il s'agit d'un vétéran, au moins d’un compagnon ou d’une compagne, sinon un maître ou une maîtresse-lame."

"Qu'est-ce que tu sous-entends ?" demanda Henwyn.

"Ce que je dis, Hen, c'est que je crois que ce Lijah a peut-être bien trouvé la Cité Ravagée. Plus précisément, je crois que Jalis et les gars la trouveront aussi et je serais damné plutôt que de les laisser subir le même sort."

Le dernier des clients de la nuit disparut dans la nuit à travers les portes de saloon, laissant Maros seul, en compagnie de deux serveuses qui devaient nettoyer le plancher et essuyer les tables. Des bruits de marmites et de casseroles leur parvenaient depuis la cuisine où Luthan, le chef, terminait lui aussi ses corvées de fin de journée.

Après quelques minutes, Maros entendit un swish-swish et regarda vers la passerelle derrière le bar. Luthan avait quitté la cuisine et se dirigeait vers Maros. Son tablier empesé et son bandana étaient aussi immaculés que quand il venait devant les clients, même s'il n'y en avait aucun. Plus qu'un chef, les fameux sandwichs de Luthan lui avaient valu une bonne réputation dans le coin et il avait une image à entretenir ; il gérait tout cela avec panache, sereinement et avec plein d'assurance.

"Tu manges avec moi ?" offrit le chef. "Je me prépare quelque chose avant de rentrer chez moi. On mange ensemble ? Patron ?"

"Hmm ?" Maros réalisa que Luthan le regardait et il gonfla ses joues. "Non, pas pour moi. C'est trop tard."

Le chef, méticuleusement rasé, tira un tabouret et se hissa dessus. De ses yeux bleus, il étudia le visage de Maros. "Quelque chose te perturbe." Ce n'était pas une question ; avec Luthan, il n'y avait jamais de question.

"Je me fais du souci pour Jalis et les gars. Je pensais les avoir envoyés chasser des dragons mais je crois que ça pourrait en fait être pire."

"Ah, il y a toujours ce risque avec les sabreurs," dit Luthan.