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Jalis hocha la tête. "Il y a tant d'autres choses que je préférerais faire en ce moment. Ce n'est vraiment pas la joie de vivre ici mais c'est toujours mieux qu'à la maison de la guilde." Elle jeta un coup d’œil vers l'avant de la salle commune. Un rayon de soleil brillait au-dessus des portes. Au-delà, le ciel bleu tendait ses bras. "Nous ne devrions pas gâcher nos journées à attendre qu'un bon travail se présente. Nous devrions être là-bas, dehors."
Oriken renifla. "Je suis d'accord avec toi mais si on commence à aller se balader dehors, on pourrait perdre notre chance de décrocher un bon contrat."
Elle porta sa coupe à sa bouche et avala une gorgée d'eau. "Ne me méprenez pas," dit-elle. "J'adore votre compagnie, les gars, mais nous sommes des sabreurs, nom dans lequel il y a le mot sabre."
"Le problème, c'est qu'on est trop bon dans ce que nous faisons," dit Oriken.
Dagra hocha la tête en signe d'assentiment. "Entre nous et le reste de la branche, nous avons pratiquement débarrassé Caerheath de tous ses bandits. Les seuls troubles de la ville sont rarement plus que de petites querelles."
Jalis soupira. "Ce devrait être une bonne chose. Nous maintenons la paix mais nous ne nous rendons pas service. Depuis quand la guilde est-elle le législateur principal à Himaera?"
"Principal ?" Dagra fronça les sourcils. "Tu veux dire l'unique. Ce n'est pas Vorinsia ici. Nous n'avons pas de grand Arkhus pour exercer la loi, ni d'armée, pas même un minable shérif. Rien depuis l’Époque des Rois. Les sabreurs sont tout ce qui reste dans ce pays."
"J'ai vécu ici assez longtemps," dit Jalis, "mais je n'arrive pas à m'habituer à l'absence totale d'armée ou de représentant de l'ordre. C'est un miracle qu'Himaera n'ait pas été consumée par les Arkhs depuis des siècles."
Dagra haussa les épaules. "Ils ont essayé de nous envahir pendant le Soulèvement mais Himaera, même sur les genoux, les a envoyés paître et soigner leurs plaies. Les Arkhs se sont ramollis depuis. Plus rien qui vaille la peine d'être conquis." Il regarda Jalis d'un air embarrassé. "Sans vouloir t'offenser, ma belle."
"Y a pas de mal."
Oriken s'adossa contre le mur. "De toute façon," dit-il, "je ne m'inquiéterais pas. Un bon truc arrivera bientôt sur le tableau d'affichage. Tôt ou tard, il y en a toujours un." Il fit à Jalis un sourire enjoué.
"Ah, l'éternel optimiste..." De son menton, Dagra désigna le tableau de la guilde dans l'alcôve au bout du bar. "Vous avez vu les récompenses affichées ? La plus haute est de huit pièces de cuivre. C'est une insulte."
"Il est peut-être temps qu'on parte en vacances," dit Oriken.
"Pas une mauvaise idée," dit Jalis. "Je ne suis pas allée au pays depuis longtemps."
"Pas vraiment ce que j'avais à l'esprit."
"Je vais aller pisser," annonça Dagra en se mettant debout.
Oriken le regarda s'éloigner. "Nous devrions quitter la ville pour un temps. Il y a peut-être un besoin de main d’œuvre à Middlemire. Ou à la Baie de Brancosi. On devrait demander à Maros d'aller voir pour nous."
Une ombre traversa la lumière du soleil sur le plancher. Jalis aperçut la massive silhouette de Maros claudiquant à travers les portes de la taverne. Il aperçut son regard et se dirigea vers eux en boitant.
"Le retour du vagabond", dit Oriken. "Pas moyen de te garder dans ta propre taverne ces jours-ci."
Maros aboya d'un rire fatigué et rassembla ses béquilles dans une main. "Depuis que j'ai repris cet endroit, je ne suis jamais allé plus loin que Balen. Rappelez-moi de ne jamais y retourner."
Jalis inclina la tête pour chercher son regard. "Tu as été à Balen ? Tout l'après-midi ?"
"À peine ! La plus grande partie du temps a été de m'y rendre et d'en revenir."
"Pourquoi n'as-tu pas demandé à Ravlin de te conduire dans son chariot ? Ça ne l'aurait pas dérangé."
"J'ai essayé. Le marchand était parti faire son réapprovisionnement à Brancosi."
"Qu'y a-t-il de si important à Balen que tu n'y aies pas envoyé de novice ?" demanda Oriken.
"Absolument rien, si ç'avait été un autre jour." Maros jeta un coup d'œil à Jalis. "Bon, il faut que je m'occupe de quelques trucs. Je vous retrouve dans peu de temps."
Jalis le regarda se rendre au tableau en boitillant. Après un moment, il s'éloigna de l'alcôve et prit le couloir qui menait à ses bureaux. "Il mijote quelque chose", se dit-elle.
À une table près du mur opposé de la salle commune, plusieurs sabreurs étaient occupés à jouer aux osselets. Alari, une sabreuse vétéran qui avait passé quelques années de plus dans la guilde que Jalis, lança un regard vers le tableau de la guilde et marmonna à son voisin.
"Je reviens dans une minute." Jalis se leva de sa chaise et se rendit rapidement jusqu'à l'alcôve. Elle scanna le contenu du tableau jusqu'à ce qu'elle remarquât un nouveau bout de papier qu'elle décrocha du tableau en bouchon. À la vue de la prime offerte, ses yeux s'agrandirent.
"Ma belle, t'es plus preste que le silex sur la pierre à feu toi," dit Alari derrière elle.
Se saisissant de la note, Jalis se tourna vers sa collègue. "Ah, t'étais pas bien loin non plus."
Le sourire d'Alari tiraillait sur la pâle cicatrice près de sa bouche. "Qu'est-ce que le patron a accroché là, cette fois ? Encore un qui ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit ?"
Jalis haussa des épaules. "Ça a l'air un peu mieux que d'habitude. Pourquoi n’irais-tu pas voir du côté des offres plus petites ? C'est juste ce qu'il faut pour les novices dont tu t'occupes. Il faut bien commencer quelque part."
Alari plissa le front à cette pensée. "Ouais, t'as pas tort. Kirran pourrait les faire tout seul. Je lui dirais de venir en prendre une." Elle donna à Jalis un clin d'œil complice. "Allez donc gagner votre croûte, toi et les gars."
Alors qu'Alari regagnait sa table, un autre sabreur la croisa pour se rendre au tableau. Jalis le dévisagea froidement.
"Qu'est-ce que t'as là ?" dit Fenn en parvenant à l'alcôve et se plaçant de telle sorte que Jalis ne puisse en sortir.
"Dégage, Fenn."
"Voyons voir." Il essaya de s'emparer du papier mais Jalis parvint à glisser sa main derrière son dos.
"Premier arrivé, premier servi," dit-elle. "Tu connais les règles. Si tu veux un contrat, il y en a plein sur le tableau qui te conviendront."
Les yeux porcins de Fenn la transperçaient du regard. "Moi au moins, je peux faire mon travail tout seul. Tout le monde sait que toi et tes deux gardes du corps, vous profitez du traitement préférentiel par ici." Il attrapa Jalis par l'épaule.
Elle enfonça sa main entre les jambes de Fenn et serra sa prise. "Ce sont mes compagnons et mes amis. Tu sais quoi ? Tu enlèves ta main de là et j'en fais de même. Ensuite tu retournes t'asseoir comme un gentil garçon."
Fenn grogna en silence, les lèvres retroussées. Jalis resserra sa prise et, à contrecœur, il retira sa main. "T'as un problème."
"Si j'ai des problèmes, tu n'en fais pas partie." Elle serra plus fort. "Juste pour qu'on soit bien clairs. C'est bien clair, Fenn ?"
"Vira ta sale patte de là !"
"D'accord, d'accord...! Mais je te préviens, la prochaine fois que tu me touches, ce n'est pas ma main que t'auras à l'entre-jambe, ce sera mon poignard. Alors viens pas me chercher ou je rendrai service à l'humanité entière." Elle relâcha sa prise après une dernière torsion.
Alors que Fenn titubait à reculons, il décocha un coup de poing vers le visage de Jalis. Elle put se baisser pour l'éviter et enfonça un coup de poing dans ses côtes, suivi d'un uppercut qui lui fracassa le nez et l'envoya s'étendre au sol. Quelques applaudissements de la part des clients se firent entendre, mais ils prirent fin aussitôt que Maros émergea de son couloir en boitant.
"Que diable se passe-t-il dans ma taverne ?" tonna-t-il.
Fenn se remit sur pied, du sang coulant de son nez. "Tu ferais mieux de garder cette chienne en laisse. Tout le monde sait que c'est ta préférée." Il jeta un coup d'œil au chemisier en fine gaze de Jalis. "Et c'est pas bien difficile de voir pourquoi."
"Vraiment ?" Maros boita jusqu'à lui et le domina de toute sa taille. "Tu devrais montrer un peu plus de respect envers une femme d'épée, je dirais même beaucoup plus de respect, d'autant qu'elle vient te mettre sur le cul. Tu déconnes encore une fois, Fenn, et franchement, la branche de Grenmoor peut venir te reprendre. File à la guilde. Maintenant. T'as eu ta dose pour la journée."
Le visage de Fenn rougeoya de colère mais il garda le silence. Après un moment, il tourna les talons et franchit les portes.
"Oh, et Fenn," le rappela Maros, "si tu me parles encore une fois comme ça, c'est pas en marchant que tu sortiras d'ici, mais en volant dans les airs."
"J'ai manqué quelque chose ?" Dagra demanda en arrivant à côté de Jalis.
Elle secoua la tête. "Non, rien."
Maros se déplaça en boitant pour la regarder. "Il semble que tu aies été la première à voir le contrat que j'ai accroché ?"
"En effet. Tu n'as pas perdu ton temps à Balen."
"Je ne suis pas certain de vouloir te voir sur ce coup-ci, Jalis."
"Pourquoi ? Ça serait idiot de ne pas le faire."
Maros grogna. "Alors, promets-moi que tu ne le feras pas seule." Il hocha la tête en direction de Dagra. "Si les gars ne tombent pas d'accord, ce travail retourne sur le tableau. Je préférerais laisser Fenn décrocher celui-ci et bon débarras."
Jalis fronça les sourcils. "Qu'est-ce qui te préoccupe autant, l'ami ? Si c'est une horde de bandits qui s'est installée quelque part—"
"C'est pas des bandits." Maros regarda brièvement autour de la salle et dit d'une voix basse, "Va discuter avec Dagra et Oriken. Vois ce qu'ils en disent. Si vous êtes tous d'accord, le contrat est à vous. Mais j'en serais pas heureux. Toi et moi avons passé trop d'années ensemble, jeune fille. Ne sous-estime pas ce que ce contrat implique."
Elle étudia son visage. "Je ne t'ai jamais entendu parler comme ça."
"Nous n'avons jamais eu de contrat comme ça."
Alors que Jalis retournait à sa table, Dagra sur ses talons, Oriken leva un sourcil. "Eh bien, ça a été le plus grand divertissement de toute la semaine. T'as raté quelque chose, Dag. Jalis a fichu une sacrée déculottée au trou du cul du coin."
"Je n'ai rien fait de tel." Jalis ignora le regard inquisiteur de Dagra. Elle croisa les bras sur la table et enjoignit ses camarades à se rapprocher d'elle. "Je nous ai trouvé un contrat et vous n'avez pas idée du montant de la prime."
"Je suis pas sûr de vouloir savoir," dit Dagra, "pas après avoir vu la réaction de Maros. Mais bon, je t'écoute."
Les bavardages avaient repris dans la salle de la taverne mais elle jeta un coup d'œil autour pour s'assurer que personne ne les écoutait. "Cinq cents dari d'argent."
Oriken laissa échapper un long sifflement. "Ciel. Tu plaisantes."
"Non."
Les yeux de Dagra étaient empreints de scepticisme. "Tu as les détails ?"
"Non. Je n'ai pas vraiment eu le temps de vérifier."
"Tu n'as pas eu le temps ? Jalis, on n'accepte pas les contrats aveuglément. Tu le sais mieux qu'Orik et moi-même."
"Je sais ! Mais cinq cents dari. À ce prix-là, quel contrat tu ne prendrais pas ?"
"Oh, je peux en penser à un ou deux," dit Oriken avec un sourire en coin. "Mais, Dagra lui, probablement pas autant."
Dagra fit comme s'il n'avait rien entendu. "Bon," fit-il à Jalis. "Voyons voir."
Elle défroissa le morceau de papier et le mit à plat sur la table, fronçant les sourcils tout en prenant connaissance des détails. "Euh, c'est où Lachyla ? C'est quoi la Cité Ravagée ?"
"Oh, par les misérables dieux." Dagra se passa une main sur le visage.
"Quoi ?"
Oriken éclata de rire. "Maros a vraiment mis ça au tableau ? Il se fiche de nous. Ça peut pas être autrement."
Jalis secoua la tête. "Non, il ne ferait pas ça. Attends, c'est pas une légende d'Himaera ça ? La Cité Ravagée, ça faisait partie des histoires du Tisseur de Contes il y a quelques années, non ?"
"Baisse le volume," dit Dagra. "Écoute, qu'il s'agisse d'une chasse au dragon, ou que ce soit pour de vrai, oublie ça. Nous n'allons pas là-bas. C'est marqué d'une tête de mort pour une bonne raison."
Oriken s'offusqua. "Mais voyons. Juste parce qu'on t'a élevé à croire en toute légende qui existe. Tu sais, ça pourrait tout aussi bien être une belle balade à la campagne."
"Tu vas pas croire ça," dit Dagra. "Depuis quand t'es-tu déjà rendu dans les Terres Mortes ? Depuis jamais. Une balade à la campagne. La marche vers la potence, oui."
"J'y connais pas grand-chose aux légendes," dit Jalis, "mais rien que les dix pour cent non-remboursables pourraient nous faire vivre pour quelques mois. Et si nous atteignons l'objectif, ce sera une prime plus lucrative que Maros et moi n'ayons jamais gagnée ensemble au bon vieux temps. Celui-ci, c'est un très gros coup. Si on le laisse filer, Alari ou Fenn ou Henwyn ou n'importe qui va s'en emparer."
"Ce n'est pas moi que tu dois convaincre," dit Oriken. "Moi, je suis partant."
"Toi t'es partant pour n'importe quoi." Dagra le regarda avec colère. "Toujours à te fourrer dans les trous les plus sombres. Même quand on était gamins. N'apprends-tu donc jamais ?"
Oriken haussa les épaules. "C'est toi le superstitieux. Donne-moi une preuve que Lachyla n'est rien d'autre qu'une histoire qui fait peur du Vieux Tisseur de Contes. Donne-moi des preuves qu'on ne devrait pas prendre ce job."
"Tu sais bien que je peux pas. Mais on ne devrait pas aller provoquer les Dyades à nous balader dans les contrées d'une déesse morte. Toute la région est maudite."
"Les Dyades sont tes dieux," dit Oriken. "Pas les miens. Ni ceux de Jalis. Au nom du ciel, Dag, nous sommes des sabreurs."
"Quand bien même nous trouverions l'endroit, nos chances de trouver le... De quoi il s'agit déjà ?" Dagra jeta un œil à la feuille de papier. "Une crypte ? Oh, non. Laissez tomber. Je n'entre pas dans une crypte." Il regarda Jalis. "Tu sais qu'ils enterraient leurs morts sans les brûler ? Des barbares, je te dis. C'est sacrilège."
Oriken lui fit un sourire amusé. "Sacrilège ? Tu parles d'une époque avant que les Dyades ne viennent à Himaera. Comment peux-tu accuser les ancêtres de sacrilège alors qu'ils existaient avant vos dieux ?"
Dagra pâlit. "Tu vas trop loin, Oriken."
"Cela s'était produit partout," dit Jalis, "pas seulement à Himaera. C'était pareil dans l'Arkh."
Dagra but ce qui restait de sa bière. "Jecaiah !" Il fit signe au barman de lui apporter un autre verre puis regarda Jalis de façon insistante. "Au mieux, nous aurons perdu un mois, sinon plus, à errer dans le désert avant de rentrer bredouilles."
Après un soupir qu'elle réprima, elle décida d'essayer une autre tactique. "Vous réalisez que si nous terminons ce contrat, Maros vous offrira probablement à tous les deux l'opportunité de passer vos tests de maîtres-lames."
"T'imagines ça, Dag. Sabreur de troisième échelon après seulement cinq ans." Oriken leva un sourcil. "Toute la guilde ne parlerait que de nous."
"Hmm." Dagra repoussa sa chaise et se dirigea lourdement jusqu'au bar.
"Il finira par changer d'avis," dit Oriken.
Dagra regarda par-dessus son épaule. "J'ai entendu ce que t'as dit. J'attends toujours qu'on vienne me convaincre."
"Tu sembles moins sceptique que tu ne l'étais," dit Jalis alors qu'il reprit son siège. "Écoute, si tu veux venir, ça n'en signifiera que plus à Oriken et moi. Ce serait vraiment dommage de ne pas t'avoir avec nous, mais si c'est ta décision..."
"N'essaie pas ça avec moi, copine. Tu as entendu Maros. Il a dit, c'est nous tous ou aucun de nous."