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Bel-Ami / Милый друг
Bel-Ami / Милый друг
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Bel-Ami / Милый друг

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Un homme ? tablier blanc accourut:

– Nous ne l'avons pas, monsieur, nous ne recevons que le Rappel, le Si?cle, la Lanterne, et le Petit Parisien.

Duroy dеclara, d'un ton furieux et indignе:

– En voil? une bo?te! Alors, allez me l'acheter.

Le gar?on y courut, la rapporta. Duroy se mit ? lire son article; et plusieurs fois il dit, tout haut: Tr?s bien, tr?s bien! pour attirer l'attention des voisins et leur inspirer le dеsir de savoir ce qu'il y avait dans cette feuille. Puis il la laissa sur la table en s'en allant. Le patron s'en aper?ut, le rappela:

– Monsieur, monsieur, vous oubliez votre journal!

Et Duroy rеpondit:

– Je vous le laisse, je l'ai lu. Il y a d'ailleurs aujourd'hui, dedans, une chose tr?s intеressante.

Il ne dеsigna pas la chose, mais il vit, en s'en allant, un de ses voisins prendre la Vie Fran?aise sur la table o? il l'avait laissеe.

Il pensa: «Que vais-je faire, maintenant?» Et il se dеcida ? aller ? son bureau toucher son mois et donner sa dеmission. Il tressaillait d'avance de plaisir ? la pensеe de la t?te que feraient son chef et ses coll?gues. L'idеe de l'effarement du chef, surtout, le ravissait.

Il marchait lentement pour ne pas arriver avant neuf heures et demie, la caisse n'ouvrant qu'? dix heures.

Son bureau еtait une grande pi?ce sombre, o? il fallait tenir le gaz allumе presque tout le jour en hiver. Elle donnait sur une cour еtroite, en face d'autres bureaux. Ils еtaient huit employеs l? dedans, plus un sous-chef dans un coin, cachе derri?re un paravent.

Duroy alla d'abord chercher ses cent dix-huit francs vingt-cinq centimes, enfermеs dans une enveloppe jaune et dеposеs dans le tiroir du commis chargе des payements, puis il pеnеtra d'un air vainqueur dans la vaste salle de travail o? il avait dеj? passе tant de jours.

D?s qu'il fut entrе, le sous-chef, M. Potel, l'appela:

– Ah! c'est vous, monsieur Duroy? Le chef vous a dеj? demandе plusieurs fois. Vous savez qu'il n'admet pas qu'on soit malade deux jours de suite sans attestation du mеdecin.

Duroy, qui se tenait debout au milieu du bureau, prеparant son effet, rеpondit d'une voix forte:

– Je m'en fiche un peu, par exemple!

Il y eut parmi les employеs un mouvement de stupеfaction, et la t?te de M. Potel apparut, effarеe, au-dessus du paravent qui l'enfermait comme une bo?te.

Il se barricadait l? dedans, par crainte des courants d'air, car il еtait rhumatisant. Il avait seulement percе deux trous dans le papier pour surveiller son personnel.

On entendait voler les mouches. Le sous-chef, enfin, demanda avec hеsitation:

– Vous avez dit?

– J'ai dit que je m'en fichais un peu. Je ne viens aujourd'hui que pour donner ma dеmission. Je suis entrе comme rеdacteur ? la Vie Fran?aise avec cinq cents francs par mois, plus les lignes. J'y ai m?me dеbutе ce matin.

Il s'еtait pourtant promis de faire durer le plaisir; mais il n'avait pu rеsister ? l'envie de tout l?cher d'un seul coup.

L'effet, du reste, еtait complet. Personne ne bougeait.

Alors Duroy dеclara:

– Je vais prеvenir M. Perthuis, puis je viendrai vous faire mes adieux.

Et il sortit pour aller trouver le chef, qui s'еcria en l'apercevant:

– Ah! vous voil?. Vous savez que je ne veux pas…

L'employе lui coupa la parole:

– Ce n'est pas la peine de gueuler comme ?a…

M. Perthuis, un gros homme rouge comme une cr?te de coq, demeura suffoquе par la surprise.

Duroy reprit:

– J'en ai assez de votre boutique. J'ai dеbutе ce matin dans le journalisme, o? on me fait une tr?s belle position. J'ai bien l'honneur de vous saluer.

Et il sortit. Il еtait vengе.

Il alla en effet serrer la main de ses anciens coll?gues, qui osaient ? peine lui parler, par peur de se compromettre, car on avait entendu sa conversation avec le chef, la porte еtant restеe ouverte.

Et il se retrouva dans la rue avec son traitement dans sa poche. Il se paya un dеjeuner succulent dans un bon restaurant ? prix modеrеs qu'il connaissait; puis, ayant encore achetе et laissе la Vie Fran?aise sur la table o? il avait mangе, il pеnеtra dans plusieurs magasins o? il acheta de menus objets, rien que pour les faire livrer chez lui et donner son nom: «Georges Duroy».

Il ajoutait: «Je suis le rеdacteur de la Vie Fran?aise.»

Puis il indiquait la rue et le numеro, en ayant soin de stipuler: «Vous laisserez chez le concierge.»

Comme il avait encore du temps, il entra chez un lithographe qui fabriquait des cartes de visite ? la minute, sous les yeux des passants; et il s'en fit faire immеdiatement une centaine, qui portaient, imprimеe sous son nom, sa nouvelle qualitе.

Puis il se rendit au journal.

Forestier le re?ut de haut, comme on re?oit un infеrieur:

– Ah! te voil?, tr?s bien. J'ai justement plusieurs affaires pour toi. Attends-moi dix minutes. Je vais d'abord finir ma besogne.

Et il continua une lettre commencеe. ? l'autre bout de la grande table, un petit homme tr?s p?le, bouffi, tr?s gras, chauve, avec un cr?ne tout blanc et luisant, еcrivait, le nez sur son papier, par suite d'une myopie excessive.

Forestier lui demanda:

– Dis donc, Saint-Potin, ? quelle heure vas-tu interviewer nos gens?

– ? quatre heures.

– Tu emm?neras avec toi le jeune Duroy ici prеsent, et tu lui dеvoileras les arcanes du mеtier.

– C'est entendu.

Puis, se tournant vers son ami, Forestier ajouta:

– As-tu apportе la suite sur l'Algеrie? Le dеbut de ce matin a eu beaucoup de succ?s.

Duroy, interdit, balbutia:

– Non, – j'avais cru avoir le temps dans l'apr?s-midi, – j'ai eu un tas de choses ? faire, – je n'ai pas pu…

L'autre leva les еpaules d'un air mеcontent:

– Si tu n'es pas plus exact que ?a, tu rateras ton avenir, toi. Le p?re Walter comptait sur ta copie. Je vais lui dire que ce sera pour demain. Si tu crois que tu seras payе pour ne rien faire, tu te trompes.

Puis, apr?s un silence, il ajouta:

– On doit battre le fer quand il est chaud, que diable!

Saint-Potin se leva:

– Je suis pr?t, dit-il.

Alors Forestier se renversant sur sa chaise, prit une pose presque solennelle pour donner ses instructions, et, se tournant vers Duroy:

– Voil?. Nous avons ? Paris depuis deux jours le gеnеral chinois Li-Theng-Fao, descendu au Continental, et le rajah Taposahib Ramaderao Pali, descendu ? l'H?tel Bristol. Vous allez leur prendre une conversation.

Puis, se tournant vers Saint-Potin:

– N'oublie point les principaux points que je t'ai indiquеs. Demande au gеnеral et au rajah leur opinion sur les menеes de l'Angleterre dans l'Extr?me-Orient, leurs idеes sur son syst?me de colonisation et de domination, leurs espеrances relatives ? l'intervention de l'Europe, et de la France en particulier, dans leurs affaires.

Il se tut, puis il ajouta, parlant ? la cantonade:

– Il sera on ne peut plus intеressant pour nos lecteurs de savoir en m?me temps ce qu'on pense en Chine et dans les Indes sur ces questions, qui passionnent si fort l'opinion publique en ce moment.

Il ajouta, pour Duroy:

– Observe comment Saint-Potin s'y prendra, c'est un excellent reporter, et t?che d'apprendre les ficelles pour vider un homme en cinq minutes.

Puis il recommen?a ? еcrire avec gravitе, avec l'intention еvidente de bien еtablir les distances, de bien mettre ? sa place son ancien camarade et nouveau confr?re.

D?s qu'ils eurent franchi la porte, Saint-Potin se mit ? rire et dit ? Duroy:

– En voil? un faiseur! Il nous la fait ? nous-m?mes. On dirait vraiment qu'il nous prend pour ses lecteurs.

Puis ils descendirent sur le boulevard, et le reporter demanda:

– Buvez-vous quelque chose?

– Oui, volontiers. Il fait tr?s chaud.

Ils entr?rent dans un cafе et se firent servir des boissons fra?ches. Et Saint-Potin se mit ? parler. Il parla de tout le monde et du journal avec une profusion de dеtails surprenants.

– Le patron? Un vrai juif! Et vous savez, les juifs, on ne les changera jamais. Quelle race!

Et il cita des traits еtonnants d'avarice, de cette avarice particuli?re aux fils d'Isra?l, des еconomies de dix centimes, des marchandages de cuisini?re, des rabais honteux demandеs et obtenus, toute une mani?re d'?tre d'usurier, de pr?teur ? gages.

– Et avec ?a, pourtant, un bon zig qui ne croit ? rien et roule tout le monde. Son journal, qui est officieux, catholique, libеral, rеpublicain, orlеaniste, tarte ? la cr?me et boutique ? treize, n'a еtе fondе que pour soutenir ses opеrations de bourse et ses entreprises de toute sorte. Pour ?a il est tr?s fort, et il gagne des millions au moyen de sociеtеs qui n'ont pas quatre sous de capital…

Il allait toujours, appelant Duroy «mon cher ami».

– Et il a des mots ? la Balzac, ce grigou. Figurez-vous que, l'autre jour, je me trouvais dans son cabinet avec cette antique bedole de Norbert, et ce Don Quichotte de Rival, quand Montelin, notre administrateur, arrive, avec sa serviette en maroquin sous le bras, cette serviette que tout Paris conna?t. Walter leva le nez et demanda: «Quoi de neuf?»

Montelin rеpondit avec na?vetе: «Je viens de payer les seize mille francs que nous devions au marchand de papier.»

Le patron fit un bond, un bond еtonnant.

– Vous dites?

– Que je viens de payer M. Privas.

– Mais vous ?tes fou!

– Pourquoi?

– Pourquoi… pourquoi… pourquoi…

Il ?ta ses lunettes, les essuya. Puis il sourit, d'un dr?le de sourire qui court autour de ses grosses joues chaque fois qu'il va dire quelque chose de malin ou de fort, et avec un ton gouailleur et convaincu, il pronon?a: «Pourquoi? Parce que nous pouvions obtenir l?-dessus une rеduction de quatre ? cinq mille francs.»

Montelin, еtonnе, reprit: «Mais, monsieur le directeur, tous les comptes еtaient rеguliers, vеrifiеs par moi et approuvеs par vous…»

Alors le patron, redevenu sеrieux, dеclara: «On n'est pas na?f comme vous. Sachez, monsieur Montelin, qu'il faut toujours accumuler ses dettes pour transiger.»

Et Saint-Potin ajouta, avec un hochement de t?te de connaisseur:

– Hein? Est-il ? la Balzac, celui-l??

Duroy n'avait pas lu Balzac, mais il rеpondit avec conviction:

– Bigre, oui.

Puis le reporter parla de Mme Walter, une grande dinde, de Norbert de Varenne, un vieux ratе, de Rival, une ressucеe de Fervacques. Puis il en vint ? Forestier:

– Quant ? celui-l?, il a de la chance d'avoir еpousе sa femme, voil? tout.

Duroy demanda:

– Qu'est-ce au juste que sa femme?

Saint-Potin se frotta les mains:

– Oh! une rouеe, une fine mouche. C'est la ma?tresse d'un vieux viveur nommе Vaudrec, le comte de Vaudrec, qui l'a dotеe et mariеe…

Duroy sentit brusquement une sensation de froid, une sorte de crispation nerveuse, un besoin d'injurier et de gifler ce bavard. Mais il l'interrompit simplement pour lui demander:

– C'est votre nom, Saint-Potin?