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Bel-Ami / Милый друг
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Bel-Ami / Милый друг

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Et comme ils s'en allaient, ils rencontr?rent un petit homme ? longs cheveux, gros, d'aspect malpropre, qui montait les marches en soufflant.

Forestier salua tr?s bas:

– Norbert de Varenne, dit-il, le po?te, l'auteur des Soleils morts, encore un homme dans les grands prix. Chaque conte qu'il nous donne co?te trois cents francs, et les plus longs n'ont pas deux cents lignes. Mais entrons au Napolitain, je commence ? crever de soif.

D?s qu'ils furent assis devant la table du cafе, Forestier cria: «Deux bocks», et il avala le sien d'un seul trait, tandis que Duroy buvait la bi?re ? lentes gorgеes, la savourant et la dеgustant, comme une chose prеcieuse et rare.

Son compagnon se taisait, semblait rеflеchir, puis tout ? coup:

– Pourquoi n'essayerais-tu pas du journalisme?

L'autre, surpris, le regarda; puis il dit:

– Mais… c'est que… je n'ai jamais rien еcrit.

– Bah! on essaye, on commence. Moi, je pourrais t'employer ? aller me chercher des renseignements, ? faire des dеmarches et des visites. Tu aurais, au dеbut, deux cent cinquante francs et tes voitures payеes. Veux-tu que j'en parle au directeur?

– Mais certainement que je veux bien.

– Alors, fais une chose, viens d?ner chez moi demain; j'ai cinq ou six personnes seulement, le patron, M. Walter, sa femme, Jacques Rival et Norbert de Varenne, que tu viens de voir, plus une amie de Mme Forestier. Est-ce entendu?

Duroy hеsitait, rougissant, perplexe. Il murmura enfin:

– C'est que… je n'ai pas de tenue convenable.

Forestier fut stupеfait:

– Tu n'as pas d'habit? Bigre! en voil? une chose indispensable pourtant. ? Paris, vois-tu, il vaudrait mieux n'avoir pas de lit que pas d'habit.

Puis, tout ? coup, fouillant dans la poche de son gilet, il en tira une pincеe d'or, prit deux louis, les posa devant son ancien camarade, et, d'un ton cordial et familier:

– Tu me rendras ?a quand tu pourras. Loue ou ach?te au mois, en donnant un acompte, les v?tements qu'il te faut; enfin arrange-toi, mais viens d?ner ? la maison, demain, sept heures et demie, 17, rue Fontaine.

Duroy, troublе, ramassait l'argent en balbutiant:

– Tu es trop aimable, je te remercie bien, sois certain que je n'oublierai pas…

L'autre l'interrompit:

– Allons, c'est bon. Encore un bock, n'est-ce pas?

– Et il cria: «Gar?on, deux bocks!»

Puis, quand ils les eurent bus, le journaliste demanda:

– Veux-tu fl?ner un peu, pendant une heure?

– Mais certainement.

Et ils se remirent en marche vers la Madeleine.

– Qu'est-ce que nous ferions bien? demanda Forestier. On prеtend qu'? Paris un fl?neur peut toujours s'occuper; ?a n'est pas vrai. Moi, quand je veux fl?ner, le soir, je ne sais jamais o? aller. Un tour au Bois n'est amusant qu'avec une femme, et on n'en a pas toujours une sous la main; les cafеs-concerts peuvent distraire mon pharmacien et son еpouse, mais pas moi. Alors, quoi faire? Rien. Il devrait y avoir ici un jardin d'еtе, comme le parc Monceau, ouvert la nuit, o? on entendrait de la tr?s bonne musique en buvant des choses fra?ches sous les arbres. Ce ne serait pas un lieu de plaisir, mais un lieu de fl?ne; et on payerait cher pour entrer, afin d'attirer les jolies dames. On pourrait marcher dans des allеes bien sablеes, еclairеes ? la lumi?re еlectrique, et s'asseoir quand on voudrait pour еcouter la musique de pr?s ou de loin. Nous avons eu ? peu pr?s ?a autrefois chez Musard, mais avec un go?t de bastringue et trop d'airs de danse, pas assez d'еtendue, pas assez d'ombre, pas assez de sombre. Il faudrait un tr?s beau jardin, tr?s vaste. Ce serait charmant. O? veux-tu aller?

Duroy, perplexe, ne savait que dire; enfin, il se dеcida:

– Je ne connais pas les Folies-Berg?re. J'y ferais volontiers un tour.

Son compagnon s'еcria:

– Les Folies-Berg?re, bigre? nous y cuirons comme dans une r?tissoire. Enfin, soit, c'est toujours dr?le.

Et ils pivot?rent sur leurs talons pour gagner la rue du Faubourg-Montmartre.

La fa?ade illuminеe de l'еtablissement jetait une grande lueur dans les quatre rues qui se joignent devant elle. Une file de fiacres attendait la sortie.

Forestier entrait, Duroy l'arr?ta:

– Nous oublions de passer au guichet.

L'autre rеpondit d'un ton important:

– Avec moi on ne paye pas.

Quand il s'approcha du contr?le, les trois contr?leurs le salu?rent. Celui du milieu lui tendit la main. Le journaliste demanda:

– Avez-vous une bonne loge?

– Mais, certainement, monsieur Forestier.

Il prit le coupon qu'on lui tendait, poussa la porte matelassеe, ? battants garnis de cuir, et ils se trouv?rent dans la salle.

Une vapeur de tabac voilait un peu, comme un tr?s fin brouillard, les parties lointaines, la sc?ne et l'autre c?tе du thе?tre. Et s'еlevant sans cesse, en minces filets blanch?tres, de tous les cigares et de toutes les cigarettes que fumaient tous ces gens, cette brume lеg?re montait toujours, s'accumulait au plafond, et formait, sous le large d?me, autour du lustre, au-dessus de la galerie du premier chargеe de spectateurs, un ciel ennuagе de fumеe.

Dans le vaste corridor d'entrеe qui m?ne ? la promenade circulaire, o? r?de la tribu parеe des filles, m?lеe ? la foule sombre des hommes, un groupe de femmes attendait les arrivants devant un des trois comptoirs o? tr?naient, fardеes et dеfra?chies, trois marchandes de boissons et d'amour.

Les hautes glaces, derri?re elles, reflеtaient leurs dos et les visages des passants.

Forestier ouvrait les groupes, avan?ait vite, en homme qui a droit ? la considеration.

Il s'approcha d'une ouvreuse:

– La loge dix-sept? dit-il.

– Par ici, monsieur.

Et on les enferma dans une petite bo?te en bois, dеcouverte, tapissеe de rouge, et qui contenait quatre chaises de m?me couleur, si rapprochеes qu'on pouvait ? peine se glisser entre elles. Les deux amis s'assirent; et, ? droite comme ? gauche, suivant une longue ligne arrondie aboutissant ? la sc?ne par les deux bouts, une suite de cases semblables contenait des gens assis еgalement et dont on ne voyait que la t?te et la poitrine.

Sur la sc?ne, trois jeunes hommes en maillot collant, un grand, un moyen, un petit, faisaient, tour ? tour, des exercices sur un trap?ze.

Le grand s'avan?ait d'abord, ? pas courts et rapides, en souriant, et saluait avec un mouvement de la main comme pour envoyer un baiser.

On voyait, sous le maillot, se dessiner les muscles des bras et des jambes; il gonflait sa poitrine pour dissimuler son estomac trop saillant; et sa figure semblait celle d'un gar?on coiffeur, car une raie soignеe ouvrait sa chevelure en deux parties еgales, juste au milieu du cr?ne. Il atteignait le trap?ze d'un bond gracieux, et, pendu par les mains, tournait autour comme une roue lancеe; ou bien, les bras roides, le corps droit, il se tenait immobile, couchе horizontalement dans le vide, attachе seulement ? la barre fixe par la force des poignets.

Puis il sautait ? terre, saluait de nouveau en souriant sous les applaudissements de l'orchestre, et allait se coller contre le dеcor, en montrant bien, ? chaque pas, la musculature de sa jambe.

Le second, moins haut, plus trapu, s'avan?ait ? son tour et rеpеtait le m?me exercice, que le dernier recommen?ait encore, au milieu de la faveur plus marquеe du public.

Mais Duroy ne s'occupait gu?re du spectacle, et, la t?te tournеe, il regardait sans cesse derri?re lui le grand promenoir plein d'hommes et de prostituеes.

Forestier lui dit:

– Remarque donc l'orchestre: rien que des bourgeois avec leurs femmes et leurs enfants, de bonnes t?tes stupides qui viennent pour voir. Aux loges, des boulevardiers, quelques artistes, quelques filles de demi-choix; et, derri?re nous, le plus dr?le de mеlange qui soit dans Paris. Quels sont ces hommes? Observe-les. Il y a de tout, de toutes les professions et de toutes les castes, mais la crapule domine. Voici des employеs, employеs de banque, de magasin, de minist?re, des reporters, des souteneurs, des officiers en bourgeois, des gommeux en habit, qui viennent de d?ner au cabaret et qui sortent de l'Opеra avant d'entrer aux Italiens, et puis encore tout un monde d'hommes suspects qui dеfient l'analyse. Quant aux femmes, rien qu'une marque: la soupeuse de l'Amеricain, la fille ? un ou deux louis qui guette l'еtranger de cinq louis et prеvient ses habituеs quand elle est libre. On les conna?t toutes depuis six ans; on les voit tous les soirs, toute l'annеe, aux m?mes endroits, sauf quand elles font une station hygiеnique ? Saint-Lazare ou ? Lourcine.

Duroy n'еcoutait plus. Une de ces femmes, s'еtant accoudеe ? leur loge, le regardait. C'еtait une grosse brune ? la chair blanchie par la p?te, ? l'Cil noir, allongе, soulignе par le crayon, encadrе sous des sourcils еnormes et factices. Sa poitrine, trop forte, tendait la soie sombre de sa robe; et ses l?vres peintes, rouges comme une plaie, lui donnaient quelque chose de bestial, d'ardent, d'outrе, mais qui allumait le dеsir cependant.

Elle appela, d'un signe de t?te, une de ses amies qui passait, une blonde aux cheveux rouges, grasse aussi, et elle lui dit d'une voix assez forte pour ?tre entendue:

– Tiens, v'l? un joli gar?on: s'il veut de moi pour dix louis, je ne dirai pas non.

Forestier se retourna, et, souriant, il tapa sur la cuisse de Duroy:

– C'est pour toi, ?a: tu as du succ?s, mon cher. Mes compliments.

L'ancien sous-off avait rougi; et il t?tait, d'un mouvement machinal du doigt, les deux pi?ces d'or dans la poche de son gilet.

Le rideau s'еtait baissе; l'orchestre maintenant jouait une valse.

Duroy dit:

– Si nous faisions un tour dans la galerie?

– Comme tu voudras.

Ils sortirent, et furent aussit?t entra?nеs dans le courant des promeneurs. Pressеs, poussеs, serrеs, ballottеs, ils allaient, ayant devant les yeux un peuple de chapeaux. Et les filles, deux par deux, passaient dans cette foule d'hommes, la traversaient avec facilitе, glissaient entre les coudes, entre les poitrines, entre les dos, comme si elles eussent еtе bien chez elles, bien ? l'aise, ? la fa?on des poissons dans l'eau, au milieu de ce flot de m?les.

Duroy, ravi, se laissait aller, buvait avec ivresse l'air viciе par le tabac, par l'odeur humaine et les parfums des dr?lesses. Mais Forestier suait, soufflait, toussait.

– Allons au jardin, dit-il.

Et, tournant ? gauche, ils pеnеtr?rent dans une esp?ce de jardin couvert, que deux grandes fontaines de mauvais go?t rafra?chissaient. Sous des ifs et des thuyas en caisse, des hommes et des femmes buvaient sur des tables de zinc.

– Encore un bock? demanda Forestier.

– Oui, volontiers.

Ils s'assirent en regardant passer le public.

De temps en temps, une r?deuse s'arr?tait, puis demandait avec un sourire banal: «M'offrez-vous quelque chose, monsieur?» Et comme Forestier rеpondait: «Un verre d'eau ? la fontaine», elle s'еloignait en murmurant: «Va donc, mufle!»

Mais la grosse brune qui s'еtait appuyеe tout ? l'heure derri?re la loge des deux camarades reparut, marchant arrogamment, le bras passе sous celui de la grosse blonde. Cela faisait vraiment une belle paire de femmes, bien assorties.

Elle sourit en apercevant Duroy, comme si leurs yeux se fussent dit dеj? des choses intimes et secr?tes; et, prenant une chaise, elle s'assit tranquillement en face de lui et fit asseoir son amie, puis elle commanda d'une voix claire:

– Gar?on, deux grenadines!

Forestier, surpris, pronon?a:

– Tu ne te g?nes pas, toi!

Elle rеpondit:

– C'est ton ami qui me sеduit. C'est vraiment un joli gar?on. Je crois qu'il me ferait faire des folies!

Duroy, intimidе, ne trouvait rien ? dire. Il retroussait sa moustache frisеe en souriant d'une fa?on niaise. Le gar?on apporta les sirops, que les femmes burent d'un seul trait; puis elles se lev?rent, et la brune, avec un petit salut amical de la t?te et un lеger coup d'еventail sur le bras, dit ? Duroy:

– Merci, mon chat. Tu n'as pas la parole facile.

Et elles partirent en balan?ant leur croupe.

Alors Forestier se mit ? rire:

– Dis donc, mon vieux, sais-tu que tu as vraiment du succ?s aupr?s des femmes? Il faut soigner ?a. ?a peut te mener loin.

Il se tut une seconde, puis reprit, avec ce ton r?veur des gens qui pensent tout haut:

– C'est encore par elles qu'on arrive le plus vite.

Et comme Duroy souriait toujours sans rеpondre, il demanda:

– Est-ce que tu restes encore? Moi, je vais rentrer, j'en ai assez.

L'autre murmura:

– Oui, je reste encore un peu. Il n'est pas tard.

Forestier se leva:

– Eh bien! adieu, alors. ? demain. N'oublie pas? 17, rue Fontaine, sept heures et demie.

– C'est entendu; ? demain. Merci.

Ils se serr?rent la main, et le journaliste s'еloigna.

D?s qu'il eut disparu, Duroy se sentit libre, et de nouveau il t?ta joyeusement les deux pi?ces d'or dans sa poche; puis, se levant, il se mit ? parcourir la foule qu'il fouillait de l'Cil.

Il les aper?ut bient?t, les deux femmes, la blonde et la brune, qui voyageaient toujours de leur allure fi?re de mendiantes, ? travers la cohue des hommes.

Il alla droit sur elles, et quand il fut tout pr?s, il n'osa plus.