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Bel-Ami / Милый друг
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Bel-Ami / Милый друг

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Alors il se mit ? rire, et еcrivit au bas de la page: «Georges Duroy.»

Elle continuait ? fumer en marchant; et il la regardait toujours, ne trouvant rien ? dire pour la remercier, heureux d'?tre pr?s d'elle, pеnеtrе de reconnaissance et du bonheur sensuel de cette intimitе naissante. Il lui semblait que tout ce qui l'entourait faisait partie d'elle, tout, jusqu'aux murs couverts de livres. Les si?ges, les meubles, l'air o? flottait l'odeur du tabac, avaient quelque chose de particulier, de bon, de doux, de charmant, qui venait d'elle.

Brusquement elle demanda:

– Qu'est-ce que vous pensez de mon amie, Mme de Marelle?

Il fut surpris:

– Mais… je la trouve… je la trouve tr?s sеduisante.

– N'est-ce pas?

– Oui, certainement.

Il avait envie d'ajouter: «Mais pas autant que vous.» Il n'osa point.

Elle reprit:

– Et si vous saviez comme elle est dr?le, originale, intelligente! C'est une boh?me, par exemple, une vraie boh?me. C'est pour cela que son mari ne l'aime gu?re. Il ne voit que le dеfaut et n'apprеcie point les qualitеs.

Duroy fut stupеfait d'apprendre que Mme de Marelle еtait mariеe. C'еtait bien naturel, pourtant.

Il demanda:

– Tiens… elle est mariеe? Et qu'est-ce que fait son mari?

Mme Forestier haussa tout doucement les еpaules et les sourcils, d'un seul mouvement plein de significations incomprеhensibles.

– Oh! il est inspecteur de la ligne du Nord. Il passe huit jours par mois ? Paris. Ce que sa femme appelle «le service obligatoire» ou encore «la corvеe de semaine», ou encore «la semaine sainte». Quand vous la conna?trez mieux, vous verrez comme elle est fine et gentille. Allez donc la voir un de ces jours.

Duroy ne pensait plus ? partir; il lui semblait qu'il allait rester toujours, qu'il еtait chez lui.

Mais la porte s'ouvrit sans bruit, et un grand monsieur s'avan?a, qu'on n'avait point annoncе.

Il s'arr?ta en voyant un homme. Mme Forestier parut g?nеe une seconde, puis elle dit, de sa voix naturelle, bien qu'un peu de rose lui f?t montе des еpaules au visage:

– Mais entrez donc, mon cher. Je vous prеsente un bon camarade de Charles, M. Georges Duroy, un futur journaliste.

Puis, sur un ton diffеrent, elle annon?a:

– Le meilleur et le plus intime de nos amis, le comte de Vaudrec.

Les deux hommes se salu?rent en se regardant au fond des yeux, et Duroy tout aussit?t se retira.

On ne le retint pas. Il balbutia quelques remerciements, serra la main tendue de la jeune femme, s'inclina encore devant le nouveau venu, qui gardait un visage froid et sеrieux d'homme du monde, et il sortit tout ? fait troublе, comme s'il venait de commettre une sottise.

En se retrouvant dans la rue, il se sentit triste, mal ? l'aise, obsеdе par l'obscure sensation d'un chagrin voilе. Il allait devant lui, se demandant pourquoi cette mеlancolie subite lui еtait venue; il ne trouvait point, mais la figure sеv?re du comte de Vaudrec, un peu vieux dеj?, avec des cheveux gris, l'air tranquille et insolent d'un particulier tr?s riche et s?r de lui, revenait sans cesse dans son souvenir.

Et il s'aper?ut que l'arrivеe de cet inconnu, brisant un t?te-?-t?te charmant o? son cCur s'accoutumait dеj?, avait fait passer en lui cette impression de froid et de dеsespеrance qu'une parole entendue, une mis?re entrevue, les moindres choses parfois suffisent ? nous donner.

Et il lui semblait aussi que cet homme, sans qu'il devin?t pourquoi, avait еtе mеcontent de le trouver l?.

Il n'avait plus rien ? faire jusqu'? trois heures; et il n'еtait pas encore midi. Il lui restait en poche six francs cinquante: il alla dеjeuner au bouillon Duval. Puis il r?da sur le boulevard; et comme trois heures sonnaient, il monta l'escalier-rеclame de la Vie Fran?aise.

Les gar?ons de bureau, assis sur une banquette, les bras croisеs, attendaient, tandis que, derri?re une sorte de petite chaire de professeur, un huissier classait la correspondance qui venait d'arriver. La mise en sc?ne еtait parfaite pour en imposer aux visiteurs. Tout le monde avait de la tenue, de l'allure, de la dignitе, du chic, comme il convenait dans l'antichambre d'un grand journal.

Duroy demanda:

– M. Walter, s'il vous pla?t?

L'huissier rеpondit:

– M. le directeur est en confеrence. Si monsieur veut bien s'asseoir un peu. Et il indiqua le salon d'attente, dеj? plein de monde.

On voyait l? des hommes graves, dеcorеs, importants, et des hommes nеgligеs, au linge invisible, dont la redingote fermеe jusqu'au col, portait sur la poitrine des dessins de taches rappelant les dеcoupures des continents et des mers sur les cartes de gеographie. Trois femmes еtaient m?lеes ? ces gens. Une d'elles еtait jolie, souriante, parеe, et avait l'air d'une cocotte; sa voisine, au masque tragique, ridеe, parеe aussi d'une fa?on sеv?re, portait en elle ce quelque chose de fripе, d'artificiel qu'ont, en gеnеral, les anciennes actrices, une sorte de fausse jeunesse еventеe, comme un parfum d'amour ranci.

La troisi?me femme, en deuil, se tenait dans un coin, avec une allure de veuve dеsolеe. Duroy pensa qu'elle venait demander l'aum?ne.

Cependant on ne faisait entrer personne, et plus de vingt minutes s'еtaient еcoulеes.

Alors Duroy eut une idеe, et, retournant trouver l'huissier:

– M. Walter m'a donnе rendez-vous ? trois heures, dit-il. En tout cas, voyez si mon ami M. Forestier n'est pas ici.

Alors on le fit passer par un long corridor qui l'amena dans une grande salle o? quatre messieurs еcrivaient autour d'une large table verte.

Forestier, debout devant la cheminеe, fumait une cigarette en jouant au bilboquet. Il еtait tr?s adroit ? ce jeu et piquait ? tous coups la bille еnorme en buis jaune sur la petite pointe de bois. Il comptait: «Vingt-deux, – vingt-trois, – vingt-quatre, – vingt-cinq.»

Duroy pronon?a: «Vingt-six». Et son ami leva les yeux, sans arr?ter le mouvement rеgulier de son bras.

– Tiens, te voil?! Hier j'ai fait cinquante-sept coups de suite. Il n'y a que Saint-Potin qui soit plus fort que moi ici. As-tu vu le patron? Il n'y a rien de plus dr?le que de regarder cette vieille bedole de Norbert jouer au bilboquet. Il ouvre la bouche comme pour avaler la boule.

Un des rеdacteurs tourna la t?te vers lui:

– Dis donc, Forestier, j'en connais un ? vendre, un superbe, en bois des ?les. Il a appartenu ? la reine d'Espagne, ? ce qu'on dit. On en rеclame soixante francs. ?a n'est pas cher.

Forestier demanda:

– O? loge-t-il?

Et comme il avait manquе son trente-septi?me coup, il ouvrit une armoire o? Duroy aper?ut une vingtaine de bilboquets superbes, rangеs et numеrotеs comme des bibelots dans une collection. Puis, ayant posе son instrument ? sa place ordinaire, il rеpеta:

– O? loge-t-il, ce joyau?

Le journaliste rеpondit:

– Chez un marchand de billets du Vaudeville. Je t'apporterai la chose demain, si tu veux.

– Oui, c'est entendu. S'il est vraiment beau, je le prends; on n'a jamais trop de bilboquets.

Puis se tournant vers Duroy:

– Viens avec moi, je vais t'introduire chez le patron, sans quoi tu pourrais moisir jusqu'? sept heures du soir.

Ils retravers?rent le salon d'attente, o? les m?mes personnes demeuraient dans le m?me ordre. D?s que Forestier parut, la jeune femme et la vieille actrice, se levant vivement, vinrent ? lui.

Il les emmena, l'une apr?s l'autre, dans l'embrasure de la fen?tre, et, bien qu'ils prissent soin de causer ? voix basse, Duroy remarqua qu'il les tutoyait l'une et l'autre.

Puis, ayant poussе deux portes capitonnеes, ils pеnеtr?rent chez le directeur.

La confеrence, qui durait depuis une heure, еtait une partie d'еcartе avec quelques-uns de ces messieurs ? chapeaux plats que Duroy avait remarquеs la veille.

M. Walter tenait les cartes et jouait avec une attention concentrеe et des mouvements cauteleux, tandis que son adversaire abattait, relevait, maniait les lеgers cartons coloriеs avec une souplesse, une adresse et une gr?ce de joueur exercе. Norbert de Varenne еcrivait un article, assis dans le fauteuil directorial, et Jacques Rival, еtendu tout au long sur un divan, fumait un cigare, les yeux fermеs.

On sentait l?-dedans le renfermе, le cuir des meubles, le vieux tabac et l'imprimerie; on sentait cette odeur particuli?re des salles de rеdaction que connaissent tous les journalistes.

Sur la table en bois noir aux incrustations de cuivre, un incroyable amas de papier gisait: lettres, cartes, journaux, revues, notes de fournisseurs, imprimеs de toute esp?ce.

Forestier serra les mains des parieurs debout derri?re les joueurs, et sans dire un mot regarda la partie; puis, d?s que le p?re Walter eut gagnе, il prеsenta:

– Voici mon ami Duroy.

Le directeur considеra brusquement le jeune homme de son coup d'Cil glissе par-dessus le verre des lunettes, puis il demanda:

– M'apportez-vous mon article? ?a irait tr?s bien aujourd'hui, en m?me temps que la discussion Morel.

Duroy tira de sa poche les feuilles de papier pliеes en quatre:

– Voici, monsieur.

Le patron parut ravi, et, souriant:

– Tr?s bien, tr?s bien. Vous ?tes de parole. Il faudra me revoir ?a, Forestier?

Mais Forestier s'empressa de rеpondre:

– Ce n'est pas la peine, monsieur Walter: j'ai fait la chronique avec lui pour lui apprendre le mеtier. Elle est tr?s bonne.

Et le directeur, qui recevait ? prеsent les cartes donnеes par un grand monsieur maigre, un dеputе du centre gauche, ajouta avec indiffеrence:

– C'est parfait, alors.

Forestier ne le laissa pas commencer sa nouvelle partie; et, se baissant vers son oreille:

– Vous savez que vous m'avez promis d'engager Duroy pour remplacer Marambot. Voulez-vous que je le retienne aux m?mes conditions?

– Oui, parfaitement.

Et prenant le bras de son ami, le journaliste l'entra?na pendant que M. Walter se remettait ? jouer.

Norbert de Varenne n'avait pas levе la t?te, il semblait n'avoir pas vu ou reconnu Duroy. Jacques Rival, au contraire, lui avait serrе la main avec une еnergie dеmonstrative et voulue de bon camarade sur qui on peut compter en cas d'affaire.

Ils retravers?rent le salon d'attente, et comme tout le monde levait les yeux, Forestier dit ? la plus jeune des femmes, assez haut pour ?tre entendu des autres patients:

– Le directeur va vous recevoir tout ? l'heure. Il est en confеrence en ce moment avec deux membres de la commission du budget.

Puis il passa vivement, d'un air important et pressе, comme s'il allait rеdiger aussit?t une dеp?che de la plus extr?me gravitе.

D?s qu'ils furent rentrеs dans la salle de rеdaction, Forestier retourna prendre immеdiatement son bilboquet, et, tout en se remettant ? jouer, et en coupant ses phrases pour compter les coups, il dit ? Duroy:

– Voil?. Tu viendras ici tous les jours ? trois heures et je te dirai les courses et les visites qu'il faudra faire, soit dans le jour, soit dans la soirеe, soit dans la matinеe. – Un, – je vais te donner d'abord une lettre d'introduction pour le chef du premier bureau de la prеfecture de police, – deux, – qui te mettra en rapport avec un de ses employеs. Et tu t'arrangeras avec lui pour toutes les nouvelles importantes, – trois, – du service de la prеfecture, les nouvelles officielles et quasi officielles, bien entendu. Pour tout le dеtail, tu t'adresseras ? Saint-Potin, qui est au courant, – quatre, – tu le verras tout ? l'heure ou demain. Il faudra surtout t'accoutumer ? tirer les vers du nez des gens que je t'enverrai voir, – cinq, – et ? pеnеtrer partout malgrе les portes fermеes, – six. – Tu toucheras pour cela deux cents francs par mois de fixe, plus deux sous la ligne pour les еchos intеressants de ton cru, – sept, – plus deux sous la ligne еgalement pour les articles qu'on te commandera sur des sujets divers, – huit.

Puis il ne fit plus attention qu'? son jeu, et il continua ? compter lentement, – neuf, – dix, – onze, – douze, – treize. – Il manqua le quatorzi?me, et, jurant:

– Nom de Dieu de treize; il me porte toujours la guigne, ce bougre-l?. Je mourrai un treize certainement.

Un des rеdacteurs qui avait fini sa besogne prit ? son tour un bilboquet dans l'armoire; c'еtait un tout petit homme qui avait l'air d'un enfant, bien qu'il f?t ?gе de trente-cinq ans; et plusieurs autres journalistes еtant entrеs, ils all?rent l'un apr?s l'autre chercher le joujou qui leur appartenait. Bient?t ils furent six, c?te ? c?te, le dos au mur, qui lan?aient en l'air, d'un mouvement pareil et rеgulier, les boules rouges, jaunes ou noires, suivant la nature du bois. Et une lutte s'еtant еtablie, les deux rеdacteurs qui travaillaient encore se lev?rent pour juger les coups.

Forestier gagna de onze points. Alors le petit homme ? l'air enfantin, qui avait perdu, sonna le gar?on de bureau et commanda: «Neuf bocks». Et ils se remirent ? jouer en attendant les rafra?chissements.

Duroy but un verre de bi?re avec ses nouveaux confr?res, puis il demanda ? son ami:

– Que faut-il que je fasse?

L'autre rеpondit:

– Je n'ai rien pour toi aujourd'hui. Tu peux t'en aller si tu veux.

– Et… notre… notre… article… est-ce ce soir qu'il passera?

– Oui, mais ne t'en occupe pas: je corrigerai les еpreuves. Fais la suite pour demain, et viens ici ? trois heures, comme aujourd'hui.

Et Duroy, ayant serrе toutes les mains sans savoir m?me le nom de leurs possesseurs, redescendit le bel escalier, le cCur joyeux et l'esprit all?gre.

IV

Georges Duroy dormit mal, tant l'excitait le dеsir de voir imprimе son article. D?s que le jour parut, il fut debout, et il r?dait dans la rue bien avant l'heure o? les porteurs de journaux vont, en courant, de kiosque en kiosque.

Alors il gagna la gare Saint-Lazare, sachant bien que la Vie Fran?aise y arriverait avant de parvenir dans son quartier. Comme il еtait encore trop t?t, il erra sur le trottoir.

Il vit arriver la marchande, qui ouvrit sa boutique de verre, puis il aper?ut un homme portant sur sa t?te un tas de grands papiers pliеs. Il se prеcipita: c'еtaient le Figaro, le Gil-Blas, le Gaulois, l'Еvеnement, et deux ou trois autres feuilles du matin; mais la Vie Fran?aise n'y еtait pas.

Une peur le saisit: «Si on avait remis au lendemain les Souvenirs d'un chasseur d'Afrique, ou si, par hasard, la chose n'avait pas plu, au dernier moment, au p?re Walter?»

En redescendant vers le kiosque, il s'aper?ut qu'on vendait le journal, sans qu'il l'e?t vu apporter. Il se prеcipita, le dеplia, apr?s avoir jetе les trois sous, et parcourut les titres de la premi?re page. – Rien. – Son cCur se mit ? battre; il ouvrit la feuille, et il eut une forte еmotion en lisant, au bas d'une colonne en grosses lettres: «Georges Duroy». ?a y еtait! quelle joie!

Il se mit ? marcher, sans penser, le journal ? la main, le chapeau sur le c?tе, avec une envie d'arr?ter les passants pour leur dire: «Achetez ?a – achetez ?a! Il y a un article de moi». Il aurait voulu pouvoir crier de tous ses poumons, comme font certains hommes, le soir, sur les boulevards: «Lisez la Vie Fran?aise, lisez l'article de Georges Duroy: Les Souvenirs d'un chasseur d'Afrique!» Et, tout ? coup, il еprouva le dеsir de lire lui-m?me cet article, de le lire dans un endroit public, dans un cafе, bien en vue. Et il chercha un еtablissement qui f?t dеj? frеquentе. Il lui fallut marcher longtemps. Il s'assit enfin devant une esp?ce de marchand de vin o? plusieurs consommateurs еtaient dеj? installеs, et il demanda: «Un rhum», comme il aurait demandе: «Une absinthe», sans songer ? l'heure. Puis il appela: «Gar?on, donnez-moi la Vie Fran?aise».