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Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке
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Les Faux-monnayeurs / Фальшивомонетчики. Книга для чтения на французском языке

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“J’ai raconté ma rencontre avec Georges si longuement que j’ai dû m’arrêter au moment où Olivier entrait en scène. Je n’ai commencé ce récit que pour parler de lui, et je n’ai su parler que de Georges. Mais, au moment de parler d’Olivier, je comprends que le désir de différer ce moment était cause de ma lenteur. Dès que je le vis, ce premier jour, dès qu’il se fut assis à la table de famille, dès mon premier regard, ou plus exactement dès son premier regard, j’ai senti que ce regard s’emparait de moi et que je ne disposais plus de ma vie.

“Pauline insiste pour que je vienne la voir plus souvent. Elle me prie instamment de m’occuper un peu de ses enfants. Elle me laisse entendre que leur père les connaît mal. Plus je cause avec elle et plus elle me paraît charmante. Je ne comprends plus comment j’ai pu rester si longtemps sans la fréquenter. Les enfants sont élevés dans la religion catholique; mais elle se souvient de sa première éducation protestante, et bien qu’elle ait quitté le foyer de notre père commun au moment où ma mère y est entrée, je découvre entre elle et moi maints traits de ressemblance. Elle a mis ses enfants en pension chez les parents de Laura, où j’ai moi-même si longtemps habité. La pension Azaïs, du reste, se pique de n’avoir pas de couleur confessionnelle particulière (de mon temps, on y voyait jusqu’à des Turcs), encore que le vieil Azaïs, l’ancien ami de mon père, qui l’a fondée et qui la dirige encore, ait été d’abord pasteur.

“Pauline reçoit d’assez bonnes nouvelles du sanatorium où Vincent achève de se guérir. Elle lui parle de moi, m’a-t-elle dit, dans ses lettres, et voudrait que je le connaisse mieux; car je n’ai fait que l’entrevoir. Elle fonde sur son fils aîné de grands espoirs; le ménage se saigne pour lui permettre bientôt de s’établir – je veux dire: d’avoir un logement indépendant pour recevoir la clientèle. En attendant, elle a trouvé le moyen de lui réserver une partie du petit appartement qu’ils occupent, en installant Olivier et Georges, au-dessous de leur appartement, dans une chambre isolée, qui se trouvait vacante. La grande question est de savoir si, pour raison de santé, Vincent va devoir renoncer à l’internat.

“A vrai dire, Vincent ne m’intéresse guère et, si je parle beaucoup de lui avec sa mère, c’est par complaisance pour elle, et pour pouvoir sitôt ensuite nous occuper plus longuement d’Olivier. Quant à Georges, il me bat froid, me répond à peine quand je lui parle et jette sur moi, quand il me croise, un regard indé-finissablement soupçonneux. Il semble qu’il m’en veuille de n’être pas allé l’attendre à la porte de son lycée – ou qu’il s’en veuille de ses avances.

“Je ne vois pas Olivier davantage. Quand je vais chez sa mère, je n’ose le retrouver dans la pièce où je sais qu’il travaille; le rencontré-je par hasard, je suis si gauche et si confus que je ne trouve rien à lui dire, et cela* me rend si malheureux que je préfère aller voir sa mère aux heures où je sais qu’il n’est pas à la maison.”

XII

JOURNAL D’EDOUARD

(Suite)

“2 novembre. – Longue conversation avec Douviers, qui sort avec moi de chez les parents de Laura et m’accompagne jusqu’à l’Odéon à travers le Luxembourg. Il prépare une thèse de doctorat sur Wordsworth, mais aux quelques mots qu’il m’en dit, je sens bien que les qualités les plus particulières de la poésie de Wordsworth lui échappent. Il aurait mieux fait de choisir Tennyson. Je sens je ne sais quoi d’insuffisant chez Douviers, d’abstrait et de jobard. Il prend toutes les choses et les êtres pour ce qu’ils se donnent; c’est peut-être parce que lui se donne toujours pour ce qu’il est.

“– Je sais, m’a-t-il dit, que vous êtes le meilleur ami de Laura. Je devrais sans doute être un peu jaloux de vous. Je ne puis pas. Au contraire, tout ce qu’elle m’a dit de vous m’a fait à la fois la comprendre mieux, et souhaiter de devenir votre ami. Je lui ai demandé l’autre jour si vous ne m’en vouliez pas trop de l’épouser? Elle m’a répondu qu’au contraire vous lui aviez conseillé de le faire (je crois bien qu’il m’a dit cela aussi platement). – Je voudrais vous en remercier – et que vous ne trouviez pas cela ridicule, car je le fais très sincèrement – a-t-il ajouté, en s’efforçant de sourire, mais d’une voix tremblante et avec des larmes aux yeux.

“Je ne savais que lui dire, car je me sentais beaucoup moins ému que j’aurais dû l’être et complètement incapable d’une effusion réciproque. J’ai dû lui paraître un peu sec; mais il m’agaçait. J’ai néanmoins serré le plus chaleureusement que j’ai pu la main qu’il me tendait. Ces scènes où l’un offre plus de son coeur qu’on ne lui demande, sont toujours pénibles. Sans doute pensait-il forcer ma sympathie. S’il eût été plus perspicace, il se fût senti volé; mais déjà je le voyais reconnaissant de son propre geste, dont il croyait surprendre le reflet dans mon coeur. Comme je ne disais rien, et gêné peut-être par mon silence:

“– Je compte, a-t-il ajouté bientôt, sur le dépaysement de sa vie à Cambridge pour empêcher des comparaisons de sa part, qui seraient à mon désavantage.

“Qu’entendait-il par là? Je m’efforçais de ne pas comprendre. Peut-être espérait-il une protestation; mais qui n’eût fait que nous engluer davantage. Il est de ces gens dont la timidité ne peut supporter les silences et qui croient devoir les meubler par une avance exagérée; de ceux qui vous disent ensuite: “J’ai toujours été franc avec vous.” Eh! parbleu, l’important n’est pas tant d’être franc que de permettre à l’autre de l’être. Il aurait dû se rendre compte que sa franchise précisément empêchait la mienne.

“Mais si je ne puis devenir son ami, du moins je crois qu’il fera un excellent mari pour Laura; car, somme toute, ce sont ici surtout ses qualités que je lui reproche. Ensuite, nous avons parlé de Cambridge, où j’ai promis d’aller les voir.

“Quel absurde besoin Laura a-t-elle eu de lui parler de moi?

“Admirable propension au dévouement, chez la femme. L’homme qu’elle aime n’eét, le plus souvent, pour elle, qu’une sorte de patère à quoi suspendre son amour. Avec quelle sincère facilité Laura opère la substitution! Je comprends qu’elle épouse Douviers; j’ai été un des premiers à le lui conseiller. Mais j’étais en droit d’espérer un peu de chagrin. Le mariage a lieu dans trois jours.

“Quelques articles sur mon livre. Les qualités qu’on me reconnaît le plus volontiers sont de celles précisément que je prends le plus en horreur… Ai-je eu raison de laisser rééditer ces vieilleries? Elles ne répondent plus à rien de ce que j’aime à présent. Mais je ne m’en aperçois qu’à présent. Il ne me paraît pas que précisément j’aie changé; mais bien que, seulement maintenant, je prenne conscience de moi-même; jusqu’à présent, je ne savais pas qui j’étais. Se peut-il que j’aie toujours besoin qu’un autre fasse office, pour moi, de révélateur! Ce livre avait cristallisé selon Laura, et c’est pourquoi je ne veux plus m’y reconnaître.

“Cette perspicacité, faite de sympathie, nous eSt-elle interdite, qui nous permettrait de devancer les saisons? Quels problèmes inquiéteront demain ceux qui viennent? C’est pour eux que je veux écrire. Fournir un aliment à des curiosités encore indistinctes, satisfaire à des exigences qui ne sont pas encore précisées, de sorte que celui qui n’est aujourd’hui qu’un enfant, demain s’étonne à me rencontrer sur sa route.

“Combien j’aime à sentir chez Olivier tant de curiosité, d’impatiente insatisfaction du passé…

“Il me paraît parfois que la poésie est la seule chose qui l’intéresse. Et je sens, à les relire à travers lui, combien rares sont ceux de nos poètes qui se soient laissés guider plus par le sentiment de l’art que par le coeur ou par l’esprit. Le bizarre c’est que, lorsque Oscar Molinier m’a montré des vers d’Olivier, j’ai donné à celui-ci le conseil de chercher plus à se laisser guider par les mots qu’à les soumettre. Et maintenant, il me semble que c’est lui qui, par contrecoup, m’en instruit.

“Combien tout ce que j’ai écrit précédemment me paraît aujourd’hui tristement, ennuyeusement et ridiculement raisonnable!

“5 novembre. – La cérémonie a eu lieu. Dans la petite chapelle de la rue Madame où je n’étais pas retourné depuis longtemps. Famille Vedel-Azaïs au complet: grand-père, père et mère de Laura, ses deux soeurs et son jeune frère, plus nombre d’oncles, de tantes et de cousins. Famille Douviers représentée par trois tantes en grand deuil, dont le catholicisme eût fait trois nonnes, qui, d’après ce que l’on m’a dit, vivent ensemble, et avec qui vivait également Douviers depuis la mort de ses parents. Dans la tribune, les élèves de la pension. D’autres amis de la famille achevaient de remplir la salle, au fond de laquelle je suis resté; non loin de moi, j’ai vu ma soeur avec Olivier; Georges devait être dans la tribune avec des camarades de son âge. Le vieux La Pérouse à l’harmonium; son visage vieilli, plus beau, plus noble que jamais, mais son oeil sans plus cette flamme admirable qui me communiquait sa ferveur, du temps de ses leçons de piano. Nos regards se sont croisés et j’ai senti, dans le sourire qu’il m’adressait, tant de tristesse que je me suis promis de le retrouver à la sortie. Des personnes ont bougé et une place auprès de Pauline s’est trouvée libre. Olivier m’a tout aussitôt fait signe, a poussé sa mère pour que je puisse m’asseoir à côté de lui; puis m’a pris la main et l’a longuement retenue dans la sienne. C’est la première fois qu’il agit aussi familièrement avec moi. Il a gardé les yeux fermés pendant presque toute l’interminable allocution du pasteur, ce qui m’a permis de le contempler longuement; il ressemble à ce pâtre endormi d’un bas-relief du musée de Naples, dont j’ai la photographie sur mon bureau. J’aurais cru qu’il dormait lui-même, sans le frémissement de ses doigts; sa main palpitait comme un oiseau dans la mienne.