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La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits
La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits
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La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits

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“Epargnez-moi la kyrielle de vos compétences Mademoiselle Bruno. Par ailleurs modestes”. La voix maintenant était ennuyée.

Mes yeux se soulevèrent, prêts finalement à rencontrer ceux de mon interlocuteur. Et quand ils le firent, je remerciai le ciel de l’avoir salué d’abord. Puisque maintenant j’aurais eu de sérieuses difficultés même à me rappeler mon nom.

Il était assis au-delà du bureau, sur le fauteuil roulant, une main allongée sur le bord, à frôler le bois, l’autre qui jouait avec une stylographique, les yeux foncés fixement dans les miens, insondables. Encore une fois, la nième, j’ai regretté de ne pouvoir pas voir les couleurs. J’aurai donné volontiers une année de ma vie pour pouvoir distinguer les couleurs de son visage et de ses cheveux. Mais cette joie m’était empêchée. Sans appel. Dans une lueur de lucidité je pensais qu’il était beau comme ça: le visage d’une pâleur innaturel, yeux noirs, ombragés par de longs cils, les cheveux noirs, ondulés et touffus.

“Vous êtes muette? Ou sourde?”

Je retombai sur la terre, en précipitant d’hauteurs vertigineuses. Il me sembla presque d’entendre le fracas de mes membres sur le sol. Un grondement grand et sinistre, suivi par un craquement peureux et dévastant.

“Excusez-moi, je me suis distraite” je marmonnai, en m’enflammant à l’instant.

Il me regarda avec une attention qui me parut exagérée. Il semblait vouloir mémoriser chaque ligne de mon visage, en s’arrêtant sur ma gueule. Je rougis encore plus. Pour la première fois je désirai ardemment que mon défaut de naissance était partagé par un autre être humain. Il aurait été moins gênant penser que Monsieur Mc Laine, en sa beauté aristocratique et triomphante, ne pouvait pas remarquer la rougeur affluer violemment sur tout centimètre de peau découverte.

Je me balançais sur les pieds, mal à l’aise pour cet examen visuel impudemment à découvert. Il continua son analyse, en passant à mes cheveux.

“Vous devriez vous teindre les cheveux. Ou les gens finiront par les confondre avec le feu. Je ne voudrais pas que vous finissiez sous l’assaut de cent extincteurs ”. L’expression imperscrutable s’anima un peu, et une étincelle d’amusement brilla dans ses yeux.

“Je n’ai pas choisi cette couleur” dis-je, en collectant toute la dignité dont j’étais capable. “Mais le Seigneur”.

Il leva un sourcil. “Vous êtes religieuse, Mademoiselle Bruno?”

“Et vous, monsieur?”

Il posa le stylo sur le bureau, sans me perdre de vue . “Il n’existe aucune épreuve de l’existence de Dieu ”.

“Néanmoins qu’il n’existe pas” Je répondis d’un ton rebelle, en surprenant d’abord moi-même pour la véhémence avec laquelle je parlai.

Ses lèvres se courbèrent en un sourire moqueur, donc il m’indiqua le fauteuil rembourré. “Asseyez-vous”. Il me donna un ordre, plus qu’une invitation. Toutefois j’obéis à l’instant.

“Vous n’avez pas répondu à ma question, Mademoiselle Bruno. Vous êtes religieuse?”

“Je suis croyante, Monsieur Mc Laine” je confirmai tout bas. “Toutefois je ne suis pas beaucoup pratiquante. Au contraire, je ne le suis pas du tout”.

“L’Ecosse est une des seules nations anglo-saxonnes à pratiquer le catholicisme avec une ferveur et une dévotion incomparables”. Son ironie était sans équivoque. “Je suis l’exception qui confirme la règle... On ne dit pas ça? Disons que je crois seulement à moi-même, et à celui que je peux toucher ”.

Il s’appuya tout détendu au dossier du fauteuil roulant, en tapant sur les barreaux avec la pointe des doigts. Mais pourtant je ne pensai néanmoins pendant un millième de seconde, qu’il était vulnérable ou fragile. Son expression était celle de celui qui est échappé aux flammes, et qu’il n’a pas peur de se plonger encore en elles, si nécessaire. Ou simplement, s’il en a envie. Je détachai à grand-peine les yeux de son visage. Il était brillant, presque nacré, un blanc lustré, divers des visages qui habituellement m’entouraient. Il était épuisant le regarder, et même écouter sa voix hypnotique. Un serpent séducteur, et toute femme aurait été heureuse d’en subir le sortilège, le charme secret provenant de lui, de ce visage parfait, de son regard moquant.

“Donc vous êtes ma nouvelle secrétaire, Mademoiselle Bruno”.

“Si vous voudriez confirmer mon recrutement, Monsieur Mc Laine” je précisai, en soulevant le regard.

Il sourit, ambigu. “Pourquoi je ne devrais pas la recruter? Parce que vous n’allez pas à l’église tous les dimanches? Vous me jugez très superficiel si vous pensez que à ce point je sois capable de vous renvoyer ou…faire rester ici sur la base de quelques bavardages”.

“Moi aussi je ne vous connais assez à formuler un jugement si peu flatteur à vos égards” je convins en souriant. “Toutefois je suis conscient qu’un rapport de travail profitable nait même d’une sympathie immédiate, d’une première impression favorable”.

Son rire avait été si inattendu à me faire sursauter. Il s’éteint avec la même soudaineté qui l’avait fait naitre. Il me regarda glacialement.

“Vous croyez vraiment qu’il est facile de trouver des employées disposées à se transférer dans ce village oublié par Dieu et le monde, loin de toute occasion d’amusement, de tout centre commercial ou disco? Vous avez été la seule à répondre à l’annonce, Mademoiselle Bruno”.

L’amusement était aux aguets, derrière le gel de ses yeux. Une plaque de verglas noir, écrasée par une crevasse subtile de bonne humeur qui me réchauffa l’âme.

“Alors je ne me devrai pas préoccuper de la concurrence” dis-je, en entrelaçant nerveusement les mains sur les genoux.

Il m’étudia encore, avec la même curiosité qu’on a en regardant un animal rare.

J’avalai la salive, en faisant l’étalage d’une désinvolture fictive et dangereusement précaire. Pendant un instant, justement le temps de formuler la pensée, je me dis que je devais échapper de celle maison, de celle chambre débordant de livres, de cet homme inquiétant et beau. Je me sentais de même qu’un chaton inerme, à quelque centimètre de la gueule d’un lion. Prédateur cruel, proie impuissante. Donc la sensation s’évanouit, et je pensai que j’étais bête. Devant moi il y avait un homme de la personnalité insidieuse, arrogante et autoritaire, mais forcé il y a longtemps sur un fauteuil roulant. J’étais la proie du moment, une fille timide, peureuse et résistante aux changements. Pourquoi ne pas le laisser faire? S’il s’amusait de se moquer de moi, pourquoi lui empêcher la seule occasion d’amusement, de distraction, qu’il avait? Il était presque noble de mon côté, en quelque sorte.

“Qu’est-ce que vous pensez de moi, Mademoiselle Bruno?”

Encore une fois je lui forçai à répéter la question, et encore une fois je lui pris au dépourvu.

“Je ne pensai pas que vous soyez si jeune ”.

Il se raidit à l’instant, et devint silencieux, j’étais craintive de l’avoir blessé de quelque façon. Il se ressaisit, et il me gela avec un autre de ses sourires au chardon. “Vraiment?”

Je m’agitai sur la chaise, indécise sur comme continuer. Donc je me décidai, en battant le rappel de tout mon courage, et encouragée de son regard enchainé au mien, dans une dance muette, et non pas pour cette raison moins émotionnante, je repris à parler.

“Beh... vous avez écrit votre premier livre à vingt-cinq ans, il y a quinze ans, que je sache. Et pourtant vous semblez un peu plus vieux que moi” je considérai presque trop parti.

“Quelle est votre âge, Mademoiselle Bruno?”

“Vingt-deux, monsieur” répondis-je, enveloppée encore par la profondeur de ses yeux.

“Je suis vraiment vieux pour toi, Mademoiselle Bruno” dit-il avec un petit rire. Donc il baissa le regard, et la nuit froide retourna à l’envelopper entre ses nœuds, plus cruel qu’un serpent. Toute trace de chaleur disparait. “Dans tout cas vous pouvez rester tranquille. Vous ne devriez craindre des harcèlements sexuels tandis que vous dormez dans votre lit. Comme vous voyez, je suis condamné à l’immobilité”.

Je me tus, puisque je ne savais quoi répondre. Son ton était amer et sans espoir, le visage sculpté dans la pierre.

Ses yeux sondèrent les miens, à la recherche de quelque chose qu’il semblait ne pas trouver. Il se concéda un petit sourire. “Au moins il n’y a pas de pitié en vous. Cela me réjouis. Je ne la veux pas, j’n’en ai pas besoin. Je suis plus heureux que beaucoup d’autres personnes, Mademoiselle Bruno, parce que je suis libre, complètement, absolument”. Il plissa les sourcils. “Qu’est-ce que vous faites encore ici? Vous pouvez aller”.

Le congés brusque me troubla. Je me soulevai indécise, et il en profita pour donner libre cours à sa colère sur moi.

“Vous êtes encore ici? Qu’est-ce que vous voulez? Déjà votre salaire? Ou vous voulez parler de votre jour de liberté?” Il m’accusa en colère.

“Non, Monsieur Mc Laine”. Je me dirigeai maladroitement vers la porte. J’avais déjà la main sur la poignée quand il m’arrêta.

“A neuf heure demain matin, Mademoiselle Bruno. Je suis en train d’écrire un nouveau livre, le titre est Morts sans sépulture. Vous le trouvez affreux?” Son sourire devint plus grand.

Le saute brusque d’humeur devait être un trait dominant de son charactère. J’essayais de m’en rappeler pour l’avenir, autrefois je pouvais risquer de crises de nerfs une vingtaine de fois par jour. “Il semble intéressant, monsieur” Je répondis avec prudence.

Il renversa la tête en arrière, et il explosa dans une bonne poliade. “Intéressant! Je parie que vous n’avez jamais lu un de mes livres Mademoiselle Bruno. Vous me semblez trop sensible... Tu ne dormirais pas pendant toute la nuit, harcelée par tes cauchemars...” Il rit encore, en sautant du tu au vous avec la même rapidité de ses sautes d’humeur.

“Je ne suis pas ainsi sensible qu’il n’y paraît, monsieur” répondis-je contrite, en déclenchant une autre vague de rire.

Il manœuvra le fauteuil roulant avec ses mains et une habilité féline admirable, acquise après années et années d’habitude, et il se porta à une vitesse extraordinaire aux mes côtés. Il était si proche à rendre inutile toute ma tentative de formuler une pensée rationnelle. Je reculai instinctivement d’un pas. Il fit semblance de ne pas remarquer mon déplacement, et il indiqua la librairie à ma droite.

“Prends le quatrième livre de gauche, troisième étagère”.

Obéissante, je saisis le livre qu’il m’indiquait. Le titre m’était familier puisque j’avais fait une recherche sur lui sur Internet avant de partir, toutefois je n’avais jamais lu rien écrit par lui. L'horreur n’était pas mon genre, décidemment plus apte à palais forts, et inapte au mien, délicat et romantique.

“Zombies en chemin” je lus à haute voix.

“Il est le plus indiqué pour commencer. Il est le moins... comment dire? Moins peureux?” Il rit aux éclats, en se moquant clairement de moi, et du malaise décidemment peu voilé qui transparut par les pores de mon corps.

“Pourquoi tu ne le commences à lire ce soir? Juste pour te préparer à ton nouveau travail” suggéra-t-il, les yeux riants.

“Ok, je le ferai” répondis-je avec peu d’enthousiasme.

“A demain matin, Mademoiselle Bruno” il me congédia, l’air encore grave. “Ferme-toi dans ta chambre, je ne voudrais pas que les esprits du palais, ou quelque autre redoutable créature nocturne, viendraient te visiter cette nuit. Tu sais...” Il fit une pause, un éclair de drôle dans le noir de ses yeux. “Comme Je t’ai dit avant, il est difficile de trouver employées par ici ”.

J’essayais un sourire, peu convaincant, tout bien considéré.

“Bonne nuit Monsieur Mc Laine”. Avant de fermer la porte, la répartie me sortit des lèvres, sans que je pusse la retenir.

“Je ne crois pas aux esprits ou aux créatures nocturnes”.

“Vous êtes sûre?”

“Il n’existe aucune preuve de leur existence, monsieur” je répondis, en lui signant involontairement.

“Néanmoins du fait qu’ils n’existent pas” répliqua-t-il. Tourna le fauteuil roulant, et il reviendra derrière le bureau.

Je fermai délicatement la porte, le cœur sous les pieds. Peut-être qu’il avait raison, et les zombies existent. Parce que dans ce moment je me sentais une d’eux. Etourdie, le cerveau en tilt, suspendue dans des limbes dans lesquels je ne savais plus distinguer entre réel et irréel. Il était pire que ne savoir pas distinguer les couleurs.

Je dînai sans conviction en compagnie de Madame Mc Millian, la tête ailleurs, avec une toute autre compagnie. Je craignais que je l’eusse récupérée seulement le lendemain matin, en retournant chez celui au près duquel je l’avais laissée. Quelque chose me disait qu’ils n’étaient pas de bonnes mains celles auxquelles mon cœur confiant l’avait livrée.

Je me rappelle très peu de la conversation de ce soir avec la gouvernante. Elle parlait toute seule, incessante. Elle semblait au septième ciel pour avoir finalement quelqu’un avec lequel parler. Ou plutôt, qui l’écoutait. J’étais parfaite en ce sens. Trop polie pour l’interrompre, trop respectueuse pour montrer mon désintérêt, trop occupée pour penser à autre pour avertir la nécessité de rester seule. Dans tout cas j’aurais pensé à lui.

Dans ma chambre, une heure plus tard, assise tranquillement dans mon lit, la tête appuyée sur les coussins, j’ouvris le livre en me plongeant dans la lecture. A la deuxième page j’étais déjà terrifiée, et répréhensiblement, en considérant qu’il s’agissait simplement d’un livre.

Malgré le bon sens duquel, en théorie, j’étais bien douée, l’atmosphère dans la chambre devenait asphyxiante, et le désir de prendre l’air devint urgent.

A pieds nus je traversai la chambre dans la pénombre et j’ouvris grande la fenêtre. Je m’assis sur le rebord, en m’immergeant dans la nuit tiède de début été, le silence déchiré seulement par le striduler des grillons et le rappel d’une chouette. Il était beau d’être là, loin années-lumière de la frénésie de Londres, de ses rythmes pressants, toujours au fil de l’hystérie. Le nuit était un édredon noir, à part la blancheur de quelques étoiles ici et là. J’aimais la nuit, et je pensai oisivement que j’aurais aimé d’être une créature nocturne. L’obscurité était mon alliée. Sans lumière tout est noir, et mon incapacité génétique de distinguer les couleurs diminuait, perdait d’importance. La nuit mes yeux étaient identiques à ceux d’une autre personne. Pendant quelques heures je ne me sentais pas différente. Un soulagement momentané bien sûr, mais rafraichissant comme de l’eau sur la peau chaude.

Le matin après je me réveillait au son du réveil, et je restais pendant quelques minutes dans le lit, ahuri. Après un étourdissement initial, je me rappelai ce qu’il avait eu lieu le jour avant, et je reconnus la chambre.

Quand Je fus habillée, je descendis les escaliers, presque effrayée par le silence profond tout autour. La vue de Millicent Mc Millian, joyeuse et bavardant comme toujours, effaça le brouillard et reporta le beau temps dans mon esprit tourbillonnant.

“Vous avez bien dormi, mademoiselle Bruno?” elle commença.

“Jamais si bien” répondis-je, surprise moi-même de celle nouveauté. Il y avait des années que je ne m’abandonnais si sereinement au sommeil, les pensées négatives mises à part pendant au moins quelques heures.

“Voulez-vous du café ou du thé?”

“Du thé, s’il-vous-plait” je la priai, en m’asseyant à la table de la cuisine.

“Allez dans le salon, je vous le serve de là”.

“Je préfère de faire le petit déjeuner avec vous” dis-je, en suffocant un bâillement.

La femme me parait satisfaite et elle commença à s’affairer au tour des réchauds. Elle reprit le bavardage habituel, et je fus libre de penser à Monique. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire à cette heure? Avait-elle déjà préparé le petit déjeuner? Penser à ma sœur avait reporté le fardeau sur mes épaules minces, et j’accueillis volontiers l’arrivé de la tasse de thé.

“Merci, Madame Mc Millian”. Je sirotai avec plaisir la liquide chaude et agréablement parfumée, tandis que la gouvernant servait le pain grillé et une série de petits bols remplies avec diverses confitures invitantes.

“Prenez celle de framboises. Elle est fantastique”.

J’allongeai la main vers le plateau, le cœur déjà en fibrillation. Ma diversité retourna à m’inonder de boue, sombre et avec une mauvaise odeur. Pourquoi moi? Et dans tout le monde il y en avait d’autres comme moi? Ou j’étais une anomalie isolée, un aberrante erreur de la nature?

Je saisis un bol quelconque, en espérant que la vieille femme était trop concentrée à parler pour s’apercevoir d’une mienne erreur éventuelle. Les confitures étaient cinq, donc j’avais une possibilité sur cinq, deux sur dix, vingt sur cent de deviner la bonne à la première tentative.

Elle me corrigea rapidement, moins distraite que ce que je pensais. “Non, mademoiselle. Celle-là est d’oranges”. Elle sourit, pas du tout consciente de l’agitation qui me poussait dedans, et de mon front perlé de sueur. Elle me passa un petit bol. “Voilà, il est facile de la confondre avec celle de fraises ”.

Elle ne s’aperçoit pas de mon sourire forcé, et elle reprit l’histoire de ses aventures amoureuses avec un jeune florentin qui avait fini pour la laisser pour une sudaméricaine.

Je mangeai à contrecœur, encore nerveuse pour l’incident juste avant, et déjà repentante de n’avoir pas accepté la proposition de manger seule. Dans ce cas il n’y aurait pas été aucun problème. Eviter les situations potentiellement critiques: il était mon mantra. Depuis toujours. Je ne devais pas permettre que l’atmosphère délicieuse de celle maison me poussait à faire des actions hasardeuses, en oubliant la prudence nécessaire. Madame Mc Millian semblait une femme maline, intelligente et attentionnée, toutefois elle était excessivement bavarde. Je ne pouvais pas compter sur sa discrétion.

Elle fit une petite pause pour boire son thé, et j’en profitai pour lui poser quelques questions. “Vous travaillez il y a beaucoup d’années auprès de Monsieur Mc Laine?”

Elle s’éclaira, heureuse de pouvoir donner le prélude à de nouveaux anecdotes. “Je travaille ici il y a quinze ans. J’arrivai peu mois après l’accident survenu à Monsieur Mc Laine. Celui dans lequel... Eh bien, vous avez compris. Tous les employés de maison précédents furent éloignés. Il semble que Monsieur Mc Laine était un homme très gai, plein d’envie de vivre, toujours joyeux. Malheureusement maintenant les tout a changé ”.

“Comment s’est-t-il passé? Je veux dire... L’accident? C’est-à-dire... pardonnez ma curiosité, elle est impardonnable”. Je me mordis les lèvres, craintive d’être mal comprise.

Elle hocha la tête. “Il est normal de se poser des questions, il appartient à la nature humaine. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé précisément. Au village ils m’ont dit que Monsieur Mc Laine devait se marier justement le jour après l’accident de voiture, et évidemment rien n’en est sorti. Certains disent qu’il était ivre, mais c’étaient des rumeurs sans aucun fondement, à mon avis. Ce dont on sait pertinemment est qu’il sortit de la route pour éviter un enfant”.

Ma curiosité se raviva, alimentée par ses mots. “Enfant? J’avais lu sur internet que l’accident s’est passé le nuit ”.

Elle haussa les épaules. “Oui, il semble qu’il s’agissait du fis de l’épicier. Il avait échappé de sa maison puisqu’il s’était mis dans la tête de de se joindre à la compagnie du cirque, en tournée dans la zone”.

Je revins sur celle nouvelle. Cela expliqua les changements brusques d’humeur de Monsieur Mc Laine, sa mauvaise humeur pérenne, son malheur. Comment ne pas le comprendre? Son monde s’était effrité, brisé, par effet d’un destin scélérat. Un homme jeune, riche, beau, écrivain de succès, en train d’accomplir son rêve d’amour... Et dans peu de secondes perdre la plupart de celui qu’il possédait. Je n’aurais jamais pu éprouver une telle malchance, je pouvais seulement l’imaginer. On ne peut pas perdre ce qu’on n’a pas. Ma seule compagnie était le Néant, il y a toujours.

Un coup d’œil rapide à la montre me confirma qu’il était temps de s’en aller. Mon premier jour de travail. Mon cœur accéléra, et dans une lueur de lucidité je me demandai s’il dépendait du nouveau travail, ou du mystérieux propriétaire de celle maison.

Je montai les marches deux par deux, dans la crainte irrationnelle d’arriver en retard. Dans le couloir je rencontrai Kyle, l’infirmier factotum. “Bonjour”.

Je ralentis, en ayant honte de mon empressement. Je devais lui sembler une insécure, ou pire une exaltée.

“Bonjour”.

“Mademoiselle Bruno, n’est-ce pas? Puis-je vous tutoyer? Mais enfin nous sommes dans le même bateau, à la merci d’un fou furieux ”. La grossière et brutale vilénie de ses mots me laissa surprise.

“Je le sais, Je suis irrespectueux envers mon employeur, etcétéra etcétéra. Tu apprendras très tôt à être d’accord avec moi. Comment t’appelles-tu?”

“Mélisande”.

Il ébaucha une révérence sinistre. “Heureux de faire ta connaissance, Mélisande aux cheveux rouges. Ton nom est vraiment étrange, il n’est pas écossais... Même si tu sembles plus écossaise que moi”.

Je fis un sourire par courtoisie, et je cherchai à le dépasser, ayant encore peur d’arriver en retard. Mais il me bloquait la voie, arrêté, avec ses jambes écartées, sur le palier. Il fut l’intervention arrivée à point nommé d’une troisième personne à démêler la situation.

“Mademoiselle Bruno! Je déteste les retards!” Le cri provenait indubitablement par mon nouvel employeur, et mes cheveux se dressèrent sur la nuque.