banner banner banner
Deux. Impair
Deux. Impair
Оценить:
Рейтинг: 0

Полная версия:

Deux. Impair

скачать книгу бесплатно


Il commença à tourner une manivelle qui pendait de la capote, près du miroir du rétroviseur et le toit de la voiture s’ouvrit tout doucement.

« Génial ! En voilà une voiture moderne ! », s’exclama Carmen qui, sans se faire prier, sauta avec agilité sur les sièges arrières et depuis ces derniers, atterrit en un clin d'œil sur le gazon, imitée par Ronald.

« Une façon stylée d’arriver à une fête, non ? »

Nelly s’était approchée, le chandelier toujours allumé entre ses mains pour éclairer le gazon. Elle affichait un sourire radieux, qui était le fruit de cinq années de soins d’orthodontie et d’une somme non négligeable dépensée par son père.

« Salut Nelly ! Quelle idée splendide cette fête ! On peut déjà entrer ? », demanda Carmen, en embrassant sur les deux joues son amie et se dirigeant vers le chemin d’accès avant même de recevoir une réponse.

« Bien sûr, vous passez la fontaine et vous continuez sur la droite. Ensuite vous suivez les lumières, vous ne pouvez pas vous tromper, ok ?

— No problem ! J’ai fait des choses bien plus compliquées dans ma vie », répondit Ronald avec son habituelle ironie.

Ils s’engagèrent dans le jardin en suivant le son de la musique, diffusée par le DJ à un volume assourdissant, plutôt que les lumières indiquées par Nelly ; les seuls voisins de la propriété étant les occupants du cimetière tout proche, il n’y avait aucun risque qu’ils se plaignent du bruit.

Misjudged your limits

Pushed you too far

Took you for granted

I thought that you needed me more more more!

« Boys don’t cry ! Fantastique ! ».

L’émotion de Carmen surprit Ronald, qui avait pour la musique un simple intérêt superficiel.

« Comment fais-tu pour connaître une chanson qui date d’il y a trente ans à partir de deux strophes entendue de loin ? », demanda-t-il en la regardant droit dans les yeux, comme pour souligner son sentiment de surprise.

Carmen répondit avec nonchalance sans se tourner vers lui.

« C’est une passion que mon père m’a transmise. Il a une culture musicale infinie et il nous a éduquée ma sœur et moi au pain et au rock depuis l’enfance. Et quand nous étions petites, il nous disait le titre et l’auteur d’une chanson, et la chantait dans son anglais approximatif, ce qui nous permettait cependant de suivre le texte beaucoup plus facilement en écoutant les versions originales, tu comprends ?

— Bien sûr. Je comparerais cela à une forme de bilinguisme. Vous avez absorbé presque inconsciemment sa culture musicale, comme les enfants, dont les parents ont deux nationalités différentes, apprennent gratuitement les langues de leur père et de leur mère, sans aucun effort. Une sorte d’apprentissage par osmose, voilà.

— Plus ou moins... », répondit Carmen sans trop de conviction, juste avant d’apercevoir, après une légère courbe du sentier sur la droite, l’entrée du salon où se déroulait la fête.

La musique était forte et l’installation diffusait les basses avec une puissance singulière, qui semblaient rebondir dans le ventre des jeunes. Carmen et Ronald se jetèrent sur la piste, illuminés par un stroboscope des années soixante-dix qui lançait par intermittence des rayons de différentes couleurs, dans le plus pur style des épées Jedi de la Guerre des étoiles.

Carmen prit au passage un shot de vodka citron posé sur le plateau d'un serveur qui déambulait dans la foule et le but par petites gorgées rapides, sans s’arrêter de danser.

Il lui sembla que le stroboscope augmentait progressivement la fréquence des coups d’épées Jedi et cette image la fit sourire ; un sourire qui après cette dose de vodka devint rapidement un éclat de rire.

Un autre serveur avec des petites moustaches qui semblaient peintes sur son visage passa rapidement près d’eux et Carmen ne laissa pas échapper le verre de téquila qu’il transportait et qu’elle avala d’un trait sans même y penser.

« Vas-y doucement, Carmen, tu n’es pas habituée à boire », cria Ronald, sans s’arrêter de suivre le rythme au centre de la piste, essayant de couvrir avec sa voix les décibels de la musique.

Mais Carmen ne sembla pas entendre et, petit à petit, elle disparut dans la cohue dansante, absorbée par l’enthousiasme des fêtards.

***

Le taxi arriva sur la place située devant le grand portail de la villa peu avant onze heures.

À l’entrée, les allées et venues n’avaient pas cessé, bien que la majorité des invités se soit déjà dirigée vers la piste de danse et vers le bar adjacent, où l’alcool coulait à flot et, surtout, gratuitement.

La formule, barra libre [3] dans les fêtes privées, garantissait un pourcentage de personnes ivres bien supérieur aux normes des fêtes universitaires.

Un homme de taille moyenne descendit du taxi, paya sans demander son reste et s’approcha sans attendre de la grille.

Il savait que son arrivée serait vue par la majorité comme un fait pour le moins étrange, ou peut-être le craignait-il, mais il s’efforça de se comporter de la façon la plus naturelle possible.

Il portait un t-shirt en coton bleu avec une petite étoile blanche au dos, un jean foncé moulant et des bottes noires à lacets blancs.

Sur sa tête, était posée une curieuse casquette rouge de baseball.

Nelly eut beaucoup de mal à masquer sa surprise.

« Père Juan ! Quel plaisir ! Quel bon vent vous amène ? »

Elle était certaine de ne pas l’avoir invité. Il ne manquerait plus que ça, inviter un prêtre à une fête étudiante à la campagne.

Qui sait comment il avait eu connaissance de la fête, et qui sait comment lui était venue l’idée d’y participer.

Nelly remarqua l’embarras affiché sur le visage de son interlocuteur et pour faire passer ce moment de gêne, elle préféra lui expliquer immédiatement le chemin pour arriver au salon.

« Tu passes la fontaine, tu suis le sentier sur la droite, et juste après tu trouveras la fête, ok ? J’arrive dans quelques instants, il est déjà onze heures, je crois que les invités sont tous arrivés maintenant. Et j’ai une envie folle de me jeter sur la piste moi aussi ! »

La jeune femme lui lança un regard dénué de toute malice, recevant pour seule réponse un sourire fuyant, tout juste esquissé.

L’homme s’alluma une cigarette et se lança, légèrement vouté, sur le sentier illuminé par de petites torches parfumées.

Son arrivée dans le salon principal de la fête fut pour lui comme un coup de poing dans l’estomac.

Volume de la musique très élevé.

Au milieu de la salle, des jeunes avec des rastas frappant violemment sur des bidons métalliques, en totale symbiose avec le rythme de la musique diffusée par les caissons de basse à deux mille watts, qui semblait vouloir se frayer un chemin à coups de coudes dans les viscères de chacun des participants.

Les rayons de lumière émanant du stroboscope suspendu au centre du salon et le parfum de l’après-rasage mélangé à l’odeur de sueur de la foule.

Des serveurs dans des tenues visiblement informelles, mais portant tous un nœud papillon blanc comme signe distinctif, qui se déplaçaient sans cesse dans la salle brandissant sur une main placée en hauteur, juste au-dessus des têtes des invités, des plateaux argentés recouverts de boissons alcoolisées et d’alcools forts, qui étaient vides quelques minutes seulement après avoir été remplis.

Il décida de rester en marge de la cohue, appuyé au montant de la gigantesque baie vitrée, qui dans les méandres de sa mémoire le ramena quelques années auparavant lorsqu’il étudiait la conception de l’architecture organique de Wright : elle garantissait la continuité essentielle entre le grand salon et le parc adjacent.

Observant la situation à la dérobée, il remarqua des personnes sortir parfois du cercle infernal pour prendre l’air dans l’immense parc de la propriété, où des groupes de garçons et de filles se formaient avec une rapidité surprenante et se défaisaient avec autant de rapidité, submergés par l’appel de la musique, trop intense pour rester trop longtemps dans le jardin à discuter.

Il leva les yeux au ciel et remarqua un long nuage gris qui commençait à voiler la pleine lune qui, jusqu’à ce moment-là, avait incontestablement dominé cette nuit tiède costaricienne.

« Faisons un petit tour », pensa-t-il, se dirigeant à pas rapides vers le grand escalier de marbre blanc qui, partant du fond du couloir, s’élevait, magistral derrière la salle de bal.

L’escalier l’emmena au premier étage, exactement au-dessus du salon où se déroulait la fête ; lorsque les percussionnistes redoublaient de fougue, il pouvait sentir le sol vibrer.

Il remarqua deux portes en bois massif, l’une sur la droite et l’autre sur la gauche, tandis qu’en face des escaliers, après un salon ovale, une autre grande baie vitrée, en tout point identique à celle du rez-de-chaussée, permettait de profiter d'une vue imprenable sur le jardin.

La douce moquette bleue amortissait ses pas et cela lui donna envie de retirer ses bottes, ce qu’il fit, poursuivant déchaussé son petit tour d’exploration.

Il traversa la pièce et profita pendant dix bonnes minutes du panorama, enveloppé par l’obscurité, savourant calmement une cigarette tout juste allumée et s’amusant de temps en temps à observer la fumée monter vers le plafond incurvé.

Le nuage décoloré aperçu quelques minutes auparavant, avait entre-temps terminé son opération de couverture de la lune.

Ce fut pendant l'un de ces moments d'observation qu’eut lieu, de façon inattendue, la panne d’électricité ; les amplis du DJ étaient dignes d’un concert de U2 et l’installation électrique de l’édifice n’était pas conçue pour assumer une telle charge.

Le silence inopiné le prit par surprise, mais cela ne l’empêcha pas de percevoir une sorte de râle provenant de l’une des pièces qui donnaient sur le salon.

Il devait s’agir d’une jeune femme faisant un rêve ; le son semblait guttural mais il ne comprenait pas s’il s’agissait d'un gémissement de plaisir ou de douleur.

Il décida de rester immobile, tendant l’oreille et ne pouvant s’empêcher de se sentir comme un setter qui cherche fiévreusement à localiser la source des sons perçus.

Le silence l’enveloppa et, accompagné par la nuit noire, il provoqua en lui une sensation d’inconfort.

Il récupéra ses bottes, s’approcha de la porte en bois massif d’où provenait le bruit qu’il avait entendu et il baissa délicatement la poignée en laiton, qui n’opposa aucune résistance.

Il ouvrit la porte et se trouva dans une grande pièce, dans laquelle, sur un grand lit, deux types en caleçons semblaient s’acharner sur une femme bâillonnée, nue, attachée par les mains et les chevilles à la tête et aux pieds du lit, où les vêtements des hommes avaient été entassés.

L’un des deux était penché sur le nombril de la malheureuse, tandis que l’autre semblait la caresser avec vigueur sur le visage.

Il eut l’impression qu’il s’agissait, plutôt que des caresses, de tentatives pour lui faire tourner la tête et l’embrasser.

Elle résistait, bien que semblant totalement à bout de forces, émettant des gémissements confus dans un état de choc évident.

La pièce était faiblement illuminée par des bougies éparpillées ça-et-là desquelles s’échappait un intense parfum de vanille, qui se mélangeait à l’odeur de marijuana que deux autres hommes étaient en train de fumer, affalés sur de vieux fauteuils recouverts de velours vert.

Le courant fut rétabli quelques minutes plus tard, inondant la pièce de musique, dans laquelle personne ne semblait s’être rendu compte de son entrée.

Les deux jeunes à moitié nus continuèrent de harceler la jeune femme, entre gloussements et regards entendus, tandis que les deux autres, les yeux mi-clos, se passèrent le joint en faisant un « check » de leur main libre.

Il croisa le regard de la jeune femme et il eut l’impression qu’elle était sur le point de pleurer, bien que son expression soit totalement vide au point d’être difficilement intelligible.

Il ne put s’empêcher d’admirer le corps nu de la femme.

Sa peau était très blanche, ses jambes musclées.

Ses longs cheveux lisses caressaient ses épaules et couvraient partiellement son visage, décoiffés par les mains des deux jeunes au-dessus d’elle. Il tira une dernière bouffée de cigarette, jeta le mégot par la fenêtre ouverte et s’assit sur le lit, en lui caressant les jambes.

Ce fut seulement à cet instant que les deux hommes fumant de la marijuana se rendirent compte de son entrée et, presque étonnés de cette approche inattendue, commencèrent à battre le rythme avec les mains, en criant « du sexe, du sexe ! ».

Les deux autres, sans se presser, retirèrent leur caleçon, se frottant sur la fille au rythme des battements de mains de leurs amis.

Retirant ses vêtements, il se joignit à eux, commençant à caresser le corps de la malheureuse, dont les yeux humides commencèrent à libérer de fines larmes salées.

Dehors, la lune de la nuit costaricienne se perdit définitivement, occultée totalement par les nuages.

L’orgie dura moins de dix minutes mais, pour lui, c’était suffisant ; l’excitation effrénée, amplifiée par l’effet de la marijuana, le conduisit en très peu de temps à un orgasme sauvage et haletant, qu’il atteignit en mordant les draps froissés du lit à baldaquins et en serrant en extase le bord d’un oreiller.

Puis, il se releva, arrangea ses cheveux, ramassa ses vêtements au pied du lit, et tira une dernière fois sur le joint avant de sortir de la pièce.

Assommé, le regard embrumé, le salon du premier étage de la villa sembla tourner sur lui-même ; cependant, il entrevit dans la pénombre, non loin du grand escalier, un garçon qui soutenait la tête d’une amie, dont le corps semblait dénué de toute force sur la moquette.

Il se tourna immédiatement de l’autre côté, pour éviter les ennuis, espérant ne pas se faire remarquer.

Mais le jeune homme, qui semblait nerveux, lui demanda de l’aide, et leurs regards se croisèrent pendant un bref instant, imperceptible mais concret, juste avant qu’il descende l’escalier, sans daigner répondre, se dirigeant d’un pas assuré vers la sortie de la propriété et passant de temps en temps les doigts dans ses cheveux encore trempés de sueur.

Il se rendit compte qu'il avait oublié sa casquette de baseball dans la chambre ; elle aurait été bien pratique pour couvrir son visage, mais il décida de ne pas la récupérer pour éviter de rencontrer à nouveau ce type et sa belle endormie, qui s’était probablement évanouie.

Il traversa le parc en vitesse, le regard baissé, faisant tout son possible pour éviter de croiser les regards des gens, arrivant au parking avec le cœur battant plus vite que d’habitude, encore chargé de la montée d'adrénaline provoquée par sa toute dernière expérience.

De nombreux taxis attendaient les rescapés de la fête ; il monta dans le premier disponible et, une fois à l’intérieur, il renifla ses mains encore imprégnées de l’odeur du sexe de la jeune femme mélangée à celle de la marijuana, et finalement il se détendit, s’efforçant d’inscrire dans sa mémoire cette orgie mémorable. « Calle del Tesoro , merci », dit-il d’une voix rauque au chauffeur, restant ainsi les yeux fermés et les doigts près des narines, pendant quelques minutes, assis sur le siège arrière et bercé par les échos de la musique de la fête, désormais lointain fond sonore d’une soirée unique, se laissant porter vers son destin.

Il avait un rendez-vous qui, sous peu, allait changer le cours de sa vie, mais il ne le savait pas encore.

***

Depuis la coupure d’électricité, la confusion avait gagné le rez-de-chaussée.

Nelly se décrochait la mâchoire pour demander aux participants de rester tranquilles, tout en affirmant que la panne serait réparée rapidement.

Les invités, bercés par l’euphorie de la fête, en avaient profité pour entonner des chansons et s’adonner à toute sorte de danse, s’amusant de la situation, heureux et insouciants.

Ronald avait saisi l’occasion pour se dégager de l’étreinte verbalement tentaculaire de l’une de ses admiratrices qui l’ennuyait depuis presque une demi-heure, l’empêchant de partir à la recherche de Carmen.

Il s’était élancé dans le jardin et avait commencé à l’appeler, tentant vainement de couvrir le volume des chants des fêtards éméchés.

Il avait même essayé d’amplifier sa voix en s’aidant de ses mains, placées autour de sa bouche tel un mégaphone, mais les résultats n’avaient pas été meilleurs ; il avait alors tenté de l’appeler sur son téléphone, oubliant que ce dernier avait été égaré pendant l’après-midi.

Entre temps, la pluie s’était mise à tomber, à la grande satisfaction des rescapés du bal, transpirants et débraillés, enfumés et alcoolisés, qui profitèrent de l’averse pour prendre une douche rafraîchissante à ciel ouvert, improvisant des rondes et des chants de bistrot, sans jamais arrêter de boire.

Il était rentré dans la maison et, en traversant la salle de bal désormais presque vide, il s’était dirigé vers l’escalier de marbre blanc, qu’il avait grimpé en courant, sautant les marches deux à deux, prenant garde à ne pas trébucher dans l’obscurité.

Il était arrivé dans le grand salon avec le tapis bleu et avait aperçu Carmen, appuyée au montant d’une porte.

Ses genoux ne semblaient pas réussir à soutenir son poids ; elle serrait dans l’une de ses mains une bouteille de vodka vide et elle chantait à tue-tête, les yeux fermés, une chanson en anglais qu’il ne parvenait pas à déchiffrer.

Elle ne s’était pas rendu compte de l’arrivée de son ami, qui s’était empressé de lui prendre la tête entre les mains, s’adressant à elle avec vigueur.

« Carmen, Carmen ! Tu es ivre morte ! Je t’emmène tout de suite, allez, tu ne peux pas rester ici dans cet état ! »

Il avait parlé d’une voix stridente, enchaînant les mots, bégayant presque : sous l’emprise du stress, l’aplomb de Ronald, qui plaisait tant à Carmen, s’évanouissait misérablement.

La jeune femme s’était immobilisée quelques secondes, puis s’était laissée aller tout à coup, s’abandonnant dans les bras de son ami, qui l’étendit inconsciente sur le tapis.