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Storey
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Storey

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Paul s’éclaircit la voix.

– Pour parler du bon vieux temps, tu n’as pas répondu à ma question. Raconte-moi donc un peu ta brillante carrière?

Cliff écarta ses bras et haussa les épaules.

– Quelques problèmes avec l’autorité. Impossible de garder un boulot. Donc je fais un peu de tout, par ci, par là. Moi et les gars, ici. J’aime bien les appeler les experts.

– Vas te faire foutre, Cliff, dit Gary.

Paul réalisa que c’étaient les premiers mots que l’un d’eux avaient prononcés.

– Et au cas où tu te poses des questions, continua Cliff, je ne suis pas un agneau blanc. Est-ce que ça t’étonne? Non, j’ai eu l’honneur d’avoir été emprisonné chez Sa Majesté pendant un temps. Je dis cela avec un esprit ouvert et honnête. Je ne voudrais pas que tu penses que je te parle sous un prétexte.

– Mais ton expérience ne t’a pas remis sur le droit chemin.

Cliff sourit à nouveau.

– Je ne connaîtrai jamais le droit chemin, même si je tombais dedans et que je me cassais le nez.

– On fait tous tout ce qu’on peut pour joindre les deux bouts.

– C’est exactement ce que je veux dire, dit Cliff en lançant un regard d’appréciation vers Paul. Donc, tu es revenu pour un enterrement. Laisse-moi deviner: tes deux parents sont partis, car si ce n’était que l’un des deux, tu serais à la maison à remonter le moral de celui qui reste. Tu ne serais pas dehors à te balader avec des gens comme nous. Tu es probablement en train de régler les problèmes de testament, de vendre la maison et de te débarrasser de vêtements et toutes les conneries… j’ai dû faire tout ça, il y a des années. Ma mère et mon père se sont tués trop tôt à force de trop fumer. Ils n’y allaient pas à la légère. Cinquante par jour, chacun. J’avais presque envie de leur donner une pelle et de leur demander de commencer à creuser leurs tombes.

Paul se pencha en arrière sur sa chaise et jeta un coup d’œil à Araminta. Elle envoyait à nouveau des SMS.

– Tout cela est fascinant, mais je ne sais vraiment pas ce que je fais ici, dit-il.

– Je sais, dit Cliff en haussant les épaules, tu pensais venir prendre un pot en amoureux avec Minty et tu te retrouves avec quatre canailles à la place. C’est comme ce programme à la télé, c’était quoi déjà? en jetant un coup d’œil à ses hommes pour qu’ils l’aident, mais n’ayant que des regards vides comme réponse, il reprit: Dragons Den. Tu dois nous vendre quelque chose alors qu’on ne veut rien acheter.

– Je ne vends rien.

– Oh, je crois que oui. Tu vois, je m’intéresse à toi parce que ce que tu dis ne va pas du tout avec ton attitude. Tu as dit à Minty que tu travaillais dans les assurances. Mais tu m’as sauté dessus comme un flic. Sûr de toi, gonflant tes muscles. Je me suis demandé – quels projets as-tu pour cette pauvre fille? À quoi tu joues, hein? À quoi du joues?

Maintenant Araminta s’était levée, rangea son téléphone et lissa le devant de sa robe. Paul remarqua à nouveau à quel point elle était mince aux hanches et à quel point son ventre était plat.

– Ça va David? lui demanda Cliff en lui jetant un coup d’œil.

Elle saisit un sac à main couleur crème du dossier de sa chaise.

– Un peu en pétard contre moi, dit-elle. Ça fait un bon moment que je ne l’ai pas vu.

– Fais en sorte qu’il te désire plus, chérie. Les hommes sont tous pareils, n’est-ce pas? dit-il en se tournant vers Paul. Donnez-nous une main et on vous demandera le bras. On parle du mec de Minty, au cas où tu te poses des questions. Tu vois, tu n’es pas le seul sur la liste des conquêtes.

Paul se leva en repoussant sa chaise et dit à Araminta:

– Je dois aller aux toilettes. Je vais t’accompagner à la porte.

– Bon plan de drague, mais pas besoin. À plus tard!

Elle passa devant lui sans le regarder. Il sentit brièvement son parfum. Il se retourna pour la suivre du regard se faufiler entre les tables où des hommes accompagnés de leurs femmes et copines firent une pause pour la regarder, avant de jeter un coup d’œil dans sa direction.

– Minty, dit-il en lui saisissant le bras.

– Retire tes sales pattes, lui dit-elle en se retournant le regard obscur.

Il la lâcha.

– Qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce tu fais avec ce tas de tocards?

– C’n’est pas tes oignons, en adoucissant légèrement le regard. Je suis désolée, mais ils étaient ici quand tu n’arrives.

– Qu’est-ce qu’il veut? Pourquoi il te tourne autour?

– Probablement pour les mêmes raisons que toi, lui dit-elle en le fixant du regard.

Puis elle se tourna et partit. Paul la regarda sortir dans l’air froid, hocha la tête et se dirigea vers les toilettes. Il pensait qu’il s’était enchevêtré dans un film dont l’intrigue était incompréhensible et dans lequel les personnages étaient incohérents.

Plus tard, il réalisera que c’était là la raison pour laquelle il aurait dû continuer à marcher, s’enfuir le plus loin possible de ce pub.

Tarzan et Gary entrèrent pendant qu’il remontait sa braguette. Le grand homme, plus grand que prévu, se pencha sous la cadre de la porte avant de la fermer et de s’adosser dessus. Gary jeta un coup d’œil dans toute la pièce carrelée en sifflant et vérifiant les différents compartiments.

Paul se rinçât les mains à l’eau et saisit une serviette en papier, se demandant ce qu’ils allaient bien faire. Rien de grave, pas dans un pub bondé. Probablement qu’ils voulaient juste discuter pour voir s’il était un menteur. Il avait lui-même l’habitude de le faire, lorsqu’il était plus jeune, pour apprendre les ficelles du métier.

– Lui Tarzan, toi Jane? dit-il à Gary.

– Tu vois, qu’est-ce que je t’ai dit? dit Gary en se retournant vers Tarzan, avant de pointer un doigt vers Paul.

– Ta gueule te foutra dans la merde, tu sais? Tu ne peux pas t’en empêcher. On en parlait, Tarzan et moi, on s’est dit que ta gueule te foutra dans la merde un jour. C’est ça, Tarzan?

Tarzan hocha la tête en croisant les bras pour insister, son courage lent presque endormi. Paul pensait qu’il était fort, mais n’avait aucune subtilité. Il serait donc facile à neutraliser tant qu’il était hors de sa portée.

Gary était plus petit que Paul, maigre à la peau grise et les yeux constamment en mouvement derrière les lunettes. Il n’était pas un soutien de confiance, il était préférable de l’avoir toujours à l’œil.

– Cet endroit pue. Est-ce qu’on peut discuter ailleurs? dit Paul.

– On n’est pas là pour discuter, dit Gary. C’est… comment on dit, une leçon.

– De quoi?

– De comment les choses fonctionnent. Entre nous et toi. Si tu tournes autour de Minty, il y a des règles à respecter.

– Et un règlement, dit Tarzan.

– Vous me dites que j’ai besoin de votre permission pour parler à quelqu’un? Vous pensez que je vais me laisser faire? Je ne l’apprécie pas autant que cela. Je n’aime pas les blondes.

Gary se mit à rire et se retourna vers Tarzan.

– Pas de soucis, elle n’est pas vraiment blonde, n’est-ce pas?

– Pas vraiment, répondit Tarzan. Pas en bas, en faisant rire à nouveau Gary.

– C’est bon maintenant? dit Paul.

– Non, dit Gary, nous n’avons pas fini. Tu travailles pour qui?

– Que veux-tu dire?

– Tu travailles dans les assurances. C’est quoi le nom de la compagnie?

Paul croisa le regard de Gary et le fixa.

– Ça ne te regarde pas, dit-il.

– Ouais, je savais que tu dirais ça. Mais le problème, c’est que Cliff veut savoir si tu es bien la personne que tu prétends être.

– Ou quoi?

– J’ne sais pas, il ne l’a pas précisé.

– Quelle différence cela peut-il faire? La compagnie pour laquelle je travaille se trouve à Londres.

– Donc il n’y a aucun mal à ce que tu nous le dises, non? se tournant sur le côté en lançant un regard arrogant vers Paul. Le problème est que je pense qu’il a prévu quelque chose pour toi.

– La réponse est non.

– Ouais, on savait que tu dirais aussi ça. C’est pourquoi nous avons une motivation pour toi.

Lorsqu’ils le firent ressortir dans le bar, Cliff était au téléphone. Il les arrêta en levant une main avant qu’ils s’assoient. Gary agrippa le bras de Paul et le lâcha en le secouant. Mais il resta debout jusqu’à ce que Cliff eût fini en pointant son index sur le bouton Raccrocher et l’enfonça.

Maintenant Paul écoutait Gary raconter à Cliff ce qui s’était passé dans les toilettes: Paul avait refusé de dire pour qui il travaillait et n’était pas intéressé par ce que Cliff avait prévu pour lui. Cliff hochait la tête en écoutant, la bouche en cul-de-poule pour montrer qu’il prenait le sujet au sérieux. Puis il pointa du doigt la chaise sur laquelle Paul était assis auparavant. Tarzan le saisit par les épaules et le poussa.

Paul se demandait ce que les autres gens dans le bar pensaient de ce manège – peut-être qu’ils n’avaient pas remarqué ou qu’ils étaient habitués à Cliff et à ses hommes, et qu’ils s’en foutaient. Peut-être que c’était le genre de pub où c’était normal que des bouteilles soient cassées et des menaces soient faites.

Paul n’avait aucun problème avec ça. Il avait vécu pendant un temps au sud de la rivière à Londres et avait rencontré des personnes avec qui vous n’aimeriez pas avoir d’embrouilles. Un jour, il s’était embarqué dans une bagarre malgré son uniforme et les deux hommes du commissariat qui l’accompagnaient: l’homme après qui ils étaient, Terry ‘Pit Bull’ James, savait qu’il allait être enfermé, mais il voulait quand même démolir quelques flics. Paul apprit ce jour-là qu’il devait frapper le premier et fort, de ne pas attendre de voir comment la conversation tournerait ou si le malfaiteur allait se calmer. Si vous attendez, ce sera trop tard. Ne sachant pas encore cela à cette époque, il prit trois semaines de congé-maladie dû à un tympan abîmé, dont les séquelles n’avaient pas encore entièrement disparues.

– Tu ne travailles pas dans les assurances, dit Cliff. Je le sais. Mais je ne sais pas ce que tu fais. Regarde-toi, assis-là à me lancer ce regard et à te demander de quoi il s’agit.

– Je sais ce qui se passe.

– Ah bon? Alors dis-moi un peu. Je te donnerai une note sur dix.

– Toi et ta bande vous vous ennuyez. Vous ne gagnez pas d’argent – ou très peu – et vous pensez que vous devriez vous en prendre à quelqu’un, une personne pour vous divertir. Tu penses que j’essaye de me faire Araminta, tu crois donc avoir une certaine emprise sur moi. Que je ferai ce que tu veux, seulement pour que je glande ici comme les Funboy Three.

– C’est intéressant: mon père connaissait le père de Terry Hall dans les années soixante, tu sais? Je n’ l’ai jamais rencontré en personne. Mais je te donne huit sur dix, pas mal pour un débutant.

– J’ai loupé les orgies d’ivrognes et les tentatives de suicide, c’est ça?

– On peut dire que c’était marrant. J’ai failli mourir une fois. Accident de voiture. Un idiot a dépassé la ligne blanche et a foncé sur moi, sur l’autoroute Sewell, juste après le pub Devon, tu connais? J’ai eu plusieurs os de cassés et le foie endommagé, mais à part ça, je m’en suis bien sorti. J’ai mal à la tête de temps en temps. Bref, quand j’étais allongé, tout écrasé dans la voiture, je croyais que j’allais mourir. Je me demandais si l’ambulance arriverait à temps ou si j’allais m’endormir. J’n’avais pas mal, j’étais sûrement en état de choc. Mais depuis, je me suis intéressé à la mort, comment c’est lorsqu’on part. Est-ce que ça fait mal, tu t’accroches ou est-ce que c’est tout juste comme aller au lit et tu ne sens rien? Le résultat est que je n’ai plus peur de la mort. Je n’veux pas mourir, mais je prendrai des risques. J’avais l’habitude d’être une grande gueule avec certains tolards quand j’étais en tôle, les provoquer pour voir jusqu’où je pouvais les pousser pour qu’ils m’attaquent. Ils ne l’ont jamais fait. Ils se sont sûrement rendu compte que je n’avais pas peur d’eux, ils m’ont alors foutu la paix.

– Tu es un causeur intéressant.

– J’ai mes moments. Bref, ma question, mec, est-ce que tu es intéressé à te faire un peu de blé. Un peu d’oseille sup.

On y est, pensa Paul. Toute l’histoire était que Cliff se prenait au jeu pour tâter le terrain avant de s’engager.

– Tu ne dis rien, dit Cliff. Aucun son n’est sorti de ta gueule. Je ne suis pas télépathe, tu sais? Alors qu’est-ce t’en dit?

– Que veux-tu que je te dise? dit-il pour raccourcir la discussion et faire en sorte que ce soit Cliff qui fasse le travail.

– Tu n’auras rien à faire. Mettre en pratique ton jugement professionnel. Jeter un coup d’œil à quelque chose et donner ton opinion. L’opinion d’un agent d’assurances.

– Si je suis bien un agent d’assurances.

– Nous y voilà. Ce sera une sorte de test, alors?

– Est-ce que je serais payé?

– Je t’ai déjà dit que oui, non? Le montant sera fixé plus tard.

Paul jeta un coup d’œil à Tarzan et Gary, qui le fixaient de leurs yeux de mort-vivants. Il réalisa que Dutch avait disparu depuis qu’il était sorti des toilettes – il ne lui manquait pas.

Cliff saisit son téléphone.

– Je suppose que ton silence est un oui. Maintenant tu peux te casser. J’ai des choses à faire.

L’attention dans la pièce avait brusquement changé, comme si Paul n’était plus là. Tarzan et Gary se mirent à parler ensemble et Cliff lisait les messages sur son téléphone, ses yeux les parcourant à la vitesse d’un bookmaker évaluant des probabilités.

Paul se leva et sortit, se demandant s’ils remarqueraient son départ.

CHAPITRE CINQ

Elle avait mangé une banane et entamait un kiwi, lorsque Cliff appela, le ton énervé comme d’habitude, sa voix devenant perçante et exigeante en demandant combien de temps elle allait faire traîner les choses avec David avant d’avoir un résultat.

Quand Janice était plus jeune, elle démissionnait dès qu’une personne haussait le ton avec elle – c’était une chose qu’elle ne pouvait pas supporter. Elle supportait cela assez venant de la part de son père à la maison. Il était un tyran pour les gars locaux à Dalkeith, travaillant sur des chantiers ayant toujours une pelle à manche court à la main. Il l’apportait avec lui à la maison et menaçait avec, sa mère et ses trois sœurs en l’agitant dès le premier signe d’embrouilles.

Un matin, une fougueuse de dix-sept ans ne voulant plus se laisser faire, se leva très tôt, appela un taxi, prit la pelle de la cour arrière et la brûla. Le temps que son père arrive en bas de l’escalier en tee-shirt et shorts, elle avait déjà claqué la porte d’entrée et dit au chauffeur de taxi de l’emmener à la Station Waverley à Edinburgh, où elle s’acheta un billet simple pour Londres, se demandant ce qu’elle allait faire des sept cents livres qu’elle avait économisés en travaillant dans la boulangerie Greggs deux jours par semaine, en plus des deux cents livres qu’elle avait volés de la boîte à thé où son père gardait l’argent pour ses boissons.

Elle logea chez sa tante Glinnie pendant deux semaines jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un emploi dans un bureau d’avocat à Twickenham. Puis elle loua un appartement au-dessus d’une compagnie d’assurances tout en élaborant un plan. L’avocat réussissait bien et voulait quelqu’un d’habile pour travailler à la réception. Comme tout le monde, elle tapait bien car elle utilisait l’ordinateur depuis l’école, et il lui a fallu peu d’efforts pour embobiner l’homme âgé.

Elle savait qu’elle était intelligente et ça ne la gênait pas de mentir. Alors qu’elle accueillait les clients et tapait les testaments la journée, elle s’était mise à travailler en ligne la nuit – les escroqueries internet venait d’être lancées à l’époque – en utilisant des faux noms et des photos truquées sur des sites de rencontre, prétendant tomber amoureuse d’une foule de mecs d’âge moyen via email et de convenir sur des rendez-vous pour les rencontrer… à condition de recevoir en premier les frais du voyage.

Plus tard, elle acheta une liste d’emails sur un CD d’un lithuanien dans un club et envoya des milliers d’emails offrant un paiement aux personnes souhaitant travailler à domicile, en traitant des réclamations d’assurances. Il suffisait tout simplement d’envoyer un chèque pour couvrir les frais du bidule à rayon laser qui vérifiera le numéro de réclamation et une rémunération sera offerte pour cent réclamations traitées. Les chèques étaient envoyés à une boîte postale, d’où elle les collectait deux fois par semaine et les déposait dans un compte sous un faux nom.

Depuis, elle avait appris comment créer des sites Web rudimentaires en utilisant Dreamweaver. Elle créa Naturograin.com, en utilisant des images de suppléments de vitamines qu’elle trouvait en ligne et offrait un produit anti-cancer incroyable à un prix défiant toute concurrence si acheté dans l’heure qui suit. L’argent se mit à déferler du monde entier. Elle déménagea de son appartement d’une pièce pour un appartement plus spacieux, elle renouvela sa garde-robe et acheta sa première voiture, une Coccinelle jaune.

Après quelques années, elle laissa tomber l’avocat et dirigea une demi-douzaine de sites Web de vente de faux produits en réfléchissant à ce qu’elle pourrait faire ensuite.

Jusqu’à ce qu’on l’informe que les flics commençaient à s’y intéresser.