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Storey
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Storey

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Il aimait croire qu’il avait du flair à analyser les personnes et leur comportement. Mais, pensa-t-il, qui ne croit pas cela?

Arrivé à sa hauteur, elle s’arrêta de taper et leva la tête, se pencha en arrière l’air décontractée même si elle ne souriait pas. Elle le connaissait, mais semblait ne pas vouloir le voir.

Elle parla et l’homme à la veste en cuir se pencha sur la table, posant ses points de chaque côté de son ordinateur portable. Elle allongea son bras et ferma le couvercle. Paul remarqua qu’elle fut offensée par la réponse de l’homme – elle se redressa sur sa chaise et décroisa ses chevilles en-dessous de la table.

L’homme pointait maintenant un doigt vers elle, le grondement faible dans sa voix – que Paul avait entendu mais sans comprendre – s’était adoucit. La femme détourna son regard. L’homme à la veste en cuir passa son bras au-dessus de la table et lui toucha le bout du nez du bout du doigt en le poussant. Elle recula et débita des insultes.

Paul se leva de son tabouret et se dirigea vers eux, en se rapprochant de l’homme sur le côté. Il pouvait sentir l’odeur du cuir de sa veste et l’odeur d’un fort déodorant. La femme le regarda et fronça les sourcils, qui donna un signal à La veste en cuir de jeter un coup d’œil rapide.

– Tu veux ma putain de photo?

– Je suis plus grand que toi. Ne cherche pas la bagarre.

L’homme se retourna pour le confronter de face. Paul aperçut un regard féroce, des yeux sombres et blancs en profondeur. Il était probablement du même âge que Paul, mais les traits de son visage le vieillissaient de dix ans.

– Va t’asseoir dans un coin et on va prétendre que je ne t’ai jamais vu, dit l’homme à la veste en cuir.

– Tu déranges la dame et j’aimerai bien que tu partes.

– Comment tu t’appelles?

– Paul Storey. Et toi?

– Je m’appelle Dégage-de-ma-putain-de-gueule.

– Tes parents t’ont donné un bon départ dans la vie, à ce que je vois?

– C’est un de tes amis, Minty? se retournant vers la femme, toujours assise, fronçant les sourcils d’une manière devenue familière à Paul.

– Va-t’en Cliff. Je te parlerai plus tard, dit-elle.

Cliff. C’est un prénom que l’on entend rarement de nos jours, pensa Paul, un prénom des années 60, mais il était content d’avoir enfin un nom à utiliser.

– Ne me dis pas ce que je dois faire – toi non plus. Si je veux venir ici et te parler, je le ferai, dit Cliff.

– Rentres chez toi, je t’appellerai.

Cliff se retourna pour regarder Storey, captant sa taille et son allure. Paul pensait que Cliff n’était pas du tout intimidé, mais juste prudent. Il se déplaçait sûrement partout avec une bande, des personnes qui l’aideraient et feraient ce qu’il leur dit de faire. Cela lui donnait de la confiance, tout comme s’il était armé. Paul avait déjà eu affaire à ce genre de type et n’aimait pas cela. Les gens qui contrôlaient les autres ainsi, avaient souvent du mal à se tenir tranquille.

Cliff se redressa et alla de l’autre côté de la table, se mit debout à côté de la femme et regarda Paul.

– Tu ne me plais pas. Mais tu as des tripes. T’ai-je déjà vu quelque part? demanda-t-il

– Je ne crois pas.

– Ouais, moi aussi. Mais il y a quelque chose en toi que je reconnais. Ça me reviendra.

– N’en perds pas le sommeil, beauté.

– Oh, sûrement pas, dit-il en se retournant et sortant du café, sans regarder derrière lui, toujours confiant.

– Tu ne vas pas t’asseoir. Je n’ai pas besoin de chevalier blanc, dit la femme à Paul.

– Je sais.

– Alors pourquoi tu t’es mêlé?

– C’est dans ma nature.

Elle le fixait avec un premier signe de curiosité qu’il n’avait jamais remarqué en elle, comme s’il venait enfin d’attirer son attention.

– J’ai senti que tu ne voulais pas lui parler, dit-il.

– Je l’ai énervé.

– Quelque chose que tu as écrit?

– Pas exactement. Tu peux me laisser maintenant, s’il-te-plaît?

Il hocha la tête. Il était sur le point de partir lorsqu’il se rappela de quelque chose.

– Minty? dit-il.

– Araminta. Ne t’inquiètes pas, tu n’auras jamais l’occasion de l’utiliser, en levant la tête pour le regarder.

– Un nom peu commun pour une écossaise.

– Pas celui-ci.

– Es-tu toujours aussi agressive?

– Es-tu toujours aussi stupide?

Il resta silencieux, se regardant mutuellement dans les yeux. Le regard fixe, il savait qu’elle essayait de le déchiffrer. Il essayait de faire la même chose avec elle. Même si ça ne l’amusait pas vraiment, ça lui changeait les idées. Comme essayer de réfléchir à ce qu’il devait faire dans la vie.

– Rejoins-moi plus tard. Pour un verre, dit-elle sans changer d’expression.

– Ok. Où?

Elle lui donna le nom d’un pub ainsi que les directives – il ne connaissait pas l’endroit, mais connaissait le quartier de lorsqu’il était enfant.

– Je te donne mon numéro, dit-il et se mit à le lui dicter. Il fit une pause pour lui laisser le temps de prendre son téléphone et de le taper.

Elle le fixa à nouveau du regard, prit son téléphone et tapa le numéro. Une fois terminé, elle lui dit:

– Ce n’est pas un rendez-vous. Ne te mets pas sur ton 41. Je ne sais même pas pourquoi je fais ça.

– N’y réfléchis pas trop, ça gâchera un moment magnifique.

– J’y serai à partir de huit heures.

– Comment je te reconnaîtrai?

– Je serai celle qui aura des regrets. Je te l’ai dit, ne t’emballe pas.

CHAPITRE QUATRE

Le pub se trouvait à Ball Hill, à dix minutes de marche de l’ancien terrain de football à Highfield Road. Dans ses souvenirs, c’était à l’époque un quartier commercial très fréquenté, avec des banques, un bureau de poste et toutes sortes de magasins. Une bibliothèque. Maintenant la moitié des commerces étaient barricadés et la majorité des magasins, encore ouverts, étaient des boutiques de bienfaisance. Le quartier était à l’abandon, comme le reste de la ville qu’il avait vu jusqu’ici.

A son entrée au pub, il aperçut immédiatement Cliff, assis à une table ronde avec trois autres hommes. Araminta était assise un peu plus loin à envoyer des SMS d’un grand téléphone noir.

Cliff lui fit signe de la main, un grand sourire au visage.

– Minty a dit que tu venais. Elle a dit que tu croyais que vous aviez un rancard. Eh bien, nous y voilà!

– Pas de roulement de pelle dès le premier soir, dit Paul.

– Assieds-toi et relax, dit Cliff ne prêtant pas attention à ce qu’il venait de dire.

– Voici Dutch, Gary et Tarzan. Je vais te laisser deviner qui est qui, en faisant signe de la tête aux autres assis à la même table.

– C’n’est pas grave, je ne vais pas m’arrêter.

– Oh, ne le prends pas mal. Je veux faire ta connaissance. Tu m’as eu par surprise la dernière fois, mais réflexion faite, j’ai bien aimé ta réaction. Défendre le d’m’oiselle.

Araminta leva les yeux.

– Salut, dit-elle.

Cliff lui jeta un coup d’œil en haussa les épaules.

– Elle n’aime pas cela. N’aime pas être considérée comme une petite fille. Je ne peux pas lui en vouloir. Peux-tu l’imaginer en train de faire la vaisselle, debout au lavabo portant un tablier? sourit-il s’attendant à ce que Paul lui réponde, un scintillement dans le regard en essayant de le déséquilibrer.

Paul jeta un coup d’œil aux autres hommes. L’un était grand, même assis, visage maigre et sombre et de grandes oreilles. Probablement Tarzan, à en juger par son physique musclé, pensa Paul. Il portait un tee-shirt taché sous une veste en velours marron ressemblant à un machiniste d’un groupe des années soixante-dix. L’homme au milieu était blond et pâle, le visage carré et de grosses lèvres roses, la poitrine trapue, pas aussi grand que Tarzan, mais pas très petit non plus. Le blond de ses cheveux et sa pâleur suggéraient qu’il était néerlandais de nom et de souche, d’où le nom Dutch.

Le troisième homme devait être donc Gary. Le plus petit de tous, une lueur intense et nerveuse dans le regard, comme s’il n’avait jamais rien vu de bon dans sa vie. Il avait un sous-verre aux mains qu’il pliait, enroulait et en arrachait lentement des bandes fines, le faisant automatiquement sans regarder, une habitude. Son pull-over vert à col rond était éclaboussé de peinture blanche.

Tous en-dessous la trentaine, ils avaient le physique d’hommes terreux qui sortaient rarement ou qui ne marchaient pas plus d’un demi-kilomètre par semaine.

Paul soupira. Des petits scélérats dont il voulait se débarrasser. Comment s’était-il retrouvé ici, à fixer des pairs de yeux de macabres de personnes ignares, qui ne réfléchissaient pas beaucoup et étaient incapables de contrôler leurs impulsions?

Et qu’est-ce qu’Araminta faisait bon sens avec eux?

Cliff le guettait jeter un coup d’œil à ses hommes. Il releva le menton pour attirer l’attention de Paul.

– Alors tu les as triés? demanda-t-il. Allons, prends une chaise et bavardons un peu. J’ai l’impression que tu as beaucoup de choses à dire à des gens comme nous. Minty m’a dit que tu travailles dans les assurances. Ça me plait. On a tous besoin d’un boulot. J’ai besoin d’un boulot. Ces trois génies en ont besoin. Tu es le seul ici qui en a un, tu peux alors nous raconter comment c’est.

Paul tira une chaise d’une autre table et s’assit en gardant sa distance des autres, ne voulant pas faire partie de leur groupe.

– Je me souviens de toi maintenant, le nom, dit-il à Cliff. Cliff Elliot. J’ai été trompée par ta barbe. Nous sommes allés au même collège – Caludon Castle. Tu y as été pendant quelques années, mais tu t’es concocté une réputation assez rapidement. Je t’ai vu te battre avec quelqu’un dans la cour, une fois. La seule fois où j’ai vu quelqu’un donner un vrai coup de poing dans une bagarre de collège qui ne soit pas du catch.

Cliff se renversa sur sa chaise, le sourire aux lèvres en jetant un coup d’œil à ses potes comme s’il voulait leur dire, Je vous ai dit que j’étais un dur.

– Storey. Ouais, j’avais bien dit que je te connaissais. Tu étais dans l’équipe de rugby, ailier ou quelque chose comme ça, tout le temps en entraînement. Même si vous n’avez jamais gagné. C’était un dépotoir. Ils l’ont démoli, il y a dix ans, tu sais? Ils ont construit un nouveau, l’une de ces Académies.

– Alors, comment ça s’est passé dans ta vie après cela?

– Merde, tu ne t’intéresse pas à moi. Tu essayes juste de comprendre comment les choses fonctionnent ici.

– C’est toujours bon de reprendre avec les vieux amis.

Cliff sourit et regarda ses hommes, relevant brusquement le pouce vers Paul.

– Tu vois? C’est ce que je voulais dire. Sympa, non? J’avais raison, c’est ça?

– Raison à propos de quoi? demanda Paul.

Cliff se pencha en avant par-dessus la table.

– J’ai dit à ces sans-cervelles que tu étais quelqu’un sur qui on pouvait compter. Je l’ai remarqué plus tôt dans le café. Tu ne t’es pas dégonflé. T’aurais essayé de me foutre dehors si je n’étais pas parti. Agent d’assurances, tu ne l’es pas plus que moi – et je t’assure que j’en suis pas un.

– Vraiment?

– Qu’est-ce t’es devenu après le collège? Je ne t’ai pas vu en ville, qu’est-ce t’as fait alors? demanda Cliff en ignorant son commentaire.

Paul hésita en portant attention à l’endroit où il se trouvait: les buveurs, la musique émanant des haut-parleurs d’une autre pièce. Il réalisa qu’il devait parler fort pour se faire entendre. Il se demanda à nouveau qu’est-ce qu’il faisait ici – était-il si désespéré d’avoir un contact avec les gens pour parler à Cliff et à ses morts-vivants à deux balles?

Il remarqua qu’Araminta avait fini avec son téléphone et le regardait par-dessus un verre de vin rouge. Quel était son rôle dans tout ça? Quand elle lui avait demandé plus tôt de la rejoindre pour prendre un verre, avait-elle prévu d’inviter également Cliff? Ou était-ce uniquement une coïncidence qu’il se trouvait là?

Il se sentait soudainement fatigué et bête, il n’était pas en forme pour affronter Cliff et son manège. Peut-être qu’il était valait mieux être franc et laisser tout tomber.

Tout bien réfléchi, peut-être pas.

– Je suis parti à l’étranger, me balader. J’ai découvert le monde. Je suis revenu à Londres pour chercher du boulot. J’en ai trouvé un dans les assurances, dit-il.

– Alors pourquoi es-tu revenu ici?

– Raisons personnelles.

– Ta femme t’a plaqué? demanda Cliff avec un sourire.

– Pas marié.

– Alors… des trucs familiaux. Maman ou papa ont crevé.

Paul resta silencieux.

– Je l’ai eu dans le mil, c’est ça? Tu es revenu pour mettre quelqu’un en terre, dit Cliff.