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Таинственный остров. Уровень 1 / L’Île mystérieuse
Nab avait cherché longtemps. Ses efforts demeurèrent infructueux.
«Je longeai la côte pendant deux milles encore, je visitai toute la ligne des écueils à mer basse, toute la grève à mer haute, et je désespérais de rien trouver, quand hier, vers cinq heures du soir, je remarquai sur le sable des empreintes de pas.
– Des empreintes de pas? s'écria Pencroff.
– Oui! répondit Nab. Quand je vis ces empreintes, je devins comme fou. Elles étaient très reconnaissables, et se dirigeaient vers les dunes. Je les suivis pendant un quart de mille, courant, mais prenant garde de les effacer. Cinq minutes après, comme la nuit se faisait, j'entendis les aboiements d'un chien. C'était Top, et Top me conduisit ici même, près de mon maître!»
Nab acheva son récit en disant quelle avait été sa douleur en retrouvant ce corps inanimé. Il avait essayé de surprendre en lui quelque reste de vie! Maintenant qu'il l'avait retrouvé mort, il le voulait vivant! Tous ses efforts avaient été inutiles! Il n'avait plus qu'à rendre les derniers devoirs à celui qu'il aimait tant!
Les compagnons de Nab avaient écouté ce récit avec une extrême attention. Il y avait pour eux quelque chose d'inexplicable à ce que Cyrus Smith, après les efforts qu'il avait dû faire pour échapper aux flots, en traversant les récifs, n'eût pas trace d'une égratignure[16]. Et ce qui ne s'expliquait pas davantage, c'était que l'ingénieur eût pu gagner, à plus d'un mille de la côte, cette grotte perdue au milieu des dunes.
Quelques mots s'échappèrent encore de la bouche de l'ingéneur, – mots qu'il avait déjà prononcés, sans doute, et qui indiquaient quelles pensées tourmentaient, même alors, son esprit. Ces mots furent compris, cette fois.
«Île ou continent? murmura-t-il.
– Ah! s'écria Pencroff, qui ne put retenir cette exclamation. De par tous les diables, nous nous en moquons bien, pourvu que vous viviez, monsieur Cyrus![17] Île ou continent? On verra plus tard.»
L'ingénieur fit un léger signe affirmatif, et parut s'endormir.
On respecta ce sommeil, et le reporter prit immédiatement ses dispositions pour que l'ingénieur fût transporté dans les meilleures conditions. Nab, Harbert et Pencroff quittèrent la grotte et se dirigèrent vers une haute dune couronnée de quelques arbres rachitiques.
À cinq heures et demie, la petite troupe arrivait au pan coupé, et, un peu après, devant les Cheminées. Tous s'arrêtèrent, et la litière fut déposée sur le sable. Cyrus Smith dormait profondément et ne se réveilla pas.
Pencroff eut comme un pressentiment qui lui traversa l'esprit. Il se précipita dans le couloir. Presque aussitôt, il en sortait, et demeurait immobile, regardant ses compagnons…
Le feu était éteint. Les cendres noyées n'étaient plus que vase. Le linge brûlé, qui devait servir d'amadou, avait disparu. La mer avait pénétré jusqu'au fond des couloirs, et tout bouleversé, tout détruit à l'intérieur des Cheminées!
Chapitre 9
Après avoir informé Gédéon Spilett, Harbert et Nab de la situation, les réactions de chacun étaient diverses. Nab, plein de joie d'avoir retrouvé son maître, ne prêtait guère attention aux inquiétudes de Pencroff. Harbert, lui, semblait partager quelque peu les craintes du marin. Quand le reporter entendit les paroles de Pencroff, il répondit simplement: «Pardonnez-moi, Pencroff, mais cela m'est égal! Pourtant, je vous rappelle que nous n'avons plus de feu! Peuh! Nous n'avons aucun moyen de l'allumer. Mais monsieur Spilett… Est-ce que Cyrus n'est pas là? Est-ce qu'il n'est pas vivant, notre ingénieur? Il trouvera bien le moyen de nous faire du feu, lui! – Et avec quoi? – Avec rien.» Pencroff aurait-il répondu? Il n'a pas eu à le faire, partageant en réalité la confiance de ses compagnons envers Cyrus Smith. Ils considéraient l'ingénieur comme un véritable génie, une source inépuisable de solutions. Même dans une situation aussi désespérée que celle-ci, ils avaient foi en lui.
Cependant, Cyrus Smith était encore plongé dans une prostration due à son transport et incapable d'utiliser son ingéniosité. Le souper s'annonçait maigre, avec aucune viande à cuire et les réserves de nourriture presque épuisées. Avant tout, Cyrus fut installé dans le couloir central pour se reposer, espérant que le sommeil réparateur lui rendrait des forces.
La nuit tomba et la température baissa considérablement. Les Cheminées devenaient peu habitables à cause des courants d'air dus à la destruction de certaines cloisons par la mer. Les compagnons de Cyrus s'occupèrent de le couvrir pour le protéger du froid.
Le souper se composa principalement de lithodomes et d'algues comestibles ramassées sur les rochers. Malgré la maigreur du repas, ils firent face à la situation avec résilience. Pencroff, cependant, était vexé de l'absence de feu. Malgré ses tentatives infructueuses pour l'allumer, il refusait de baisser les bras.
Après plusieurs échecs, Nab, Pencroff et Harbert essayèrent de chasser le gibier sans succès. Ils se retrouvèrent finalement devant un cabiai qu'ils réussirent à attraper après une brève lutte. Pencroff, triomphant, chargea l'animal sur son épaule et le groupe se mit en route de retour vers les Cheminées.
Ainsi qu'il l'avait fait la première fois, Pencroff établit rapidement un train de bois, bien que, faute de feu, cela lui semblât une besogne inutile, et, le train suivant le fil de l'eau, on revint vers les Cheminées.
Mais, le marin n'en était pas à cinquante pas qu'il s'arrêtait, poussait de nouveau un hurrah formidable, et, tendant la main vers l'angle de la falaise:
«Harbert! Nab! Voyez!» s'écriait-il.
Une fumée s'échappait et tourbillonnait au-dessus des roches!
Chapitre 10
Quelques instants après, les trois chasseurs se retrouvèrent autour d'un foyer flamboyant. Cyrus Smith et le reporter étaient déjà installés lorsque Pencroff se joignit à eux, tenant fermement le cabiai.
«Eh bien, oui, mon brave, s'écria le reporter. Du feu, du vrai feu, qui rôtira parfaitement ce magnifique gibier dont nous nous régalerons tout à l'heure!
– Mais qui a allumé?.. demanda Pencroff.
– Le soleil!»
La réponse de Gédéon Spilett était exacte. C'était le soleil qui avait fourni cette chaleur dont s'émerveillait Pencroff. Le marin ne voulait pas en croire ses yeux, et il était tellement ébahi, qu'il ne pensait pas à interroger l'ingénieur.
«Vous aviez donc une lentille, monsieur? demanda Harbert à Cyrus Smith.
– Non, mon enfant, répondit celui-ci, mais j'en ai fait une.»
Et il montra l'appareil qui lui avait servi de lentille. C'étaient tout simplement les deux verres qu'il avait enlevés à la montre du reporter et à la sienne. Après les avoir remplis d'eau et rendu leurs bords adhérents au moyen d'un peu de glaise[18], il s'était ainsi fabriqué une véritable lentille, qui, concentrant les rayons solaires sur une mousse bien sèche, en avait déterminé la combustion.
Impressionné, Pencroff demanda au reporter de tout noter. Pendant ce temps, le cabiai était préparé et bientôt grillé sur la broche.
Les Cheminées étaient redevenues plus accueillantes après les efforts de rénovation de Cyrus Smith et de ses compagnons. L'ingénieur, presque complètement rétabli, avait inspecté le mont qu'il prévoyait de gravir le lendemain, espérant ainsi résoudre le mystère de leur situation.
Le jour suivant, les explorateurs étaient prêts à partir. Armés de bâtons, ils quittèrent les Cheminées et traversèrent la forêt. À neuf heures, ils atteignirent la lisière ouest de la forêt, découvrant un sol légèrement incliné vers l'intérieur des terres.
Après une pause à dix heures, ils contemplèrent le mont composé de deux cônes, avec des contreforts et des vallées entre eux. Déterminés à atteindre leur objectif, ils continuèrent leur chemin vers le sommet, sans se laisser distraire par la faune ou la flore environnantes. Leur marche les amena à réfléchir sur leur situation et sur ce que leur réservait l'avenir.
À midi, ils firent une halte près d'un bosquet de sapins, se reposant et se restaurant avant de poursuivre leur ascension. Le terrain devint progressivement plus difficile alors qu'ils s'approchaient du premier plateau, mais leur détermination ne faiblit pas.
Vers quatre heures, ils atteignirent enfin le plateau du premier cône. Fatigués mais déterminés, ils organisèrent leur campement pour la nuit et se préparèrent à poursuivre leur exploration le lendemain.
Cyrus Smith, malgré la fatigue, entreprit une exploration nocturne du plateau circulaire pour déterminer la faisabilité de contourner le second cône. En compagnie de Harbert, il découvrit que contourner la montagne était impossible, mais ils trouvèrent une crevasse menant directement au sommet du cône.
À travers cette crevasse, ils poursuivirent leur ascension, constatant que le volcan était éteint depuis longtemps. En atteignant le sommet, ils furent accueillis par l'éclat des étoiles du ciel austral. De là-haut, ils observèrent l'horizon obscur, se demandant si cette terre inconnue était une île isolée ou rattachée à un continent lointain.
Une lueur sur l'horizon révéla la présence d'eau, confirmant qu'ils se trouvaient sur une île. La lune déclinante leur offrit un bref éclairage avant de disparaître, laissant dans l'obscurité la silhouette de l'île se dessiner contre l'océan.
Cyrus Smith, saisissant la main de Harbert, annonça solennellement: «Une île!», alors que le croissant lunaire se reflétait brièvement sur la surface de l'eau avant de s'éteindre.
Chapitre 11
Une demi-heure plus tard, Cyrus Smith et Harbert étaient de retour au campement. L'ingénieur se contenta d'expliquer à ses compagnons que l'endroit où le hasard les avait conduits était une île, et qu'ils devraient réfléchir à leur situation le lendemain. Ensuite, chacun s'organisa pour dormir, et dans la grotte de basalte, à deux mille cinq cents pieds au-dessus du niveau de la mer, sous un ciel paisible, «les insulaires[19]«trouvèrent un sommeil profond.
Le lendemain, 30 mars, après un petit déjeuner frugal composé de tragopan rôti, l'ingénieur décida de retourner au sommet du volcan pour examiner attentivement l'île où ils étaient peut-être prisonniers pour toujours. Cette fois, ses compagnons l'accompagnèrent dans cette nouvelle exploration. Ils voulaient tous voir cette île qui devrait répondre à tous leurs besoins.
Vers sept heures du matin, Cyrus Smith, Harbert, Pencroff, Gédéon Spilett et Nab quittèrent le campement. Personne ne semblait inquiet de leur situation. Ils avaient confiance, en grande partie grâce à Cyrus Smith. Pencroff, surtout, après l'incident du feu, ne doutait pas un instant qu'ils puissent partir un jour de cet endroit.
Le groupe emprunta le même chemin qu'avant. Le temps était magnifique, avec un ciel pur et ensoleillé. Ils atteignirent le cratère, un vaste entonnoir s'élevant à mille pieds au-dessus du plateau. À l'intérieur, il n'y avait pas d'obstacles à l'ascension, seulement des traces de lave ancienne.
Une fois au sommet, ils s'écrièrent tous en voyant la mer tout autour d'eux. L'île était au centre de l'océan, sans aucune terre en vue jusqu'à l'horizon.
Après avoir observé l'île dans son ensemble, ils se demandèrent si elle était habitée. Après un examen minutieux, ils conclurent qu'elle semblait vide de toute présence humaine.
La journée se passa à nommer les différentes parties de l'île, de la baie de l'Union au mont Franklin, en passant par le golfe du Requin et le cap de la Griffe. L 'île fut finalement nommée l'île Lincoln, en l'honneur du président américain en lutte pour l'unité de la république.
Ce soir-là, avant de s'endormir, ils discutèrent de leur pays et de la guerre civile qui le déchirait, espérant la victoire du Nord et la justice grâce à Grant et à Lincoln. Mais ils ne savaient pas encore que seize jours plus tard, Lincoln serait assassiné à Washington.
Chapitre 12
Les colons de l'île Lincoln jetèrent un dernier regard autour d'eux, firent le tour du cratère par son étroite arête, et, une demi-heure après, ils étaient redescendus sur le premier plateau, à leur campement de la nuit.
Pencroff pensa qu'il était l'heure de déjeuner, et, à ce propos, il fut question de régler les deux montres de Cyrus Smith et du reporter. On sait que celle de Gédéon Spilett avait été respectée par l'eau de mer[20], puisque le reporter avait été jeté tout d'abord sur le sable, hors de l'atteinte des lames. C'était un instrument établi dans des conditions excellentes, un véritable chronomètre de poche, que Gédéon Spilett n'avait jamais oublié de remonter soigneusement chaque jour. Quant à la montre de l'ingénieur, elle s'était nécessairement arrêtée pendant le temps que Cyrus Smith avait passé dans les dunes. L'ingénieur la remonta donc, et, estimant approximativement par la hauteur du soleil qu'il devait être environ neuf heures du matin, il mit sa montre à cette heure.
Gédéon Spilett allait l'imiter, quand l'ingénieur, l'arrêtant de la main, lui dit:
«Non, mon cher Spilett, attendez. Vous avez conservé l'heure de Richmond, n'est-ce pas?
– Oui, Cyrus.
– Par conséquent, votre montre est réglée sur le méridien de cette ville, méridien qui est à peu près celui de Washington?
– Sans doute.
– Eh bien, conservez-la ainsi. Contentez-vous de la remonter très exactement, mais ne touchez pas aux aiguilles. Cela pourra nous servir.»
«À quoi bon?» pensa le marin.
On mangea, et si bien, que la réserve de gibier et d'amandes fut totalement épuisée. Mais Pencroff ne fut nullement inquiet. On se réapprovisionnerait en route. Top, dont la portion avait été fort congrue, saurait bien trouver quelque nouveau gibier sous le couvert des taillis. En outre, le marin songeait à demander tout simplement à l'ingénieur de fabriquer de la poudre, un ou deux fusils de chasse, et il pensait que cela ne souffrirait aucune difficulté.
En quittant le plateau, Cyrus Smith proposa à ses compagnons de prendre un nouveau chemin pour revenir aux Cheminées. Il désirait reconnaître ce lac Grant si magnifiquement encadré dans sa bordure d'arbres. On suivit donc la crête de l'un des contreforts, entre lesquels le creek qui l'alimentait, prenait probablement sa source[21]. En causant, les colons n'employaient plus déjà que les noms propres qu'ils venaient de choisir, et cela facilitait singulièrement l'échange de leurs idées.
Harbert et Pencroff – l'un jeune et l'autre un peu enfant – étaient enchantés, et, tout en marchant, le marin disait:
«Hein! Harbert! comme cela va! Pas possible de nous perdre, mon garçon, puisque, soit que nous suivions la route du lac Grant, soit que nous rejoignions la Mercy à travers les bois du Far-West, nous arriverons nécessairement au plateau de Grande-Vue, et, par conséquent, à la baie de l'Union!»
Il avait été convenu que, sans former une troupe compacte, les colons ne s'écartaient pas trop les uns des autres. Très certainement, quelques animaux dangereux habitaient ces épaisses forêts de l'île, et il était prudent de se tenir sur ses gardes. Pencroff, Harbert et Nab marchaient en tête, précédés de Top, qui fouillait les moindres coins. Le reporter et l'ingénieur allaient de compagnie, Gédéon Spilett, prêt à noter tout incident, l'ingénieur, silencieux la plupart du temps, et ne s'écartant de sa route que pour ramasser, tantôt une chose, tantôt une autre, substance minérale ou végétale, qu'il mettait dans sa poche sans faire aucune réflexion. «Que diable ramasse-t-il donc ainsi?» murmurait Pencroff. «J'ai beau regarder, je ne vois rien qui vaille la peine de se baisser!»
Vers dix heures, la petite troupe descendait les dernières rampes du mont Franklin. Le sol n'était encore semé que de buissons et de rares arbres. On marchait sur une terre jaunâtre et calcinée, formant une plaine longue d'un mille environ, qui précédait la lisière des bois. De gros quartiers de ce basalte qui, suivant les expériences de Bischof, a exigé, pour se refroidir, trois cent cinquante millions d'années, jonchaient la plaine, très tourmentée par endroits. Cependant, il n'y avait pas trace des laves, qui s'étaient plus particulièrement épanchées par les pentes septentrionales.
Cyrus Smith croyait donc atteindre, sans incident, le cours du creek, qui, suivant lui, devait se dérouler sous les arbres, à la lisière de la plaine, quand il vit revenir précipitamment Harbert, tandis que Nab et le marin se dissimulaient derrière les roches.
«Qu'y a-t-il, mon garçon? demanda Gédéon Spilett.
– Une fumée, répondit Harbert. Nous avons vu une fumée monter entre les roches, à cent pas de nous.
– Des hommes en cet endroit? s'écria le reporter.
– Évitons de nous montrer avant de savoir à qui nous avons affaire, répondit Cyrus Smith. Je redoute plutôt les indigènes, s'il y en a sur cette île, que je ne les désire. Où est Top?
– Top est en avant.
– Et il n'aboie pas?
– Non.
– C'est bizarre. Néanmoins, essayons de le rappeler.»
En quelques instants, l'ingénieur, Gédéon Spilett et Harbert avaient rejoint leurs deux compagnons, et, comme eux, ils s'effacèrent derrière des débris de basalte. De là, ils aperçurent, très visiblement, une épaisse fumée, montant au-dessus d'une épaisse broussaille.
Les colons, immobiles, attendaient avec une certaine anxiété le résultat de cette exploration, quand un appel de Cyrus Smith les fit accourir. Ils le rejoignirent aussitôt, et furent tout d'abord frappés de l'odeur désagréable qui imprégnait l'atmosphère.
«Ce feu, dit-il, ou plutôt cette fumée, c'est la nature seule qui en fait les frais[22]. Il n'y a là qu'une source sulfureuse, qui nous permettra de traiter efficacement nos laryngites.
– Bon! s'écria Pencroff. Quel malheur que je ne sois pas enrhumé!»
Les colons se dirigèrent alors vers l'endroit d'où s'échappait la fumée. Là, ils virent une source sulfurée sodique, qui coulait assez abondamment entre les roches, et dont les eaux dégageaient une vive odeur d'acide sulfhydrique, après avoir absorbé l'oxygène de l'air[23].
Cyrus Smith, y trempant la main, trouva ces eaux onctueuses au toucher[24]. Il les goûta, et reconnut que leur saveur était un peu douceâtre. Quant à leur température, il l'estima à quatre-vingt-quinze degrés Fahrenheit (35° centigrades au-dessus de zéro). Et Harbert lui ayant demandé sur quoi il basait cette évaluation:
«Tout simplement, mon enfant, dit-il, parce que, en plongeant ma main dans cette eau, je n'ai éprouvé aucune sensation de froid ni de chaud. Donc, elle est à la même température que le corps humain, qui est environ de quatre-vingt-quinze degrés.»
Puis, la source sulfurée n'offrant aucune utilisation actuelle, les colons se dirigèrent vers l'épaisse lisière de la forêt, qui se développait à quelques centaines de pas.
Les explorateurs étaient arrivés sur la rive occidentale du lac Grant.
«Il est vraiment beau! ce lac, dit Gédéon Spilett. On vivrait sur ses bords!
– On y vivra!» répondit Cyrus Smith.
Pour revenir aux cheminées, il suffisait de traverser obliquement le plateau sur un espace d'un mille et de redescendre jusqu'au coude formé par le premier détour de la Mercy.
Chapitre 13
Le lendemain matin, l'ingénieur Cyrus Smith et ses compagnons se retrouvèrent sur le terrain, prêts à entamer les travaux. Pencroff, toujours prompt à l'action, demanda: «Par où allons-nous commencer?». L'ingénieur, posant son regard attentif sur la situation, répondit: «Par le commencement».
Les colons étaient confrontés à une tâche herculéenne. Ils devaient tout créer à partir de rien, fabriquer les outils nécessaires à leur survie, transformer les ressources naturelles en moyens de subsistance. Le temps leur était compté, et ils devaient agir avec célérité pour répondre aux exigences de leur existence.
Cependant, ils étaient animés d'une détermination sans faille[25]. Cyrus Smith avait réuni une équipe de compagnons dévoués et compétents. Gédéon Spilett, le reporter aux talents multiples, prêt à s'investir pleinement dans la colonisation de l'île. Harbert, le jeune érudit, déjà instruit dans les sciences naturelles, apportant sa contribution précieuse. Nab, l'homme dévoué et polyvalent, maîtrisant diverses compétences utiles à la colonie. Et Pencroff, le marin aux multiples talents, possédant une expérience variée et une habileté inégalée.
Avec une équipe aussi solide, l'ingénieur Cyrus Smith savait qu'ils étaient prêts à affronter tous les défis. Ils se mirent donc au travail, déterminés à réussir. La première étape consistait à construire un four pour transformer les matières premières.
Pencroff demanda alors: «À quoi servira ce four?». Cyrus Smith expliqua qu'il serait utilisé pour fabriquer la poterie dont ils avaient besoin. Mais pour construire le four, ils devaient d'abord fabriquer des briques.
Le groupe se mit donc en route, avec Nab chargé d'apporter les provisions nécessaires. Sur leur chemin, ils découvrirent un arbre dont les branches pouvaient servir à fabriquer des arcs. Ils collectèrent également des matériaux pour les flèches et commencèrent à préparer les briques à partir de l'argile du sol.
Le travail était laborieux mais essentiel. Ils s'efforcèrent de produire autant de briques que possible, malgré les défis rencontrés. Pendant ce temps, Cyrus Smith entreprit une observation astronomique importante pour déterminer la position exacte de l'île.
Les jours suivants furent consacrés à la collecte de combustible, à la chasse pour se procurer de la nourriture, et à la poursuite des travaux de construction. Ils firent face à des défis inattendus, comme la rencontre avec un animal sauvage ressemblant à un jaguar.
Malgré les dangers, leur détermination ne faiblit pas. Ils continuèrent à travailler ensemble, surmontant les obstacles avec courage et ingéniosité. Chaque petit succès était célébré comme une victoire, renforçant leur résolution à réussir dans leur nouvelle vie sur l'île.
Enfin, après des jours d'efforts acharnés, le premier pot-au-feu fut préparé, symbolisant non seulement un repas chaud et réconfortant, mais aussi le fruit de leur travail collectif et de leur persévérance.
Le soir du 15 avril, après une journée bien remplie, les colons se réunirent pour profiter d'un repas ensemble. Ils partagèrent des histoires et des rires, savourant chaque moment de camaraderie et de solidarité.
Alors que la nuit tombait, Cyrus Smith eut une idée. Il décida de profiter de la clarté du ciel pour effectuer une observation astronomique afin de déterminer la latitude de l'île. Avec son ingéniosité habituelle, il improvisa un instrument pour mesurer la hauteur des étoiles au-dessus de l'horizon, utilisant les ressources disponibles sur l'île.
Cyrus Smith dirigea une branche de son compas de bois sur l'horizon de mer, l'autre sur alpha et l'ouverture des deux branches lui donna la distance angulaire qui séparait alpha de l'horizon[26]. Afin de fixer l'angle obtenu d'une manière immutable, il piqua, au moyen d'épines, les deux planchettes de son appareil sur une troisième placée transversalement, de telle sorte que leur écartement fût solidement maintenu.
Ces calculs furent remis au lendemain, et, à dix heures, tout le monde dormait profondément.
Chapitre 14
Le lendemain, 16 avril, – dimanche de Pâques, – les colons sortaient des Cheminées au jour naissant, et procédaient au lavage de leur linge et au nettoyage de leurs vêtements. L'ingénieur comptait fabriquer du savon dès qu'il se serait procuré les matières premières nécessaires à la saponification, soude ou potasse, graisse ou huile.
Il s'agissait de compléter les éléments des observations de la veille, en mesurant la hauteur du plateau de Grande-Vue au-dessus du niveau de la mer.
«Ne vous faut-il pas un instrument analogue à celui qui vous a servi hier? demanda Harbert à l'ingénieur.
– Non, mon enfant, répondit celui-ci, nous allons procéder autrement, et d'une manière à peu près aussi précise.»
Cyrus Smith s'était muni d'une sorte de perche droite, longue d'une douzaine de pieds, qu'il avait mesurée aussi exactement que possible, en la comparant à sa propre taille, dont il connaissait la hauteur à une ligne près. Harbert portait un fil à plomb que lui avait remis Cyrus Smith, c'est-à-dire une simple pierre fixée au bout d'une fibre flexible.
Arrivé à une vingtaine de pieds de la lisière de la grève, et à cinq cents pieds environ de la muraille de granit, qui se dressait perpendiculairement, Cyrus Smith enfonça la perche de deux pieds dans le sable, et, en la calant avec soin, il parvint, au moyen du fil à plomb, à la dresser perpendiculairement au plan de l'horizon.