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Le Ciel De Nadira
Le qā’id prit de nouveau Nadira par la nuque, l’incitant à se relever, et la livra à ses hommes. Enfin il contraint Corrado à relever la tête en posant la lime de sa cimeterre sous le menton.
“ Si tu veux te venger sur celui qui t’a traité comme cela, viens me chercher quand tu te seras remis… toi et tes amis circoncis. ”
A cela Mohammed ibn al-Thumna quitta la cour et puis le Rabaḍ. Conscient que les incendies du village avaient déjà alerté les gardes de Qasr Yanna et que son beau-frère serait vite intervenu.
En attendant, on avait lié les mains de Nadira avec une longue corde et de l’autre côté, on la tirait de par les rues qui descendaient le plateau, comme on aurait fait avec un âne. Le Qā’id et les siens se déplaçaient en illuminant la route avec des torches, et les pieds nus de Nadira se blessèrent parmi les pierres et les ronces. Quand ensuite ils arrivèrent au gué du ruisseau qui s’écoulait sous le Rabaḍ, précisément sous une des grandes norias, Mohammed ordonna de délier la jeune fille et, en lui tendant un fin vêtement féminin, il l’invita à se couvrir comme il convient de le faire aux femmes. Ensuite, en regardant les nombreux hommes qui suivaient, il dit : ” Si quelqu’un ose manquer de respect à la jeune fille, il aura à faire à moi… il s’agit de toute façon de la promise d’un qā’id et elle doit être traitée de la sorte ! ”
A ce point tous les chevaux sautèrent et disparurent vers est. Nadira du s’accrocher aux hanches de Jamal, l’homme au gros médaillon.
Tous les chevaux, noirs en majorité, allaient dans la même direction. Environ cinquante personnes les montaient, tous vêtus d’un burnus40 noir et une culotte de la même couleur. Ils avaient des visages sombres et par-laient la langue la plus commune parmi les nombreux maures d’Afrique. Nadira reconnut cet idiome, c’est comme ça que bien souvent elle s’exprimait en famille, cependant elle ne l’avait jamais entendu parler aussi couramment et avec cet accent si typique.
Les chevaliers encourageaient doucement les destriers et ceux-ci avançaient lentement sous la lune, en formant une longue procession.
“ Mon Seigneur, qui sont ces hommes ? Et où me conduisent-ils ? ” de-manda Nadira au bras droit du Qā’id, dès qu’elle eut calmé ses sanglots.
“ Ce sont les coupe-gorge d’Afrique de ibn al-Menkūt. Ils ont trahi leur qā’id pour en servir un plus convenant. Mais leur seigneur est maintenant un ami de mon patron, et il leur a fait le don de ses mercenaires pour qu’il les utilise de ces jours-ci. ” répondit Jamal.
“ Et ces étrangers me couperont également la gorge ? ” demanda la jeune fille avec la typique innocence de ceux qui ne connaissent pas le monde, et tremblent en face de tout ce qui est nouveau.
Jamal sourit et répondit :
“ N’aie pas peur, mon seigneur a besoin de toi vivante. ”
Peu de temps passa, et ils s’arrêtèrent dans les environs d’un bourg à la frontière entre les terre contrôlées de ibn al-Ḥawwās et celles dominées par ibn al-Thumna. D’autres sales individus stationnaient déjà aux alentours du village, un groupe de maisons à l’aspect très semblable au Rabaḍ de Qasr Yanna. Ceux-ci, coupe-gorge de la même espèce que ceux qui avaient dévasté le Rabaḍ. Rendirent hommage a Mohammed, se prosternant dès qu’ il descendit de son cheval.
“ Livre la jeune fille aux femmes du village et, quand elles l’auront re-mise sur pied, renvoie-la moi. ” ordonna le Qā’id à Jamal, et ceux-ci ré-pondirent par une inclination.
Nadira fut conduite à la lumière des torches, dans une maison modeste, ici, des femmes aux visages tristes prirent soin d’elle en lui lavant les pieds, en lui peignant les cheveux et en lui donnant à manger. Nadira de-manda qui elles étaient, une de celles-ci répondit que trois jours avant les coupe-gorge de ibn al-Menkūt avaient capturé le village, tué tous les hommes et violé chaque femme comme rituel d’initiation à leur nouvel état d’esclavage.
Enfin Nadira fut conduite chez le Qā’id qui séjournait dans une somptueuse tente élevée à côté de la mosquée.
L’arrivée de la jeune fille fut annoncée par le son de nombreux bracelets, bracelets de chevilles et hochets qu’on lui avait fait porter. En plus ses yeux avaient été peints avec du kajal41 qui, dès qu’elle apparut devant Mohammed était déjà en train de disparaître sous les larmes et rayait de noir ses pommettes jusqu’au menton.
“ Viens Nadira, approche-toi ! Sous ma tente on y est plus au chaud et plus confortable. Les nuits d’hiver peuvent être trop longues quand on ne parvient pas à dormir. ” Mohammed l’invita en restant assis les jambes croisées sur des coussins.
Nadira entra dans la luxueuse tente et, en s’approchant du feu du brasier, elle s’exclama :
“ Je sais qui tu es. ”
“ Donc, ça ne m’étonne pas que mon beau-frère est tombé amoureux de toi… cela aurait été étrange qu’il ait choisi une épouse stupide ! ”
“ Tu ne peux pas me mêler à tes affaires de famille. ”
“ Tu veux dire ” nos ” affaires de famille… belle-sœur ! Sais-tu ce que ton Qā’id m’a fait ? ”
“ Ton épouse te craint… après le mal que tu lui as provoqué. ”
“ La vie et la mort de ma maison et de mes sujets ne sont-ils pas dans mes mains ? ”
“ La vie de chacun de nous est dans la mains d’Allah, pas dans la tienne. ”
“ Mais Allah a ses dessins et ceux-ci ne peuvent être changés. Si cela est arrivé avec Maimuna, n’est-ce pas également Sa volonté ? ”
“ Donc, même le fait que je ne veuille pas venir chez toi est Sa volonté… accepte-la et laisse.moi partir. ”
Mohammed rit et expliqua :
“ Il y a différentes sortes d’hommes qui naissent au monde : il y a ceux qui subissent leur destin et ceux qui l’utilisent pour changer les temps, les saisons et les peuples. Moi je suis né noble et dans ma Syracuse, j’ai su me faire grand pour ensuite prendre la moitié de la Sicile. Je rends service à Allah et à son insondable destin, étant au monde pour changer les temps, les saisons et les peuples. Le mal n’existe pas… le bien n’existe pas, mais uniquement la volonté d’Allah. ”
Nadira tomba alors sur ses genoux et le visage par terre elle implora :
“ Je t’en pries, mon Seigneur, ma mère criait quand tu m’as arrachée de ses bras, et la maison était envahie de fumée… Laisse-moi partir pour m’assurer de sa santé, et puis je reviendrais auprès de toi. ”
“ Revoir ta mère, dépendra uniquement d’Ali, ton Qā’id. ”
“ Ne me fais pas rester : les hommes dont tu t’entoures sont perfides et criminels… ils ont fait beaucoup de mal aux personnes qui vivent dans ce village. ”
“ Ils ne te feront aucun mal, n’aies pas peur. La sorte d’une épouse illustre ne peut être comparée à celle des communes vilaines livrées pour l’amusement des soldats. ”
“ Mais tu réduis à l’esclavage même nos sœurs, et tes soldats ont mas-sacrés tous les hommes !
“ Pas tous… j’ai permis aux paysans chrétiens de rester. S’entourer d’infidèles paie bien vu qu’ils remplissent grassement mes poches, grâce aux taxes de la jizya. Les iqlīm orientaux, pleins de non circoncis et de juifs, sont une mine d’or pour les poches de celui qui commande. ”
“ Et tu paies cette armée de mercenaires avec l’argent de la jizya ? De-manda Nadira avec la même irrévérence qu’elle assumait avec Umar. Maintenant en effet elle comprenait que les supplications ne pouvaient être accueillies dans le cœur de pierre de Mohammed.
Il la fixa attentivement et sérieusement et lui répondit :
“ Si ça n’était pas pour l’objectif pour lequel je t’ai préservée, si ça n’était pas pour tes yeux et pour ta beauté, ma chère Nadira, je te ferais également scier les pouls… et encore pire, je te ferais couper cette langue zélée. Tu es ma prisonnière, rappelle-toi ! Il n’existe aucune personne dans ce monde dont la vie peut être brisée autant que la tienne… Un fil de coton, brûlé par le feu qui s’écaille au contact de ma main. ” dit et mima Mohammed, en frottant son index et son pouce entre eux.
“ Tu te présenteras toujours à mes côtés au mieux de ta forme ; pour le plaisir de mes yeux. Je ne te permets pas de pleurer si cela abîme ton vi-sage. Je ne te permets pas de jeûner si cela fait maigrir tes formes. Tu porteras le jilbāb42 uniquement en ma présence et selon ma volonté. Mais n’aies crainte, je protégerai ton honneur, envers moi et envers quiconque, afin qu’ Ali ne puisse te mépriser et te refuser parce que tu n’es plus vierge. Ton Qā’id est un misérable, un esclave qui a fait son chemin grâce à la flatterie et aux promesses, mais il serait capable de renoncer à sa vilaine si celle-ci ne lui donne pas ce qu’il espère prendre durant la première nuit. Ta valeur et celle de ta virginité sont encore trop comme contre partie à offrir en échange de mon épouse. Mais si Ali se montre borné, alors je déclencherai les forces de l’enfer contre lui, je dévasterai ses terres, massacrerai ses sujets, emmènerai les femmes de ses villes pour en faire des es-claves et surtout, je ferai de toi tout ce que je veux. L’attaque à ton village a été sans douleur pour de nombreuses personnes, car rapide, et avec le seul objectif de capturer la jeune fille aux yeux couleur saphir, mais si Ali ne m’écoute pas, alors beaucoup souffriront et devront s’incliner devant leur nouveau Qā’id… s’ils veulent continuer à vivre. ” Ibn al-Ḥawwās saura me récupérer de tes mains, j’en suis certaine. Et mon frère… ”
“ Ton frère est mort ! Je l’ai vu personnellement tomber. Il a eu ce qu’il méritait, ce lèche pieds ! ”
Nadira se jeta sur les coussins et commença à pleurer plus fort.
“ Umar… Umar ! Appela t’elle désespérée, pleine de douleur et de désespoir pour avoir disputé avec lui durant une journée entière, sans ja-mais avoir pu lui dire combien elle l’aimait.
“ Ton frère était un brave homme. Je suis sûr qu’au Paradis il aura le traitement réservé aux martyres. Mais ne pleure pas Nadira, ” l’encouragea cyniquement Mohammed.
“ Ne pleure pas ! ” répéta t’il ensuite en hurlant, révélant ainsi que la seule chose qui l’intéressait était qu’elle arrête de pleurnicher.
“ Je ne supporte pas ces gémissements en ma présence. ” conclut-il en-fin.
“Tu prends soin de moi et tu m’invites sous ta tente ; mais comment peux-tu prétendre que je sois tranquille en entendant ces paroles ? Tu me demandes même de ne pas pleurer… ”
“ Je ne désire pas ta tranquillité, je prétends que tu fasses semblant quand tu es à mes côtés. La prochaine fois que je te convoquerai, tu souri-ras. C’est un ordre ! Maintenant vas. Tu resteras avec les femmes, mais Jamal te surveillera. ”
Nadira fut accompagnée chez les femmes qui l’avaient précédemment maquillée, et celles-ci, enfermées tout comme elle, dans quatre murs, commencèrent à la haïr car elle croyaient qu’elle représentait la raison de cette guerre et de leurs mésaventures. ”
Chapitre 10
Automne 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ de Qasr Yanna
Quand Ali ibn al-Ḥawwās quitta le Rabaḍ pour rentrer à Qasr Yanna, Nadira ne voulut aucun don pour elle, malgré que le Qā’id lui avait pro-mis la lune. Finalement après mille insistances, Nadira demanda de recevoir une copie du texte du poète Mus’ab, vu que cela lui appartenait plus qu’aux autres. Bashir, le Vizir, fit en vitesse, écrire ces paroles sur une feuille de papier fin provenant des fabriques de Balarm.
Nadira ne se débrouillait pas très bien avec l’écriture et elle dû faire appel à l’imam43 du Rabaḍ qui après trois jours de lecture et relecture de la poésie, dû éloigner la jeune fille impatiente. Dans l’attente elle avait appris tous les versets par cœur, et par conséquent également la servitude mémorisa rapidement ces paroles que la maîtresse récitait maintenant en leur présence. ” Connais-tu, oh mon Seigneur, le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux ? ” c’était le verset le plus souvent rappelé.
Comme on pouvait l’imaginer, la nouvelle du prochain mariage entre Nadira et le Qā’id s’étendit avec une incroyable rapidité, hors de la mai-son de Umar. Un si grand enthousiasme se déchaîna parmi les personnes du Rabaḍ, que la jeune fille eu des difficultés à faire face à son embarras, devant les inclinaisons et la soumission des personnes avec lesquelles elle avait grandi. A la fin, la nouvelle du ” ciel de Nadira ” et du mariage de la jeune fille avec le Qā’id arriva même à l’intérieur les remparts où vivaient les chrétiens du Rabaḍ.
Un jour, Alfeo, le chef de famille, un pauvre homme qui démontrait vingt ans de plus de son âge réel, appela tous ses enfants autour de la table. C’était l’heure du dîner et ce jour là Apollonia et Caterina, sa mère, avaient suivi les hommes au potager pour les aider et pour manger en fa-mille sans devoir attendre le soir. Alfeo et Michele avaient à peine terminé d’arroser le potager des brocolis et donc, en fermant les parois de la saqija44 qui passaient par le terrain, ils mirent de côté leur bêche pour aller manger. Michele siffla à Corrado, qui était au shaduf45 depuis le matin, pour hisser l’eau de la gabiya46 et fournir les petits canaux et les potagers.
Caterina faisait bouillir le lait de chèvre dans la marmite et Apollonia mettait le bois dans le feu quand Alfeo, les appelant tous, leur demanda de s’asseoir autour de la table, sous le toit du point de l’abri de campagne. Les fermes éparpillées dans les quartiers de l’île et les simples points de rencontre pour les paysans étaient nombreux et souvent proche l’un de l’autre car les sarrasins avaient dès le début encouragé les petites propriétés et la culture intensive.
Maintenant ils les avaient tous devant eux. Corrado, Michele et Apollo-nia, pendant que son épouse préparait la nourriture. Alfeo avait à peine appris la nouvelle de Nadira. Il avait entendu ses jeunes garçons en parler, et aussi qu’Apollonia éprouvait de l’admiration envers cette jeune fille aux yeux bleus, étant lui même père, il ne pouvait ne pas penser à ce qu’aurait été le futur de ses trois fils.
“ La sœur de Umar a été promise au Qā’id. ” dit-il en communiquant la nouvelle que tout le monde connaissait.
“ Père, on en parle partout ! ” répondit Corrado.
“ ”Le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux. ” ” ajouta Apollonia, tandis qu’elle se frottait les mains pour enlever la souillure du charbon qui s’était déposée et sans savoir qu’elle était encore plus noire sur le visage.
“ Ma fille, il faudrait un qā’id pour toi aussi. ”
“ Père, que dites-vous ? ” demanda avec perplexité Apollonia, embarrassée et confuse.
“ Un qā’id chrétien évidemment. ” continua Alfeo en clarifiant le concept.
“ Un qā’id chrétien ça n’existe pas. ” répéta Caterina, qui avait tant transmis de son aspect et de son caractère à sa fille, mais qui portait mal les signes de l’âge et de sa pauvreté.
“ Pas un qā’id, mais je désire quand même trouver un bon parti pour Apollonia. ”
“ Père, je suis bien comme ça ! ” expliqua la jeune fille en regardant un instant Corrado.
La peur de devoir se séparer de sa famille, et donc de son frère, la tour-mentait depuis des années, mais, maintenant, cette peur était relevée par son père, elle se sentait incapable de se défendre. D’ailleurs sa seule arme aurait été celle de déclarer son sentiment à Corrado… une éventualité qui la terrorisait encore plus que sa peur.
“ Ne dis pas de bêtises ! Personne n’est bien comme ça à ton âge. Cor-rado et Michele te trouveront un mari… ce qu’il y a sur le marché, naturellement… pas un qā’id… mais le meilleur que l’on puisse trouver. Je n’ai qu’une seule fille et je veux exploiter au mieux la situation. ”
“ Mais père, comment pensez-vous pouvoir vous le permettre ? Vous êtes-vous rendu compte des habits que nous portons ? ” remarqua d’un air querelleur Michele en se levant et en montrant les lambeaux présents sur sa tunique.
“ Apollonia est une femme d’un bel aspect et elle n’a rien à envier à la sœur de Umar. Si ce n’est pour ces lambeaux que nous pouvons seule-ment nous permettre elle aurait elle aussi trouvé un qā’id. ” clarifia Alfeo en colère et en élevant la voix.
“ Vous parlez avec le cœur d’un père, mais tout ce que je désire pour moi est vraiment à l’intérieur ces murs. ” expliqua Apollonia, en caressant la main de son père et en l’encourageant à se calmer.
Elle s’efforça donc de ne pas regarder Corrado, craignant de révéler à quoi et à qui s’adressait sa dernière phrase.
“ Bien, père, dites-nous si vous pensez à quelqu’un et Michele et moi résoudrons la question. ”
Entendre ces paroles de la bouche de Corrado fut un coup au cœur pour Apollonia. Elle avait espéré durant des années, que son frère puisse éprouver envers elle quelque chose qui puisse aller au delà de l’affection d’un parent acquit, durant vingt ans de vie commune. Elle avait espéré qu’il la comprenne sans qu’elle doive se déclarer. Elle avait construit un conte de fée et maintenant tout s’écroulait. Dorénavant son regard se perdit dans le vide, fixant un point indéfini hors de la porte.
“ Je n’ai trouvé personne parmi les chrétiens de Qasr Yanna qui pourrait améliorer notre condition en épousant Apollonia. ”
“ Alessandro ! Je l’ai vu personnellement lui faire la cour. ” proposa Michele.
“ C’est un coureur de femmes. ” précisa Corrado
“ Et qu’est-ce que cela peut nous faire ? ” ajouta Michele ” cela importe car les vices coûtent cher. ”
“ Tu as bien dit Corrado. Et puis il a essayé de m’arnaquer déjà trois fois au marché. Non, aucune personne de Qasr Yanna. Après le Christoúgenna47, quand on ne travaille pas la terre, je veux que vous alliez dans le iqlīm de Demona, là où les personnes connaissent encore le grec et la majorité sont des chrétiens. Allez jusque là, et trouvez un mari pour votre sœur… et puis pensez également à vous. ”
Corrado et Michele se regardèrent, un instant après il rirent à plein cœur à l’idée de devoir trouver une épouse.
“ Corrado, tu es allé dans ces endroits; que peux-tu me dire sur les jeunes filles. ? ” demanda Michele enthousiaste.
“ Je n’avais que neuf ans. ”
“ Mais tu te souviendras certainement des femmes… ”
“ Je me souviens des habitants de Rametta48… Peau claire et yeux noisettes ! ”
“ Ça suffit ! Gronda Alfeo, qui répéta :
“ Combien de fois vous ai-je dit de ne pas parler de ces années là ? Pour Corrado c’est comme ci il était né dans cette maison ! ”
Les deux jeunes garçons s’échangèrent un regard d’entente : au geste de Michele qui indiquait son propre thorax, Corrado répondit en gesticulant à pleines mains pour laisser entendre que les jeunes filles de l’Iqlīm de Demona avaient de gros seins. Apollonia s’en rendit compte ; c’était trop ! Elle courut en larmes à l’extérieur sans donner d’explications. Et elle alla se cacher derrière les potagers dans une plantation de sumac, ce jour là elle ne mangea pas et lorsque Corrado, en la cherchant, passa au-près d’elle, elle s’agenouilla pour ne pas être vue.
Chapitre 11
Hiver 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ de Qasr Yanna
Avant de reprendre connaissance, Corrado eut le temps de voir l’icône de la Madonne, celle insérée dans une niche sur la façade de chez lui, c’était un signe obligatoire pour les chrétiens. Michele l’avait transportée sur les épaules pendant qu’Apollonia les avaient devancés en traçant la route parmi la foule en panique, qui tentait d’éteindre les incendies éclatées juste avant. La maison de Umar était dévorée par les flammes tandis que dans l’entrepôt de céréales, des dizaines d’hommes se démenaient pour tenter de sauver le plus de graines possible ; parmi eux se trouvait également Alfeo.
Caterina pleurait sur la porte, tandis que ses deux enfants naturels ramenaient l’autre chez eux, immolé et presque mort pour défendre l’honneur de la famille qui l’avait accueilli.
Michele posa Corrado sur le lit et s’empressa d’aider son père et ses compagnons du village contre les flammes de l’entrepôt.
Apollonia portait la lanterne, mais elle s’immobilisa sur la porte quand elle se rendit compte que sa mère avait dépouillé Corrado de ses habits plein de sueur, et de la rosée de la nuit, pour le couvrir avec des couvertures sèches. Elle ne se rappelait pas de l’avoir jamais vu nu, elle rougit et craint de s’en approcher. Puis, dans les heures les plus sombres de la nuit, elle se retrouva de nouveau seule et veilla sur lui, comme elle l’avait fait les deux jours précédents. Maintenant un linge humide lui frictionnait le front et tentait de faire baisser la fièvre.
Quand Corrado ouvrit les yeux, les premières lueurs qui anticipaient l’aurore pénétraient déjà par la petite fenêtre et l’adhān de l’aube résonnait sur tout le Rabaḍ, signe que la spiritualité devait toujours prendre le dessus sur les disgrâces.
La fièvre était descendue et Corrado commençait à reprendre le contrôle de ses muscles. Les ecchymoses sombres qu’il avait aux pouls rappelaient la cause de son infirmité, et la haine de celui qui lui avait provoqué cette humiliation…. Justement à lui, un noble d’une fière lignée indomptable.
Corrado avait réprimé son âme de guerrier dans les vingt années de vie de famille. Cette réalité, faite d’affection, d’un chez soi, de parents affectueux, d’un frère fidèle et d’une sœur bien-aimée, avait comblé l’inconfort d’être loin de son peuple, perdu au milieu d’un peuple qu’on lui avait enseigné déjà tout petit à mépriser. Durant ces années, l’humiliation d’être soumis au collecteur d’impôts du Qā’id, d’abord à Fuad et ensuite à Umar, avait été réparée par l’amour de Caterina, la mère qu’il n’avait jamais eue.
Corrado se retrouvait maintenant avec la tête endormie d’Apollonia posée sur sa poitrine. Bien qu’il fut inconscient par intermittence, il savait tout ce que cette jeune fille avait fait pour lui. Il lui passa donc une main dans les cheveux et lui caressa la joue et l’oreille.
Apollonia ouvrit les yeux, toutefois il ne pouvait pas la voir. C’était tout ce qu’elle pouvait prétendre de cette proximité : faire semblant de dormir pour jouir des caresses de l’autre. Elle sourit en imaginant que ses mains fussent motivées par d’autres sentiments, mais ces bribes étaient tout ce qu’elle pouvait avoir.
“ J’ai soif. ” dit Corrado en pensant à voix haute.
Apollonia à ce point ne put plus faire semblant de dormir, elle se releva du tabouret sur lequel elle était assise.
“ Je vais prendre de l’eau. ” répondit-elle même trop rapidement, en provoquant le soupçon chez son frère, qui en réalité elle ne dormait pas tellement.
“ Non, laisse faire notre mère, Toi reste ici. ”
Le visage de Corrado s’attarda donc sur celui d’Apollonia : une grosse ecchymose encore rouge ,partait de l’angle de sa bouche et montait jusque la moitié de sa joue.
“ Que t’est-il arrivé ? ” demanda t’il en lui effleurant le visage. Apollonia recula et répondit :
“ Tu ne te souviens vraiment de rien ? ”
En réalité Apollonia espérait que Corrado ne se souvienne pas de ce dé-tail… qu’il ne se fut pas rendu compte qu’Idris l’avait frappée, afin que la colère ne l’envahisse pas et qu’il ait envie de se venger.
“ Qui t’a donc fait cela ? ” demanda encore Corrado, en s’appuyant sur le dossier du lit.
Apollonia était partagée : d’un côté elle aurait voulu protéger Corrado de son tempérament, de l’autre elle ne voulait pas lui mentir.
“ Après ce qui s’est passé cette nuit, peu importe le coupable ? ”
Corrado fut catapulté dans la prise de conscience des évènements aux-quels il avait assisté la nuit précédente ; maintenant tout lui revenait à l’esprit.
“ Ils ont capturé Nadira ! ” dit-il en un souffle, comme si cette vérité apparaissait en à ce moment là.
“ Je le sais, Corrado… je le sais…. Cette pauvre fille ! Mon frère, la beauté est une malédiction de Dieu, et l’homme est un homme ! Jala a tout vu, on la lui a enlevée des bras. On ne parle que de cela dans tout le village et Michele m’a tout raconté, même ce que je ne savais pas. ”
“ Umar… ce chien de Umar ! Je l’ai vu de mes yeux tomber mort. ”
“ Umar est vivant… et même sa famille. Ils se sont sauvés bien avant que la maison ne s’écroule sur elle même. Mais douze paysans, Corrado… douze paysans… sont morts pour défendre le Rabaḍ ! ”
Corrado se mit en colère pour les douze habitants du village, mais puis, sa rage envers Umar pris le dessus.
“ Il aurait bien fait de mourir ce maudit Umar ! ”
“ Alors il vaut mieux que je ne te dise pas qui l’a traîné loin des flammes, tandis qu’il s’évanouissait et que sa mère le cherchait désespéré-ment dans le fleuve. ”
“ Est-ce toi ? ” demanda t’il furieux, en lui pointant le doigt sur le vi-sage.
“ Non, moi je n’ai même pas été capable de te traîner toi. Ce fut Michele quand il est venu te ramener à la maison. ”