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Reborn
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Reborn

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«Bien, nous sommes d’accord sur le fait que nous ne dirons rien de ce qu’il s’est passé. Quoi qu’il en soit, tu as retrouvé la mémoire? Le docteur Abruzzo a dit qu’après suffisamment de repos et grâce aux médicaments qu’il t’a donnés, tu reprendrais tes esprits… Tu as retrouvé la raison, n’est-ce pas? Non, parce que j’ai un tas de choses à faire, je ne peux pas rester ici, j’ai confié Fernando à la voisine, je ne peux pas abuser de sa disponibilité et puis… N’oublie pas, Rea a besoin de toi.»

Elga ressentit une douleur à l’estomac. Le jour n’avait pas chassé les hallucinations finalement. Elle serra les poings. «Je.Ne.Connais.Aucune.Rea» martela-t-elle.

«Oh, Jésus, Jésus, tu l’entends? Cette femme me fera mourir de chagri!» Elisa se leva d’un bond et tourna les yeux vers le plafond. Elle sortit le chapelet de la poche de sa chemise et continua à tourner en rond quelques minutes en suivant le périmètre de la pièce, murmurant les versets de quelque prière. Enfin, elle s’arrêta et darda son regard sévère dans celui de sa fille. «Écoute, dit-elle, je sais très bien que tu as subi un traumatisme en perdant ton mari. J’ai moi aussi souffert énormément quand papa est mort et je comprends ce que l’on éprouve, mais deux ans sont passés et il est temps d’aller de l’avant. Je sais, je sais… Le docteur Abruzzo m’a expliqué l’histoire… Rea a distrait Andrea avec ses caprices et dans ton inconscient, tu lui as attribué la responsabilité de l’accident. Elle est devenue une meurtrière à tes yeux et, ne pouvant le tolérer, tu l’as complètement éliminée. À ta sortie du coma, tu disais que tu n’avais jamais eu de fille… Très bien, nous avons compris, aidée et tu semblais guérie. Mais maintenant, tu ne peux pas me trahir avec une rechute, tu ne peux pas me faire ça!»

«Maman, je ne sais pas de quoi tu parles» l’interrompit Elga, qui ne comprenait pas du tout son discours. Martina était ma fille, elle est morte avec son père et c’est une calèche qui a provoqué l’accident en nous coupant la route. Malheureusement, elle ne s’est pas arrêtée et n’a jamais été retrouvée, et le salopard qui la conduisait est resté impuni.

«Martina? Martina? Tu persistes à sortir ce prénom imaginaire?» La voix d’Elisa se fit perçante. Tu confonds réalité et imagination, ma chère, tu perds la boule et tu sais pourquoi? Parce que tu as quitté la voie du Seigneur. Si tu avais la foi, Jésus t’aiderait à surmonter ton deuil et te donnerait la force d’aimer ta fille, ta vraie fille, comme il convient. Le douleur vient du ciel, c’est le moyen dont se sert Dieu pour te mettre à l’épreuve et tu… Tu t’es laissée prendre au dépourvu!

«Je n’ai pas demandé à être mise à l’épreuve.»

«Chuuuut! Ne blasphème pas… Faisons ceci, on se prépare une bonne camomille, on se calme, puis tu prends un bain et tu commences à te préparer pour accueillir dignement la petite quand elle sortira de l’école. Je sais que tu le veux aussi. Même si tu n’as pas les idées claires, essaie de ne pas y penser, comporte-toi en bonne maman et prends les médicaments que le docteur t’a prescrits. Tu verras que ta mémoire te reviendra petit à petit et alors, tu auras honte des méchancetés que tu dis… Si Dieu le veut, on en rira même.»

«Non.» Elga secoua violemment la tête. Je ne peux pas.

«Pardon?»

«Ce n’est pas ma fille. Je ne veux pas d’elle ici.»

«Et que voudrais-tu faire?»

«Je ne sais pas. Je te dis qu’elle n’est pas ma fille, ses vrais parents sont sûrement quelque part… Peut-être que quelqu’un la cherche. Je pourrais la signaler à la police ou me tourner vers les services sociaux…»

«Tu es folle. Tu es complètement folle! Rea est ta fille, que ça te plaise ou non, et tu ne te tourneras vers personne. Les services sociaux, la police? Mais tu te rends compte? Tu veux provoquer un scandale? Tu veux qu’on finisse tous dans les journaux et salir définitivement le nom de la famille?»

Elga sentit un profond sentiment de panique gonfler sa poitrine. Ce ne pouvait être réel. C’était un cauchemar, un horrible cauchemar dont elle devait absolument se réveiller. «Ce n’est pas ma fille! Ce n’est pas ma fille!» hurla-t-elle.

Elisa lissa méticuleusement des plis imaginaires sur sa jupe. Elle fit encore quelques fois le tour de la pièce, reprenant sa litanie silencieuse, s’arrêta et défia Elga d’un froncement de sourcils combattif. «J’ai compris que tu ne veux pas collaborer, admit-elle. Dans ce cas, faisons ainsi : je prends la petite chez moi quelques jours, pour que tu puisses te soigner, te reposer et t’éclaircir les idées. J’attendrai patiemment que tu reprennes tes esprits avant de te la rendre, mais essaie de ne pas trop te la couler douce. Tu sais que je suis très occupée et que la paroisse a besoin de moi. Il y a une vente de charité à organiser, j’ai les tours pour la récitation du rosaire et les cours de formation continue pour les catéchistes. Je n’ai pas beaucoup de temps à consacrer à Rea, donc agis en conséquence.»

La femme n’y réfléchit qu’un instant. Un peu de temps pour rassembler ses idées et découvrir ce qu’il se passait réellement était exactement ce dont elle avait besoin. D’autre part, elle ne pourrait tolérer la présence de cette étrangère qui se faisait passer pour sa fille et c’était bien que sa mère l’emmène, même provisoirement.

«J’accepte, répondit-elle simplement. On fera comme tu dis.»

D’un coup, les traits crispés d’Elisa se détendirent en un sourire radieux.

«Viens ici, dit-elle joyeusement, embrasse-moi, ma petite. Tu verras qu’avec l’aide du Seigneur, on résoudra tout.»

Elle serra Elga dans ses bras. «Sur la table, il y a les médicaments que t’a prescrits le docteur Abruzzo. Je te les ai achetés après avoir accompagné Rea à l’école. Promets-moi de les prendre et d’aller le voir pour la visite de contrôle dans deux jours. Je t’ai noté la date et l’heure du rendez-vous, j’ai collé un post-it sur le frigo.»

«Je te le promets» affirma sa fille d’une voix atone. Le fait que sa mère ait utilisé un post-it signifiait qu’elle avait fouillé dans ses tiroirs pour trouver le bloc, ce qui l’ennuyait beaucoup. Elle ne commenta pas toutefois, ayant des questions plus importantes dont se préoccuper.

«Si nous sommes d’accord, je m’en vais dans ce cas. Je suis très inquiète pour Fernando, tu sais qu’il n’est pas habitué à rester avec des étrangers.»

«Bien sûr, pas de problème.» Vu les circonstances, l’inquiétude de sa mère pour son perroquet lui sembla presque grotesque, mais elle l’envia un instant. Bien qu’un temps elle aurait vendu son âme pour bénéficier des mêmes attentions, elle devait reconnaître qu’elle ne pouvait pas rivaliser avec sa diligence. Quoi qu’il en soit, Fernando connaissait par cœur plus de prières qu’elle.

«Je vais dans la chambre de Rea prendre quelques vêtements, ils lui seront utiles dans les prochains jours» reprit Elisa en changeant de sujet.

«Non!» explosa Elga en se raidissant. La chambre de Martina était un lieu sacré, inviolable. Je ne veux pas que cette enfant porte les vêtements de ma fille.

L’autre haussa les épaules, consternée.

«En effet, j’oubliais que tu es encore en proie aux hallucinations. Ça ne fait rien, laisse tomber, conclut-elle. Je lui achèterai de nouveaux vêtements, elle aura ainsi l’occasion de se changer les idées avec la douleur que tu lui causes mais, le moment venu, je te présenterai la facture.»

Bien sûr, maman, avec l’argent on résout toujours tout, c’est toi qui me l’as appris.

***

Restée seule, Elga éteignit la télévision. Elle se prépara un café pour chasser sa torpeur, jeta les boîtes de médicaments laissées bien en vue sur la table, choisit un CD dans sa collection et alluma la chaîne-hifi; très soigneusement, elle remit en place les poupées malmenées par sa mère, ne laissant qu’un petit espace pour elle au milieu.

Elle attendit que la voix de Valor Kand ait empli chaque coin de la pièce et libéra enfin ses pensées pour les réordonner.

“Dès que tu peux, va voir Costanza, dis-lui que tu as un fait un malaise mais que tout va bien, même si ce n’est pas vrai. Tu sais combien cette femme est bavarde, je ne voudrais pas qu’elle aille raconter partout que tu ne reconnais plus ta fille”. Ce fut la dernière recommandation d’Elisa avant de la laisser et c’est à partir de là qu’Elga voulut recommencer à reconstituer les évènements.

La voisine n’avait pas hésité à reconnaître Rea comme sa fille. Si elle était victime d’un complot ourdi par sa mère et le médecin, pour des raisons qu’elle n’arrivait pas à deviner, Costanza en aurait été exclue. En outre, Elisa lui avait dit avoir accompagné la petite à l’école ce matin-là et ceci signifierait l’implication d’autres personnes dans la mise en scène, s’il s’agissait de cela. Était-il possible qu’autant de personnes se soient accordées pour se moquer d’elle? Et dans quel but?

Elle n’en avait aucune idée, et pourtant… La seule alternative plausible lui semblait encore plus insensée. Elga ne nourrissait aucun doute quant à l’authenticité de ses souvenirs, elle était certaine de ne pas avoir perdu la tête et, en se le répétant, comprit la nécessité de le prouver au monde, parce que dans le cas contraire… Et bien, dans ce cas, elle deviendrait vraiment folle.

Réfléchis, se dit-elle en cherchant une solution. Pour commencer, il lui fallait des preuves de l’existence de Martina, sa seule vraie fille, que tous semblaient avoir écartée. Instinctivement, elle courut recontrôler les photos alignées sur le manteau de la cheminée. Elle espéra un instant qu’elles seraient redevenues normales, mais l’image de la fillette brune revint blesser son regard. C’était toujours elle qui occupait indignement la place de sa fille sur les clichés et elle paraissait même la défier de ses grands yeux bleus. Elle prit acte du fait que c’était une voie sans issue et dirigea son attention ailleurs.

Elle commença à fouiller partout, cherchant désespérément quelque chose qui ait conservé une trace de son existence. Elle courut vers le buffet et chercha la tasse de Blanche-Neige, celle qu’elle avait fait personnaliser avec son prénom et remplie de bonbons pour fêter la réussite de son année.

“Rea”, lut-elle avec horreur. Elle la jeta au sol et se précipita vers la salle de bain. Elle inspecta l’armoire pour y récupérer deux serviettes sur lesquelles elle avait fait broder les initiales de la fillette.

“R. L.” Elle les jeta en l’air et poursuivit.

Fébrile, elle sortit de vieux albums photos, des cartes de vœux reçues de Martina, des dessins, des travaux scolaires… Rien! Le prénom et l’image de Rea s’affichaient partout.

Après avoir retourné une bonne partie de la maison de long en large, la femme s’obligea à affronter la dernière pièce, celle qui avait exercé sur elle un appel irrésistible dès son réveil, mais qui la terrorisait tout autant.

Elle ouvrit prudemment la porte et entra à petits pas. Son regard tomba immédiatement sur le lit. La poupée manquait, exactement comme le matin précédent. Elga tenta de ne pas y penser et poursuivit sa recherche, attentive à ne rien casser cette fois et à remettre à sa place chaque objet examiné. La petite chambre semblait parfaitement en ordre, mais le fait que le sac à dos de Martina n’était plus à sa place ne lui échappa pas, signe évident que sa mère était visiblement passée par là. En vain, elle examina les initiales imprimées sur le sac que la petite emmenait à l’école de danse, la signature sur quelques vieux cahiers, les petites lettres en bois pendues à un mur et qui composaient son prénom.

Ce fut lorsqu’elle examina le contenu des tiroirs qu’elle le remarqua. Au début, elle entendit une sorte de bourdonnement ténu provenant du sol. Elle se pencha pour regarder sous la chaise et la vit. La poupée était là, sur le dos, étendue sur le carrelage. Le bruit étrange semblait provenir de son buste. L’esprit d’Elga pensa instinctivement à certaines poupées très en vogue dans son enfance, capables de parler ou de chanter grâce à des disques qui s’inséraient dans leur dos. Lorsque la voix se taisait et qu’on ne les arrêtait pas, elles continuaient à tourner à vide en émettant un craquement agaçant. Elle frissonna. Sa poupée n’était pas dotée d’un tel mécanisme et ne pouvait émettre aucun son.

Avec beaucoup de précaution, elle l’effleura puis la tira délicatement à elle. L’incroyable ressemblance avec Rea l’atteignit à nouveau comme un coup à l’estomac. Elle éprouva de la nausée à la seule idée de la toucher encore; elle prit deux profondes respirations et rassembla son courage. Elle l’attrapa et, après l’avoir retournée, souleva sa robe. Elle examina le dos à la recherche d’une improbable tirette ou autre ouverture.

Crétine! se dit-elle. Il était clair qu’il n’y avait rien et pourtant, il lui sembla encore entendre le bourdonnement en la manipulant. Elle fut prise d’un sentiment d’horreur qui lui tordit les intestins. Sans réfléchir, elle se leva d’un bond, enferma la poupée dans l’armoire et retourna se réfugier dans la cuisine.

Chapitre 7

And when that star goes by [6]

I’ll hold it in my hands and cry. Her love was mine. You know my sun will shine.

Eloise - The Damned

Les doigts de Iuri couraient sur les touches du piano. Les notes d’une Nocturne de Chopin voltigeaient entre les murs tandis que ses yeux fermés suivaient des images lointaines.

Elle était assise sur le tabouret, à ses côtés, les mains posées sur les genoux, le regard fixé sur les siennes. Elle ne portait qu’une chemise de coton blanc, ses cheveux, dénoués dans l’intimité, tombaient en douces ondulations auburn le long de son dos. Iuri pouvait sentir son souffle chaud lui effleurer le cou et un léger parfum épicé s’insinuer dans ses narines. Le feu allumé dans la cheminée répandait une agréable tiédeur dans la pièce et la réverbération des flammes marbrait les ombres d’orange.

“Joue encore. Joue encore pour moi” semblait demander chaque fibre de son corps, et lui continuait à jouer comme s’il ne devait jamais s’arrêter, comme si ne pas cesser pouvait suffire à la garder là pour toujours…

***

Pour toujours… L’arrière-goût amer de cette promesse non tenue arrêta ses doigts malgré tout.

Subitement, il se figea, frappa le clavier de la paume des mains, se prit la tête et commença à la secouer lentement.

Il ne l’avait plus vue le jour précédent. Il s’était rendu à la boutique mais avait trouvé le rideau baissé et aucun panneau ne justifiait cette fermeture imprévue.

Était-elle malade?

Cela lui semblait improbable car elle lui avait semblé en très bonne forme la veille au soir et cela ne lui ressemblait pas de rester loin de son atelier. Il l’avait vue plus d’une fois aller travailler le regard fiévreux et le nez qui coulait.

Il devait s’être passé quelque chose de grave, quelque chose qui l’avait empêchée de sortir… Oui, car il était passé plusieurs fois devant sa maison, au moment du repas, l’après-midi et à l’heure à laquelle elle rentrait habituellement le soir. Il ne l’avait croisée en aucune occasion et, encore plus étrange, il avait toujours trouvé l’habitation plongée dans le silence. Normalement, il entendait de la musique sortir par ses fenêtres.

La situation le préoccupait. Surtout, ne pas la voir pendant une si longue période lui procurait un désagréable sentiment de vide au creux de l’estomac.

Il se leva, se dirigea vers sa chambre à coucher, fouilla dans le tiroir de la table de nuit et en sortit une boîte. Il l’ouvrit avec délicatesse et y prit un mouchoir en papier froissé. Le porta à son nez et inspira une bonne fois, comme pour remplir ses poumons de son odeur… L’odeur d’Elga, de son gel douche à la noix de coco, de son brillant à lèvres au miel, de ses larmes. Iuri l’avait ramassé quelques jours plus tôt au cimetière. Il lui avait échappé après qu’elle ait pleuré devant la tombe de son mari et il s’en était emparé sans se faire voir.

Ce n’était pas la première fois qu’il le faisait. Depuis qu’il l’avait retrouvée, il avait rassemblé plus d’une trouvaille similaire : une serviette utilisée au bar, un gobelet en plastique avec la trace de son rouge à lèvres, un cheveu, des objets récupérés dans ses poubelles… Toucher et renifler des choses qui avaient été en contact avec elle lui donnait le sentiment de la sentir plus proche et stimulait ses souvenirs. Des fragments, difficiles à situer dans un contexte précis, mais suffisants pour lui fournir la certitude d’avoir aimé Elga et d’avoir été aimé d’elle dans une autre vie.

Un instant avait suffi pour la reconnaître lorsqu’il l’avait vue la première fois au cimetière. Bien entendu, elle ne portait pas de longue jupe bouffante à crinolines et ses cheveux n’étaient pas tressés et rassemblés dans sa nuque, comme dans la plupart de ses visions, mais son visage était toujours le même et il l’aurait reconnu entre mille.

Même le détail qu’elle pleurait pour un autre homme dont elle avait été l’épouse était erroné. C’était plus qu’un simple détail en vérité : plutôt un fait incontestable qui l’avait atteint comme un coup de poignard dans le dos, mais pas autant que le fait qu’elle ne se souvienne pas de lui.

C’était une blague du destin, du hasard… Du chaos, ou de quoi que ce soit d’autre, qu’il avait encore du mal à assimiler.

Il avait toujours soupçonné qu’Ogma était derrière son odyssée personnelle mais il n’avait jamais avoué et il doutait qu’il le ferait dans le futur.

Toutefois, Iuri était optimiste. Si son amour l’avait guidé à travers l’espace et le temps jusqu’à le mener là, il devait y avoir une raison. Cela ne pouvait pas se terminer ainsi. Au fond de son cœur, il était certain que, tôt ou tard, Elga se souviendrait de lui elle aussi et il ferait tout pour que cela arrive.

La sonnerie de son téléphone le tira de ses pensées. Le riff de A forest des Cure se fit entendre dans la poche de sa veste pendue au dossier d’une chaise de la cuisine. Il n’aimait pas ce genre de musique et préférait le classique, mais Elga en était folle et l’écouter de temps en temps… Et bien, cela aussi l’aidait à la sentir plus proche. Sa vie était désormais réduite à un exercice continu pour raccourcir une distance infranchissable.

Pathétique l’avait jugé Ogma, mais l’insulte avait raté sa cible car lui se sentait simplement tenace.

Difficile de se tromper sur l’origine de l’appel, monsieur Di Spirito était le seul à connaître son numéro, à part Filippo qui n’appelait jamais.

Il posa soigneusement sa relique et alla répondre.

Un homme âgé d’un peu plus de quarante ans. Mort du cancer à l’hôpital. Le corps attendait à la morgue d’être remonté. Iuri détestait le froid des hôpitaux, l’anonymat des murs blancs et des sols en linoléum imprégnés de désinfectant. Personne ne choisirait de mourir dans un tel endroit, mais la mort n’avait cure de telles prétentions.

« J’arrive » dit-il sèchement avant de couper la communication, une manche de sa veste déjà enfilée à moitié. Il finit de se préparer en vitesse, attrapa son sac avec ses outils et sortit dans la rue.

Chapitre 8

I close my eyes but I can’t sleep. [7]

(#u798e96f2-f98e-5f1b-8425-204529fb4686)The thin membrane can’t veil

the branded picture of you.

Obsession - Siouxsie and the Banshees

Elga parcourut à pas rapides la longue avenue bordée de cyprès qui menait au cimetière, franchit le portail en fer forgé et grimpa les marches à la hâte. Lorsqu’elle pénétra dans le large atrium de l’entrée, elle était à bout de souffle, mais ne s’arrêta pas. Pour la première fois depuis qu’elle fréquentait ce lieu, l’inscription “Ils ressusciteront” sur la fenêtre centrale provoqua un frisson le long de son dos. Elle détourna le regard pour s’empêcher de réfléchir et continua vers sa destination.

L’idée l’avait traversée comme un éclair soudain alors qu’elle tentait d’avaler un morceau de pain vieux de deux jours.

Elle se traita d’imbécile pour ne pas y avoir pensé immédiatement. Elle avait retourné toute la maison alors qu’il lui suffisait de se rendre au cimetière pour obtenir une preuve incontestable de la mort de Martina.

Elle s’était habillée rapidement et était sortie, poussée par le besoin irrépressible de mettre fin à cette folie. Un sourire ironique lui avait échappé à la pensée de pouvoir tirer du réconfort de la pierre sur laquelle était gravé le prénom de sa fille puis, l’image des photos truquées apparues chez elle était revenue occuper la scène et ses lèvres s’étaient étirées en une grimace indéfinissable.

«Faites que tout soit en ordre, faites que tout soit en ordre, faites que tout soit en ordre…» Au fur et à mesure que la distance avec la tombe se réduisait, elle se le répétait comme un mantra. Plus la plaque de marbre approchait et plus un sentiment de malaise et d’angoisse montait en elle.

Il avait de nouveau plu pendant la nuit. Le sol encore humide colla à ses bottes lorsqu’elle quitta le sentier asphalté pour s’avancer parmi les tombes situées dans la zone découverte du cimetière.

Le sourire d’Andrea l’accueillit, rassurant, se détachant comme un rayon lumineux sur la pierre de granit noir. Elga ne lui accorda qu’un rapide coup d’œil avant que son regard n’aille se fixer anxieusement sur la tombe suivante. Le froncement de sourcils triste de monsieur Giacomo Ludovico la salua comme pour dire « Je suis désolé. » Elle recula de quelques pas, voulut rembobiner la pellicule et reprendre au début. Elle revint à la photo de son mari et laissa ses yeux se tourner prudemment vers la photo suivante.

Rien. La tombe de Martina n’était tout simplement plus là. Elle s’était toujours trouvée entre celle de son papa et celle de Giacomo, et il semblait pourtant que les deux emplacements s’étaient rapprochés et avaient englouti la distance qui les séparait, effaçant ce qui se trouvait entre eux deux.

Elga contrôla à plusieurs reprises. Les tombes étaient toutes à leur place et étaient celles de toujours, mais une avait disparu, évanouie dans le néant sans même laisser un espace vide. Elle fut prise de vertige lorsqu’elle dut se rendre à l’évidence, se laissa tomber à genoux sur la tombe d’Andrea et s’abandonna à des sanglots convulsifs.

«Qu’est-ce qu’il se passe? Dis-le moi, je t’en prie» implora-t-elle à voix basse, en pleurs.

«Vous vous sentez bien?» Elle sentit soudainement une main posée sur son épaule. Elle leva son visage strié de larmes et reconnut un vieux monsieur qui se rendait là chaque jour pour rendre visite à sa défunte femme. Elga ne le connaissait pas vraiment, elle ignorait même son nom, mais elle l’avait croisé des milliers de fois, éprouvant toujours de la tendresse pour le dévouement avec lequel il s’assurait que le vase de son aimée soit toujours plein de fleurs fraîches. Des roses rouges uniquement, probablement ses préférées de son vivant.

«Tout va bien, oui» répondit-elle en s’essuyant le visage du dos de la main.

L’homme lui tendit un bras pour l’aider à se relever.

«Vous êtes sûre? Vous voulez que je vous apporte un peu d’eau?»

«Ne vous inquiétez pas, ça va déjà mieux. C’est que…»

«Je sais, l’interrompit l’autre. Je sais comment on se sent. Je la vois toujours, vous savez. Ce doit être votre mari» ajouta-t-il en montrant la tombe d’Andrea. J’ai perdu mon Isabella il y a des années, mais c’est comme si c’était hier. Ça ne passe pas.»

«Non, ça ne passe pas» confirma Elga dans un filet de voix. Elle fut tentée de lui demander s’il avait déjà remarqué la tombe d’une fillette à côté, mais le courage d’encaisser l’inévitable réponse lui manqua. «Merci» murmura-t-elle, et elle se dirigea vers la sortie aussi vite qu’elle était entrée.

Elle trébucha en descendant les escaliers mais une prise ferme l’empêcha de tomber au sol. Elle était sur le point de se confondre en remerciements pour la seconde fois de la journée lorsqu’elle fit le point sur l’image de son sauveteur et se figea en ravalant ses paroles.

«Tu es ici!» s’exclama Iuri en esquissant un sourire. Il s’arrêta immédiatement. «Il y a un problème?» demanda-t-il avec appréhension. Ses yeux rouges, ses cheveux ébouriffés, ses leggings couverts de terre ne lui avaient pas échappé.

Il lui sembla un instant plonger dans le gris de ses iris, fumée liquide qui l’enveloppait d’une étreinte presque rassurante. Elle imagina lui dire quelque chose, lui parler de son cauchemar, car elle se rendait subitement compte qu’elle était complètement seule et qu’elle avait peur. Puis, comme émergeant d’un rêve, elle réalisa que cet homme était la personne la moins appropriée à qui demander de l’aide. Il l’assaillait depuis des mois alors qu’elle tentait en vain de lui échapper, elle avait craint plusieurs fois qu’il puisse lui faire du mal bien qu’il ne lui ait jamais donné de raison de croire qu’il était violent.

«Laisse-moi tranquille!» siffla-t-elle en se libérant de sa prise.

«Tu as disparu de la circulation, tu n’as pas ouvert la boutique et maintenant que je te vois, tu as l’air bouleversée, insista-t-il.»

«Ce ne sont pas tes affaires. Tu dois arrêter de m’épier.»