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Tess
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Tess

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— Park Tan-Gyong, un célèbre violoncelliste, avait juré de se venger après que Kim Jung-un ait ordonné l'assassinat de plusieurs de ses proches. Il a lancé une attaque suicidaire contre Kim et sa famille. Je n'ai pas pu l'en dissuader et donc, après en avoir parlé à la CIA, j'ai accepté à contrecœur de l'aider. J'ai financé la construction d'un violoncelle qui comportait un compartiment secret pour y cacher un paquet de poudre mortelle de cadmium. Puis Park s'est rendu à un concert privé au palais de Kim et a lancé en direction du public. Le sachet s'est déchiré, répandant le poison en quelques secondes et les gens ont succombé. Malheureusement, Kim avait eu des soupçons, aussi avait-il envoyé quelqu'un qui lui ressemblait pour assister au concert à sa place. Par la suite, un général nord-coréen avait essayé d'organiser un coup d'état, mais Kim l'a écarté sans pitié. Aujourd'hui, il est plus paranoïaque que jamais et il ne cesse de tester des ogives nucléaires et de lancer des missiles dans la mer du Japon, menaçant les bons vieux États-Unis et leurs alliés d'anéantissement. »

Alex haussa les épaules.

« Parfois, les choses tournent mal. Ça fait partie du métier. Je n'arrive pas à croire que tu en portes de blâme.

— Ça ne me dérange pas. dit Jake. Ce n'était pas gagné. En tout cas, la CIA m'a offert une carotte : la possibilité d'épingler une de nos vieilles connaissances, Laurent Belcour.

— Encore lui ?

— Eh ouais, rétorqua Jake. Désolé de vous avoir dépêchés si vite. J'ai besoin de gens qui parlent couramment le russe et le turc.

— À ton service, dit Nicola. Mais j'ai dû réviser le turc en chemin. »

Jake avait les yeux rivés à ses jumelles.

« Il arrive. C'est le moment, les gars. »

Alex et Nicola descendirent du bâtiment. Ils coururent vers un petit pont enjambant une rivière en crue pour rencontrer leur contact, Isidore Khujadze. Ils avaient pris contact avec lui par téléphone auparavant. Nicola prétendait être Turc ; quant à Alex, il se faisait passer pour un contrebandier russe. Ils échangèrent des poignées de main puis s'engouffrèrent dans une petite voiture délabrée avant de se rendre vers un petit appartement en ville. Le plan était de se procurer du matériel qui valait son pesant d'or : quelques kilos d'uranium radioactif ainsi que de l'uranium 235 à usage militaire. La provenance du matériel était floue mais Nicola et Alex l’assurèrent que ça ne poserait pas de problème.

Jake filait le petit groupe à distance dans son 4x4 de location avec, assises à l'arrière, Tess Turner et Galina Kutuzova, toutes deux vêtues de tenues militaires de couleur sombre et équipées de fusils de précision. Quand les hommes arrivèrent devant un immeuble délabré, Jake gara la voiture derrière un petit bosquet d'arbres. Il reprit ses jumelles et vit les trois hommes entrer dans le bâtiment. Une minute plus tard, une lumière s'alluma dans un appartement du deuxième étage. Jake s'avança furtivement vers l'avant du bâtiment tandis que les deux femmes restèrent cachées derrière les arbres. Elles ajustèrent le viseur de leurs armes de haute précision.

Jake était sûr que la matière nucléaire qu'Isidore avait à vendre provenait de Russie. Quand l'Union Soviétique s'était effondrée, de l'équipement avait été volé dans les centrales nucléaires mal gardées, ce qui avait contribué à la formation de réseaux de contrebande qui essayaient de vendre ces matières dangereuses aux plus offrants. La plupart des contrebandiers ont été interceptés par les autorités, grâce à la mise en place de détecteurs nucléaires aux postes frontières. Mais les nombreuses arrestations n'avaient pas dissuadé tout le monde. L'un des lieux de contrebande les plus fréquentés était l'Abkhazie, une parcelle de terre qui s'est détachée de la Géorgie grâce à l'ingérence russe. Des problèmes similaires s'étaient produits en Ukraine, en particulier dans les zones de Donetsk et de Louhansk, aux mains des rebelles. La guerre entre l'Ukraine et les régions frontalières occupées par la Russie avait détruit 29 détecteurs de radiation, ce qui avait rendu la contrebande possible.

Jake attendait devant la porte principale de l'immeuble. La transaction à l'étage se déroula sans incident. Jake le savait grâce au micro électronique que portait Nicola. En peu de temps, Isidore avait produit une petite boîte enrobée de plomb contenant la matière radioactive. Puis il se précipita vers la sortie, la sacoche contenant l'argent à la main, et descendit les escaliers. À la sortie, il tomba sur Jake, pistolet en main.

« Vous feriez mieux de nous suivre calmement, » dit Jake.

Alex descendit en courant et les rejoignit. Il sortit un collier de serrage de sa poche et attacha les poignets d'Isidore. La voix de Nicola se fit entendre dans leur appareil de communication : « Tout se déroule comme prévu. »

Galina fit un signe du pouce à Tess Turner, qui avait observé toute l'opération à l'aide de ses jumelles.

Mais avant que l'équipe n'eut le temps d'informer le véhicule de la police locale garée une rue plus loin, deux hommes surgirent soudainement et pointèrent leurs pistolets sur Jake, Nicola et Alex. Ils les forcèrent à s'agenouiller tout en hurlant des ordres à Isidore qui essayait de récupérer la boîte de plomb qui gisait maintenant au sol. Deux coups de feu déchirèrent la nuit et les deux nouveaux arrivants tombèrent au sol. Jake et Alex éloignèrent les armes des assaillants de quelques coups de pieds et Nicola assomma Isidore avant de remettre la boîte en lieu sûr. Peu après, des agents géorgiens arrivèrent devant le bâtiment dans un crissement de frein et appréhendèrent le trio de trafiquants. Tess et Galina rejoignirent les lieux tout en passant calmement les sangles de leurs armes sur leurs épaules.

« Content de vous voir, mesdames, dit Nicola. Votre timing était parfait et votre adresse au tir, impressionnante.

— Ah, mais de rien, dit Tess. On faisait juste notre travail. »

Galina avança vers Alex et lui planta un gros baiser. Il sourit et l'entoura de ses bras.

« Maintenant tu peux te vanter de m'avoir sauvé la vie.

— C'est rien, répondit Galina. Et puis, ce serait trop compliqué de trouver un autre homme. »

Elle l'embrassa à nouveau. Tess et Jake firent de même, avec toutefois un peu plus de retenue.

Nicola regardait la scène d'un air amusé. Tess le remarqua et lui dit en plaisantant :

« Eh, pas de voyeurs ! Appelle Carmen à New York et dis-lui que tu vas bien. »

Nicola hocha la tête et composa le numéro depuis son portable.

Plus tard, le groupe se retrouva au poste de police. Des agents des renseignements locaux interrogeaient déjà les contrebandiers, dont deux d'entre eux portaient des bandages aux jambes. Jake, Tess et les autres membres de l'équipe se servirent de boissons gazeuses au distributeur et se détendirent autour d'une table dans une pièce attenante.

« Pourquoi pensez-vous que Belcour s'intéresse au marché noir de matières radioactives ? demanda Alex. Après le mauvais tour que lui a joué Daesh en détournant l'une de ses deux bombes nord-coréennes vers l'Iran, au lieu de la faire exploser en Europe, on aurait pu penser qu'il ferait profil bas.

— Il n'en a pas besoin. Il n'y avait pas moyen de lui imputer ce terrible incident. Et quoi qu'il en soit, il a pris la sage précaution de s'installer temporairement en Argentine. Maintenant la CIA le soupçonne d'être le cerveau derrière cette opération de contrebande. Comme il ne peut plus obtenir d'ogives auprès de la Corée du Nord, on a à penser qu'il va chercher à se procurer de l'uranium pour faire une arme nucléaire.

— Pour quelle raison pourrait-il bien vouloir faire ça ? C'est un homme riche.

— Ce n'est pas pour l'argent. Je pense que Belcour cherche à se venger, dit Tess. Il veut se venger du gouvernement français qui l'a accusé de faire l'apologie de la prostitution, ce qui pour lui, ne pose aucun problème. À l'époque, il était à la tête de l'OID, l'Organisation Internationale de Développement, et il avait toutes les chances de s'emparer de la présidence de la France. Comme d'habitude, ses avocats lui ont sauvé la peau, mais ça lui en a coûté.

— Ça me fend le cœur, dit Galina, allongée sur une banquette et confortablement adossée contre Alex, entourée de son bras. Ce qui m'inquiète, c'est que c'est par nous que ses plans ont échoué et il cherchera peut-être à se venger sur nous.

— Tu as raison, Galina. Je ne serais pas surpris s'il venait après nous, dit Jake. C'est pourquoi j'ai accepté de faire un dernier job pour la CIA et nous offrir la possibilité de le coincer pour de bon. »

L'un des agents géorgiens entra dans la pièce, Il avait l'air contrarié. Il essuya ses mains légèrement tâchées de sang et s'assit.

« Les blessures sont superficielles. Nous avons essayé de les faire parler mais il est évident qu'ils ont été recrutés par des tiers qui n'ont pas d'existence officielle. Même si on les battait à mort, je ne crois pas qu'ils peuvent nous en dire plus. Ils font ça pour l'argent, peu leur importe d'où ça vient.

— C'est un peu décevant, dit Jake. On laisse ces imbéciles à vos bons soins. Il nous faut trouver une autre approche. »

L'agent géorgien lui serra la main.

« Merci de votre aide. Et rentrez bien. »

Une fois rentrés à l'hôtel, l'équipe se retrouva au bar pour prendre un verre. Jake n'était pas content.

« C'est frustrant. Chaque fois qu'on essaie de le coincer, Belcour réussit à nous filer entre les doigts. Il y a un proverbe chinois qui dit : 'Si on ne change pas de direction, on finira probablement par se retrouver là où on va.' Ça décrit très bien notre situation. Nous n'avançons pas. Nous devons trouver un autre moyen de l'avoir.

— Belcour est une vraie anguille, dit Tess. Il peut se permettre les meilleurs avocats et il s'en sert sans pitié. Et puis, il a accès à plusieurs résidences dans de nombreux endroits. Quand les choses avaient pris une sale tournure la dernière fois, il s'était envolé pour l'Argentine.

— La CIA m'a dit que Belcour ne traite plus avec les Nord-Coréens, » ajouta Jake. « Apparemment, il s'est brouillé avec eux. Je ne vois qu'une seule manière pour lui de fabriquer cette bombe avec des déchets nucléaires, c'est d'aller voir Daesh et ses vieux amis djihadistes en Syrie.

— Mais Daesh l'a entourloupé la dernière fois, ils ont vendu la bombe nucléaire nord-coréenne à l'Iran au lieu de l'utiliser en Europe comme Belcour le voulait.

— Entre voleurs, point d'honneur, dit Tess. Belcour n'a pas d'autre choix que de fermer les yeux dessus. Daesh est la seule organisation qui peut transformer des déchets nucléaires en bombe.

— Mais Daesh n'a pas de laboratoires pour ça, dit Alex.

— Les terroristes n'ont pas besoin de laboratoires. S'ils fabriquent une bombe comme ça, ils le feront probablement à l'aide de prisonniers. Ils se moquent si ces derniers meurent empoisonnés par les radiations.

— Triste mais vrai, acquiesça Alex.

— Alors qu'est-ce qu'on fait ? demanda Nicola.

— Franchement, je ne sais pas, dit Jake. Il va falloir qu'on surveille et qu'on improvise. Rentrons. »

2. Une Semaine en Enfer

Les bureaux de SRD à New York et à Paris tenaient des séances régulières de condition physique pour leur personnel. Tess et Jake croyaient que la forme physique des membres de leur équipe était essentielle étant donné les conditions dangereuses de leur travail.

Leur entraînement était exigeant et difficile, mais l'équipe s'y pliait sans souci. L'exception était la fameuse semaine en enfer, quand c'était au tour de Tess d'être en charge des trois séances de maniaque. Sachant ce qui les attendait, le staff de SRD se résigna à affronter une semaine d'exercices extrêmes et épuisants, et à des séances d'arts martiaux punitives où l'on attendait d'eux rien moins que la perfection. L'exercice de mise en forme extrême débutait par un échauffement des articulations suivi de squats, pompes, levers de genou, fentes en marche et fentes avant, tractions en extension et en négatif, basculements dorsaux et se terminait par de la relaxation suivie d'une course autour de Central Park.

Morgan Theresa Turner, plus connue sous le nom de Tess, dédaignait totalement tout gémissement et toute plainte, et ne ralentissait jamais l'allure. Son intransigeante recherche de la perfection reflétait sa façon de voir la vie : dans son esprit, tout ce qui méritait d'être fait devait se faire avec une vigueur indémontable, avec les meilleurs efforts possibles, pour atteindre l'objectif ultime.

Les seules qui semblaient prendre la séance à bras-le-corps étaient Yasmin Badawi, une archéologue syrienne qui avait récemment rejoint la compagnie et suivait une formation de tireur d'élite. Elle avait aussi un objectif distinct. Aara, la fille adoptive de Tess, âgée de 17 ans, aimait prendre part aux séances quand elle n'était pas à l'école de musique. Jeune, de petite charpente et motivée, elle enfilait les exercices sans même que sa respiration en semblât affectée. Carmen Cabrera, la meilleure amie de Tess, était aussi de petite taille, mais elle avait grandi dans le sud de Los Angeles et avait développé une rage de vivre hors du commun. Galina Kutuzova, qui travaillait au département informatique, était une ancienne athlète olympique russe. Elle n'était plus adolescente et adorait ses fêtes tardives arrosées de vodka et de caviar qu'elle aimait passer en compagnie d'Alex Tuck et d'un incessant cortège d'amis russes de passage. Galina et Alex survivaient aux rigueurs des séances grâce à la combativité que les Russes avaient développée au fil des siècles. Eva Bar-Lev, qui dirigeait le bureau de Paris, travaillait pour le Mossad et était en excellente forme, mais elle aurait probablement préféré faire autre chose. Le reste du personnel ne survivait qu'en proférant des jurons envers Tess pendant les séances, jurons qui ne peuvent décemment pas être mentionnés. Les hommes de SRD avaient leurs propres séances d'entraînement et elles se déroulaient plus sereinement.

Un observateur impartial trouverait sans doute en Tess un caractère 'compliqué', pour dire peu. Fille d'un général de l'armée, elle avait perdu sa mère très jeune. Son père ne s'etait pas remarié et elle l'avait accompagné à de nombreux événements mondains auxquels des officiers du rang de son père se devaient de participer. Exposée au monde militaire durant une grande partie de sa jeunesse, Tess avait décidé d'embrasser une carrière militaire plutôt que d'entrer au conservatoire de musique pour affiner ses talents de pianiste. Elle avait été admise à l'académie militaire de West Point, obtenu son diplôme avec distinction et était devenue pilote, qualifiée sur plusieurs types d'hélicoptères. Elle avait épousé Roger, un camarade de classe, non par amour, mais comme un trophée alors qu'elle poursuivait sa carrière. Le mariage n'avait pas duré ; on pouvait, au mieux, qualifier leur relation de tiède. Et puis, Tess avait surpris Roger qui la trompait dans un hôtel de Las Vegas. Ils étaient censés y passer un week-end en amoureux mais Tess arriva en retard. Roger y vit une occasion de profiter subrepticement d'une aventure et Tess le retrouva dans une situation compromettante. Elle avait jeté la femme nue hors de la chambre d'hôtel et saccagé les locaux tout en essayant de battre Roger jusqu'à la moelle. Jake passait par là et intervint pour empêcher Tess d'enfreindre la loi en l'éloignant du chaos que la scène avait causé. Jake et Tess avaient fini ensemble et il avait découvert qu'il allait devoir passer le plus clair de son temps à la secourir de situations qu'elle avait le don d'avoir compliquées à souhait.

Tess avait du talent, mais elle était aussi obsessionnelle, implacable, perfectionniste et voulait très sérieusement sauver le monde. Les hommes étaient attirés par la passion qui émanait d'elle, et par sa beauté, mais ils se rendaient vite compte qu'elle pouvait donner du fil à retordre. Jake avait relevé le défi et l'épousa, pleinement conscient que d'être avec elle s'apparentait à monter un taureau enragé.

Quand Tess et Jake avaient quitté l'armée, ils avaient créé SRD, une compagnie de prestations en services militaires auprès du gouvernement, livrant ainsi des avions et des équipements aux alliés. Tess était devenue pilote de haut niveau, sur quelque appareil que ce soit, et avait pris part à de nombreux combats en Irak, au Nigeria, et même contre les cartels au Mexique.

En parallèle, Tess avait lancé un projet de lutte contre la traite des êtres humains et avait failli mettre leur compagnie en faillite. Mettant à profit les talents de pianiste de Tess, Jake entrevit une occasion de se renflouer et recruta des femmes pour SRD qui étaient également capables de jouer d'un instrument de musique. Ainsi fur créé l'Ensemble Valkyries. La musique de chambre qu'elles jouaient gagna en popularité et les concerts qu'elles donnèrent finirent par rapporter assez pour financer les projets de Tess en lutte contre la traite des personnes. Comme d'habitude, dans l'esprit de Tess, toute entreprise devait s'exécuter à la perfection et elle s'était financièrement impliquée en recrutant des professeurs de musique pour qu'elle-même et ses collègues puissent jouer de façon professionnelle.

SRD devint bientôt une équipe assez singulière capable de piloter des engins, livrer des armes, combattre les méchants et jouer de la musique, tout en même temps. Cette approche fonctionnait, d'une certaine manière ; Jake et le reste de l'équipe s'étaient rangés à la quête obsessionnelle de perfection de Tess et à son envie de faire le bien là où c'était possible.

Heureusement, Tess avait un cœur en or, protégeait farouchement ceux qu'elle aimeait et n'hésitait pas à aller au bout du monde pour eux. Pour autant que Tess mit les membres de son équipe à l'épreuve, elle ne leur demandait jamais quoi que ce fût qu'elle ne ferait elle-même. Les gens de SRD lui vouaient une loyauté et un esprit d'équipe sans faille et quiconque se frottait à eux les savait redoutables.

C'était à Jake que revenait la tâche de ménager Tess et ça n'avait jamais été chose facile.

3. L'Héritage

L'armée américaine engagea SRD pour livrer de nouvelles armes aux YPG - Yekîneyên Parastina Gel - les unités de protection du peuple kurde, qui constituaient les combattants les plus efficaces contre le groupe djihadiste Daesh en Syrie. Jake dut organiser plusieurs réunions de coordination avec son personnel, pour examiner les budgets, coordonner l'acquisition et le transport d'armes et mettre au point, avec Nicola Orsini, un plan de formation des Kurdes qui se rassembleraient à Raqqa, en Syrie.

À la fin d'une longue journée de réunions de projet, Jake rentra à l'appartement de Manhattan où il trouva Tess dans la cuisine portant un tablier. Il lui fit un bisou sur la joue pour la motiver, bien que ce ne fût pas nécessaire. Tess avait déjà préparé casseroles, épices, viandes et fromages sur le comptoir, prête à exécuter ses recettes comme s'il s'était agi d'une opération militaire. Comme il était impossible de détourner l'attention de Tess de la tâche qu'elle s'était assignée, Jake se rendit dans son bureau et s'assit à son ordinateur pour lire son fil d'infos. Sebastian, son bouledogue — qu'ils appelaient aussi Tubby, ou encore Fathead, selon la gravité des problèmes dans lesquels il s’était empêtré — se précipita sous le bureau pour s'y installer et poser ses bajoues sur les pieds de Jake. Jake n'avait jamais compris comment le chien parvenait à ne pas finir sous les roues de son fauteuil. Il fallut moins d'une minute au chiot pour ronfler et baver béatement. Bien trop classe et peu soucieuse de se retrouver face à des semelles souillées, Maggie, l'épagneul Cavalier King Charles parfaitement toiletté de Tess, sauta sur le canapé et opta pour une sieste sur un joli coussin moelleux.

George Kimmel, l'as du renseignement militaire de la compagnie, fournissait régulièrement à Jake des résumés des nouvelles du monde. Le rapport trimestriel pullulait de faits nouveaux.

Les Russes s'étaient ingérés dans l'élection présidentielle américaine et étaient soupçonnés d'avoir affaiblir le candidat démocrate au profit de Donald Trump. Le terrorisme à l'échelle mondiale était plus que jamais d'actualité. Plusieurs attaques dévastatrices menées ou inspirées par Daesh avaient fait des dizaines de victimes à Paris, Nice, Bruxelles, Manchester et Londres. À Mossoul, les forces irakiennes étaient sur le point de déloger Daesh, et les combats acharnés et sanglants faisaient de nombreuses victimes. Une alliance de forces kurdes, syriennes, turques et de divers groupes rebelles avaient encerclé Raqqa en Syrie, la capitale de facto de l'État Islamique. Les Américains apportaient leur soutien aérien dans ces deux villes, et les Russes faisaient de même à divers endroits en Syrie, tout en gardant en tête leur objectif, qui était d'apporter leur soutien au régime assassin syrien.

Le téléphone sonna mais Jake ne décrocha pas. Lui et Tess avaient une règle stricte selon laquelle aucune interruption n'était permise avant et pendant le dîner. Il termina sa lecture. Le téléphone sonna à nouveau. Puis encore. Quiconque appelait semblait bien obstiné. À contrecœur, Jake finit par décrocher et grommela un "Oui".

L'homme déclina son identité. « Monsieur Vickers, je m'appelle Paul Mitchell, l’avocat de Madame Fadime al-Saadi. Vous vous souvenez peut-être d'une réunion que nous avions eue concernant Aara, la nièce de Madame Fadime.

— Oui, je m'en souviens, Monsieur Mitchell. C'était il y a plusieurs années et je pense que l'affaire est maintenant close.

— Pas de souci là-dessus, Monsieur Vickers. Je ne fais que transmettre une information de la part de ma cliente. À ses dix-huit ans, Aara recevra un héritage assez conséquent. Je crois comprendre qu'elle les atteindra dans deux mois.

— Monsieur Mitchell, je crains que tout futur contact entre Madame Fadime et Aara soit une mauvaise idée. Comme vous le savez, cette enfant a vécu une expérience traumatisante et je ne pense pas qu'il soit opportun de rouvrir ce chapitre de sa vie.

— Monsieur Vickers, peut-être dois-je mentionner que l'héritage provient du défunt père d'Aara, le général Amir al-Saadi et que son montant est considérable.

— Peut-être bien. Mais Aara ne manque de rien. Qu'il y ait plus d'argent à la clé ne nous fera pas changer d'avis.

— Monsieur Vickers, nous parlons de dizaines de millions de dollars. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que c'est une décision q’uil revient á Mademoiselle Aara, de prendre. Pas à vous. Je vous prie, et j'insiste, de l'accompagner à mon bureau où elle rencontrera Madame Fadime qui vous expliquera tout en détail.

— Je dois en parler avec ma femme qui, sans l'ombre d'un doute, voudra connaître ce que rencontrer Fadime implique.

— Si vous insistez, Monsieur Vickers. Je propose d'organiser une réunion à mon bureau. En début du mois prochain, cela vous convient ?

— Tout dépendra si ma femme accepte la rencontre.

— J'attends votre confirmation. Au revoir. »

***

Jake s'adossa dans son fauteuil et réfléchit un instant. Il craignait que cette nouvelle n'entraîne une véritable tempête de la part de Tess. Ses échanges avec Fadime avaient été pour le moins orageux. Lors de leur dernière rencontre, Tess avait jeté Fadime à travers la pièce et lui avait cassé le bras. Le comportement de Tess avait été complètement justifié mais Jake ne voulait pas que cela se reproduisit. La meilleure façon de gérer la situation était qu'il rencontre l'avocat, mais il devait en parler à Tess au plus tôt, ce qui pouvait entraîner des problèmes entre eux. Il décida de prendre le taureau par les cornes et d'en informer Tess après le dîner.

Tess se trouvait encore dans la cuisine, toute à sa nouvelle passion, la cuisine gastronomique. Quelques mois plus tôt, Carmen, sa meilleure amie, lui avait conseillé d'acquérir ce nouveau talent pour se réconcilier avec Jake ; le couple s'était séparé suite à un houleux épisode d'aventures extra-conjugales que chacun avaient eues. Les beaux-parents de Carmen en Italie avaient donné à Tess un cours intensif de cuisine italienne. Fidèle à sa nature obsessionnelle et perfectionniste, Tess apprit tout ce qu'elle put sur l'art culinaire et en conclut que c'était, après tout, un apprentissage digne d'être poursuivi. Contrairement à Jake, gourmet avide et aventureux, Tess était plutôt du genre viande et pommes de terre, mais elle avait décidé de poursuivre ses efforts culinaires pour réparer leurs blessures de couple. Quand ils ne dînaient pas dehors, ils cuisinaient à tour de rôle : Tess préparait des plats relativement sophistiqués ; Jake déclinait des variations de viandes et de rôtis qu'elle préférait. Ce que Tess préparait à l'instant sentait délicieusement bon, ce qui poussa Jake à passer dans son dos pour la serrer dans ses bras.

« On ne dérange pas le chef, dit Tess en s'esquivant. Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, c'est mon tour de te nourrir ce soir.

— Et j'en suis fort reconnaissant, Madame le Chef. Tout ça m'a l'air succulent.

— Ça l'est. Et maintenant, aide-moi à dresser la table.

— Avec plaisir, je m'en occupe, » dit Jake en prenant assiettes et couverts.

Le repas fut délicieux : plateau d'antipasto aux figues, pain croustillant et fromage bleu ; fettucine fraîches en sauce crémeuse avec crevettes et champignons ; et au dessert, crème caramel.

Après quoi, le couple se retira sur le balcon surplombant la Cinquième Avenue de New York avec des verres de brandy. Les gratte-ciels étaient illuminés, en fier signe de prospérité de leurs résidents fortunés.

« Tess, j'ai eu un coup de fil cet après-midi. C'est à propos d'Aara.

— Ne me dis pas qu'elle s'est mise dans le pétrin à l'école.

— Non, rien de la sorte. Aara est l'enfant la plus appliquée que j'aie jamais connue.

— J'ai eu un appel de Sofiya, sa prof de piano à Julliard, intervint Tess. Elle est impressionnée par son travail assidu et sa technique au piano. Elle nous propose de faire une revue de ses progrès la semaine prochaine.

— Super, j'aimerais bien voir ça. Au fait, où est Aara ce soir?

— Elle passe la soirée chez son amie Suzy. Elle sera de retour dans environ une heure. Alors, de quoi il s'agit ?

— J'ai reçu un appel de l'avocat de Fadime. Lui et Fadime veulent nous rencontrer, Aara et nous. Apparemment, Amir a laissé beaucoup d'argent à Aara pour dix-huit ans.

— Alors pourquoi ne pas lui envoyer un chèque et en finir ? Rencontrer Fadime est bien le dernier de mes soucis. Je pourrais être tentée de terminer ce que j'avais commencé et lui briser son autre bras.

— Tess, cela semble sérieux. Apparemment, l'héritage s'élève à plusieurs millions.

— Aara a déjà tout ce dont elle a besoin. Elle n'a pas besoin d'argent sale.

— Si l'argent vient de son père, c'est qu'il s'agit d'une fortune ancienne, et donc légitime. En tout cas, j'ai le sentiment que c'est à elle de prendre cette décision. Et nous la soutiendrons, quoiqu'elle décide. Écoutons ce que Fadime a à dire et nous aviserons après. Si tu préfères ne pas venir, je peux y aller avec Aara.

— Je n'ai pas confiance en Fadime. Je vous accompagnerai. J'essaierai de me contrôler et de ne pas lui briser la nuque.

— Admirable. De toute façon, il ne s'agit que de savoir de quoi tout cela retourne. Nous pouvons nous en aller à tout moment.