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AntiAmerica
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AntiAmerica

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La pièce était vite à l'exception de deux couples assis avec une hookah argentée à la table située à sa gauche et de Natalya au bar. Moins il y avait de monde, mieux c'était. Il y avait moins de risque que l'UFCC ne vienne la surprendre. Elle replaça le permis de Jessica dans son sac puis en retira deux billets de vingt. Après avoir placé le sac à main à l'intérieur du sac de sport, elle glissa un regard à sa paume gauche.

La vue du sang séché provoqua un léger frisson. Alanna avait creusé la peau de ses ongles pendant la majeure partie de l'après-midi. Elle avait arrêté un plan afin de pouvoir manipuler son amie la plus proche. Les jours d'engourdissement tels que celui-ci, elle était incapable de réel remord, alors elle se contentait de la pénitence auto-infligée. Alors qu'elle se dirigeait vers l'extrémité gauche du bar, elle laissa retomber les bras le long de son corps.

Natalya l'observa tout en posant des verres sur un plateau. Elle avait la trentaine mais semblait suffisamment jeune pour pouvoir se permettre de porter la robe noire décolletée qu'elle avait sur elle. La nouvelle coupe bouclée plus courte lui donnait l'air un peu plus mûr. Après avoir versé de la glace dans un verre, elle le remplit de Coca à l'aide d'un pistolet à soda. Elle était la dernière personne sur terre qui aurait accepté de lui servir de l'alcool. Non pas qu'Alanna veuille en avaler ne serait-ce qu'une goutte. Natalya posa le verre sur le bar avec un froncement de sourcils.

— Tu es vraiment une gamine imprudente, toi. N'as tu pas lu mon message t'informant de ne pas mettre les pieds ici ?

— C'est une urgence. Je n'ai nul part d'autre où aller.

L'animation sur le visage de Natalya grandit.

— Et si Bogdan vient ici et et te voit ?

— T’as dis toi-même qu'il ne venait pas ici.

— Ça lui arrive encore à l'occasion. Pareil pour ses potes.

Alana prit une gorgée de sa boisson et s'essuya les lèvres.

— Ils ignorent que je suis ici. Tant qu'ils ne me voient pas, je serais en sécurité.

— Je lui ai menti en face lorsqu'il m'a parlé de toi. Tu te rends compte de la situation dans laquelle tu me mets ?

Alanna leva les mains.

— Je suis désolée. Je te revaudrai ça. Si tu veux, je peux encore espionner ta petite amie.

— Elle n'est plus ma petite amie.

— Tant mieux pour toi. Tu étais trop bien pour elle. Si elle cherche de nouveau la bagarre avec toi, dis-le moi. Je lui foutrai les flics au cul.

— Je n'ai pas besoin de ton aide pour m'en occuper. Tu n'as pas besoin d'un nouveau prétexte pour aller te mettre dans des ennuis.

Alanna montra du doigt le couloir menant à la salle VIP, situé à la gauche du bar.

— Je peux l'utiliser sans souci, hein ?

Natalya leva les yeux au ciel.

— Tu peux l'utiliser jusqu'à neuf heures.

— Merci. Mon ami sera là sous peu.

— Pas une minute de plus. Mon patron vient ici vers dix heures. J'aurais des ennuis si il te trouve ici. Il est très stricte.

— Stricte ? Tu fais du traffic à son nez et à sa barbe !

Natalya posa les deux mains sur le bar.

— Il n'en sait rien car je fais gaffe. Tu devrais essayer toi aussi pour voir. T'as ramené la tune ?

Alanna plaça la main gauche sur le bar. Natalya lui glissa un sac plastique en échange de la liasse de billets pliés. Elle empocha l'argent sans se donner la peine de compter. Les drogues récréatives étaient destinées aux clients qui venaient la voir pendant qu'elle bossait au bar. Alanna n'était plus une cliente régulière mais elles pouvaient toujours compter l'une sur l'autre.

Alanna la mettait en contact avec des fournisseurs pas chers sur Phantom Zone, le marché noir virtuel où elle revendait les données personnelles qu'elle avait volées. Natalya la gardait informée concernant Bogdan et sa cohorte de la mafia Russe, lui vendait un sac d'herbe à l'occasion sans augmenter le prix et lui cassait les couilles à propos de ses mauvais choix de vie insensés. Alanna n'avait pas l'énergie pour une dispute cette fois ci.

Elle empocha le sachet avant de dire à l'oreille de Natalya ;

— Si Bogdan se montre, préviens moi. Je partirais par derrière.

— Je garderais l’œil ouvert. Seulement, ne traîne pas. C'est mieux que tu ne sois plus là quand les gens commenceront à arriver.

Alanna fit un clin d’œil avant d'attraper le verre sur le bar.

— Je te revaudrais ça. Tu me passeras un coup de fil. à présent que t'es célibataire, on pourra se mater des trucs ensemble sur Netflix, sur ton canapé.

Natalya lui adressa un sourire timide. Elle avait raison de s'inquiéter. Non seulement parce qu'elle avait menti à Bogdan et elle était sa concurrente. Il gérait une entreprise de drogues façon coupe-gorge pour ses patrons Russes. Il était Bulgare. Très musclé. Un sociopathe accroc aux pilules avec un caractère de merde mille fois pire que celui de la mère d'Alanna... les hurlements et aboiements en moins. C'était un brasier juste sous la surface, dans ses yeux et dans son regard mauvais presque permanent. Il n'était pas de ceux auprès de qui il était souhaitable de se trouver quand ça pétait.

C'était à cause de Bogdan qu'Alanna avait montré la carte d'identité de Jessica à la porte. Il était possible qu'il ne se rappelle pas d'elle, comme il était possible qu'il l'assassine à vue. Il valait mieux opter pour la prudence. Elle ne serait pas venue ici du tout si ce n'était parce qu'il lui fallait partir du principe que l'UFCC surveillait chacun de ses gestes. N'importe qui rencontré chez elle ou à son domicile aurait attisé la suspicion des fédéraux.Le Serendipity servait de lieu public où elle pouvait malgré tout avoir un peu d'intimité.

L'éclairage fluorescent du plafond du club la guida au delà des toilettes jusqu'à la salle VIP. Une lourde odeur de désodorisant envahit ses narines alors qu'elle passait la porte. La salle était éclairée par le même néon violet super cliché qu'il y avait à l'extérieur. Un canapé de cuir rouge circulaire avec des coussins de toile occupait la moitié de la salle. Des fauteuil de cuir assortis et des guéridons étaient alignés contre les deux murs. De fins rideaux écarlates pendaient aux extrémités du canapé et une table noire trônait au centre.

Après avoir posé sa boisson et le paquet de Natalya sur la table centrale, elle se laissa tomber sur le canapé. Du sac plastique, elle retira plusieurs petits sacs. L'approvisionnement en herbe était une autre raison pour laquelle elle avait choisi ce lieu de rendez-vous. L'UFCC ne réagirait pas si ils la voyait en train d'acheter des mains d'une revendeuse de rue. Elle attrapa le papier à rouler dans son sac puis le posa sur la table près des sachets avant de passer aux choses sérieuses.

Quelques minutes plus tard, elle fut interrompue par un SMS de Brayden sur son mobile jetable. Il se plaignait d'être coincé dans la circulation et d'être retardé et il demandait pourquoi elle avait choisi de le rencontrer à South Beach. Il n'avait pas la moindre idée de la galère qu'elle devait gérer pour lui éviter de tomber aux mains des fédés. Ils étaient en train de traquer une personne qui lui était chère. Elle n'allait certainement pas leur servir son meilleur ami en attirant l'attention sur lui.

Après avoir terminé de rouler, elle alluma un des joints avec son brique afin de se calmer les nerfs. En général, elle ne fumait que lorsqu'elle avait des journées super angoissantes. Si son choix d'auto-médication chaque fois que sa vie partait en sucette faisait d'elle une addicte, alors tant pis. Il n'y avait pas si longtemps, elle avait été accroc à des drogues tellement pires. Une autre caractéristique héritée de son vieux.

Dans ses dernières années, il avait eu tendance à se livrer un max quand il se trouvait seul avec elle en état d'ébriété. La plupart du temps, il racontait les mauvais traitements qu'il subissait aux mains de ses patrons et collègues ou la dernière réprimande de sa mère à elle. Mais gravé dans sa tête, il y avait une confession qui sortait du lot :

Tu es ma fille, je t'aime par dessus tout dans le monde entier. Mais parfois, j'aurai voulu que tu ne sois pas née.

Après avoir pris une profonde inspiration, elle s'étendit sur le canapé, son appel à l'aide flottant dans son cerveau. Comme leurs vies eussent été différentes si elle avait pu comprendre sa douleur comme elle la comprenait désormais. Elle porta son attention sur les deux joints qu'elle avait mis de côté pour Brayden. Avec de la chance, lui aussi, comme son père, aurait des confessions pour elle une fois sous influence. S'il était décidé à partager avec elle les infos concernant le lieu où se trouvait Javier volontairement, il lui aurait déjà dit. Son herbe favorite devrait lever le moindre doute persistant à ce sujet. Ce n'était pas son premier rodéo, à devoir extraire des informations d'une personne pétée. Le truc c'était qu'il fallait tirer sur les bonnes ficelles et non le prendre en mode interrogatoire policier.

Lui donner des excuses pour avouer.

— J'ai un truc à te dire.

Alanna pivota la tête vers la voix face au canapé. Brayden se tenait debout devant elle et portait un t-shirt rouge délavé et un short kaki. Elle lui fit un grand sourire en dépit de ses sourcils froncés puis lui désigna la table centrale d'un mouvement de la tête afin qu'il se serve.

— Prends place et détends-toi d'abord.

Il secoua la tête avant de se laisser choir à l'autre bout du canapé.

— Tu aimes ?

Il hocha la tête avant de lui relancer le briquet.

— C'est le seul objet classe que je t'ai jamais vu trimbaler avec toi.

Elle le leva à la lumière avant de le fourrer dans sa poche.

— Le reste de mes trucs classes ont soit été perdus, soit été mis au clou.

— Héritage familial ?

— Nan. Je l'ai chouré.

Il expira avec un nuage de fumée grise.

— Pourquoi ne suis-je pas surpris ? J'ai un message de la part d'AntiAmerica.

— AntiAmerica ?

— Ils veulent savoir pourquoi tu es entré dans l'appart de Javier par effraction.

Alanna se redressa dans le canapé.

— Ils ont entendu ça où ?

— C'est pour ça qu'hier les fédés t'ont passé les bracelets, pas vrai ?

— Mais j'ai rien dit à personne.

— Ils veulent aussi savoir ce que t'as dit aux fédéraux.

— Attends... Comment ça se fait que tu causes avec AntiAmerica, toi ?

Ses épaules s'effondrèrent.

— Ils m'ont envoyé un message par Javier.

Enfin la vérité.

— Donc tu lui as parlé.

— Je voulais te le dire, je le jure. Mais il m'a fait promettre de ne rien dire à personne.

En d'autres circonstances, elle lui aurait gueulé dessus. Pendant des semaines elle s'était plainte à lui de sa rupture. S'il lui avait dit la vérité plus tôt, elle n'aurait pas pénétré dans l'appart de Javier ce jour là et ne se serait jamais fait pincer par l'UFCC. Mais elle ne pouvait pas se laisser emporter par l'optimiste concernant son rôle dans la dissimulation de la vérité. Ce serait un peu hypocrite, au regard de la situation.

— Il t'a dit ce qui s'est passé ?

Il jeta un regard aux rideaux qui pendaient au dessus de leurs têtes.

— Il n'a rien dit. Tout ce que je sais c'est qu'il faut qu'il se cache pendant un petit moment.

— Dis-moi où il est.

— Je ne sais pas. AntiAmerica lui a proposé une cachette après l'avoir avertit que des personnes proches de lui étaient en danger.

— Pourquoi l'aident-ils ?

Après avoir exhalé il haussa les épaules.

— Pas la moindre idée. Je parle d'eux tout le temps. Je n'avais jamais entendu dire qu'il aie quoi que ce soit à voir avec eux jusqu'à récemment.

— Les gens de l'UFCC croient qu'il est lié à AntiAmerica.

Sa voix s'éleva tel un couinement.

— Tu a parlé avec l'UFCC ?

— Ils croyaient aussi que j'étais connectée à AntiAmerica.

Il ricana tout en maintenant la main devant sa bouche.

— Ah ! Toi.. et AntiAmerica ? Tu leur as pas dit qu'ils étaient vraiment trop cons ?

— C'est à cause d'AntiAmerica qu'ils surveillaient l'appart de Javier. Les fédéraux ont posé des questions sur eux et sur Javier.

Il examina le joint entre ses doigts.

— Serais-tu en train de me demander si je suis une poucave ?

— AntiAmerica dit que t'en es une.

— Et toi tu les crois ?

Il leva ses bras osseux en l'air.

— Ben, on t'a chopée chez Javier. Et à présent tu te ballades dehors libre comme un oiseau, en me posant des questions sur lui.

— Je ne suis pas une de leurs balances. Je t'ai fais venir ici parce que je manoeuvre dans leurs dos.

Les jambes de Brayden tressautèrent alors qu'il pesait ses paroles.

Elle ne l'avait pas encore rallié à sa cause.

— Je veux parler à Javier. Les gens de l'UFCC croient que Paul et lui appartiennent à l'organisation d'AntiAmerica.

— Qu'est-ce qui leur fais penser ça ?

— AntiAmerica a utilisé une brèche sur laquelle ils avaient travaillé tous les deux. Lorsque l'UFCC est allé à l'appart de Paul ils ont trouvé Terry assassiné.

Il écarquilla grand les yeux.

— Oh mon Dieu, t'es sérieuse ?

— Paul est un suspect. Tu sais déjà tous les trucs tordus dans lesquels il est impliqué. Javier et lui portés disparus en même temps donne l'impression qu'ils bossaient ensemble.