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– Oh! dites cela ce soir à nos deux pauvres reines, et vous les rendrez bien heureuses.
– J'ai mieux que cela à leur dire, j'ai à leur remettre, comme je l'ai fait savoir à Leurs Majestés, une lettre du prince de Piémont, qui jure bien que l'armée française ne passera pas les Alpes.
– Pourvu que cette fois il tienne parole! Ce n'est pas son habitude, vous le savez.
– Mais cette fois, il a tout intérêt à la tenir.
– Nous bavardons, cousin, nous bavardons, et nous laissons le temps se perdre inutilement.
– C'est votre faute, cousine, dit le jeune homme avec ce franc sourire qui montre toutes les dents, c'est vous qui n'avez pas voulu l'employer à des choses utiles.
– Soyez donc dévoué à vos maîtres et ôtez-vous pour eux le pain de la bouche, voilà comment vous êtes récompensée de votre dévouement, par des reproches! Mon Dieu, que les hommes sont injustes!
– Je vous écoute, cousine.
Et le jeune homme donna à sa figure l'expression la plus grave qu'il put inventer.
– Eh bien, ce soir même, vers onze heures, vous êtes attendu au Louvre.
– Comment, ce soir? C'est ce soir que j'aurai l'honneur d'être reçu par Leurs Majestés?
– Ce soir même.
– Je croyais qu'il y avait justement spectacle et ballet de circonstance ce soir à la cour.
– Oui; mais la reine, en apprenant cette nouvelle, s'est plainte aussitôt d'une grande fatigue et d'un insupportable mal de tête; elle a dit qu'il n'y avait que le sommeil qui pût la remettre. On a appelé Bouvard; Bouvard a reconnu tous les symptômes d'une migraine persistante. Bouvard, tout bon médecin du roi qu'il est, nous appartient corps et âme. Il a recommandé le repos le plus absolu, et la reine se repose en vous attendant.
– Mais, comment entrerai-je au Louvre? je ne présume pas que ce soit en me présentant.
– Tout est prévu, soyez tranquille. Ce soir, en habit de cavalier, vous vous trouverez rue des Fossés-Saint-Germain; un page à la livrée de Mme la princesse, chamois et bleu, vous attendra au coin de la rue des Poulies; il aura le mot d'ordre jusqu'au corridor qui conduit à la chambre de la reine, où la demoiselle d'honneur de service vous recevra de ses mains. Si Sa Majesté peut vous admettre immédiatement près d'elle, vous serez immédiatement introduit; sinon, vous attendrez dans quelque cabinet avoisinant sa chambre, que le moment soit arrivé.
– Et pourquoi n'est-ce pas vous, chère cousine, qui vous chargerez de me faire prendre patience, en attendant? Je vous jure que cela me serait infiniment agréable.
– Parce que ma semaine de service est finie, et que j'emploie mon temps au dehors, comme vous voyez.
– Et vous m'avez même l'air de l'employer agréablement.
– Que voulez-vous, cousin, on ne vit qu'une fois.
En ce moment, on entendit tinter l'horloge des Blancs-Manteaux.
– Neuf heures, s'écria Mariana! Embrassez-moi vite, cousin, et poussez-moi dehors. J'ai à peine le temps de rentrer au Louvre et de dire que j'ai pour parent un charmant cavalier qui donnerait… Que donneriez-vous bien pour la reine?
– Ma vie! Est-ce assez?
– C'est trop; ne donnez jamais que ce que vous pourriez reprendre, et non ce qui, une fois donné, ne se retrouve pas. Au revoir cousin!
– A propos, dit le jeune homme l'arrêtant, n'y a-t-il pas quelque signe de reconnaissance, quelque mot d'ordre à échanger avec le page?
– C'est vrai, j'oubliai. Vous lui direz: Cazal, et il vous répondra: Mantoue.
Et la jeune femme présenta cette fois à son prétendu cousin, non plus ses deux joues mais ses deux lèvres, sur lesquelles retentit un double baiser.
Puis elle s'élança par les escaliers avec la rapidité d'une femme qui, si l'on tentait de la retenir, ne serait pas bien sûre de résister.
Jaquelino resta un moment après elle, ramassa son béret qui était tombé dès le commencement du dialogue, le rajusta sur sa tête, et sans doute pour donner le temps à la messagère du Louvre de s'éloigner et de disparaître, descendit lentement l'escalier en chantant cette chanson de Ronsard:
Il me semble que la journée
Dure plus longue qu'une année,
Quand par malheur je n'ai ce bien
De voir la grand'beauté de celle
Qui tient mon cœur et sans laquelle,
Vissé-je tout, je ne vois rien.
Il en était au troisième couplet de sa chanson et à la dernière marche de l'escalier, lorsque de cette dernière marche, plongeant sur la salle basse où avaient l'habitude de se tenir les buveurs, il vit, éclairé par la lueur d'une chandelle collée à la muraille, un homme pâle et tout sanglant couché sur une table, et qui paraissait près d'expirer. A son côté se tenait un capucin, qui semblait écouter la confession du mourant. Les curieux se pressaient aux portes et aux fenêtres, mais contenus par la présence du moine et par la solennité de l'acte qu'accomplissait le blessé, ils n'osaient entrer.
Cette vue interrompit la chanson sur les lèvres du chanteur, et comme l'hôtelier se trouvait à la portée de sa voix:
– Hé! maître Soleil! fit-il.
Maître Soleil s'approcha, son bonnet à la main.
– Qu'y a-t-il pour votre service, mon beau jeune homme?
– Que diable fait donc cet homme couché sur une table, avec un moine près de lui?
– Il se confesse.
– Je le vois pardieu bien, qu'il se confesse. Mais qui est-il? et pourquoi se confesse-t-il?
– Qui est-il? reprit l'hôtelier avec un soupir. C'est un brave et honnête garçon, nommé Etienne Latil, et des meilleurs clients de ma maison… Pourquoi il se confesse? parce qu'il n'a plus probablement que quelques heures à vivre. Comme il a des sentiments religieux, il demandait à grands cris un prêtre, quand ma femme a avisé ce digne capucin, qui sortait des Blancs-Manteaux, et l'a rappelé.
– Et de quoi meurt-il, votre honnête homme?
– Oh! monsieur, c'est-à-dire qu'un autre en serait déjà mort dix fois: il meurt de deux terribles coups d'épée, un qui entre dans le dos et qui lui sort par la poitrine, l'autre qui lui entre dans la poitrine et qui lui sort par le dos.
– Il avait donc affaire à plusieurs hommes?
– A quatre, monsieur, à quatre.
– Une querelle?
– Non, une vengeance.
– Une vengeance?
– Oui, l'on craignait qu'il ne parlât.
– Et s'il eût parlé, qu'eût-il pu dire?
– Qu'on lui avait offert mille pistoles pour assassiner le comte de Moret, et qu'il avait refusé.
Le jeune homme tressaillit à ce nom, et, regardant fixement l'hôtelier.
– Pour assassiner le comte de Moret? répéta-t-il. Etes-vous bien sûr de ce que vous dites-là, brave homme?
– Je le tiens de sa bouche même. C'est la première chose qu'il a dite après avoir demandé à boire.
– Le comte de Moret, répéta le jeune homme, Antoine de Bourbon?
– Antoine de Bourbon, oui.
– Le fils de Henri IV?
– Et de Mme Jacqueline de Bueil, comtesse de Moret.
– C'est étrange!
– Si étrange que ce soit, c'est cependant ainsi!
Alors, après un nouveau silence d'un instant, au grand étonnement de maître Soleil, et malgré ses cris: «Où allez-vous?» le jeune homme écarta les marmitons et les servantes qui encombraient la porte intérieure, entra dans la salle occupée par le capucin et par Etienne Latil seulement, s'approcha du blessé, et, jetant sur la table une bourse qu'au son qu'elle rendit, on pouvait juger honnêtement garnie:
– Etienne Latil, lui dit-il, voilà pour vous faire soigner. Si vous en revenez, dès que vous serez transportable, faites-vous conduire à l'hôtel du duc de Montmorency, rue des Blancs-Manteaux. Si vous en mourez, mourez dans la confiance du Seigneur, les messes ne manqueront pas au salut de votre âme.
A l'approche du jeune homme, le blessé s'était soulevé sur son coude, et, comme à la vue d'un spectre, il était resté muet, les yeux ouverts, les sourcils froncés, la bouche béante.
Puis, lorsque le jeune homme s'éloigna:
– Le comte de Moret! murmura le blessé, en se laissant retomber sur la table.
Quant au capucin, dès les premiers pas que le faux Jaquelino avait faits dans la chambre, il avait vivement tiré son capuchon sur son visage, comme s'il eût craint d'être connu par lui.
CHAPITRE VII.
ESCALIERS ET CORRIDORS
En sortant de l'hôtellerie de la Barbe Peinte, le comte de Moret, dont nous n'avons plus besoin de maintenir l'incognito, descendit la rue de l'Homme-Armé, tourna à droite, prit la rue des Blancs-Manteaux, et alla frapper à l'hôtel du duc de Montmorency, Henri II du nom, qui s'ouvrait par deux portes, l'une donnant dans la rue des Blancs-Manteaux, l'autre donnant sur la rue Sainte-Avoye.
Sans doute, le fils de Henri IV avait de grandes familiarités dans la maison, car, aussitôt qu'il eut été reconnu, un jeune page d'une quinzaine d'années saisit un chandelier à quatre branches, alluma les cires et marcha devant lui.
Le prince suivit le page.
L'appartement du comte de Moret était au premier étage. Le page éclaira une des chambres en allumant deux autres candélabres semblables au premier, puis, s'adressant au prince:
– Son Altesse a-t-elle quelque chose à me commander? demanda-t-il.
– Es-tu occupé près de ton maître, ce soir, Galaor? fit le comte de Moret.
– Non, monseigneur, j'ai congé.
– Veux-tu venir avec moi, alors?
– Avec grand plaisir, monseigneur.
– En ce cas, habille-toi chaudement, prends un bon manteau, la nuit sera froide.
– Oh! oh! dit le jeune page, habitué par son maître, grand coureur de ruelles, à de pareilles aubaines, j'aurai une garde à monter, à ce qu'il paraît?
– Oui, et une garde d'honneur, au Louvre. Mais tu sais, Galaor, pas un mot, même à ton maître.
– Cela suffit, monseigneur, dit l'enfant avec un sourire et en mettant un doigt sur ses lèvres.
Puis il fit un mouvement pour sortir.
– Attends, dit le comte de Moret, j'ai encore quelques instructions à te donner.
Le page s'inclina.
– Tu selleras toi-même un cheval, et tu mettras des pistolets chargés dans les fontes.
– Un seul cheval?
– Oui, un seul. Tu monteras en croupe derrière moi, un second cheval attirerait l'attention.
– Monseigneur sera obéi de point en point.
Dix heures sonnèrent, le comte écouta, en les comptant, les battements du bronze.
– Dix heures, répéta-t-il; c'est bien, va, que dans un quart d'heure tout soit prêt.
Le page s'inclina et sortit, tout fier de la marque de confiance que lui donnait le comte.
Quant à celui-ci, il choisit dans sa garde-robe un vêtement de cavalier, simple mais élégant, avec le pourpoint de velours grenat et les chausses de velours bleu; de magnifiques dentelles de Bruxelles formaient le col et les manchettes de sa fine chemise de batiste s'échappant par les crevés des bras et par l'intervalle laissé à la ceinture, entre le pourpoint et les chausses. Il passa de longues bottes de buffle montant jusqu'au-dessus du genou, et se coiffa d'un feutre gris, orné de deux plumes assorties aux couleurs de son vêtement, c'est-à-dire bleue et grenat, retenues par une ganse de diamants; puis, sur le tout, il passa un riche baudrier, soutenant une épée à la poignée de vermeil, mais à la lame d'acier, arme tout à la fois de luxe et de défense.
Puis, avec la coquetterie naturelle aux jeunes gens, il donna quelques minutes au soin de son visage, veilla à ce que ses cheveux bouclés naturellement, tombassent de chaque côté de son visage d'une façon régulière, tressa la cadenette que l'on portait à la tempe gauche et qui descendait jusqu'à la ceinture, donna le tour à ses moustaches, tira sa royale qui refusait de s'allonger aussi rapidement qu'il l'eût désiré, prit dans un tiroir une bourse destinée à remplacer celle qu'il avait donnée à Latil, puis, comme si cette bourse lui avait tout à coup rappelé un souvenir oublié:
– Mais qui diable, murmura-t-il, a donc intérêt à me faire tuer?
Et, comme son esprit ne lui fournissait aucune réponse satisfaisante à la question qu'il venait de se faire à lui-même, il réfléchit un instant, écarta ce souvenir avec l'insouciance de la jeunesse, se tâta pour s'assurer qu'il n'oubliait rien, jeta un regard de côté sur sa glace, et descendit l'escalier, chantant le dernier couplet de cette chanson de Ronsard, dont nous lui avons entendu fredonner le premier à l'hôtellerie de la Barbe Peinte.
Chanson, va-t'en où je t'adresse,
Dans la chambre de ma maîtresse;
Et dis, baisant sa blanche main,
Que, pour en santé me remettre,
Il ne lui faut rien moins promettre
Que de te cacher dans son sein.
A la porte de la rue, le comte trouva le cheval et le page qui l'attendaient. Il se mit en selle avec la légèreté et l'élégance d'un écuyer consommé. Sans invitation, Galaor sauta en croupe derrière lui. Le comte, après s'être assuré que le page était bien assis, mit son cheval au trot; il descendit la rue Maubuée, puis la rue Trousse-vache, gagna la rue Saint-Honoré, et remonta la rue des Poulies.