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Le comte de Moret
Le comte de Moret
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Le comte de Moret

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– Eh bien! non, cela ne me décidera point. Je ne travaille pas dans le guet-apens. Vous trouverez des gens dont c'est la partie, vers Saint-Pierre-aux-Bœufs, c'est là que les coupe-jarrets se tiennent habituellement. Mais que vous importe, au surplus, que j'emploie ma manière à moi, au lieu d'employer la vôtre, et que je le mène sur le pré, pourvu que je vous en débarrasse. Ce que vous voulez, n'est-ce pas, c'est ne plus le rencontrer sur votre chemin? Eh bien! du moment où vous ne l'y rencontrerez plus, vous devez vous tenir pour satisfait.

– Il n'acceptera point votre appel.

– Ventrebleu! il serait bien dégoûté! Les Latil de Pompignac ne datent pas des croisades comme les Rohan et les Montmorency, c'est vrai, mais ils sont d'honnête noblesse, et, quoique cadet de famille, je me crois aussi noble que mes aînés!

– Il n'acceptera point, vous dis-je.

– Alors je le bâtonnerai de telle manière qu'il n'osera plus jamais se présenter devant la bonne compagnie.

– On ne le bâtonne pas.

– Oh! oh! c'est donc à M. le cardinal lui-même que vous en voulez?

L'inconnu ne répondit point, mais tira de sa poche deux rouleaux de louis de cent pistoles chacun, qu'il posa sur la table à côté de la bourse, mais dans un mouvement qu'il fit, son chapeau se dérangea, et Latil put voir que son étrange interlocuteur était bossu par derrière et par devant.

– Trois cents pistoles, dit le gentilhomme bossu, peuvent-elles calmer vos scrupules et mettre fin à vos objections?

Latil secoua la tête et poussa un soupir.

– Vous avez des manières bien séduisantes, mon gentilhomme, dit-il, et il est difficile de vous résister. En effet, il faudrait avoir le cœur plus dur qu'une roche, sachant un seigneur tel que vous dans l'embarras, pour ne pas chercher avec lui un moyen de l'en tirer. Cherchons donc, je ne demande pas mieux.

– Je n'en connais pas d'autres que celui-ci, répondit l'inconnu, et deux autres rouleaux de la même essence et de la même longueur, vinrent s'aligner près des deux premiers. Mais, ajouta l'inconnu, c'est la limite de mon imagination, ou de mon pouvoir, je vous en préviens: refusez ou acceptez.

– Ah! tentateur! tentateur! murmura Latil, en attirant à lui la bourse et les quatre rouleaux, vous me ferez déroger à mes principes et faillir à mes habitudes!

– Allons donc! dit le gentilhomme, j'étais bien sûr que nous finirions par nous entendre.

– Que voulez-vous? Vous avez des façons tellement persuasives, que l'on n'y saurait résister. Voyons, convenons de nos faits: c'est dans la rue de la Cerisaie, n'est-ce pas?

– Oui.

– Pour ce soir?

– Si c'est possible.

– Seulement, il faudra me le bien dépeindre pour que je ne m'y trompe pas.

– Sans aucun doute. D'ailleurs, maintenant que vous êtes raisonnable, que vous êtes bien à moi, que je vous ai acheté, que je vous ai payé.

– Un instant, l'argent n'est pas encore dans ma poche.

– Allez-vous faire des difficultés?

– Non, mais poser des exceptions, exceptis exipiendis, comme nous disions au collége de Libourne.

– Voyons ces exceptions.

– D'abord, ce n'est ni le roi ni M. le cardinal.

– Ni l'un ni l'autre.

– Ni un ami de M. le cardinal?

– Non, ce serait plutôt un ennemi, au contraire.

– Et qu'est-il au roi?

– Indifférent, mais je dois le dire, fort agréable à la reine.

– Je comprends, un amoureux de Sa Majesté.

– Peut-être. La liste de tes exceptions est-elle épuisée?

– Ma foi oui; pauvre reine! reprit Latil, en portant la main sur l'or, et en s'apprêtant à le faire passer de la table dans sa poche, elle n'a pas de chance, on vient de lui tuer le duc de Buckingham.

– Et – interrompit le gentilhomme bossu qui sans doute voulait en finir avec les hésitations de Latil, et qui aimait peut-être mieux qu'il reculât dans l'auberge que sur le terrain, et voilà qu'on va lui tuer le comte de Moret.

Latil bondit sur sa chaise.

– Ouais! – dit-il – le comte de Moret?

– Le comte de Moret, répéta l'inconnu, vous ne l'avez pas nommé dans votre exception, ce me semble?

– Antoine de Bourbon? – insista Latil, en appuyant ses deux poings sur la table.

– Oui, Antoine de Bourbon.

– Le fils de notre bon roi Henri?

– Le bâtard, vous voulez dire.

– Les bâtards sont les vrais fils des rois, attendu que les rois les font, non point par devoir, mais par amour. Reprenez votre or, monsieur, jamais je ne porterai la main sur un fils de la maison Royale.

– Le fils de Jacqueline de Bueil n'est pas de la maison royale.

– Mais le fils du roi Henri IV en est.

Puis se levant, croisant les bras, et fixant un regard terrible sur l'inconnu.

– Savez-vous bien, monsieur, dit-il, que j'étais là, quand on a tué le père!

– Vous?

– Sur le marchepied de la voiture comme page de M. le duc d'Epernon; l'assassin a été obligé de m'écarter de la main pour arriver jusqu'à lui. Sans moi, peut-être se sauvait-il; c'est moi qui me suis cramponné à son pourpoint quand il a voulu fuir, et, tenez, tenez! Latil montra ses mains hachées de cicatrices, voici les traces des coups de couteau qu'il m'a donnés pour me faire lâcher prise! Le sang du grand roi s'est mêlé au mien, monsieur, et c'est à moi que vous venez proposer de répandre celui de son fils! Je ne suis ni un Jacques Clément, ni un Ravaillac, entendez-vous! Mais, vous… vous… vous êtes un misérable!.. Reprenez donc votre or, et déguerpissez vivement, ou je vous cloue à la muraille comme une bête venimeuse!

– Silence, sbire, dit l'inconnu en reculant d'un pas, ou je te fais percer la langue et coudre les lèvres.

– Ce n'est pas moi qui suis un sbire, c'est toi qui es un assassin, et comme je ne suis pas de la police et que ce n'est point mon affaire de t'arrêter, pour que tu n'ailles pas renouveler ton infâme proposition à un autre qui l'accepterait peut-être, je vais anéantir à la fois et tes machinations et ta vilaine personne crochue, et faire de ta méchante carcasse, qui n'est bonne qu'à cela, un épouvantail à moineaux! En garde! misérable!..

Et, en prononçant ces dernières paroles, en manière à la fois de menace et d'avis, Latil avait vivement tiré sa longue rapière du fourreau et en avait allongé un coup vigoureux à son interlocuteur, comme suprême argument de son inébranlable volonté de ne pas verser le sang.

Mais celui que cette botte devait percer d'outre en outre et clouer en effet à la muraille comme un coléoptère, si elle l'eût atteint, fit avec une souplesse et une agilité que l'on n'eût pas dû attendre d'un homme atteint d'une pareille infirmité, un bond en arrière, et, dégainant en même temps, il retomba en garde devant Latil et se mit à lui fournir des bottes si serrées et des feintes si rapides, que le spadassin jugea qu'il fallait en appeler à tout ce qu'il avait de science, de prudence et de sang froid; puis, comme s'il eût été charmé de rencontrer inopinément et au moment où il s'y attendait le moins, un jeu qui pouvait rivaliser avec le sien, il voulut faire durer la lutte par amour de l'art, et se contenta de parer avec autant de précision qu'il eût pu faire dans une académie d'armes, attendant que la fatigue ou quelque faute de son antagoniste lui donnât le loisir de lui porter un de ces coups de Jarnac qu'il connaissait si bien et qu'il plaçait si avantageusement à l'occasion.

Mais l'irascible bossu, moins patient que lui, et las de ne pas trouver le plus petit jour où faire glisser son épée, se sentant d'ailleurs pressé peut-être plus vivement qu'il l'eût voulu, voyant en outre que Latil, pour lui couper la retraite, s'était placé entre la porte et lui, se mit à crier tout à coup:

– A moi, mes amis! à l'aide! au secours! on m'assassine!

A peine le gentilhomme bossu avait-il fait cet appel, que trois hommes qui s'étaient arrêtés, attendant leur quatrième compagnon derrière la barrière de la rue de l'Homme-Armé, se précipitèrent dans la salle basse, et attaquèrent le malheureux Latil, qui, se retournant pour leur faire face, ne put parer la botte que lui porta, en se fendant jusqu'aux épaules, son premier adversaire; et, comme en même temps un des assaillants le frappait du côté opposé, il reçut à la fois deux effroyables coups d'épée, dont l'un, entrant par la poitrine, lui sortait par le dos, et dont l'autre, entrant par le dos, lui sortait par la poitrine.

Latil tomba tout d'une pièce sur le carreau.

CHAPITRE III.

OU LE LECTEUR COMMENCE A S'EXPLIQUER LA HAINE QUE LE GENTILHOMME BOSSU PORTAIT AU COMTE DE MORET, ET CE QU'IL EN ADVINT

Quelques instants après qu'Etienne Latil, laissant tomber son épée, s'était affaissé sur lui-même, rendant le sang par ses deux terribles blessures, nous retrouvons le gentilhomme bossu et ses trois compagnons à quelque distance de la rue de l'Homme-Armé. Assis sur une borne, l'œil sombre et la figure contractée, le premier adversaire du spadassin semblait une de ces figures fantastiques que l'imagination vagabonde des architectes du quatrième siècle sculptait à l'angle des maisons.

Devant lui une espèce d'athlète de cinq pieds six pouces de haut, lui parlait les bras croisés.

– Ah! ça, Pisani, lui disait-il, tu es donc enragé de te jeter sans cesse, et de nous jeter avec toi dans de mauvaises affaires. Voilà un homme tué, il n'y a pas grand malheur, c'était un sbire connu; nous soutiendrons que tu étais dans le cas de légitime défense, donc, il n'y aura pas de poursuites à l'endroit de sa mort; mais si je n'étais point arrivé là et si je ne l'avais pas embroché d'un côté, tandis que tu l'embrochais de l'autre, c'était toi qui étais enfilé comme une mauviette.

– Eh bien? répliqua celui qui avait nom Pisani, le grand malheur, quand cela serait arrivé!

– Comment, le grand malheur?

– Oui, qui te dit que je ne cherche pas à me faire tuer? N'ai-je pas en vérité une riche carcasse à ménager, et pour l'agréable vie que je mène, raillé des hommes, méprisé des femmes, ne vaudrait-il pas autant être mort ou mieux encore n'être jamais né?

Et il leva son poing au ciel en grinçant des dents.

– Eh bien! mais alors, si tu voulais te faire tuer, mon cher marquis, si autant vaudrait pour toi être mort, pourquoi nous avoir appelés à ton secours, au moment où l'épée d'Etienne Latil allait probablement combler tous tes vœux?

– Parce qu'avant de mourir, je veux me venger!

– Eh! que diable! quand on veut se venger et que l'on a pour ami un homme qui s'appelle Souscarrières, on lui conte ses petites affaires, et l'on ne va pas chercher un coupe-jarret rue de l'Homme-Armé.

– J'ai été chercher un coupe-jarret, parce qu'il n'y avait qu'un coupe-jarret qui pût me rendre le service que je demandais de lui. Si Souscarrières eût pu me rendre ce service, je ne me fusse adressé à personne, et pas même à lui, je me fusse chargé moi-même d'appeler et de tuer mon homme; voir un rival que l'on déteste étendu à ses pieds, se débattant dans les angoisses de l'agonie, c'est une trop grande volupté pour se la refuser quand on peut la prendre.

– Eh bien! pourquoi ne la prends-tu pas?

– Tu me feras dire ce que je ne veux pas, ce que je ne peux pas dire.

– Eh! dis, mordieu! l'oreille d'un ami dévoué est un puits où se perd tout ce que l'on y jette. Tu veux mal de mort à un homme, bats-toi avec lui et tue-le.

– Eh! malheureux! s'écria Pisani emporté par sa passion, est-ce que l'on se bat avec les princes du sang! ou plutôt est-ce que les princes du sang se battent avec nous autres, simples gentilshommes. Quand on veut être débarrassé d'eux, il faut les faire assassiner!

– Et la roue? dit le compagnon du gentilhomme bossu que nous avons entendu nommé Souscarrières.

– Lui mort, je me serais tué. Est-ce que je n'ai pas la vie en horreur?

– Ouais! s'écria Souscarrières en se frappant le front, est-ce que j'y serais par hasard?

– C'est possible, fit Pisani, haussant insoucieusement les épaules.

– Est-ce que l'homme dont tu es jaloux, mon pauvre Pisani, est-ce que ce serait…

– Voyons, achève.

– Mais non, ce ne peut pas être; celui-là est arrivé depuis huit jours à peine d'Italie.

– Il ne faut pas huit jours pour aller de l'hôtel Montmorency à la rue de la Cerisaie.

– Alors, c'est donc… – Souscarrières hésita un instant, puis, comme si le nom s'échappait de sa bouche malgré lui. – C'est donc le comte de Moret?

Un blasphème terrible, qui s'échappa de la bouche du marquis, fut sa seule réponse.

– Ah! ah! mais qui donc aimes-tu, mon cher Pisani?

– J'aime madame de Maugiron.

– Ah! la bonne histoire! s'écria Souscarrières en éclatant de rire.

– Est-ce donc si risible ce que je te dis là? demanda Pisani, en fronçant le sourcil.

– Madame de Maugiron, la sœur de Marion Delorme?

– La sœur de Marion Delorme, oui!

– Qui demeure dans la même maison que son autre sœur, madame de La Montagne?

– Oui! cent fois oui!

– Eh bien! mon cher marquis, si tu n'as que cette raison d'en vouloir au pauvre comte de Moret, et si tu veux le faire tuer parce qu'il est l'amant de Mme de Maugiron, remercie Dieu que ton désir n'ait pas été accompli, car un brave gentilhomme comme toi aurait eu un remords éternel d'avoir commis un crime inutile.

– Comment cela? demanda Pisani, se dressant tout debout.

– Parce que le comte de Moret n'est point l'amant de Mme de Maugiron.

– Et de qui est-il donc l'amant?

– De sa sœur, Mme de La Montagne.

– Impossible!

– Marquis, je te jure qu'il en est ainsi.

– Le comte de Moret, l'amant de Mme de La Montagne, tu me le jures?

– Foi de gentilhomme!