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Contes bruns
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Contes bruns

ROYER, à part.

Ce restaurant n'est pas mauvais. – Mon chapeau, garçon.

(Il sort.)

SCÈNE VII.

(MARDI, HUIT HEURES). – Un salon.

Mme SAINT-LÉON, GUSTAVE.

MADAME SAINT-LÉON.

Mon Dieu, tu sais bien, Gustave, que je t'aime et que j'aime le spectacle; mais je ne puis pas y aller ce soir: il viendra, j'en suis sûre.

GUSTAVE.

Allons donc, aujourd'hui qu'il a enterré sa femme?

MADAME SAINT-LÉON.

Raison de plus, puisqu'il vient tous les soirs. Aujourd'hui il aura besoin de se distraire, alors il me tombera sur les bras.

GUSTAVE, d'un air boudeur.

C'est bien gai?

MADAME SAINT-LÉON.

Il me semble, monsieur, que je suis ici la première victime; vous n'avez pas de raison.

GUSTAVE.

Mais au moins tâche d'être libre pour notre partie de campagne.

MADAME SAINT-LÉON.

Sois tranquille.

JULIE, accourant.

Vite, vite, monsieur Gustave, partez; voilà monsieur qui est en bas.

MADAME SAINT-LÉON

Là, qu'est-ce que je te disais?

GUSTAVE, prenant son chapeau.

Le ciel le confonde. Je vais monter un étage, j'aurai l'air de venir du troisième. A demain.

(Il sort.)

MADAME SAINT-LÉON, arrangeant ses cheveux et ajustant sa collerette.

Cela va faire une petite soirée bien amusante! Il faudra qu'il la paie. Il a eu l'air de ne pas m'entendre l'autre jour, mais je vais aujourd'hui, positivement, lui demander le cachemire de sa femme.

SCÈNE VIII.

(HUIT HEURES UN QUART.)

Mme SAINT-LÉON, ROYER, d'un front soucieux.

MADAME SAINT-LÉON, d'un air affectueux.

Ah! vous voilà, mon ami; j'avais peur que vous ne vinssiez pas ce soir; je n'ai fait que penser à vous toute la matinée. Vont avez dû être bien ennuyé! Comment allez-vous?

ROYER, avec un soupir.

Je suis tout malingre.

MADAME SAINT-LÉON.

Je conçois cela. (Avec hésitation.) Est-ce que vous avez été au cimetière?

ROYER.

Non, ce n'est pas l'usage… J'ai été à mon bureau.

MADAME SAINT-LÉON.

Comment, aujourd'hui?

ROYER.

Oui, ils sont là deux ou trois intrigans toujours prêts, quand on s'absente, à entamer votre position; d'ailleurs j'avais un travail pressé qui ne pouvait guère se remettre, une circulaire très-délicate sur l'enseignement primaire. Eh bien! je m'en suis encore tiré; je crois qu'elle sera remarquée; je vous l'apporterai demain soir dans le Messager.

MADAME SAINT-LÉON.

Je la lirai avec plaisir. (A part.) Avec beaucoup de plaisir.

(Moment de silence.)

ROYER.

Voulez-vous sonner Julie, qu'elle m'apporte un peu de rhum; j'ai mal à l'estomac.

MADAME SAINT-LÉON.

La cave est sur la console. – Vous n'avez peut-être pas dîné?

ROYER.

Si fait; j'ai essayé de manger quelques cuillerées de potage et une aile de volaille, ça ne m'a pas passé. (Il boit un verre de rhum.) – Le ministre a été fort content de mon dernier rapport.

MADAME SAINT-LÉON.

Ah!

ROYER.

Il en a fait presque tout l'exposé des motifs de son projet de loi.

MADAME SAINT-LÉON.

C'est très-affable. – (Moment de silence.) J'ai vu Mme Saint-Phal aujourd'hui, elle m'a fort demandé de vos nouvelles.

ROYER.

A propos, je l'ai rencontrée l'autre soir, elle ne m'a pas vu; elle était avec un grand jeune homme blond.

MADAME SAINT-LÉON.

Ah! tout de suite de mauvaises idées!

ROYER.

Non; mais cette femme-là est très-légère, et je ne me soucie pas que vous la voyiez beaucoup.

MADAME SAINT-LÉON.

Mon Dieu! je ne la reçois presque jamais. Elle est venue aujourd'hui, parce qu'elle avait un grand bonheur à me conter.

ROYER.

Qu'est-ce que c'est que ce bonheur?

MADAME SAINT-LÉON

Ah! mon Dieu, elle venait me dire que le général était en marché de quelque chose pour elle qu'elle désirait depuis long-temps.

ROYER.

Quelque chose qu'elle désirait depuis long-temps?

MADAME SAINT-LÉON, négligemment.

Oui, un châle! – un cachemire!

ROYER.

Ah!

MADAME SAINT-LÉON.

Du reste, ce n'est pas un cachemire neuf, c'est une Anglaise qui veut se défaire d'un.

ROYER.

Vos lampes vont bien mal, ma chère!

MADAME SAINT-LÉON

Mais non, c'est que la mèche n'est pas assez levée. – Il paraît que cette Anglaise en a six.

ROYER.

Eh bien! je suis sûr qu'elle ne les met pas.

MADAME SAINT-LÉON.

C'est possible, lorsqu'on en a tant; mais celles qui n'en ont qu'un…

ROYER.

S'en lassent tout aussi bien!

MADAME SAINT-LÉON.

Mais, mon ami, il faut toujours un châle.

ROYER.

Sans doute; mais les châles français, comme celui que je vous ai donné, valent bien les châles étrangers, dont les dessins sont horribles. D'ailleurs, qu'est-ce que ça prouve, un cachemire?

MADAME SAINT-LÉON

Qu'est-ce que prouve la croix de la légion-d'honneur que vous voulez tous avoir? Jouissance d'amour-propre; au moins on n'a pas l'air d'une grisette.

ROYER.

On peut très-bien avoir l'air distingué sans cela.

MADAME SAINT-LÉON

Alors pourquoi en aviez-vous acheté un des Indes à votre femme?

ROYER.

Parce qu'avec la dot qu'elle m'apportait, j'étais tenu à une corbeille convenable, et que dans une corbeille convenable il y a toujours au moins quelques diamans et un cachemire.

MADAME SAINT-LÉON

Je suis sûre qu'elle le portait, elle!

ROYER.

Très-peu.

MADAME SAINT-LÉON

Tant pis; parce que s'il avait été un peu fané, je vous l'aurait repris.

ROYER.

Je ne vous l'aurais pas vendu.

MADAME SAINT-LÉON, souriant.

Vous aimeriez mieux me le donner?

ROYER.

Pas davantage!

MADAME SAINT-LÉON.

Qu'est-ce que vous comptez donc en faire?

ROYER.

Rien; mais il n'est pas convenable qu'une chose que ma femme a portée…

MADAME SAINT-LÉON, avec ironie.

Passe aux mains de la femme que vous aimez?

ROYER.

Je ne dis pas cela.

MADAME SAINT LÉON.

Mon Dieu si, monsieur, c'est votre pensée, et c'est précisément pour cela que j'avais envie de ce châle. Je voulais voir si vous ne mettiez pas de différence entre votre femme et moi, si vous me croyez digne des mêmes égards que vous aviez pour elle…

ROYER.

Pourquoi ne me demandez-vous pas aussi ses diamans?

MADAME SAINT LÉON, avec dignité.

Des diamans, monsieur, sont comme de l'argent; ils ont une valeur réelle, tandis qu'un objet de toilette, qui a été porté…

ROYER.

Sais-tu que tu plaides bien?

MADAME SAINT LÉON.

Eh bien! écoute, Alfred, prête-le-moi pour quelques mois; je te le rendrai après. (S'approchant de lui, et arrangeant le noeud de sa cravate.) Si tu savais, ça m'irait si bien!

ROYER.

Non, je le donnerai à ma belle-soeur.

MADAME SAINT LÉON, allant s'asseoir sur un sofa à l'autre bout du salon.

C'est vrai, ce sera plus convenable.

ROYER.

Tu vas bouder?

MADAME SAINT LÉON.

Non, monsieur; vous êtes bien libre de me préférer les personnes de votre famille.

ROYER.

Allons! des folies maintenant.

MADAME SAINT LÉON.

J'ai un malheur; je ne sais pas, comme Mme Saint-Phal, donner des inquiétudes. Ce sont celles-là qu'on aime!

ROYER, assis auprès d'elle.

Voyons, Irma, ne pleure pas, et embrasse-moi.

MADAME SAINT LÉON.

Non, monsieur.

ROYER.

Comment tu ne veux pas m'embrasser, moi qui suis aujourd'hui si triste, si à plaindre? Voyons, nous arrangerons tout cela.

MADAME SAINT LÉON.

Nous n'arrangerons rien, car je ne veux rien de vous.

ROYER.

Irma!

MADAME SAINT-LÉON, le repoussant.

Laissez-moi, monsieur.

ROYER.

Ma petite Irma!

MADAME SAINT-LÉON.

Du tout, monsieur; non, je ne veux pas; laissez-moi.

SCÈNE IX.

(NEUF HEURES.) – L'atelier de M. Sagot, marbrier près le cimetière Mont-Parnasse.

MADAME SAGOT.

Tenez, Jean, voilà une épitaphe qu'il faudra graver le plus tôt possible sur cette pierre-là. On a bien recommandé de ne pas faire attendre.

JEAN, lisant.

Ci-gît Jeanne-Marie Perrault, femme de M. Royer, chef de division aux affaires ecclésiastiques, officier de la Légion-d'Honneur, morte à l'âge de trente-deux ans. Elle fut bonne mère, bonne épouse. Son époux et son fils inconsolables lui ont élevé ce monument.

De profundis.

C'est bien, madame, je ferai ça demain.

MADAME SAGOT.

Dès que vous aurez fini votre pierre, vous irez la poser, et vous mettrez au-dessus une couronne d'immortelles.

JEAN.

Oui, madame; bonsoir.

MADAME SAGOT.

Bonsoir, Jean.

SCÈNE X.

(NEUF HEURES UNE MINUTE.) – Le salon de Mme Saint-Léon.

MADAME SAINT-LÉON, arrangeant ses cheveux et ajustant sa collerette.

Vous êtes insupportable. – Eh bien! vous vous en allez?

ROYER.

Oui, je suis fatigué; j'ai eu tant d'émotions aujourd'hui! J'ai besoin de repos. Je vous apporterai le châle demain; mais vous ne le mettrez pas de quelque temps. Qu'on n'aille pas le reconnaître sur vos épaules.

MADAME SAINT-LÉON.

Oui, mon ami.

ROYER.

Adieu, petite.

MADAME SAINT-LÉON.

Vous ne m'embrassez pas? (Il l'embrasse et sort.)

SCÈNE XI.

(NEUF HEURES CINQ MINUTES.)

MADAME SAINT-LÉON.

Julie, Julie, je l'aurai demain.

JULIE.

Quoi donc, madame?

MADAME SAINT-LÉON.

Le cachemire.

JULIE, se jetant à son cou.

Oh! madame, que je suis contente! Comme ça va vous aller!

MADAME SAINT-LÉON.

Tu n'as qu'à aller chercher demain mon petit châle rayé, chez le dégraisseur; je te le donne.

JULIE.

Que vous êtes bonne; mais c'est le cachemire que je voudrais vous voir.

MADAME SAINT-LÉON.

Dis donc? Mme Saint-Phal qui n'a jamais pu en avoir un, depuis deux ans qu'elle intrigue auprès du général.

JULIE.

Elle va être désolée.

MADAME SAINT-LÉON.

Tu ne sais pas? j'ai une idée. Il est de très-bonne heure encore; si nous allions chez elle pour lui conter la nouvelle?

JULIE.

Ah! oui, madame; il y a de quoi l'empêcher de dormir cette nuit.

MADAME SAINT-LÉON.

Eh bien! cours t'arranger; moi je vais mettre mon chapeau.

(Elles sortent toutes deux.)

SCÈNE XII

(MARDI SOIR, DIX HEURES.) – La chambre à coucher de Royer. Sur un panneau auprès de la cheminée le portrait de sa femme.

ROYER, COIFFÉ DE NUIT, EN CALEÇON, PRÊT A SE METTRE AU LIT; MARGUERITE.

ROYER.

…Comme du temps de ma femme, un livre de compte que j'arrêterai. – Avez-vous eu le soin de mettre le lit à l'air?

MARGUERITE.

Oui, monsieur; il y est resté toute la journée.

ROYER.

Il ne faudrait pas le laisser cette nuit, il n'y aurait qu'à pleuvoir.

MARGUERITE.

Je l'ai ôté, monsieur.

ROYER, prenant sa montre pour la monter.

Quelle heure est-il à la pendule?

MARGUERITE.

Il est, il est… Elle est arrêtée.

ROYER.

C'est juste; dans tout ce tracas d'hier j'ai oublié de la monter. Voyez l'heure qu'il est au salon.

MARGUERITE.

Dix heures dix minutes.

ROYER, près de la pendule.

Voyons, tenez la cage, et prenez garde de la laisser tomber.

(Il monte la pendule, et fait sonner les heures.)

MARGUERITE.

Ah! mon Dieu, que j'ai eu peur!

ROYER.

Qu'est-ce que c'est donc?

MARGUERITE.

C'est le portrait de madame; imaginez-vous, monsieur, il m'a semblé qu'il me regardait.

ROYER.

Allons, sotte que vous êtes. – Vous dites qu'il était dix heures…

MARGUERITE.

Dix minutes, monsieur.

ROYER.

Mettons dix minutes et demie. – Donnez-moi la cage. – Là, je suis bien aise d'avoir fait cette opération; je n'aime pas à ne point entendre sonner l'heure la nuit quand je me réveille.

MARGUERITE.

Monsieur n'a plus rien à me commander?

ROYER.

Non. (La rappelant.) Ayez-moi demain des sardines fraîches pour mon déjeuner, et réveillez-moi à huit heures.

MARGUERITE.

Oui, monsieur. – Monsieur, je voulais vous dire pour la couturière…

ROYER.

C'est bien, c'est bien, nous reparlerons de ça. Bonsoir.

(Marguerite sort.)

ROYER, lisant le journal du soir.

Diable! la loi a passé à une grande majorité: allons, bravo, monsieur le ministre; avec votre permission, je m'en vais remettre la lecture de notre discours à demain; je tombe de sommeil.

(Il éteint sa bougie et s'endort.)

LE MINISTÈRE PUBLIC

Le Français né malin créa la guillotine.

Pierre Leroux était un pauvre charretier des environs de Beaugency.

Après avoir passé sa journée à conduire à travers les champs les trois chevaux qui formaient l'attelage ordinaire de sa charrette, quand venait le soir, il rentrait à la ferme où il servait, soupait sans grandes paroles avec les autres valets, allumait une lanterne, puis allait se coucher dans une manière de soupente pratiquée en un coin de l'écurie.

Ses rêves en général étaient peu compliqués et sans grande couleur; ses chevaux, la plupart du temps, en faisaient tous les frais. Une fois il se réveillait en sursaut au milieu des efforts qu'il faisait pour relever le limonier qui s'était abattu; une autre fois la Grisa s'était pris les pieds dans la corde de l'attelage. Une nuit il songea qu'il venait de mettre à son fouet une belle mèche toute neuve, et que son fouet refusait obstinément de claquer; cette vision l'émut si fort, qu'étant venu à se réveiller, il saisit celui qu'il avait l'habitude de placer chaque soir à côté de lui, et pour bien s'assurer qu'il n'était pas frappé d'impuissance et privé de la plus belle prérogative qui appartienne au charretier, il se mit à le faire résonner au milieu du silence. A ce bruit, la chambrée entière fut en émoi, les chevaux effrayés se levèrent en confusion, se ruèrent en hennissant les uns sur les autres, et manquèrent de briser leurs longes; mais avec quelques paroles calmantes, Pierre Leroux apaisa tout ce tumulte, et chacun se rendormit; c'était là un des événemens marquans de sa vie qu'il ne manquait guère de raconter chaque fois qu'un verre de vin l'avait mis en éloquence, et qu'il se trouvait là un auditeur en humeur de l'écouter.

Dans le même temps, des rêves d'une tout autre forme préoccupaient M. Desalleux, substitut du procureur général près la cour criminelle d'Orléans. Ayant débuté avec éclat dans les fonctions du ministère public quelque mois avant l'époque dont nous parlons, il n'était pas de haute position de la magistrature à laquelle il ne se crût appelé, et la simarre du garde-des-sceaux était une des visions courantes de ses nuits. Mais c'était surtout pour les enivremens des triomphes oratoires que sa pensée veillait durant le sommeil, lorsqu'une journée entière avait été par lui courageusement dépensée aux études mortellement graves du barreau. La gloire des d'Aguesseau, celle des autres grandes renommées des beaux temps de la magistrature parlementaire, ne suffisait pas aux étreintes de son impatient avenir; c'était jusque dans le passé le plus lointain, jusqu'aux temps des merveilles de l'éloquence de Démosthène, que son ame s'élançait; pouvoir par la parole, c'était là l'espérance, le résumé pour ainsi dire du vouloir de toute sa vie, concentrée dans cette passion, et s'étant déshéritée pour elle de tous les plaisirs, de toutes les pensées de la jeunesse.

Un jour ces deux natures, celle de Pierre Leroux s'élevant d'un degré à peine au-dessus de la portée de la brute, et celle de M. Desalleux, abstraite et rectifiée jusqu'au spiritualisme de la plus haute pression, se trouvèrent face à face. Il s'agissait entre eux d'un mince débat: M. Desalleux, siégeant en son tribunal, demandait sur quelques indices assez insignifians la tête de Pierre Leroux accusé d'un meurtre, et Pierre Leroux défendait sa tête contre les empressemens de M. Desalleux.

Malgré la remarquable disproportion de forces que la Providence avait mise dans ce duel entre les deux combattans, malgré l'intervention de l'institution humaine, venant encore déranger la juste répartition des chances dans le pair ou non qu'allait prononcer le jury; faute de preuves concluantes, l'accusé, selon toute apparence, aurait échappé aux mains du bourreau; mais de cette indigence même de l'accusation résultait pour elle l'occasion de faire un placement extraordinaire d'éloquence, lequel devait devenir singulièrement utile à la réalisation des belles espérances de M. Desalleux. En bon administrateur de son avenir, il ne pouvait guère prendre sur lui de ne point en profiter.

Après cela, une circonstance fâcheuse se présentait pour le pauvre Pierre Leroux. Quelques jours avant le commencement du procès, en présence de plusieurs femmes aimables qui se faisaient fête d'y assister, le jeune substitut avait laissé entrevoir la ferme confiance d'obtenir du jury un verdict de condamnation; il n'est personne qui ne comprenne la situation fausse dans laquelle il allait se trouver si cette condamnation lui manquait, et si Pierre Leroux, demeurant intact, venait la tête sur ses épaules donner un démenti à l'omnipotence de sa parole accusatrice. Aussi ne le blâmez pas, l'officier du ministère public; s'il ne fut pas absolument convaincu, il n'en eut que plus de mérite à le paraître, que plus de mérite à se montrer éloquent, comme depuis plus d'un siècle on ne l'avait point été au barreau d'Orléans. Oh! que n'étiez-vous là pour voir comme ils furent émus ces pauvres messieurs les jurés, jusqu'au plus profond de leurs entrailles, quand, dans une belle péroraison sonore, on leur fit l'effrayant tableau de la société ébranlée jusque dans ses fondemens, de la société prête à entrer en dissolution, le cas échéant de l'acquittement de Pierre Leroux! Que n'assistiez-vous aux courtois éloges échangés entre la défense et l'accusation, quand l'avocat de l'accusé, prenant la parole, commença par déclarer qu'il ne pouvait se dispenser de rendre hommage au brillant talent oratoire déployé par le ministère public! Que n'entendiez-vous le président de la cour faisant des mêmes félicitations le texte de son exorde, si bien que rien ne vous aurait défendu de croire qu'il s'agissait académiquement de décerner un prix d'éloquence, et point du tout d'ôter la vie à un homme! Vous auriez pu voir aussi au milieu d'une foule de dames élégamment parées, comme dit un récit de journal, la soeur de M. Desalleux recevant les complimens de toutes les femmes de sa société, tandis qu'un peu plus loin son vieux père pleurait de bonheur en voyant le fils et l'orateur incomparable qu'il avait mis au monde.

Six semaines environ après toute cette joie de famille, Pierre Leroux monta avec l'exécuteur des hautes-oeuvres sur une charrette qui l'attendait à la porte de la prison criminelle d'Orléans. Ils se rendirent à la place du Martroie, qui est le lieu où se font les exécutions; il y trouvèrent un échafaud qui avait été dressé pour eux, et beaucoup de monde qui les attendait. Pierre Leroux, avec la résignation que met à Paris un sac de farine à se hisser, au moyen d'une poulie, dans le grenier d'un boulanger, monta l'escalier de l'échafaud. Comme il arrivait aux derniers degrés, un rayon de soleil, qui se jouait sur l'acier brillant et poli du glaive de la justice, lui donna dans les yeux, il parut prêt à chanceler; mais l'exécuteur, avec le courtois empressement d'un hôte qui sait faire les honneurs de chez lui, le soutint par-dessous les bras, et le posa sur le plancher de la guillotine; là Pierre Leroux trouva M. le greffier criminel qui était venu pour formuler le procès-verbal de l'exécution, MM. les gendarmes chargés de veiller à ce que l'ordre public ne fut pas troublé dans le compte qu'il allait régler, et MM. les valets du bourreau, qui, loin de justifier le proverbe dont ils sont l'objet, lui montrèrent avec une complaisance pleine d'égards comment il devait se placer sous le couteau. Une minute après, Pierre Leroux fit divorce avec sa tête; cela fut pratiqué avec une telle dextérité que plusieurs de ceux qui étaient venus pour assister à un spectacle furent obligés de demander à leurs voisins si la chose était déjà faite, et alors ils jurèrent bien qu'on ne les prendrait plus à se déranger pour si peu.

Trois mois s'étaient écoulés depuis que la tête et le corps de Pierre Leroux avaient été jetés dans un coin du cimetière, et, selon toute apparence, la fosse ne recélait plus que ses ossemens, quand une nouvelle session des assises s'étant ouverte, M. Desalleux eut encore à soutenir une accusation capitale.

Le veille du jour où il devait porter la parole, il quitta de bonne heure un bal auquel il avait été invité avec toute sa famille, dans un château des environs, et revint seul à la ville, afin de préparer sa cause pour le lendemain.

La nuit était sombre; un vent chaud du midi sifflait tristement dans la plaine, cependant que les bourdonnemens de la fête dansaient encore à son oreille.

Aussi il ne tarda pas à être saisi d'une grande mélancolie. Le souvenir de bien des gens qu'il avait connus, et qui étaient morts, lui revenait; et, sans trop savoir pourquoi, il se mit à songer à Pierre Leroux.

Néanmoins, quand il approcha de la ville, et que les premières lumières du faubourg commencèrent à briller, toutes ces sombres idées s'évanouirent; et quand il fut une fois devant son bureau, entouré de ses livres et de ses procédures, il ne pensa plus qu'à son plaidoyer, qu'il aurait voulu faire plus éloquent qu'aucun de ceux qu'il avait encore prononcés.

Déjà son système d'accusation était à peu près arrangé. Pour le remarquer en passant, c'est chose assez étrange que l'on puisse dire en langage social un système d'accusation, c'est-à-dire une manière absolue de grouper un ensemble de faits et de preuves en vertu duquel on s'approprie la tête d'un homme, comme on dit un système de philosophie, c'est-à-dire un ensemble de raisonnemens ou de sophismes à l'aide duquel on fait triompher quelque innocente vérité, théorie ou rêverie morale. – Son système d'accusation commençait donc à venir à bien, quand la déposition d'un témoin, qu'il n'avait pas encore examinée, se présenta à lui sous un aspect à renverser tout l'édifice de sa certitude. Il eut bien quelques momens d'hésitation, mais, ainsi que nous l'avons vu, M. Desalleux, dans ses fonctions du ministère public, comptait pour le moins aussi souvent avec son amour-propre qu'avec sa conscience. Appelant à lui toute sa puissance de logique et toutes les roueries de la parole, se prenant corps à corps avec ce malencontreux témoignage, il ne désespéra pas de l'enrégimenter au nombre de ses meilleurs argumens; seulement le travail était pénible, et la nuit s'avançait.

Trois heures venaient de sonner, et les bougies placées sur son bureau, prêtes à s'éteindre, ne jetaient plus qu'une pâle lueur.

Après les avoir renouvelées, comme le travail l'avait fortement échauffé, il fit quelques tours dans la chambre, vint se rasseoir dans son fauteuil, sur le dos duquel il se renversa, puis, dans cette attitude, suspendant sa pensée, à travers une fenêtre placée vis-à-vis de lui, il contemplait les étoiles qui brillaient dans le ciel. Tout à coup ses yeux, en descendant le long du vitrage, rencontrèrent deux yeux fixes qui le regardaient; il crut que le reflet de ses bougies, en se jouant sur le verre, lui produisait cette vision, et il les changea de place; mais la vision ne lui apparut que plus distincte. Comme il ne manquait point de coeur, s'armant d'une canne, la seule arme qu'il eût sous la main, il alla ouvrir sa croisée, pour voir quel était l'indiscret qui venait ainsi l'observer à une pareille heure. La chambre qu'il occupait était élevée de plusieurs étages; au-dessus et au-dessous de lui, le mur était à pic et ne présentait aucun accident au moyen duquel on pût descendre ou monter; dans l'espace étroit qui régnait entre la fenêtre et le balcon, aucun objet ne pouvait se dérober à son regard, et cependant il ne vit rien. Il pensa de nouveau qu'il avait été en proie à une de ces fantaisies qu'enfante l'erreur des sens durant la nuit, et il se remit en riant à son travail. Mais il n'avait pas écrit vingt lignes que, dans un coin obscur de sa chambre, il entendit remuer quelque chose: cela commença à l'émouvoir, car il n'était pas naturel que ses sens ainsi l'un après l'autre conspirassent pour le tromper. Ayant regardé cette fois avec attention pour découvrir d'où venait ce frôlement, il vit un objet noirâtre, qui s'avançait en sautillant par bonds inégaux, comme aurait fait une pie. A mesure que l'apparition se rapprochait de lui, son aspect devenait de plus en plus hideux, car elle prenait, à ne pas s'y méprendre, la forme d'une tête humaine séparée du tronc, et dégouttante de sang; et quand, par un lourd élan, elle vint s'abattre entre ses deux bougies, sur les papiers épars de son dossier, M. Desalleux reconnut les traits de Pierre Leroux, qui sans doute était venu pour lui apprendre que dans un magistrat conscience vaut mieux qu'éloquence. Succombant sous une indicible impression de terreur, il s'évanouit; le lendemain, on le trouva étendu sans connaissance au milieu de ce sang, qui avait coulé dans la chambre, sur son bureau, et jusque sur les feuilles de son plaidoyer; on pensa, et il n'eut garde de dire le contraire, qu'il avait été surpris par une hémorragie. Il est inutile d'ajouter qu'il ne fut pas en état de porter la parole, et que tous ses préparatifs oratoires furent perdus.

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