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Jules Am?d?e Barbey d'Aurevilly
Le Cachet d'Onyx

Othello vous para?t donc bien horrible, douce Maria ? Hier votre front si blanc, si limpide, se crispait rien qu'? le voir, ce diable noir, comme l'appelle ?milia. Votre haleine tra?nait sur vos l?vres entr'ouvertes ; vos larmes, vos sanglots, votre pose, tout en vous disait : «Piti? !» ? Othello, comme si vous aviez ?t? la V?nitienne, la Desdemona, couch?e sur le lit, comme si Othello avait pu vous entendre alors, comme si une pri?re d'ange agenouill? devant un homme, essuyant ses pieds de sa chevelure divine, ou, plus ?loquent encore, une femme qui supplie, e?t pu aller jusqu'? ce coeur poss?d?, affol?, enrag? de jalousie et d'amour. Oh ! ne le maudissez cependant pas, cet Othello inflexible. N'ayez pas peur de cette belle cr?ation d'un po?te ; n'ayez pas peur de cette admirable nature d'homme, si riche en tendresses jusque dans ses fureurs, et ? qui Desdemona pardonne en mourant comme par reconnaissance de l'amour qu'il lui avait donn?. Savez-vous que personne n'aima plus que cet homme qui faisait oublier un p?re ch?ri, ? cheveux blancs, sur le bord de la fosse, ? une fille respectueuse et tendre ; qui l'avait prise intr?pidement dans ses bras, elle d?faillante sous le poids d'une mal?diction terrible, et qui la rendit si heureuse que jamais le souvenir de cette mal?diction terrible, et qui la rendit si heureuse que jamais le souvenir de cette mal?diction ne troubla une heure de la vie de cette femme timide ? Ne le maudissez pas, Maria, mais plaignez-le plut?t ! plaignez-le plus que Desdemona, qui vous fait pleurer ? chaudes larmes. Son infortune est plus grande que celle de Desdemona qui crie : Ne me tuez pas ce soir ! Vous me tuerez demain ! qui s'est sentie ?cras?e sous la calomnie, sous les injures d'Othello. Desdemona est l'heureuse dans ceci : l'infortun?, c'est Othello !

Il n'est pas besoin d'?tre Africain, d'avoir du soleil liqu?fi? sous une peau noire et plein ses larges veines ; il n'est pas besoin d'avoir du lion et du tigre dans sa nature pour ?tre jaloux et se venger. Il ne faut qu'assez d'intelligence pour comprendre le mot trahison. Eh bien, quand avec ce peu d'intelligence on a de l'amour aussi, comme Othello, qui oserait appeler coupable celui-l? qui est jaloux et qui se venge ! Et quand cette vengeance qui n'apaise point est finie, et que l'on est si malheureux que le remords soulagerait, le remords qu'il est impossible d'avoir parce que l'amour a tout envahi dans l'?me, oh ! qui ne donnerait pas ? tant de souffrance au moins une larme, quand il reste une larme ? donner.

Pleurez donc sur Othello, jeune femme, je vous le r?p?te, sur cette ?me que la douleur a sillonn?e, noircie, br?l?e, ensanglant?e, mise en pi?ces comme des balles m?ch?es dans de la chair et des os. Il n'y a qu'?milia qui soit en droit de l'appeler monstre, car elle avait soign? Desdemona toute petite, puis adolescente, puis ?pous?e, et de chagrin elle d?lirait quand elle appelait Othello ainsi. Mais vous, Maria, vous ne le pouvez pas !

La vengeance d'Othello ne fut point d'un monstre. Il pleura avant de tuer sa femme, et quels pleurs ! Il pleura aussi quand il l'eut tu?e et avant d'?tre d?tromp? ! Et quand il n'eut plus de larmes sous sa paupi?re, il en chercha ? la source, avec la pointe d'un poignard ; mais celles-l? ?taient du sang, et elles aussi, elles se tarirent.

Voulez-vous que je vous raconte une histoire de jalousie ? Voulez-vous que je vous dise une vengeance plus cruelle que celle accomplie avec des sanglots, des mains tremblantes et des baisers – ces derniers baisers donn?s furtivement ? la perfide pendant qu'elle dort, sublime l?chet? de la passion que Shakespeare avait devin?e, – enfin que cet ?touffement d'une mari?e de vingt ans sous l'oreiller du lit nuptial, et dont l'id?e seule vous fait rejeter en arri?re votre jolie t?te comme si la hache vous l'abattait par devant ? Allons ! si vous ?tes brave ce soir, voulez-vous que je vous dise une vengeance aupr?s de laquelle la vengeance d'Hassan, qui fait noyer vive dans un sac cousu la belle Le?la du Giaour, est la chose du monde la plus rose et la plus gracieuse ? Voulez-vous que je vous dise une r?alit? dont la po?sie dramatique, cette po?sie du r?el, ne pourrait s'emparer, parce qu'elle ne saurait comment la prendre dans ses mains de reine sans les souiller ? Voulez-vous que je vous fasse aimer Othello ?

Vous n'avez pas connu Auguste Dorsay. C'?tait un de ces jeunes gens qui sont tr?s bien nomm?s les heureux du si?cle, parce qu'ils ont juste ce qu'il faut pour r?ussir dans le monde : un caract?re de jonc, des formes ?l?gantes, de la beaut?, de l'esprit, – et de celui-l? qui ne f?che personne parce qu'il manque d'originalit?. Quant ? des passions violentes, jamais les amis de Dorsay ne s'aper?urent qu'il en entr?t le moindre germe dans son organisation. Il est vrai que Dorsay se mettait souvent en col?re contre son jockey, contre son cheval, contre les plis de sa cravate quand ils n'allaient pas comme il l'entendait, qu'il jouait son argent avec des couleurs sur les joues et qu'il ne perdait pas sans ?motion, qu'il se grisait parfois de champagne et de punch, et qu'il savait sup?rieurement le prix d'une femme, depuis la grande dame jusqu'? la modiste. Mais dans tout cela y a-t-il une passion ? Y a-t-il vestige d'?me ? Nullement. Nous autres jeunes gens comme l'?tait Dorsay alors, nous n'avons qu'? prendre la jeunesse de nos p?res ? morale, la morale de position, aux cheveux maintenant grisonnants, nous verrons que les passions sont plus rares qu'on ne pense, et qu'? part quelques sc?nes de salon d'assez mauvais go?t, un ou deux duels, peut-?tre, et force coucheries qu'on appelle de l'amour jusqu'? vingt-cinq ans avec un enthousiasme un peu niais, et qui ne sont pas m?me du libertinage, il n'y a pas, morbleu ! en inventoriant toutes ces jeunesses, de quoi dire si haut : Je fus jeune et fou comme vous ! Taisez-vous donc, les cat?chistes mod?les, ne parlez jamais des orages de vos jeunesses, phrase ridicule et qui passe de la main ? la main. Voici une vanterie que je vous d?fends ! Vous avez vieilli, c'est-?-dire vous avez perdu vos dents et vous vous ?tes coul?s ? fond dans le mariage, comme dit mon ami Sheridan, et puis c'est tout. Mais jamais rien ne battit fort dans vos art?res carotides et votre coeur est toujours all? du m?me pas.

Cependant, messieurs nos p?res, puisque nous fouillons dans votre vie, serait-il impossible d'y trouver de ces choses qui, rappel?es ? votre m?moire, vous couperaient la voix ? l'instant lorsque vous jetez les hauts cris sur les passions de nos jeunesses, ? nous, quand nous sommes passionn?s ? N'y trouverait-on pas des noirceurs, peut-?tre une infamie, quelquefois une atrocit? ? Vous ne savez pas ce que c'est qu'une ?me, ce que c'est qu'une passion, ce que c'est que cet ouragan, cette trombe qui tourbillonne dans les anfractuosit?s d'une poitrine d'homme, et qui finit par les briser… Mais, ce qui vous ?tait si facile, ?tes-vous toujours rest?s de plats honn?tes gens ?

Demandons ? Dorsay. Il a v?cu votre vie de jeune homme ; il vit ? pr?sent votre vie d'?poux et de p?re de famille. Interrogeons son pass? et voyons ce que ce pass? nous r?pondra.

Hortense de *** ?tait une des femmes de Paris la plus aimable par le tour de son esprit et l'abandon de ses mani?res. Sa beaut? ?tait ?blouissante. Mari?e ? un homme qu'elle n'avait jamais aim?, entour?e d'hommages dans le monde et n'ayant plus de parents qui la cuirassent de leurs conseils, qui la fortifient de leur prudence, on l'e?t prise pour orgueilleuse et frivole. Cependant son ?me ?tait s?rieuse. S?rieuse parce qu'elle ?tait passionn?e. On l'entrevoyait ais?ment, car si ces passions toutes fr?missantes enferm?es dans un sein de jeune femme n'avaient pas encore quitt? le fond de ce crat?re d'alb?tre, il volait parfois de leur ?cume dans la fougue de coquetterie d'Hortense.

Auguste Dorsay rencontrait souvent Mme de *** dans les salons qu'il fr?quentait. Il s'occupa d'elle parce qu'il avait sa r?putation d'homme ? la mode ? soutenir et qu'Hortense fixait l'attention g?n?rale alors. Puis, d'ailleurs, elle ?tait si belle ! Quand ses cheveux noirs luisaient d?roul?s sur des ?paules qui semblaient faites de lumi?re, il y avait l? assez pour l'amour de cent po?tes et le bonheur de tout un enfer !

Hortense aima Dorsay. Femme avant tout, avant d'?tre un coeur ?lev? et un esprit sup?rieur, elle s'encapri?a d'un beau visage. Elle eut de l'amour pour Dorsay comme en durent avoir les filles des hommes pour les anges, quand les anges s'imagin?rent qu'il y avait plus de paradis dans l'adult?re que dans les cieux. Elle en eut que ce fut une honte ! Qu'aurait-elle donn? de plus ? un homme de g?nie ? Mais c'est que le g?nie n'est pour une femme, m?me la plus distingu?e, rien, h?las ! en comparaison d'une l?vre rose et d'une flamme de sant? dans les yeux.

Oh ! ne faites pas vos jolis yeux m?chants, Maria ! Qu'il y ait dans la beaut? physique un ?l?ment inaper?u par nous, hommes barbus, et qui ?branle plus profond?ment votre ?tre sensible ; que ce soit un c?t? plus intelligent ou plus infirme de votre nature, je ne sais : mais il en est ainsi. Vous-m?me comme les autres, Maria, vous n'aimerez d'amour qu'un beau jeune homme, et quand plus tard vous comprendrez que tant de beaut? pouvait cacher tant d'ineptie, pauvre rossignol, fascin? du regard du reptile, vous reprendrez votre amour fl?tri, et ce sera encore ? la beaut?, f?t-elle stupide, que vous vous en irez l'offrir. Eh quoi ! la passion aurait des paroles divines, ce serait assez pour rendre coupable, pas assez pour se faire aimer ? Piti? sur vous, douces cr?atures, et honte ? toi, nature humaine ! Stigmatisez Talma de laideur et domptez (s'il est possible) son talent dramatique, vous ?teignez les ?toiles que Mme de Sta?l voyait en diad?me sur son front. Sainte Th?r?se mourut d'amour pour son Dieu, br?l?e de d?sirs comme on en br?le pour une cr?ature humaine. Mais, vous savez, cette ravissante t?te r?veuse du Titien ? – devant laquelle je ne conseillerai jamais de conduire la femme que l'on aime, – eh bien, cette t?te n'est pas m?me comparable au Christ qu'elle avait r?v?.

L'amour d'Hortense pour Dorsay fut l'affection d'un ?tre sup?rieur pour un ?tre m?diocre, cette affection qui compromet, qui entra?ne celle qui l'?prouve, et la livre d?form?e et tremblante aux bras d'un homme et aux pieds d'une soci?t?. Dorsay exploita en sp?culateur habile le sentiment qu'il avait inspir? ; sa vanit? rayonnait quand ses amis lui disaient en riant : «Parbleu ! Dorsay, tu as l? une d?licieuse ma?tresse». Il trouvait doux de faire la petite bouche aux f?licitations que lui adressait une jeunesse aux paroles l?g?res. Modestie qui n'?tait pas m?me hypocrite, car il y a des aveux qui affichent une femme comme un placard.

Pour Hortense, du moment qu'elle aima Dorsay elle finit sa vie de coquette. Bien plus, elle cessa d'?tre aimable pour les autres femmes ; elle n'?parpilla plus son esprit et son ?me, elle ne les effeuilla plus en mots piquants ou affectueux pour les jeter ? la soci?t? qui l'entourait et dont elle faisait le charme. Le mouvement de la conversation, auquel elle se livrait avec une sensation de plaisir presque enivrant, ne l'emporta plus. Tout ce qui l'int?ressait le plus vivement autrefois cessa de lui plaire. On e?t dit qu'une peine secr?te l'avait atteinte, si le coeur pouvait faire mal avec tant de rayons d'or dans les regards, et si sa pr?occupation n'avait pas trahi son bonheur.

Cette femme, que l'on avait vue fi?re d'elle-m?me comme Niob? l'?tait de ses enfants, m?prisait ses succ?s pass?s et s'?tonnait comment ils avaient pu suffire ? sa vie. Un jour, cependant, elle eut la fantaisie, une de ses fantaisies d'autrefois, un de ces charmants enfantillages de femme qui se retrouvait par moments dans l'amante, de para?tre bien belle et de faire revivre l'admiration qu'on lui prodiguait nagu?re encore quand, dans un bal, ? une f?te, elle se montrait sous un costume seyant ? la noblesse de son maintien et ? l'?trange ?clat de ses traits. C'est pourquoi elle prit sa douce voix, son doux sourire, son doux regard pour le mari qu'elle ex?crait ; elle lui dit de ces mots de tendresse qui dans sa bouche ?taient d'effroyables mensonges, l'adult?re ! Et toute cette dissimulation fut employ?e pour obtenir le don d'une magnifique parure de rubis pour le bal de la duchesse de ***. Cette parure co?tait une somme folle ; son mari s?duit la donna. Quel moyen de r?sister ? ce d?mon vivant dans la femme quand elle est l? devant vous, presque ? genoux, presque ? votre cou, presque la bouche sur la v?tre. Si on avait le ciel, on le donnerait !

Le matin du jour o? elle devait mettre sa parure le soir, elle l'essayait devant sa psych?. Les rubis flambaient sur sa t?te, ? son cou, ? ses bras et contrastaient avec la nuance plus mate de sa robe cramoisie. Son oeil ?tait sur la glace ; sa pens?e ? ce soir et ? Dorsay. Le coeur lui battait de cette joie d'?tre belle, de cette joie qui est une ivresse et que nous ne comprenons pas. Dorsay entra tout ? coup.

«Comment me trouves-tu, mon Auguste ? – lui dit-elle avec un adorable m?lange d'orgueil et de soumission. – Eblouissante ? donner des vertiges», – reprit-il nonchalamment, avec un grand air ennuy?, tout fut dit sur la parure.

Le soir, Hortense ?tait au bal en robe blanche, des bluets dans les cheveux. Quand la reine d'Egypte jetait dans la coupe de vinaigre les perles qui pendaient ? ses oreilles, avait-elle de l'amour comme cet amour ?

Eh bien, tout cet amour, qui e?t fondu un coeur de bronze en lave br?lante, fut indignement profan? par Dorsay ! Fier d'?tre l'objet d'un sentiment si profond qu'il en ?branlait toute une existence, il abusa indignement de son empire sur la femme qui ?tait devenue son esclave. Le plus souvent nous nous d?tachons de l'?tre que nous avons le plus aim? parce que notre nature est incompl?te et que la source qui coulait en nous hier a tari. Mais alors tout doit ?tre fini avec cette destin?e qui fut la n?tre et qui ne nous appartient plus. Dorsay, comme les plus sublimes, avait donn? ? Hortense autant d'amour qu'il pouvait en donner ? qui que ce f?t. Que voulez-vous ? Il ?tait vulgaire. Mais l'e?t-il ?t? davantage encore, il aurait aim? ? sa mani?re d'?tre m?diocre, d'?me petite et infime, celle qui s'abandonnait ? lui sans r?serve. Il l'e?t aim?e parce qu'elle le dominait de toute la hauteur de ses facult?s d'abord, parce que les bras qu'elle lui passait autour du cou ?taient si beaux, et, qu'e?t-elle ?t? la derni?re des prostitu?es ? gages, il lui f?t rest? assez encore pour raviver d'une illusion un coeur dess?ch? et rappeler au libertin le plus abject les plus lointains, les plus perdus souvenirs d'amour !

Mais, enfin, cet amour s'en alla. Le Temps exfolie le granit et le coeur ! Le Temps donc, et surtout une possession dont les ivresses ?taient us?es, eurent bient?t d?truit le sentiment de Dorsay pour Hortense. Pauvre Hortense, le sien survivait. Son ?me, ? elle, n'?tait pas ?puis?e ; elle avait encore de l'amour, de la fi?vre, des nuits d'insomnie et de d?lire ? passer. ?trange maladie, dont les plus faibles g?missent et les plus forts souffrent plus longtemps ou n'en gu?rissent pas !

Dorsay n'avait que deux partis ? prendre. ?tre franc avec cruaut? ou hypocrite ? force de piti? et de d?licatesse. Il devait tromper sur l'amour qu'il ne sentait plus, ou dire ? Hortense : «C'est fini, je ne vous aime plus !» Ce dernier parti ?tait peut-?tre le meilleur possible. C'est quelque chose de noble, il est vrai, quelque chose de d?vou?, que cette vie que l'on s'impose, que cette feintise ?ternelle, que ces caresses, chaudes ? peine de souvenirs, pour retarder, ne f?t-ce que d'une heure, la douleur de celle qui nous aime. Mais puisque cette douleur est in?vitable, n'est-il pas plus sage de la faire pr?sente, car elle sera plus t?t pass?e… Quoi qu'il en soit, Dorsay n'employa ni l'un ni l'autre des moyens que je dis. Il fit comme un mari qui a une jolie femme et des ma?tresses, agissant ainsi autant par faiblesse de caract?re que par vanit?. On le con?oit. Nous sommes bien beaux quand nous nous mirons dans des prunelles ador?es, mais il n'y a que les pleurs que nous faisons couler qui nous r?fl?chissent Jupiter.

Le monde a un ignoble mot dont il fl?trit les affections qu'il n'autorise pas. Il dit : Ce monsieur tel vit avec madame telle. Je ne sache rien de plus d?go?tant que ce mot. C'est le coup d'une cravache sale de boue qui cingle au visage et au coeur. C'est le ravalement, la d?gradation d'une id?e divine. Vivre avec une femme ! Vivre avec elle, vivre avec toi, c'est-?-dire ne sentir, ne penser qu'ensemble, se transfondre, se perdre, bouches, regards, haleines, battements de coeur, dans un seul baiser, une m?me ?treinte, un seul amour, oh ! n'est-ce pas l? le plus ineffable des bonheurs que l'imagination invente. Et pourtant c'est de l'expression qui dit tout cela que le monde a fait un cachet de m?pris qu'il jette ? deux noms, les hommes ? voix haute, les femmes ? voix basse, quand un seul de ces noms est prononc? devant lui.

C'?tait le mot comme le monde l'avait fait, c'?tait ce mot seul, et non un autre, qui exprimait bien maintenant la relation de Dorsay et d'Hortense. La malheureuse s'?tait enfin aper?ue que Dorsay n'avait plus d'amour pour elle. H?las ! ce n'?tait pas bien difficile. Que de fois il abr?gea les heures qu'il lui donnait autrefois sans compter ! Que de fois il repoussa la caresse comme inopportune, – charmante familiarit? d'outrage que l'intimit? appelle un mouvement d'humeur et qui se grave en traits de feu dans l'?me d'une femme quand elle en a encore. Mais Hortense n'en avait plus ; elle en avait fait un tapis pour les pieds de son ma?tre, elle l'avait ?tal?e sous ces pieds qui la foulaient ? plaisir. La passion l'avait d?prav?e. Elle souffrait horriblement, n?anmoins elle pleurait ? s'en battre les yeux jusqu'? mi-joues. L'id?e que Dorsay ne l'aimait plus ?tait un poin?on dont incessamment elle se d?chirait le sein ; mais, faible, parce que la fiert? avait ?t? tu?e par cet amour funeste, elle fr?missait ? l'id?e d'une rupture avec celui qui lui infligeait un si rude supplice que le sien. Le soir, la nuit, il lui fallait, sous peine de d?sespoir, la t?te de Dorsay sur le duvet o? elle posait la sienne, l? o? ces deux t?tes avaient, un temps pass?, rougi, p?li, rayonn?, bouillonn? d'un m?me d?sir. Il lui fallait, oh ! la pauvre abus?e ! un accent de cette voix qui tout alt?r?e lui avait parl? d'amour aux lueurs vagues et vacillantes de la veilleuse sur le somno, pendant les longues, heureuses et consumantes nuits qui la rendaient cent fois coupable ; il lui fallait ne f?t-ce que quelques gouttes de la lave du volcan refroidi qu'elle avait bue et qui l'avait alt?r?e, calcin?e, assoiff?e.

Qui vous aurait dit, Maria, que de ces deux ?tres l'un deviendrait jaloux jusqu'? la plus ?pouvantable cruaut? ? Qui auriez-vous nomm? des deux ? Hortense ? Si c'est elle qui se venge d'?tre m?pris?e, elle, sa beaut?, sa jeunesse, son coeur plein jusqu'aux bords, Maria, la condamnerez-vous ? Et si vous la condamnez parce que vous ne savez pas, vous ne saurez jamais, peut-?tre, quelle est cette terrible ali?nation de la libert?, cet emporte-pi?ce de la pens?e, ce fait inexplicable qu'on appelle Douleur dans les langues humaines, vous qui avez piti? de l'enfant qui pleure, pouvez-vous la ha?r ? Vous fera-t-elle horreur comme Othello ? Pourquoi donc mon Othello, Madame ? Y aurait-il donc de l'?go?sme de sexe comme de personne, et tout le secret de la piti? serait-il celui-ci : «Je vous plains parce que vous ?tes plus moi ?» Quoi donc ! Si je transposais les r?les, que je rendisse Desd?mone jalouse, Othello le perfide, vous vous sentiriez pour Desd?mone, qui se vengerait alors, une sympathie, une larme dans les yeux, et l'effroi ne vous prendrait pas en la regardant ? Qui donc vous fait peur dans mon Othello, Madame ! Voulez-vous que je vous le dise ? C'est sa peau noire ! C'est sa laideur ! Sous l'empire de votre instinct de femme, quand vous vous ?criez : «Le monstre !» malgr? vous, c'est ? sa laideur que vous pensez. Ainsi donc Shakespeare, avec tout son g?nie d'observation, s'est mis?rablement tromp?, la po?sie qui habitait en lui a rendu son puissant regard trouble. Il n'a pas vu la femme comme elle est. Il l'a cr??e une seconde fois, ? sa mani?re ? lui, qui vaut mieux que celle de Dieu m?me : Desd?mone a aim? Othello malgr? sa laideur, mais il n'y a dans l'univers que Desd?mone qui aime le More, toutes les autres femmes le ha?ssent, et quand la douleur l'inonde comme une pluie d'orage et le fracasse comme un vent imp?tueux, cet homme qui avait la forte existence du rouvre, elles n'ont pas m?me piti?, la plus ch?tive piti? ! Ainsi chez la femme, chef-d'oeuvre de la cr?ation, le plus ou moins de beaut? physique nullifie ou double l'effet d'une douleur (l'atroce, la plus atroce, une femme en rirait dans un cr?tin, car on rit quand on ne comprend pas, et b?tement encore, m?me avec des l?vres divines).



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