скачать книгу бесплатно
Alex le regarda : « Nous n’héritons que d’un grand sentiment de culpabilité, dit-il en colère. Même toi, tu penses que nous ne devrions pas vendre parce que notre grand-père ne l’aurait pas voulu. Bien, écoutez-moi une bonne fois : si vous pensez que j’ai envie de me risquer dans une aventure bizarre pour ramener ce domaine à la vie, vous vous trompez lourdement. Je ne roule pas sur l’or et je ne pourrai pas investir dans cette baraque, alors qu’une vente me rapporterait immédiatement de l’argent.
— Maintenant, c’est toi qui me comprends mal, Alex. Je l’ai dit à monsieur Giovanni et je vous le dis aussi : mon conseil est de vendre. Et il savait que je vous le conseillerais.
— Tu plaisantes ? je hurlai incrédule alors que tous deux me regardaient d’un air étonné. Je n’en crois pas mes oreilles. On vient juste d’apprendre que ce que voulait mon grand-père était que nous gardions le Manoir de Mondello et toi tu nous conseilles de la vendre sans hésitation.
— Je ne suis pas complètement d’accord avec Alex mais une chose est sûre. De nos jours, il faut vivre et pour le faire, il est nécessaire de prendre des décisions difficiles qui vont à l’encontre des rêves d’enfance ou des sentiments » soupira Angelo.
Je tentai d’influencer les sentiments d’Alex encore une fois : « Tu le veux vraiment ? Tu ne désires vraiment pas avoir un souvenir de notre famille ?
Alex s’assombrit :
— Tu ne me comprends pas, comme d’habitude. Ça me plairait, mais on ne peut pas garder en vie des souvenirs… aussi coûteux !
— Mais on ne peut pas non plus les effacer d’un coup d’éponge ! Je criai. Alex, je ne dis pas qu’il faut le garder. Mais donnons-nous le temps d’y penser. Jetons-y un œil et on décidera ensuite quoi en faire.
Angelo haussa les épaules.
— Ça me semble une bonne idée.
— Bien, lâcha enfin Alex, appelle-moi après avoir vu le Manoir de Mondello. Il n’y aura rien à discuter, mais appelle-moi. »
Il se leva de sa chaise, salua Angelo d’un signe de tête et referma la porte derrière lui.
Alex sorti, Angelo fit le tour du bureau et s’y appuya, face à moi.
« Désolé, ça ne s’est pas très bien passé. Je suis aussi désolé d’avoir suggéré de vendre, Johnny, mais il m’avait semblé…
— Oh, pas de souci. Ce n’est pas ta faute. Je suis sûr qu’un autre à ta place aurait dit la même chose. »
Le silence tomba subitement alors que nous nous regardions. Chacun de nous voyait quelque chose de différent dans les yeux de l’autre. Il n’était plus le jeune garçon que je connaissais quand nous étions amis, il était désormais un homme attirant. Le silence me parut soudain embarrassant et je dis :
« C’est tellement étrange de se voir après tout ce temps. Tant de choses se sont passées entretemps.
Angelo me regarda et je crus lire de la nostalgie dans son regard :
— Je suis vraiment content de t’avoir revu. Tu es superbe. »
Le téléphone sonna et Angelo, contrarié, s’empressa de répondre. J’en profitai pour me lever. Je savais que je me sentirais plus détendu en m’éloignant de lui, parce que sa proximité rendait son charme difficile à supporter.
Je me dirigeai vers la fenêtre, certain de me sentir plus à l’aise en profitant du panorama de la ville, plutôt que de continuer à le fixer, lui. Son sourire captivant, ses mouvements athlétiques alors qu’il tournait autour du bureau et s’asseyait pour prendre des notes. Toutes ces choses devenaient dangereuses.
La lumière dans ses yeux était celle qui brillait à l’époque du lycée. Elle m’était familière et m’apparaissait pourtant totalement différente à la fois. C’était quelqu’un que je connaissais à moitié, quelqu’un qui me troublait subitement.
La silhouette vague et impersonnelle de la ville, avec sa mer et son horizon, était beaucoup plus simple à regarder, et je préférai me focaliser dessus. Mais lorsque j’entendis Angelo saluer et raccrocher le téléphone, je me retournai instinctivement.
Nos regards se croisèrent en un impact violent que je ne pus ignorer. J’eus la sensation que je ce que je sentais n’était pas bien, que nous ne devions pas nous regarder de cette façon. Mais cela me semblait également délicieux et juste.
Les yeux d’Angelo renfermaient une lumière chaude, comme des langues de feu qui paraissaient me crier Je te veux.
« Viens ici. » Sans cesser de me regarder, Angelo s’approcha de moi et, lorsqu’il m’attira à lui d’un bras, je vis son désir reflété dans mon regard. Avec force, il m’enlaça de son autre bras, de la surprise dans les yeux, et me passa un doigt sur la nuque.
Lorsque nos lèvres s’unirent, toutes les hésitations, les étranges incertitudes, tombèrent. Le baiser fut doux, du bout des lèvres. Mais ce léger contact suffit à allumer mon désir. Je passai les bras autour de son cou et le serrai contre moi. Angelo se détacha et me regarda un instant, étonné et effrayé. Ses yeux étaient emplis d’une excitation ardente. Il ferma les yeux et posa de nouveau ses lèvres sur les miennes. Je ne me demandai pas la raison de ce qu’il se passait. Ce contact m’apportait plus de plaisir, plus d’excitation, plus de force que tout autre baiser ne m’en avait jamais donné. Et il se fit plus profond, nos langues plus audacieuses, et notre désir s’accrut, accélérant notre souffle. Angelo s’éloigna ce qu’il fallait pour me regarder dans les yeux avec l’expression de celui qui émerge d’un très beau rêve. Il respira à fond et sourit. Sa joie semblait incertaine.
« Mon Dieu ! Je ne l’aurais jamais imaginé ! En fait, je n’aurais jamais imaginé que ce serait ainsi. Je voulais seulement te prendre dans mes bras mais… » Il sourit et secoua la tête.
Je le fixais, le plaisir de ce baiser encore dans le regard.
« Je ne savais vraiment pas que ce serait ainsi » répéta-t-il.
Je me rendis subitement compte que c’était incongru. Il y avait quelque chose d’étrange dans ce qu’il s’était passé.
« Que se passe-t-il ? me demanda-t-il quand il remarqua que mon expression avait changé.
— Je ne sais pas, Angelo, mais c’est bizarre. Après autant de temps, ça m’a semblé… normal.
— Écoute, il me tenait toujours par la taille, ça m’a semblé bizarre à moi aussi. Nous avons été amis si longtemps que ça paraît absurde. »
Je ris et m’éloignai de ses bras.
« Je veux te revoir. Je ne veux pas que tu te sentes obligé, mais je voudrais, dit-il dans un filet de voix en me fixant dans les yeux.
— Je ne sais pas si c’est une bonne chose, Angelo.
— Tu dois aller au Manoir de Mondello. Je t’accompagnerai. En bons amis et c’est tout !
— D’accord » répondis-je en me demandant en silence comment il était possible d’être heureux et de se sentir coupable à la fois.
Chapitre II
Quand on vit dans un lieu pour longtemps,
on devient aveugle parce qu’on n’observe rien
Cit. Josef Koudelka
Les jours qui suivirent furent intenses professionnellement, je me sentais terriblement fatigué et j’étais impatient de faire une pause. Mon responsable venait d’engager deux jeunes à former. Mais ils avaient provoqué le chaos. On découvrit un peu plus tard qu’ils étaient des parents du responsable, ses petits-enfants pour être précis. Ils se comportaient maladroitement en cuisine, cassaient des assiettes, décongelaient de la nourriture pour avoir oublié de refermer les chambres froides, faisaient tomber des aliments déjà prêts par terre, se trompaient dans les commandes et nettoyaient très mal la salle. Mon responsable semblait passer outre leurs dégâts et la confusion qu’ils créaient, chose qui rendait furieux tous les autres employés, moi y compris. Mais je pourrais tout laisser derrière moi au moins une journée. C’était en effet mon jour de libre et je le passerais au Manoir de Mondello avec un vieil ami. Ces derniers jours, j’avais évité de me poser des questions sur le baiser d’Angelo, mais maintenant, l’idée qu’il allait passer me prendre commençait à me stresser.
Je me regardai dans le miroir pour la énième fois : je portais un jean, un tee-shirt blanc et des chaussures de sport. La sonnette de la porte retentit à cet instant. Je me regardai à nouveau : j’étais bien habillé de cette façon. En m’approchant de la porte, je compris que ce n’étaient pas les vêtements qui m’inquiétaient. Non, ce qui me préoccupait était le souvenir de ce baiser, de ces lèvres chaudes, de ce souffle lourd et de ces yeux pleins de désir.
Je pris une longue respiration et ouvris la porte. Angelo sourit et entra. Il me regarda de la tête aux pieds, puis fit quelques pas dans la maison. Il était très beau, encore plus attirant même avec son jean et son tee-shirt bleu, tous deux moulants, qui mettaient en évidence la silhouette de son corps.
Nous nous regardâmes un instant. Les yeux noisette d’Angelo étincelèrent, puis il sourit. Un sourire léger qui se faisait plus ouvert alors qu’il s’approchait. Je me surpris à l’attendre, le souffle coupé, alors qu’il me prenait la taille d’un bras.
« Tu sais, murmura-t-il en souriant, tout ceci est très stupide. » Il me serra contre lui au point que nos lèvres s’effleurèrent presque. J’étais intensément conscient du contact de ce corps, de ces cuisses musclées qui dégageaient une chaleur au contact des miennes, de l’étreinte de ces mains, de la chaude profondeur de son regard.
« Qu’est-ce qui est stupide ? » je murmurai, captivé par la chaleur qui m’enveloppait, tandis que ses mains glissaient le long de mon dos et m’attiraient davantage à lui, de façon à ce que chaque partie de notre corps se touche. Sa respiration se fit plus rapide, je le regardai dans les yeux, et vis son visage devenir plus sérieux.
« Je crois - je pouvais sentir son souffle sur mes lèvres - je crois que nous sommes prêts pour tout ça depuis très, vraiment très longtemps. »
Il baissa la tête et m’embrassa dans le cou, s’arrêta, la joue posée contre la mienne. Je le serrai contre moi en lui passant les bras autour du cou, désireux de sentir la chaleur de son corps partout.
« Et c’est stupide de faire semblant - il m’embrassa doucement sur les lèvres et poursuivit - de faire semblant que ça n’existe pas. »
Nos regards fusionnèrent un moment, emplis de désir, alors qu’il approchait à nouveau ses lèvres des miennes. Nous soupirâmes tous deux de plaisir au contact de nos bouches, les ouvrant et explorant celle de l’autre de la langue. Mes doigts caressèrent ses cheveux, et ceux d’Angelo descendirent le long de mon dos jusqu’à ma taille, pour trouver la chaleur de ma peau sous mon tee-shirt. Ce contact, à peine effleuré, fut incroyablement excitant et dissipa toute protestation de ma part, allumant mon désir.
Je tendis les mains jusqu’à toucher ses fesses, fermes et contractées sous mes doigts. Je sentais sa verge dure presser sous son jean et rencontrer la mienne. Instinctivement, nous commençâmes à mouvoir nos hanches, frottant notre sexe l’un contre l’autre. Nous faisions l’amour, mais sans nous déshabiller. Lorsqu’il tendit la main pour défaire ma ceinture, il s’empara de ma verge et je gémis de désir. Il se pencha et approcha son visage de mon pubis. Je pouvais sentir la chaleur de son souffle sur mon ventre tandis qu’il me libérait de l’étau de mon boxer gris. Il lécha la pointe de mon membre, rapidement en l’effleurant à peine de la langue, puis remonta en embrassant mon torse et mon cou. J’attrapai son visage de mes mains et l’embrassai passionnément. Je ne rouvris les yeux qu’un instant mais assez pour voir notre image reflétée dans le miroir. Je me sentis soudain ridicule et déplacé. Je me raidis et il dut le remarquer car il me murmura : « Johnny, après tellement de temps. Il leva la tête et me regarda, la profondeur de son regard exprimait la décision. Tu sais, je ne sais même pas si tu sors avec quelqu’un. Je vais peut-être trop vite et ça pourrait être un problème pour toi, peut-être. » Ses yeux brillèrent.
« Tu pourrais ne pas vouloir ce que je moi je désire » ajouta-t-il doucement.
Je souris. Il était difficile d’imaginer vouloir quelqu’un d’autre en ce moment. Mais c’était un homme, un vieil ami, et je me souvins de Federica.
« Et bien…, j’hésitai. Vraiment je… Je m’interrompis et le vis élargir les lèvres en un sourire candide et innocent.
— J’ai peut-être été trop présomptueux. Tu n’as peut-être pas envie d’en parler, dit-il en haussant les sourcils.
Je secouai la tête.
— Non, pas de problème. Mais je vois quelqu’un ces derniers jours.
Il m’étreignit encore plus fort.
— Elle te plaît ?
— Je pense que oui.
— Tu crois vraiment que si c’était le cas, tu arriverais à rester dans mes bras comme ça ? » Ses mains et ses propos continuaient à me transmettre de la chaleur.
Je le regardai droit dans les yeux et alors que nous commencions tous deux à sourire, je dis : « C’est possible.
Angelo m’embrassa sur les lèvres :
— Ne nous créons pas de problèmes. C’est tellement bon de pouvoir te tenir contre moi après tout ce temps que ce serait vraiment idiot de se poser des problèmes pour ça.
— Je suis d’accord, mais allons-y doucement. Je ris en reprenant contenance.
— Juste une chose cependant, ajouta Angelo avec une lueur malicieuse dans le regard tandis qu’il remontait mon jean.
— Quoi ?
— Tu devras me dire tout ce que tu sais sur cette fille.
Je levai la tête pour rencontrer de nouveau ses yeux.
— Pourquoi je devrais le faire ?
Il sourit et répondit :
— Parce que j’aurai plus de possibilités de gagner en connaissant l’adversaire.
Je ris de bon cœur.
— Je suis flatté, mais tu fais passer ça pour un étrange défi. Ce n’est pas un match de foot.
— Non, c’est absolument beaucoup plus important qu’un match. Mais sérieusement, le temps est passé et je ne sais plus quel type de femme t’attire. Il sourit et me passa un doigt sur le nez. Si je me souviens bien, nous avions des goûts très différents tous les deux.
— Évidemment. Tu les aimais belles et stupides ! dis-je en souriant avec sarcasme.
— Peut-être, répondit-il en me regardant fermer ma ceinture. Mais je les aimais.
— Mais bien sûr ! Tu ne les aimais pas du tout ! Tu aimais leur décolleté et tu aurais dit vouloir les épouser toutes juste pour avoir le triangle magique qu’elles tenaient caché entre leurs jambes. »
Nous explosâmes d’un rire retentissant, puis il se fit sérieux et s’approcha : « Et puis je t’en parlais et tu gâchais tout. C’est toi qui m’empêchais d’être sérieux avec les femmes. Je n’arrivais pas à penser à elles quand j’étais avec toi.
— Mais pas avec Agata, je répondis dans un sarcasme doux et voilé.
— Non, pas avec elle. »
Nous nous fixâmes en silence et je me demandai si l’attirance entre nous avait toujours été aussi forte, quoique réprimée et ignorée, et si les émotions et les pensées avaient toujours été celles que nous éprouvions à l’instant.
« Je crois que nous devrions y aller, il est temps de se remuer, dit-il soudain. Ses yeux étaient pénétrants alors qu’il s’approchait de nouveau. Ou bien on peut rester ici, toi et moi, et passer la journée ensemble.
— Ce serait trop facile, tu ne crois pas ? Je ne suis pas une jeune fille aux mœurs légères moi ! » Je le dis en imitant une voix féminine et mimant des gestes qui me rendaient gentiment efféminé.
Il sourit, mais son regard se fit sombre et triste : « Honnêtement, je ne sais pas si ça a été si facile de t’embrasser. Ça nous a pris toute une vie. Et je suis encore moins sûr que ce soit facile de te faire mien. Il fit une courte pause. Tant d’années sont passées. »
Je détournai les yeux des siens, ils étaient trop dangereux.
« Bien, je prends deux-trois affaires et je suis prêt. Allons-y. »
Je m’emparai d’un petit sac dans lequel j’avais mis quelque chose à manger. Nous sortîmes quelques minutes plus tard et, avec la voiture d’Angelo, une Saab rouge, prîmes l’autoroute qui menait à l’échangeur de Mondello.
Le voyage fut agréable. L’air de mai était doux et empreint du parfum des arbres, d’agrumes et de sel.
Alors que la voiture s’engageait dans le premier tunnel, à la hauteur d’Isola Delle Femmine, Angelo lança : « C’est mieux que tu te prépares.
— Me préparer à quoi, Angelo ? Tu sais à quel point je suis curieux.
Angelo secoua la tête.
— Parce que le Manoir de Mondello pourrait t’apparaître bien différent que dans ton souvenir. Tu n’y vas plus depuis combien de temps ?
— Oh mon Dieu, bonne question ! Laisse-moi réfléchir. Au moins douze ans, j’étais dans ma dernière année de lycée. Nous sommes allés y trouver mon grand-père avec mes parents cet été-là. C’est l’année où il nous a dit qu’il vendrait le domaine et qu’il avait déjà une offre d’un acquéreur potentiel. Il disait qu’il observerait la plus grande discrétion parce qu’il s’agissait d’un footballeur de l’unione sportiva Città di Palermo. Je fis une pause et regardai Angelo. Je me demande pourquoi il n’a jamais rien dit. Pourquoi garder secrète la propriété du Manoir de Mondello, tu le sais ?
Angelo esquissa un demi sourire :
— Giovanni aimait s’entourer de secrets. Mais je ne sais que ce que tu as lu dans son testament. Il ne l’a pas vendu à cause du décès de tes parents.
— Mais pourquoi garder le secret ? Pourquoi faire semblant de l’avoir vendu ?