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Trouver le sol sous les pieds
Владарг Дельсат
Dans un pays lointain, nеe dans l'ombre de l'obscuritе et frappеe d'une maladie inconnue de son peuple, une orpheline endure une vie d'incrеdulitе et de cruautе. Abandonnеe et seule, elle s'appr?te ? vivre ses derniers instants, pour se rеveiller dans un endroit bien loin de chez elle : L'Allemagne. Elle y dеcouvre l'inattendu : la confiance, la volontе d'aider et la chaleur d'une famille qu'elle ne soup?onnait pas. Ce rеcit rеconfortant retrace le parcours d'une jeune fille au bord du dеsespoir, qui trouve l'espoir et la guеrison dans l'еtreinte d'un nouveau dеpart, sortant de son fauteuil roulant et entrant dans un monde d'amour et d'appartenance.
Владарг Дельсат
Trouver le sol sous les pieds
Introduction
Chers lecteurs, ch?res lectrices,
Dans le monde de l’adoption, l’acte de changer de nom est plus qu’un simple geste formel: il symbolise un nouveau dеpart, une nouvelle identitе et l’espoir d’une nouvelle vie. En Russie, en particulier, il n’est pas rare que les enfants adoptеs changent non seulement de nom de famille, mais aussi de prеnom. Cette pratique est souvent utilisеe pour les enfants confrontеs ? des dеfis particuliers – tels que des handicaps.
L’histoire que vous vous appr?tez ? lire est celle d’une jeune fille dont la vie prend une tournure dramatique ? la suite d’une adoption. Cette fillette, qui n’a jamais re?u le soutien nеcessaire dans son environnement d’origine, fait soudain l’expеrience de l’amour et des soins inconditionnels d’une nouvelle famille. Le changement de nom qu’elle subit est symbolique de sa transformation et de l’acceptation d’une nouvelle identitе dans un environnement aimant.
Il est important de comprendre que l’enfant peut ne pas se souvenir du processus d’adoption lui-m?me, surtout s’il se trouve ? ce moment-l? dans un еtat еmotionnel difficile, comme une dеpression. De telles dеcisions sont souvent prises sur les conseils de conseillers soucieux du bien-?tre de l’enfant.
Le rеcit que nous prеsentons ici, bien qu’il refl?te des conditions rеelles – notamment les diffеrences de traitement des maladies rares et des handicaps dans des pays comme la Russie et l’Allemagne – est une fiction sous cette forme. Elle est basеe sur des exemples rеels, mais les еvеnements et les personnages spеcifiques sont inventеs. ? travers cette histoire, nous voulons non seulement mettre en еvidence les dеfis auxquels sont confrontеs les enfants atteints de maladies rares ou de handicaps, mais aussi montrer la lumi?re d’espoir et de renouveau que peut apporter l’adoption.
Cette histoire aurait pu se produire dans la rеalitе, mais elle reste une construction, con?ue pour susciter l’empathie et la comprеhension et pour mettre en lumi?re les combats souvent invisibles de ces enfants. C’est une fen?tre sur un monde que beaucoup d’entre nous ne connaissent pas, mais qui fait pourtant partie de notre sociеtе. C’est une invitation ? voir le monde ? travers d’autres yeux et peut-?tre ? comprendre ? quel point un acte d’amour et d’acceptation peut changer profondеment la vie d’une personne.
Nouvelle vie
J’ai soudainement rеalisе que j’еtais en vie et j’ai ouvert les yeux. Quelque chose еmettait un bip ? ma gauche. Cela signifiait que j’еtais de retour aux soins intensifs. Je respirais facilement et l’oxyg?ne bourdonnait lеg?rement dans mon masque. J’ai pensе que cela signifiait aussi quelque chose, mais je n’еtais pas s?r de savoir quoi exactement. Le masque suggеrait que j’еtais mort. Je savais que j’allais bient?t mourir, je le savais depuis longtemps, et… Je m’en fichais, je voulais juste que ce soit rapide parce que j’еtais fatiguеe. Je me suis souvenue que je m’appelais Mariana. C'еtait le nom que mes parents m’avaient donnе… Les larmes me sont montеes aux yeux, et j’ai eu envie de pleurer.
Il restait encore un peu de temps avant que les mеdecins n’arrivent et n’apprennent tout gr?ce aux moniteurs. Le p?re de Katya avait l’habitude de me dire que les moniteurs peuvent vous renseigner sur tout. Quand quelqu’un meurt, tout le monde commence ? s’agiter, je m’en souviens… Mais il n’y avait pas encore de mеdecins, alors… Je ne savais pas ce que cela signifiait. Se pourrait-il que je sois mort pendant un certain temps? Alors ils allaient venir maintenant. Si je suis morte… Pourquoi m’ont-ils ramenе? Pour quelle raison? J’avais envie de pleurer ? nouveau, alors j’ai continuе ? me rappeler comment tout avait commencе.
J’avais environ cinq ans quand on a remarquе que j’avais des bleus sortis de nulle part. Puis, tout ? coup, mes doigts ont commencе ? me faire mal. Ils se pliaient vers l’arri?re et me faisaient mal pour une raison ou une autre. J'еtais une petite fille ? l’еpoque et je ne comprenais pas qu’il valait mieux cacher cela, alors je me suis plainte ? ma m?re. Celle-ci s’est inquiеtеe et m’a emmenеe chez le mеdecin. Il a examinе mes bras, a regardе mes yeux remplis de larmes avec indiffеrence et m’a dit que ?a ne pouvait pas faire mal comme ?a et que j’avais inventе ?a pour demander quelque chose. Maman s’est mise tr?s en col?re et m’a ramenеe ? la maison, o? elle a enlevе mon… Enfin… Tout pour me faire mal avec une sorte de b?ton. Je saignais parce que ma peau еtait tr?s fine: on pouvait voir toutes les veines ? travers, surtout sur ma poitrine. ?a m’a fait tr?s mal, et bien s?r, j’ai criе. Mais apr?s le coup de b?ton, j’ai eu moins mal l? o? j’avais toujours mal, pendant une courte pеriode, bien s?r, et j’ai donc compris que c’еtait la bonne chose ? faire. Si j’avais su comment tout cela se terminerait…
Avant d’aller ? l’еcole, je faisais tout pour ne pas crier de douleur. Plus tard, ils ont commencе ? me punir avec une ceinture large qui ne me faisait pas saigner, mais qui faisait aussi tr?s mal. Par contre, ?a ne faisait pas si mal de faire pipi apr?s. J’ai toujours еtе petite – m?me maintenant, j’ai l’air d’avoir huit ans, alors que j’en ai treize, donc je suppose qu’ils ne me frappaient pas trop souvent, juste un peu, pour que je n’invente rien. ? huit ans, j’ai m?me commencе ? aimer ?tre punie parce que c’еtait plus facile de respirer apr?s ?a. Je ne rеsistais plus et je venais volontiers quand ils voulaient me discipliner.
Il y avait une fille qui s’appelait Katya dans notre classe, son p?re m’a sauvе la vie. Mais je n’ai jamais compris pourquoi. Katya avait aussi la peau fine et les doigts tordus, mais ils l’ont crue, et quand je me suis plaint de ma douleur, ils m’ont envoyе chez… un psychiatre. Bien s?r, je sais maintenant que c’еtait un psychiatre. Mais ? l’еpoque, j’еtais emballеe par le docteur, je lui ai tout racontе, et il… Il m’a menti. Le mеdecin a dit que j’irais mieux et a еcrit dans ses papiers que j’imaginais des choses et que je devais ?tre traitеe avec des injections. Les injections еtaient tr?s douloureuses, encore plus douloureuses qu’une ceinture. Mais apr?s les injections, c’еtait plus facile de respirer, et mes doigts ne me faisaient plus aussi mal, alors j’ai repris courage. Katya a parlе de moi ? son p?re. Il en a parlе ? mes parents et ils se sont mis en col?re. Alors je ne suis pas allеe ? l’еcole pendant une semaine parce que la ceinture a cassе quelque chose, j’avais de la fi?vre et… Je ne me souviens plus. J’ai demandе ? Katya de dire ? son p?re de ne pas parler ? mes parents parce que ?a m’a fait tr?s mal. Mon amie a pleurе. Elle m’a demandе de lui montrer le… Rеsultat, alors je l’ai fait. Je l’ai fait. C’est ? ce moment-l? qu’elle a commencе ? pleurer. Elle a de la chance d’avoir un tel p?re, et je suis…
Ensuite, j’avais dix ans, et dans la classe, j’avais… Je vais te le dire dans le bon ordre. C'еtait ? cause de ce test: J’ai eu un F parce que je ne me souvenais de rien et que j’avais du mal ? respirer. La salle de classe еtait еtouffante, alors j’avais le souffle court comme si on m’еtranglait. J’avais peur de me plaindre. La ma?tresse a dit que j’еtais paresseuse et qu’elle me surveillerait. Je n’ai pas compris ce que cela voulait dire parce que j’ai essayе de mieux respirer et je n’y arrivais pas. Katya s’est aussi inquiеtеe et m’a demandе d’appeler son p?re. La ma?tresse avait peur de lui dire non parce que le p?re de Katya faisait tr?s peur ? l’еcole. Puis la ma?tresse est revenue, je n’arrivais plus ? respirer, et elle m’a giflе, je crois, et m’a dit de ne pas faire semblant. La derni?re chose dont je me souviens, c’est d’avoir vu le p?re de Katya. Il a compris que j’еtais en train de mourir et m’a ramenе ? la vie. Ensuite, il y a eu l’h?pital.
Les mеdecins de l’h?pital ont еgalement vu que j’еtais malade et ont fait quelque chose qui a compl?tement arr?tе la douleur. Je ne suis jamais revenue ? la maison. Quand j’ai appris que mes parents… I… C’est difficile pour moi d’en parler, honn?tement. Il s’est avеrе que je n’еtais pas leur propre fille, j’avais еtе adoptеe, et ils… Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas donner leur vie pour… Pour quelqu’un comme moi. Ce jour-l?, je suis morte pour la deuxi?me fois. Mes parents m’ont abandonnеe et m’ont jetеe hors de la maison comme si j’еtais un chaton alors que j’еtais ? l’h?pital. Et puis il y avait un orphelinat pour les… handicapеs. C'еtait tr?s triste l?-bas. Ils s’occupaient de nous, mais il n’y avait pas de maman l?-bas.
C’est ? ce moment-l? que j’ai vraiment voulu mourir, mais Katya et son p?re ont rеussi ? me retrouver. Katya еtait en fauteuil roulant parce qu’elle ne pouvait plus marcher. Moi, je pouvais. Marcher еtait tr?s douloureux, mais je marchais – n’importe quoi, mais pas un fauteuil roulant parce que les filles en fauteuil roulant еtaient traitеes ici comme…
«Mariana, tu veux vivre avec nous?», a demandе le p?re de Katya, et j’ai pleurе, mais pour une raison ou une autre, il n’avait pas le droit de m’emmener.
Mon amie a pleurе aussi, mais les femmes en col?re ne voulaient pas les laisser m’emmener de toute fa?on. C'еtait ? cause de certains chiffres. J’ai d? rester ? l’orphelinat o? personne ne voulait de moi, bien que Katya et son p?re soient venus me voir… On m’a dit que le p?re de Katya n’avait pas assez d’argent pour nous deux. ? ce moment-l?, j’ai dеtestе les femmes mеchantes qui comptaient l’argent et ne me voyaient pas derri?re ou autre chose… Pensaient-elles vraiment que je me sentais mieux l? o? personne ne voulait de moi?
Il y avait une biblioth?que ? l’orphelinat, alors j’y ai lu des livres. L’un d’entre eux m’a vraiment fascinеe. Ce n’еtait pas l’histoire d’une fille mais d’un gar?on, et personne ne voulait de lui, tout comme moi. Ce gar?on, Willy, vivait ? l’orphelinat, et ils le dеtestaient et ne l’aimaient pas. Quant ? moi, ils ne m’aimaient pas, mais tout le monde s’en fichait. Dans le livre, il y avait une nounou – une femme en col?re qui aimait battre Willy. Il n’aimait pas ?a, je ne sais pas pourquoi… J’aurais acceptе d’?tre battue juste pour me sentir utile. Ensuite, il s’est avеrе que Willy avait еtе choisi pour ?tre emmenе ? l’acadеmie de magie, o? l’on apprenait ? tout le monde ? guеrir. Je suppose qu’ils pourraient m’emmener aussi – l’acadеmie еtait magique, n’est-ce pas? J’ai pensе que j’avais tort de croire que ce n’еtait qu’un conte de fеes parce que le p?re et la m?re de Willy se sont mis en travers du chemin de quelqu’un. Ils ont еtе tuеs pour cela, mais le gar?on n’a pas еtе tuе pour une raison quelconque.
Il y avait beaucoup d’escaliers ? l’acadеmie, et un «fenke» jetait Willy dans les escaliers – il devait vouloir le tuer, mais je ne comprenais pas qui c’еtait ni pourquoi. Je ne suis pas tr?s intelligent, vraiment. Ils le savaient aussi ? l’еcole, c’est pourquoi ils me traitaient de gros mots et d’«infirme», mais je savais que j’allais mourir de toute fa?on, alors ?a n’avait pas d’importance. Parfois, je voulais ?tre Willy Schmidt ou Ingrid Schiller du livre parce qu’ils еtaient amis et, surtout, qu’ils ne souffraient pas constamment. Je voulais aussi voir l’acadеmie Grasvangtal, apprendre ce qu’еtaient la for?t des contes de fеes et le mont R?betzal. Cela doit ?tre tr?s beau. Ce livre est devenu mon prеfеrе, bien qu’il parle de l’Allemagne, o? je ne suis jamais allеe et o? je n’irai jamais. Parce que je vais mourir. C’est ce qu’on m’a dit – chaque jour pourrait ?tre le dernier, alors je l’ai attendu parce que je n’avais pas la force de faire quoi que ce soit d’autre.
Tout m’a dе?u… Hier, je crois que je suis encore mort. Je ne me souviens pas de ce qui s’est passе hier, mais cela n’a pas d’importance. Pendant trop longtemps, les seuls amis que j’avais еtaient les livres. Et Katya, bien s?r. J’ai lu livre apr?s livre comme si j’еtais emportе dans d’autres mondes, mais apparemment, mon heure еtait venue. Je savais que j’allais mourir…
Mariana avait-elle une chance de survivre? Certainement. Si ce n’еtait la dеpression, si ce n’еtait l’еvolution tr?s difficile de la maladie, si ce n’еtait l’indiffеrence… La jeune fille est morte et est partie pour un nouveau voyage, en espеrant qu’il ne serait pas douloureux ou au moins qu’il y ferait chaud. Peut-?tre que celui qui nous juge a dеcidе qu’elle mеritait non seulement une nouvelle chance, mais aussi un nouveau dеfi.
* * *
Un mеdecin inhabituel est entrе dans un service habituel. Il ne portait pas de v?tements blancs, mais des v?tements bleus doux, ce qui lui donnait un air inhabituel. Le mеdecin a regardе les outils, a ajustе quelque chose dans l’intraveineuse et ce n’est qu’ensuite qu’il a braquе une torche dans mes yeux. Il voulait probablement voir si je rеagissais ? la lumi?re. J’ai fermе les yeux, il a souri et a commencе ? me parler. Plus tard, j’ai rеalisе que nous parlions allemand, mais sur le moment, j’ai еtе surpris par le nom qu’il m’a donnе. Comme dans le livre!
«Frau
Schmidt, vous avez fait peur ? tout le monde. Le mеdecin me regardait attentivement, si bien que mon esprit еtait rempli de toutes sortes de pensеes. «Vous me comprenez?»
«Je comprends», ai-je acquiescе en gеmissant doucement. En ce moment, mes articulations me faisaient mal, pas mes doigts, mais j’avais l’impression que tout me faisait mal. Et… Je n’avais aucune idеe de ce qui se passait avec Frau Schmidt. Je n’avais aucune idеe de son nom. «Quel est mon nom?»
«Tu t’appelles Gabriella», a soupirе le mеdecin en me caressant soudain la t?te.
C«еtait si bon que j’ai tendu la main pour en redemander. Je ne savais pas ce qui m’arrivait. Tout еtait si еtrange…
«Ne crains pas ton еtat. La perte de mеmoire est possible apr?s une expеrience de mort imminente. La bonne nouvelle, c’est que la cicatrice ne sera pas du tout visible.»
D’une certaine mani?re, il me semblait que ces mots avaient un sens cachе, mais bien s?r, je le comprenais ? ma fa?on.
«Merci, docteur», je l’ai remerciе parce que je voulais ?tre polie.
La nouvelle concernant la cicatrice еtait vraiment bonne. Cela signifiait qu’au moins, on ne me montrerait pas du doigt. Je me suis demandе si Willy Schmidt еtait mon fr?re. Il n’avait pas de sCur dans le livre. C’est sans doute pour cela qu’il n’a pas: je suis morte…
Le mеdecin еtait parti en voyage d’affaires, et je n’arr?tais pas de penser ? ce qui m’attendait. Je n’arrivais pas ? croire que j’еtais en bonne santе, et mes mains et mes pieds laissaient prеsager la m?me chose. Et si dans cet orphelinat (enfin, dans le livre, c’еtait un orphelinat parce que le gar?on y еtait orphelin), j’еtais traitе de la m?me fa?on que dans le livre, cela signifiait… Cela signifiait qu’ils me battraient et que je pourrais entrer ? l’acadеmie! Dans les еcoles allemandes, on bat les enfants. Je le savais bien, mais je ne me souvenais plus quand, mais notre institutrice nous disait souvent qu’elle aimerait bien… «Alors, me suis-je dit, ? l’еcole, tu peux aussi obtenir quelque chose qui te permet de mieux respirer. Et plus tard, ? l’acadеmie aussi, je suppose?» La vie ne me semblait plus si terrifiante parce qu’avant, personne ne voulait juste de moi, mais maintenant, au moins, j’еtais dеtestеe (enfin, si j’еtais dans le livre), et c’est dеj? un sentiment.
J«еtais allongе et je me disais que Mariana еtait peut-?tre morte. Enfin. Mais je n’arrivais pas ? comprendre pourquoi c’еtait encore moi qui souffrais. Je me suis dit que ce n’еtait peut-?tre que l’enfer. J'еtais tombеe malade quand j’еtais Mariana et j’avais fait du mal ? mon papa et ? ma maman, alors j’avais еtе punie pour ?a, et maintenant j’avais de nouveau mal. Et il y a une acadеmie effrayante devant moi. C’est magique, mais c’est vraiment effrayant parce qu’il y a beaucoup d’escaliers. Et les escaliers peuvent te faire souffrir. Peut-?tre que je me ferais tuer l?-bas aussi. Je veux dire, ils voulaient le faire dans le livre, mais ce gar?on, Willy, il voulait vivre, et moi… Et je n’ai pas eu ? le faire. Je me suis demandе quel ?ge j’avais et ? quoi je ressemblais. ?a ne pouvait pas ?tre Mariana, n’est-ce pas?
Je ne m’attendais pas ? ce que quelqu’un vienne ? moi, mais quelqu’un l’a fait. C'еtait une femme: elle еtait mince et portait une robe еtrange, comme un uniforme de film de guerre. Je ne la connaissais pas, mais elle me rappelait quelqu’un… Sans doute la dame du livre qui aimait battre Willy. «Elle doit venir d’un orphelinat», ai-je pensе parce que le visage de la femme n’exprimait rien.
L«еtrange dame s’est approchеe, m’a regardе et…
«Esp?ce de maudit monstre», dit-elle presque dans un murmure. «Quand vas-tu mourir?»
«Bonjour», ai-je rеpondu en demandant: «Excusez-moi, qui ?tes-vous?».
«Petite merde!», la femme m’a visе d’un coup-de-poing.
Puis la porte s’est ouverte brusquement, et quelqu’un portant des v?tements de mеdecin l’a emp?chеe de me frapper. Plus tard, la police est arrivеe et d’autres mеdecins m’ont demandе quelque chose, mais quelque chose bourdonnait dans mes oreilles et ne me permettait pas de comprendre ce qui se passait. Je n’entendais rien et je regardais les gens autour de moi avec confusion, mais ils ne comprenaient pas que je n’entendais rien, puis la machine pr?s du lit a clignotе et les lumi?res se sont еteintes.
«Tu me comprends?»
Ce mеdecin se tenait ? nouveau devant moi. Il me regardait dans les yeux comme s’il essayait d’y lire quelque chose, mais je m’en moquais.
«Je comprends», j’ai acquiescе et les lumi?res se sont ? nouveau еteintes.
La fois suivante o? je me suis rеveillеe, ils m’ont fait quelque chose. Ce n’еtait pas effrayant, je me demandais seulement pourquoi ils enfon?aient un tube dans… Eh bien, «l?». Ils ont aussi fait quelque chose ? mes fesses, mais ce n’еtait pas douloureux. Ensuite, le mot «hospice» a еtе prononcе, et j’ai su que j’еtais en train de mourir. J'еtais contrariеe parce que les gens meurent longtemps dans les hospices et souffrent (j’ai entendu des histoires ? ce sujet quand j’еtais Mariana), mais je voulais mourir rapidement. Mais un homme qui ressemblait ? un ange (il avait m?me une aurеole
) est arrivе et a dit qu’il n’y aurait pas d’hospice parce qu’il m’emm?nerait. J’ai compris que l’homme еtait la Mort parce que c’est masculin en Allemagne. J'еtais tr?s heureuse et j’ai acceptе – enfin, qu’il m’emm?ne. Et l’homme qui еtait la Mort m’a dit que maintenant tout irait bien et que nous vivrions tous dans une grande maison, lumineuse et confortable. J’ai gloussе parce que je n’avais jamais entendu quelqu’un me dеcrire une tombe de cette fa?on.
Cela a d? durer un mois avant qu’ils ne sortent un tube de… – enfin, de «l?» – et qu’ils m’installent dans un fauteuil roulant, ce qui, bien s?r, m’a fait pleurer. Un gar?on aux cheveux bouclеs, que M. La Mort appelait «fils», est apparu ? c?tе de moi. Il s’est avеrе que la Mort avait aussi des enfants, si bien que j’еtais seule et non dеsirеe. Ce gar?on, qui еtait le fils de la Mort, m’a caressе et a commencе ? me demander de ne pas avoir peur car tout irait bien. Puis il m’a serrе dans ses bras et je me suis prеparе ? mourir.
«Qu’est-ce que tu fais?» M’a demandе le gar?on.
«Ils se prеparent ? mourir», ai-je rеpondu honn?tement. «Quand ils meurent, ils pissent et font caca, je le sais, alors il faut que je reste assis comme ?a pour que les femmes ne s’еnervent pas parce qu’elles ont trop besoin de nettoyer.»
«Tu ne vas pas mourir», dit le gar?on en regardant autour de lui.
Immеdiatement, cet homme, qui еtait la Mort, s’est approchе et m’a prise dans ses bras. C'еtait si doux, si chaleureux que j’ai pleurе ? nouveau parce que je ne pouvais pas m’en emp?cher.
«Pourquoi pleure-t-elle, papa?» Demande le gar?on aux cheveux bouclеs, qui me rappelle quelqu’un.
«Parce qu’elle n’avait personne, mon fils», a rеpondu l’homme qui me tenait dans ses bras. «La dеpression est le pire bourreau des enfants particuliers».
Ils m’ont mis dans une voiture et m’ont emmenе quelque part. Probablement, au cimeti?re pour m’y enterrer. Personne ne voulait de moi, o? m’auraient-ils emmenе de l’h?pital? Soit dans un orphelinat, soit dans un cimeti?re…
1. Le terme «Fr?ulein» est considеrе comme obsol?te et n’est plus utilisе aujourd’hui. (Ici et plus loin: note de l’auteur).
2. Lorsque la lampe еclaire par derri?re, le mеdecin peut donner l’impression d’avoir un halo autour de la t?te, surtout si la vision du patient est dеfaillante.
Fiancе
Nous ne sommes pas arrivеs dans un cimeti?re, mais dans une maison. ? la maison, une femme nous a accueillis, pas comme celle qui est venue dans le service, mais une femme tr?s diffеrente. Elle еtait gentille. Elle a dit qu’elle s’appelait Mme Elsa, mais que je pouvais l’appeler… Maman. J’ai encore pleurе parce que j’ai eu maman, une vraie, tu imagines? Et celui que j’appelais Monsieur Mort s’est avеrе ?tre Papa. Et le gar?on aux cheveux bouclеs s’appelait Herman. J'еtais vraiment dans un conte de fеes parce que cela ne pouvait pas m’arriver.
«Tu veux qu’on t’adopte?» M’a demandе mon nouveau papa.
«Est-ce que je ne peux pas ?tre adoptеe?» J’ai demandе et expliquе immеdiatement: «Eh bien, pas pour de vrai parce que je pourrais prеtendre qu’Herman est mon fiancе et que j’aurais un avenir.»
Papa a souri, et le gar?on (il a aussi entendu ce que j’ai dit) semblait au bord des larmes.
«As-tu besoin d’un fiancе pour l’avenir?» Maman a souri.
«Eh bien, s’il y a un fiancе», j’ai partagе mes pensеes, «alors un jour, il y aura une famille… Je sais que je vais mourir de toute fa?on, mais juste pour le plaisir, je peux?».
Ma m?re a pleurе et l’a autorisе, et Herman m’a serrе dans ses bras et m’a dit ? quel point j’еtais bon. Il a eu tellement chaud que c’еtait incroyablement bon. Je n’avais pas de mots du tout, seulement des larmes. J’ai beaucoup pleurе ce jour-l?, plus que je ne pense avoir pleurе dans toute ma vie.
Au dеjeuner, il s’est avеrе que j’avais peu de volontе, et la douleur a fait couler les larmes. Papa m’a m?me un peu grondе.
«Tu ne dois pas tolеrer la douleur», dit-il en me caressant. «Si ?a fait mal, tu dois me le dire».
J«еtais pr?te ? ce que papa prenne la ceinture, mais il m’a caressеe et grondеe si gentiment que j’ai eu envie de pleurer ? nouveau.
«Tu ne vas pas me confier ? un psychiatre?» J’ai demandе parce que… eh bien… «Pas de psychiatre, s’il te pla?t».
«Pauvre bеbе», m’a serrе ma m?re dans ses bras. «Qu’est-ce que tu as vеcu…»
«Personne ne te confiera ? un psychiatre».
J’ai remarquе que ces mots ont rendu Herman tr?s p?le. Il devait lui aussi avoir peur de ce menteur. Papa m’a dit qu’il m’aiderait ? arr?ter la douleur. Et je l’ai cru, bien s?r. Ensuite, Herman a pris la cuill?re de mes mains tremblantes et a commencе ? me nourrir comme un bеbе. Je ne voulais pas manger, mais je devais ?tre obеissant…
«Mangeons encore un peu», m’a dit le gar?on. «Ensuite, tu pourras te reposer pendant que je ferai mes devoirs».
«Je peux venir aussi?» Je lui ai demandе aussi piteusement que possible, et mon «fiancе» a acceptе.
Cela ne dеrangeait pas du tout Herman d’?tre un fiancе. Je lui ai m?me demandе pourquoi, et il m’a rеpondu :
«Tu es un miracle», a-t-il dit en me caressant la t?te si tendrement que j’ai serrе les yeux sous l’effet du plaisir.
Oh, j’avais oubliе! Il s’est avеrе que j’avais dix ans et que j’еtais ? presque un an de la redoutable acadеmie. Et je ne ressemblais pas ? Mariana dans le miroir, pas du tout. Je suis donc bel et bien morte et je suis devenue une nouvelle personne. Quelqu’un a еcrit ? ce sujet dans certains livres, je ne me souviens plus du nom. L’acadеmie еtait dans le livre, alors je me suis dit: si les noms de famille sont les m?mes, alors je suis dans le livre, non?
Herman s’est attelе ? ses le?ons, et j’ai roulе plus pr?s: non pas pour le distraire, mais pour m’occuper de quelque chose. Il a posе le livre d’histoire devant moi et m’a dit de ne pas le distraire. Je lisais donc l’histoire sans le distraire et en imaginant que si je l’avais distrait, il aurait еtе tr?s contrariе, et je ne voulais pas contrarier mon «fiancе», m?me si c’еtait juste pour s’amuser. Herman faisait ses exercices et еtait contrariе parce que quelque chose n’allait pas. J’ai regardе dans son cahier et j’ai vu presque immеdiatement qu’il avait confondu le moins du dеbut avec le plus. Je faisais aussi cette erreur, c’est pourquoi je l’ai remarquеe. J'еtais assise et je m’inquiеtais, et Herman s’inquiеtait aussi, alors je n’ai pas pu rеsister.
«Herman», l’ai-je appelе doucement et ai-je touchе sa manche. «Puis-je te dеranger, et plus tard, tu pourras me frapper pour ?a?».
«Oh…» Le gar?on еtait d’abord en col?re, mais ensuite, quand il a entendu ce que je suggеrais, il s’est contentе de me prendre dans ses bras et de me serrer fort. «Petit chaton.» C'еtait si tendre que j’en ai sanglotе. «Qu’est-ce qui ne va pas avec mon chеri?»
Herman еtait tellement plus ?gе que moi, sage, si gentil et affectueux… Je n’ai pas pu m’emp?cher de pleurer.
«Tu as mеlangе le moins avec le plus ici», ai-je fait remarquer prudemment et j’ai immеdiatement serrе les yeux de peur.
«Merci, chaton», me remercie doucement le gar?on et me caresse les yeux pour qu’ils s’ouvrent. D’une certaine mani?re, il n’еtait pas du tout en col?re contre moi, m?me si je l’ai dеrangе.
Ensuite, il a rapidement terminе ses devoirs et a commencе ? me poser des questions sur l’histoire – enfin, sur ce que j’avais lu. Quelque part au milieu, j’ai eu peur pour une raison ou une autre, et Herman l’a senti et a arr?tе de me poser des questions, m?me si je m’attendais ? ce qu’il me gronde parce que j’avais oubliе la moitiе de ce que j’avais lu. Mais mon «fiancе» a compris, a posе le livre, m’a serrе dans ses bras, m’a mis au lit et a voulu partir, mais je lui ai jetе un regard si pitoyable qu’il est restе.
* * *
Au d?ner, je ne pouvais plus manger toute seule, alors Herman m’a nourrie et papa fron?ait les sourcils pour une raison quelconque. J’ai eu un peu peur. S’il n’y avait pas eu la couche, j’aurais probablement fait pipi tout seul, mais papa avait pensе ? tout, et j’ai juste… Eh bien… Papa a dit que beaucoup de gens font pipi apr?s un ca-the-ter et que ce n’est pas grave, la couche, c’еtait juste pour me mettre ? l’aise et m’emp?cher de pleurer. C'еtait tellement bizarre que quelqu’un se prеoccupe de moi. Papa a aussi dit qu’il rеflеchirait ? des moyens de m’aider, et j’ai eu un peu peur.
Quand j’еtais Mariana, j’еtais gеnеralement punie le soir, alors ce soir, sans rappel, j’ai roulе jusqu’? papa et je suis montеe sur ses genoux avec mon ventre pour qu’il me punisse parce que j’еtais coupable de beaucoup de choses.
Papa n’a m?me pas compris ce que je faisais. Il est restе silencieux et m’a seulement retenu avec ses mains pour m’emp?cher de tomber.
«Qu’est-ce que tu fais, petite fille?» Maman a demandе.
«Eh bien, j’ai fait quelque chose de mal aujourd’hui», ai-je expliquе en essayant de reprendre mon souffle. «Alors j’ai besoin d’?tre punie»
En regardant autour de moi, j’ai vu les grands yeux d’Herman. Il еtait tr?s surpris, mais je n’ai pas compris pourquoi.
«Qu’est-ce que tu as fait de mal?» Demande maman en montrant quelque chose ? papa.
Il m’a soulevеe et m’a posеe sur ses genoux. J’ai soulevе moi-m?me ma jupe, mais je ne pouvais pas bouger ma culotte, je veux dire ma couche.
«Eh bien, j’ai distrait Herman, puis je n’ai pas pu manger tout seul, et ensuite…» J’ai commencе ? parler de plus en plus doucement parce que j’avais de nouveau peur. «Et puis, je n’ai pas rеpondu ? certaines questions…»
«Herman?» Maman a appelе.
«Rie m’a aidе ? faire un exercice. Et le fait qu’elle ne se souvienne pas de tout du livre d’histoire… Personne ne s’attendait ? ce qu’elle le fasse», a expliquе le «fiancе».
D?s le dеbut, il a commencе ? m’appeler «Rie» au lieu de «Gabriella», et cela ne me dеrangeait pas, car cela sonnait tr?s doux. Je ne voyais pas ce que Herman еtait en train de faire.