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La Pire Espèce
La Pire Espèce
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La Pire Espèce

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« Pas de soucis, moi aussi, je dois étudier. On se voit à l’école » .

« Okay » Claire raccroche.

Elle descend les escaliers, tout en soufflant fortement.

« C’est toi qui la paye la facture de téléphone ce mois-ci ? » ironise sa mère. Elle est dans l’entrée en train d’enfiler une veste de tailleur froissée.

« Je ne suis pas restée si longtemps que ça » réplique-t-elle.

« Oui, bien sûr. Écoute, passe prendre quelque chose déjà préparé en bas au magasin, je n’ai pas le temps de cuisiner. Et assure toi que Milly finisse ses devoirs, demain elle a un test en science » .

« Où tu vas ? »

« J’ai ma réunion ce soir » Madame Davidson embrasse sa fille sur la joue et sort en vitesse.

« Fantastique » pense Claire, l’observant partir avec la voiture qu’elles utilisent en commun. « Sans voiture et sans dîner. Et avec deux soeurs emmerdantes à surveiller. Pendant qu’elle, elle s’en va toute contente d’aller chanter dans ce stupide choeur » .

Elle retire tout de suite cette pensée de sa tête. Sa mère aussi, comme tout le monde, a besoin de se détendre un peu. Déjà toute petite, elle avait rêvé de devenir une chanteuse soul, puis elle avait eu des enfants et elle avait dû se contenter d’un emploi comme secrétaire à temps partiel. Claire ne devrait pas se plaindre. C’est juste qu’elle n’arrive pas à se contrôler : elle est agitée et en colère par ce qu’elle a appris.

En plus, comme le dit Grace, se plaindre fait partie intégrante de l’ADN féminin.

Elle remet ses baskets, vérifie son maquillage et hurle à sa soeur qu’elle sort. Cette petite idiote est encore en train de regarder la tv. En ce qui concerne les devoirs, elle n’est pas sûre de pouvoir obéir à sa mère : Milly se fout d’une leçon qu’elle pourrait recevoir sur l’école et elle, elle ne veut pas perdre son temps à lui faire changer d’idée. Surtout qu’elle n’est plus vraiment convaincue de qui a raison. En définitive, les perspectives d’avenir d’une adolescente se limitent-elles vraiment à de bons résultats et à des sacrifices en vue d’aller à l’université ? Il n’y a pas d’autre choix ? Elle est prête à parier qu’un tas de gens intelligents ont pris d’autres voies. Qui sait, peut-être que Milly trouvera un super travail sans trop de difficulté. Oui, peut-être. Ou peut-être que sa mère devra subvenir à ses besoins toute sa vie. Et elle ? Qu’est-ce qu’elle fera, elle ? La veille au soir, elle a vu une émission dans laquelle le présentateur demandait aux participants comment ils voyaient leurs vies dans dix ans, elle a eu alors une boule dans la gorge car elle était incapable d’imaginer quoique ce soit de sa vie future. Parfois, elle a peur de mourir. De disparaître comme ça, sans explication.

Quelqu’un se rendrait-il compte de son absence ? La chercherait ?

Mince, peut-être qu’elle a besoin de voir un psy. Comme si elle avait les moyens de pouvoir s’en payer un. Sa mère est très attentive au budget de la famille et elle déteste devoir ajouter des dépenses à leurs économies déjà faibles.

Il y a toujours l’assistante scolaire, mais plutôt que de mettre un pied dans son cagibi “ pour losers ”, comme on l’appelle, elle préférerait mettre fin à ses jours avec élégance et beaucoup de bruit. Parce qu’à Kennedy, on peut avoir des problèmes mais c’est toujours la réputation avant tout. Donc, il vaut mieux qu’elle soit considérée comme étant stressée, voilà tout.

« Salut Claire ! » une personne lui tape sur l’épaule sortant Claire de ses pensées.

Incroyable, elle est déjà arrivée au bout de la rue. Et, elle ne s’en est même pas aperçue. Elle regarde qui lui a adressé la parole. C’est une copine de classe, elles sont ensemble aux cours d’histoire et de chimie.

« Salut Michelle. Excuse-moi, je ne t’avais pas vue » .

« T’inquiète » Michelle sourit, hésitante. « Où tu vas ? »

« Acheter quelque chose à manger. « Et toi ? »

« Un petit tour dans les magasins » elle montre trois sacs. Au-dessus d’elles, se trouvent les enseignes les plus “ in ”de la ville.

« Comme je t’envie ! » Claire lui sourit et pense que ça fait perpète qu’elle ne s’est pas acheté quelque chose.

« Dis-moi Claire, tout va bien ? » Michelle redevient sérieuse.

« Oui... Pourquoi ? »

Peut-être a t-elle parlé à voix haute ? Elle espère que non. Ce serait embarrassant.

Elle se scrute, pour s’assurer de ne pas avoir oublié de mettre quelque chose d’essentiel. Son pantalon, par exemple.

Non, elle l’a.

« Comme ça, pour savoir » le sourire réapparaît sur le visage de Michelle, mais cette fois gêné. « Eh bien, ça me fait plaisir que tout aille bien... Bon, je dois y aller... »

« Hey, qu’est-ce qu’il y a ? » Claire la stoppe, puis quelque chose lui revient. « La prof a rendu ce stupide contrôle sur la loi de Hess ? Je me suis pris une note au-dessous de la moyenne, c’est ça ? »

À cause du dentiste de Sophie.

« Non, pas du tout... Écoute... T’as fait quoi hier soir ? » Michelle la prend à part.

Claire comprend tout de suite. Mon dieu, est-ce que c’est possible que tout le monde soit déjà au courant ?

« Tu étais au Goah ? » elle va droit au but.

« Alors, tu es au courant » Michelle semble soulagée.

« Que la Boots a essayé de se faire mon copain ? Oui, c’est lui qui me l’a dit » .

Michelle hoche la tête, mais le sourire gêné ne disparaît pas.

« C’est à ça que tu pensais, pas vrai ? »

« Oui, j’y étais et je l’ai vu avec lui et Rich. Qu’est-ce-qu’il t’a dit ? »

« Juste qu’il l’a repoussée » Claire sentit soudain son souffle se couper. « Ce n’est pas ce qu’il s’est passé ? »

« Si, il l’a tout de suite envoyée balader » répond Michelle, alors Claire peut se détendre.

Tout va bien. Elle a toujours un petit ami. Fidèle.

« Mais, écoute, il y a quelque chose de bizarre. Je ne veux rien insinuer, mais je ne peux pas garder ça pour moi, même si c’est peut-être seulement rien du tout et que j’ai tout mal interprété » .

« Il y avait aussi Keira ? » demande Claire. Quand quelque chose ne va pas, cette fille est toujours là.

« Qui ? »

« Keira Sullivan, la foldingue enragée » .

« Keira ? Non, je ne crois pas. Ce n’est pas le genre d’endroit qu’elle fréquente » Michelle pense à quelqu’un d’autre. « Grace était là » .

« Oui, je sais. Je viens de l’appeler et elle m’a dit qu’elle était allée à l’inauguration » .

« Ah, vraiment ? » Michelle secoue la tête, contrariée.

« Oui. Donc, que s’est-il passé avec Grace ? Au téléphone, elle m’a semblé normale » .

« Claire, elle est arrivée au Goah avec Melissa Boots. Elles sont restées ensemble toute la soirée et j’ai remarqué que... » elle s’interrompt, indécise sur le fait de poursuivre ou non. « Eh bien, elles collaient Phil et Rich. C’était clair » .

« À mon avis, tu te trompes. Grace m’a dit qu’elle ne l’avait même pas vue dans le bar » rétorque Claire.

« Elles ont bu et quand Melissa a rejoint Phil, elle s’est soudainement éclipsée, mais pas assez vite pour que ça passe inaperçu » .

« Tu dois confondre avec quelqu’un d’autre, Grace m’en aurait parlé. Et puis, pourquoi aurait-elle aidé cette traînée à essayer de se faire mon copain ? »

« Peut-être pour un intérêt personnel » .

« Et lequel ? Phil ne plaît pas à Grace, ça, j’en suis sûre » .

« Je ne sais pas. Vraiment. C’est pour ça que je t’ai dit que ça m’avait paru étrange de les voir ensemble » .

Claire se mord la lèvre inférieure. Ça n’a aucun sens. Grace ne lui ferait jamais un truc pareil. C’est sa meilleure amie. C’est probablement Michelle qui veut mettre la zizanie.

« Je suis désolée, Claire » .Je ne veux pas te chambouler ou que tu te disputes avec qui que ce soit... »

« Ah, non ? » fait Claire. « On dirait pourtant le contraire. Pourquoi tu viens me dire un truc pareil ? Pourquoi tu balances des foutaises sur mon amie ? Tu ne la connais même pas et dès que tu en as l’occasion, tu l’accuses. Toi, tu ne sais pas comment se sont réellement déroulés les faits » .

Elle ne voulait pas être grossière, mais après les dernières nouvelles, la tension et la colère avaient pris le dessus sur la maîtrise de soi.

« Il me semble que tu ne le sais pas bien toi non plus » réplique calmement Michelle.

« En tout cas, ce ne sont pas tes affaires » .

« Je te trouve sympa et je pense que tu es une fille intelligente, c’est pour ça que je ne trouve pas cool que ton amie se moque de toi » explique Michelle avec sincérité. « De toute façon, ce n’est pas mon problème et tu n’as probablement aucune raison de te méfier d’elle » conclut-elle, s’apprêtant à partir.

Claire la bloque.

« Après tes éclairantes informations, qu’est-ce-que je suis censée faire maintenant ? »

« Je crois qu’il suffit de reparler avec Grace pour clarifier la situation. En personne » Michelle sourit et hausse les épaules.

Son apparente confiance en soi est désarmante.

« Tu es vraiment sûre de ce que tu as vu ? »

« Oui. Si tu veux une confirmation, tu peux demander à Juliette Babbit. Elle y était aussi et elle avait une meilleure vue que la mienne, parce qu’elle s’occupait du buffet près des tables » Michelle lui dit au revoir et se dirige vers sa Volkswagen jaune.

« C’est qui cette Juliette Babbit ? ! » lui crie au loin Claire.

« Va la trouver » répond en retour Michelle, la laissant plantée là.

Merci beaucoup.

La barbe.

Peut-être que si elle ne lui avait pas répondu aussi mal, elle lui aurait tout expliqué. Elle n’aurait pas dû s’en prendre à elle, mais elle n’a pas pu s’en empêcher. Tout ça est tellement absurde.

Grace lui aurait menti ? Et dans quel but ?

Elle voudrait discuter avec elle et non pas l’interroger sur sa loyauté.

Son estomac gargouille, lui rappelant qu’elle doit encore aller acheter quelque chose pour dîner.

« Si elle n’était pas sortie, elle n’aurait pas rencontré Michelle et elle n’aurait rien su. Merci maman » .

Elle trouve un magasin. Non, elle ne doit pas s’en prendre à sa mère. Elle doit comprendre qui est vraiment responsable et diriger sa mauvaise humeur vers les bonnes personnes.

Elle ouvre la porte du premier magasin qui se présente. Un volailler.

Mince.

Derrière le comptoir rempli de poulets rôtis, une jeune fille lui sourit. Il y en a à toutes les sauces. Même crus. Ce n’est pas vraiment le dîner qu’elle avait imaginé, mais maintenant ce serait malpoli d’inventer une excuse et de ne rien prendre.

Des gamins sont en train de harceler la vendeuse qui, à en juger par ses cheveux attachés en tresses façon petite fille, doit être à peine plus grande qu’eux. Claire les pousse, choisit une portion de frites comme accompagnement qu’elle achète avec un des poulets.

« Doré, croustillant et bien cuit » lui assure la jeune fille.

Claire remarque qu’elle porte un horrible tablier. Même ce machin est en forme de poulet.

Il faut croire qu’il y a bien plus malheureux qu’elle. Pauvre fille.

Elle répond avec un sourire forcé et le visage de la jeune fille s’illumine entièrement.

« Voilà pour toi » elle lui passe le sachet avant d’y ajouter une carte. « À bientôt ! »

« Merci » .

Claire sort et fouille dans le sac pour trouver la carte déposée par la jeune fille. C’est une carte de visite. Très professionnelle.

Puis, elle la lit.

« Poulets de toutes tailles et pour tous les goûts. Nous découpons les cuisses sur demande » .

Elle se met suffisamment à l’écart pour que, depuis la vitrine du magasin, elles ne la voient pas pouffer de rire.

Quel stupide slogan !

Mais, sans s’y attendre, la jeune fille a été la première et l’unique personne de la journée à l’avoir un peu amusée.

À dîner, elle supprime même son commentaire méchant sur le pauvre tablier. Okay, la présentation et l’image du magasin sont à revoir, mais le poulet est excellent. Ni Sophie, ni Milly ne se plaignent. Un vrai miracle.

Claire sourit : ce n’est pas beaucoup, comme consolation, mais au moins elle se sent un peu mieux.

Demain, à l’école, elle résoudra le problème.

« Tel est pris qui croyait me prendre » pense-t-elle.

Elle sait déjà par qui commencer.