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María. Français
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Maria (Fran?ais)
Jorge Isaacs

Le roman traite principalement de la relation amoureuse troublеe entre deux jeunes gens : Efra?n, un fermier de la rеgion de Cauca, et Mar?a, sa sCur adoptive. Cette histoire d'amour se dеroule dans une belle rеgion de Colombie.L'histoire du roman suit Mar?a et Efra?n et leur amour parfait. Les lieux o? se dеroulent les еvеnements sont еgalement dеcrits : la nature du Cauca et l'apparence de la ferme appelеe El Para?so. Cela crеe trois environnements, tous rеels, mais vus d'une mani?re particuli?re. C'est comme un voyage dans un monde nostalgique qui rend l'amour et les lieux magiques. La fin de l'histoire modifie le cеl?bre conte antique du jardin d'Eden. Dans ce cas, elle signifie la perte de la maison, de l'?tre aimе et du beau paysage.En dehors de cette histoire principale, il y a еgalement de nombreuses histoires courtes qui s'entrecroisent. Beaucoup parlent d'amour, comme l'amour de Marie et d'Ephra?m, et se dеroulent dans le m?me monde.

Jorge Isaacs

Maria (Fran?ais)

Chapitre I

J'еtais encore un enfant lorsqu'on m'a enlevе de la maison de mon p?re pour commencer mes еtudes ? l'еcole du Dr Lorenzo Mar?a Lleras, еtablie ? Bogota quelques annеes auparavant et cеl?bre dans toute la Rеpublique ? l'еpoque.

La veille de mon voyage, apr?s la soirеe, une de mes sCurs entra dans ma chambre et, sans me dire un mot d'affection, car sa voix еtait remplie de sanglots, elle me coupa quelques cheveux : lorsqu'elle sortit, quelques larmes avaient roulе sur mon cou.

Je m'endormis en pleurant, et j'eus comme un vague pressentiment des nombreux chagrins que j'aurais ? subir par la suite. Ces cheveux arrachеs ? la t?te d'un enfant, cette mise en garde de l'amour contre la mort en face de tant de vie, ont fait errer mon ?me dans mon sommeil sur tous les lieux o? j'avais passе, sans le comprendre, les heures les plus heureuses de mon existence.

Le lendemain matin, mon p?re dеtacha les bras de ma m?re de ma t?te, mouillеe de larmes. Mes sCurs les essuy?rent avec des baisers en me disant adieu. Mary attendit humblement son tour et, en balbutiant ses adieux, pressa sa joue rosеe contre la mienne, refroidie par la premi?re sensation de douleur.

Quelques instants plus tard, j'ai suivi mon p?re, qui a cachе son visage de mon regard. Les pas de nos chevaux sur le chemin caillouteux еtouffaient mes derniers sanglots. Le murmure des Sabaletas, dont les prairies se trouvaient ? notre droite, diminuait de minute en minute. Nous contournions dеj? l'une des collines du chemin, sur laquelle les voyageurs dеsirables avaient l'habitude d'?tre vus de la maison ; je tournai les yeux vers elle, ? la recherche d'un des nombreux ?tres chers : Maria se trouvait sous les vignes qui ornaient les fen?tres de la chambre de ma m?re.

Chapitre II

Six ans plus tard, les derniers jours d'un mois d'ao?t luxueux m'ont accueilli ? mon retour dans ma vallеe natale. Mon cCur dеbordait d'amour patriotique. C'еtait dеj? le dernier jour du voyage et je profitais de la matinеe la plus parfumеe de l'еtе. Le ciel еtait d'un bleu p?le : ? l'est, au-dessus des cr?tes imposantes des montagnes, encore ? demi endeuillеes, erraient quelques nuages dorеs, comme la gaze du turban d'une danseuse dispersеe par un souffle amoureux. Au sud, flottaient les brumes qui avaient recouvert les montagnes lointaines pendant la nuit. Je traversais des plaines de prairies verdoyantes, arrosеes par des ruisseaux dont le passage еtait obstruе par de belles vaches, qui abandonnaient leur p?turage pour se promener dans les lagunes ou sur des sentiers vo?tеs par des pins en fleurs et des figuiers feuillus. Mes yeux s'еtaient fixеs avec aviditе sur ces lieux ? demi cachеs au voyageur par la vo?te des vieux bosquets ; sur ces fermes o? j'avais laissе des gens vertueux et aimables. Dans ces moments-l?, mon coeur n'aurait pas еtе еmu par les airs du piano de U*** : les parfums que je respirais еtaient si agrеables comparеs ? ceux de ses robes luxueuses ; le chant de ces oiseaux sans nom avait des harmonies si douces ? mon coeur !

Je suis restе sans voix devant tant de beautе, dont j'avais cru conserver le souvenir parce que certaines de mes strophes, admirеes par mes camarades, en avaient de p?les reflets. Lorsque dans une salle de bal, inondеe de lumi?re, pleine de mеlodies voluptueuses, de mille parfums m?lеs, de chuchotements de tant de v?tements de femmes sеduisantes, nous rencontrons celle dont nous r?vions ? dix-huit ans, et qu'un de ses regards fugitifs nous br?le le front, et que sa voix rend muettes pour nous toutes les autres voix pendant un instant, et que ses fleurs laissent derri?re elles des essences inconnues, alors nous tombons dans une prostration cеleste : notre voix est impuissante, nos oreilles ne l'entendent plus, nos yeux ne peuvent plus la suivre. Mais quand, l'esprit rafra?chi, elle revient ? notre mеmoire quelques heures plus tard, nos l?vres murmurent son еloge en chantant, et c'est cette femme, c'est son accent, c'est son regard, c'est son pas lеger sur les tapis, qui imite ce chant, que le vulgaire croira idеal. Ainsi le ciel, les horizons, la pampa et les sommets du Cauca, font taire ceux qui les contemplent. Les grandes beautеs de la crеation ne peuvent ?tre vues et chantеes en m?me temps : elles doivent revenir ? l'?me, p?lie par une mеmoire infid?le.

Avant le coucher du soleil, j'avais dеj? aper?u la maison de mes parents, blanche sur le flanc de la montagne. En m'en approchant, je comptais d'un Cil inquiet les bouquets de ses saules et de ses orangers, ? travers lesquels je voyais les lumi?res qui s'еtalaient dans les pi?ces traversеes un peu plus tard.

Je respirais enfin cette odeur jamais oubliеe du verger formе. Les fers de mon cheval еtincelaient sur les pavеs de la cour. J'ai entendu un cri indеfinissable, c'еtait la voix de ma m?re : quand elle m'a serrе dans ses bras et m'a attirе contre son sein, une ombre est tombеe sur mes yeux : un plaisir supr?me qui a еmu une nature vierge.

Quand j'ai essayе de reconna?tre dans les femmes que je voyais, les sCurs que j'avais quittеes quand j'еtais enfant, Mary se tenait ? c?tе de moi, et ses yeux еcarquillеs еtaient voilеs par de longs cils. C'est son visage qui s'est couvert du rougissement le plus remarquable lorsque mon bras a quittе ses еpaules pour effleurer sa taille ; et ses yeux еtaient encore humides lorsqu'elle a souri ? ma premi?re expression d'affection, comme ceux d'un enfant dont les pleurs ont еtouffе les caresses d'une m?re.

Chapitre III

? huit heures, nous nous rend?mes dans la salle ? manger, pittoresquement situеe sur le c?tе est de la maison. De l?, nous pouvions voir les cr?tes dеnudеes des montagnes sur le fond еtoilе du ciel. Les auras du dеsert traversaient le jardin en recueillant des senteurs pour venir s'еbattre avec les rosiers autour de nous. Le vent capricieux nous laissait entendre le murmure de la rivi?re pendant quelques instants. Cette nature semblait dеployer toute la beautе de ses nuits, comme pour accueillir un h?te amical.

Mon p?re еtait assis en bout de table et m'avait placеe ? sa droite ; ma m?re еtait assise ? gauche, comme d'habitude ; mes sCurs et les enfants еtaient assis indistinctement, et Maria еtait en face de moi.

Mon p?re, devenu gris en mon absence, me lan?ait des regards de satisfaction et souriait de cette fa?on espi?gle et douce que je n'ai jamais vue sur d'autres l?vres. Ma m?re parlait peu, car dans ces moments-l?, elle еtait plus heureuse que tous ceux qui l'entouraient. Mes sCurs insistaient pour me faire go?ter les friandises et les cr?mes, et elle rougissait de tous ceux ? qui j'adressais une parole flatteuse ou un regard scrutateur. Maria me cachait ses yeux avec tеnacitе ; mais je pouvais y admirer l'еclat et la beautе de ceux des femmes de sa race, en deux ou trois occasions o?, malgrе elle, ils rencontraient carrеment les miens ; ses l?vres rouges, humides et gracieusement impеrieuses, ne me montraient que pour un instant la primautе voilеe de ses jolies dents. Elle portait, comme mes sCurs, son abondante chevelure brun foncе en deux tresses, dont l'une еtait surmontеe d'un Cillet rouge. Elle portait une robe de mousseline claire, presque bleue, dont on ne voyait qu'une partie du corsage et de la jupe, car un foulard de fin coton violet cachait ses seins jusqu'? la base de sa gorge d'un blanc terne. Comme ses tresses еtaient tournеes dans son dos, d'o? elles roulaient lorsqu'elle se penchait pour servir, j'ai admirе le dessous de ses bras dеlicieusement tournеs, et ses mains manucurеes comme celles d'une reine.

? la fin du repas, les esclaves soulevaient les nappes ; l'un d'eux disait le Notre P?re, et leurs ma?tres complеtaient la pri?re.

La conversation est alors devenue confidentielle entre mes parents et moi.

Marie prit dans ses bras l'enfant qui dormait sur ses genoux, et mes sCurs la suivirent dans les chambres : elles l'aimaient tendrement et se disputaient sa douce affection.

Une fois dans le salon, mon p?re embrassa le front de ses filles avant de partir. Ma m?re voulait que je voie la chambre qui m'еtait rеservеe. Mes sCurs et Maria, moins timides maintenant, voulaient voir l'effet que je produisais avec le soin de la dеcoration. La chambre se trouvait au bout du couloir, sur le devant de la maison ; l'unique fen?tre еtait aussi haute qu'une table confortable ; et ? ce moment-l?, les battants et les barreaux еtant ouverts, des branches fleuries de rosiers entraient par cette fen?tre pour finir de dеcorer la table, o? un beau vase de porcelaine bleue s'affairait ? contenir dans son verre des lys et des lys, des Cillets et des clochettes de rivi?re violettes. Les rideaux du lit еtaient en gaze blanche, attachеs aux colonnes par de larges rubans roses, et pr?s de la t?te de lit, pr?s d'une parure maternelle, se trouvait la petite Dolorosa qui m'avait servi pour mes autels quand j'еtais enfant. Quelques cartes, des si?ges confortables et un beau nеcessaire de toilette complеtaient le trousseau.

–Quelles belles fleurs ! m'exclamai-je en voyant toutes les fleurs du jardin et le vase qui recouvrait la table.

–Maria s'est souvenue que tu les aimais beaucoup", a fait remarquer ma m?re.

J'ai tournе les yeux pour le remercier, et ses yeux semblaient avoir du mal ? supporter mon regard cette fois-ci.

Marie, dis-je, va les garder pour moi, parce qu'elles sont nocives dans la pi?ce o? tu dors.

Est-ce vrai ? -rеpondit-il, je les remplacerai demain.

Comme son accent еtait doux !

Combien y en a-t-il ?

–Ils sont nombreux ; ils seront rеapprovisionnеs chaque jour.

Apr?s que ma m?re m'eut embrassеe, Emma me tendit la main et Maria, me laissant un instant dans la sienne, sourit comme elle me souriait dans son enfance : ce sourire ? fossettes еtait celui de l'enfant de mes amours enfantines surpris dans le visage d'une vierge de Rapha?l.

Chapitre IV

J'ai dormi paisiblement, comme lorsque je m'endormais, dans mon enfance, sur une des merveilleuses histoires de Pierre l'esclave.

J'ai r?vе que Marie еtait entrеe pour renouveler les fleurs sur ma table et qu'en sortant, elle avait effleurе les rideaux de mon lit avec sa jupe de mousseline fluide parsemеe de petites fleurs bleues.

Lorsque je me suis rеveillеe, les oiseaux voltigeaient dans le feuillage des orangers et des pamplemoussiers, et les fleurs d'oranger embaumaient ma chambre d?s que j'ouvrais la porte.

La voix de Marie parvint alors ? mes oreilles, douce et pure : c'еtait sa voix d'enfant, mais plus grave et pr?te ? toutes les modulations de la tendresse et de la passion. Oh, combien de fois, dans mes r?ves, l'еcho de ce m?me accent est venu ? mon ?me, et mes yeux ont cherchе en vain ce verger o? je l'avais vue si belle, en cette matinеe d'ao?t !

L'enfant dont les innocentes caresses avaient еtе tout pour moi, ne serait plus la compagne de mes jeux ; mais par les belles soirеes d'еtе, elle se prom?nerait ? mes c?tеs, au milieu du groupe de mes sCurs ; je l'aiderais ? cultiver ses fleurs prеfеrеes ; le soir, j'entendrais sa voix, ses yeux me regarderaient, un seul pas nous sеparerait.

Apr?s avoir lеg?rement arrangе mes robes, j'ouvris la fen?tre et j'aper?us Maria dans une des rues du jardin, accompagnеe d'Emma : elle portait une robe plus sombre que la veille, et son fichu violet, nouе ? la taille, tombait en forme de bandeau sur sa jupe ; ses longs cheveux, divisеs en deux tresses, cachaient ? demi une partie de son dos et de sa poitrine ; elle et ma sCur avaient les pieds nus. Elle portait un vase de porcelaine un peu plus blanc que les bras qui la tenaient, qu'elle remplissait de roses ouvertes pendant la nuit, rejetant les moins humides et les moins luxuriantes comme еtant flеtries. En riant avec sa compagne, elle trempait ses joues, plus fra?ches que les roses, dans la coupe qui dеbordait. Emma me dеcouvrit ; Maria s'en aper?ut et, sans se tourner vers moi, tomba ? genoux pour me cacher ses pieds, dеtacha son fichu de sa taille et, s'en couvrant les еpaules, fit semblant de jouer avec les fleurs. Les filles nubiles des patriarches n'еtaient pas plus belles ? l'aube, lorsqu'elles cueillaient des fleurs pour leurs autels.

Apr?s le dеjeuner, ma m?re m'a appelеe dans son atelier de couture. Emma et Maria brodaient pr?s d'elle. Elle rougit ? nouveau lorsque je me prеsentai, se souvenant peut-?tre de la surprise que je lui avais involontairement faite le matin.

Ma m?re voulait me voir et m'entendre tout le temps.

Emma, plus insinuante, me posa mille questions sur Bogota, me demanda de dеcrire les bals splendides, les belles robes de femmes en usage, les plus belles femmes de la haute sociеtе d'alors. Elles еcoutaient sans quitter leur travail. Maria me jetait parfois un coup d'Cil nеgligent, ou faisait des remarques basses ? son compagnon assis ? sa place ; et lorsqu'elle se levait pour s'approcher de ma m?re et la consulter au sujet de la broderie, je voyais ses pieds magnifiquement chaussеs : son pas lеger et digne rеvеlait toute la fiertе, non dеprimеe, de notre race, et la sеduisante pudeur de la vierge chrеtienne. Ses yeux s'illumin?rent lorsque ma m?re exprima le dеsir que je donne aux filles quelques le?ons de grammaire et de gеographie, mati?res dans lesquelles elles n'avaient que peu de connaissances. Il fut convenu que nous commencerions les le?ons au bout de six ou huit jours, pеriode pendant laquelle je pourrais еvaluer l'еtat des connaissances de chaque fille.

Quelques heures plus tard, on m'annon?a que le bain еtait pr?t et je m'y rendis. Un oranger touffu et corpulent, dеbordant de fruits m?rs, formait un pavillon au-dessus du large bassin de carri?res brunies : de nombreuses roses flottaient dans l'eau : on aurait dit un bain oriental, parfumе par les fleurs que Marie avait cueillies le matin m?me.

Chapitre V

Trois jours s'еtaient еcoulеs lorsque mon p?re m'invita ? visiter ses propriеtеs dans la vallеe, et je fus obligе de l'obliger, car je m'intеressais vraiment ? ses entreprises. Ma m?re еtait tr?s impatiente de nous voir rentrer rapidement. Mes sCurs еtaient attristеes. Mary ne me pria pas, comme elles, de rentrer dans la m?me semaine, mais elle me suivit sans cesse des yeux pendant les prеparatifs du voyage.

Pendant mon absence, mon p?re avait considеrablement amеliorе sa propriеtе : une belle et co?teuse usine ? sucre, de nombreux boisseaux de canne ? sucre pour l'approvisionner, de vastes p?turages pour le bеtail et les chevaux, de bons parcs d'engraissement et une luxueuse maison d'habitation constituaient les caractеristiques les plus remarquables de ses domaines dans les terres chaudes. Les esclaves, bien habillеs et satisfaits, pour autant qu'il soit possible de l'?tre dans la servitude, еtaient soumis et affectueux envers leur ma?tre. J'ai trouvе des hommes ? qui, enfants peu de temps auparavant, on avait appris ? tendre des pi?ges aux chilacoas et aux guatines dans les fourrеs des bois : leurs parents et eux revenaient me voir avec des signes de plaisir non еquivoques. Seul Pedro, le bon ami et fid?le ayo, еtait introuvable : il avait versе des larmes en me pla?ant sur le cheval le jour de mon dеpart pour Bogota, en disant : "mon amour, je ne te reverrai plus". Son cCur l'avertissait qu'il mourrait avant mon retour.

J'ai remarquе que mon p?re, tout en restant ma?tre, traitait ses esclaves avec affection, еtait jaloux de la bonne conduite de ses femmes et caressait les enfants.

Un apr?s-midi, alors que le soleil se couchait, mon p?re, Higinio (le majordome) et moi revenions de la ferme ? l'usine. Ils parlaient du travail fait et ? faire ; moi, je m'occupais de choses moins sеrieuses : je pensais aux jours de mon enfance. L'odeur particuli?re des bois fra?chement abattus et l'odeur des pi?uelas m?res ; le gazouillis des perroquets dans les guaduales et guayabales voisins ; le son lointain d'une corne de berger, rеsonnant ? travers les collines ; le ch?timent des esclaves revenant de leur travail avec leurs outils sur l'еpaule ; les bribes aper?ues ? travers les roseli?res mouvantes : Tout cela me rappelait les apr?s-midi o? mes sCurs, Maria et moi, abusant de la licence tenace de ma m?re, prenions plaisir ? cueillir des goyaves sur nos arbres prеfеrеs, ? creuser des nids dans les pi?uelas, souvent avec de graves blessures aux bras et aux mains, et ? еpier les poussins des perruches sur les cl?tures des corrals.

Alors que nous croisons un groupe d'esclaves, mon p?re s'adresse ? un jeune homme noir d'une stature remarquable :

Alors, Bruno, votre mariage est-il pr?t pour apr?s-demain ?

Oui, mon ma?tre, rеpondit-il en ?tant son chapeau de roseau et en s'appuyant sur le manche de sa b?che.

–Qui sont les parrains et marraines ?

–Je serai avec Dolores et M. Anselmo, s'il vous pla?t.

–Eh bien, Remigia et toi serez bien confessеs. Remigia et vous serez bien confessеs. Avez-vous achetе tout ce dont vous aviez besoin pour elle et pour vous avec l'argent que j'ai envoyе pour vous ?

–C'est fait, mon ma?tre.

–Et c'est tout ce que vous voulez ?

–Vous verrez.

–La pi?ce que Higinio vous a indiquеe, c'est bien ?

–Oui, mon ma?tre.

–Oh, je sais. Ce que vous voulez, c'est de la danse.

Bruno rit alors, montrant ses dents d'une blancheur еblouissante, et se tourne vers ses compagnons.

–C'est bien ; vous vous conduisez tr?s bien. Vous savez, ajouta-t-il en se tournant vers Higinio, arrangez cela, et rendez-les heureux.

–Et ils partent en premier ? -demande Bruno.

Non, rеpondis-je, nous sommes invitеs.

Le samedi matin suivant, ? l'aube, Bruno et Remigia se sont mariеs. Ce soir-l?, ? sept heures, mon p?re et moi sommes montеs ? cheval pour aller au bal, dont nous commencions ? peine ? entendre la musique. Lorsque nous sommes arrivеs, Julian, le capitaine esclave de la bande, est sorti pour nous mettre le pied ? l'еtrier et recevoir nos chevaux. Il еtait v?tu de son costume du dimanche et portait ? la taille la longue machette plaquеe d'argent qui еtait l'insigne de son emploi. Une pi?ce de notre ancienne maison d'habitation avait еtе vidеe des biens de travail qu'elle contenait, afin d'y organiser le bal. Un lustre en bois, suspendu ? l'un des chevrons, faisait tourner une demi-douzaine de lumi?res : les musiciens et les chanteurs, un mеlange d'agrеgеs, d'esclaves et de manumissionnaires, occupaient l'une des portes. Il n'y avait que deux fl?tes de roseau, un tambour improvisе, deux alfandoques et un tambourin ; mais les voix fines des negritos entonnaient les bambucos avec une telle ma?trise ; il y avait dans leurs chants une combinaison si sinc?re d'accords mеlancoliques, joyeux et lеgers ; les vers qu'ils chantaient еtaient si tendrement simples, que le dilettante le plus instruit aurait еcoutе en extase cette musique ? demi sauvage. Nous sommes entrеs dans la salle avec nos chapeaux et nos bonnets. Remigia et Bruno dansaient ? ce moment-l? : elle, v?tue d'un follao de bolеros bleus, d'un tumbadillo ? fleurs rouges, d'une chemise blanche brodеe de noir, d'un collier et de boucles d'oreilles en verre rubis, dansait avec toute la douceur et la gr?ce que l'on pouvait attendre de sa stature de cimbrador. Bruno, avec ses ruanes enfilеes repliеes sur les еpaules, sa culotte de couverture aux couleurs vives, sa chemise blanche aplatie et un nouveau cabiblanco autour de la taille, tapait du pied avec une admirable dextеritе.

Apr?s cette main, qui est le nom que les paysans donnent ? chaque morceau de danse, les musiciens jou?rent leur plus beau bambuco, car Julien leur annon?a que c'еtait pour le ma?tre. Remigia, encouragеe par son mari et par le capitaine, se rеsolut enfin ? danser quelques instants avec mon p?re ; mais alors elle n'osait plus lever les yeux, et ses mouvements dans la danse еtaient moins spontanеs. Au bout d'une heure, nous nous retir?mes.

Mon p?re fut satisfait de mon attention pendant la visite que nous f?mes aux domaines ; mais quand je lui dis que je voulais dеsormais partager ses fatigues en restant ? ses c?tеs, il me dit, presque avec regret, qu'il еtait obligе de me sacrifier son propre bien-?tre, en accomplissant la promesse qu'il m'avait faite quelque temps auparavant, de m'envoyer en Europe pour y terminer mes еtudes mеdicales, et que je devais me mettre en route dans quatre mois au plus tard. Tandis qu'il me parlait ainsi, son visage prenait, sans affectation, la gravitе solennelle que l'on remarque chez lui lorsqu'il prend des rеsolutions irrеvocables. Cela se passa le soir o? nous retournions ? la sierra. La nuit commen?ait ? tomber et, s'il n'en avait pas еtе ainsi, j'aurais remarquе l'еmotion que son refus m'avait causеe. Le reste du voyage se fit en silence ; comme j'aurais еtе heureux de revoir Maria, si la nouvelle de ce voyage ne s'еtait pas interposеe entre elle et mes espеrances !

Chapitre VI

Que s'est-il passе pendant ces quatre jours dans l'?me de Marie ?

Elle allait poser une lampe sur une des tables du salon, lorsque je m'approchai pour la saluer ; et j'avais dеj? еtе surpris de ne pas la voir au milieu du groupe familial sur les marches o? nous venions de descendre. Le tremblement de sa main dеcouvrit la lampe, et je lui pr?tai main-forte, moins calme que je ne croyais l'?tre. Elle me parut un peu p?le, et autour de ses yeux se dessinait une ombre lеg?re, imperceptible pour qui l'avait vue sans la regarder. Elle tourna son visage vers ma m?re, qui parlait en ce moment, m'emp?chant ainsi de l'examiner ? la lumi?re qui еtait pr?s de nous ; et je remarquai alors qu'? la t?te d'une de ses tresses еtait un Cillet fanе ; et c'еtait sans doute celui que je lui avais donnе la veille de mon dеpart pour la Vallеe. La petite croix de corail еmaillе que j'avais apportеe pour elle, comme celles de mes sCurs, elle la portait autour du cou sur un cordon de cheveux noirs. Elle еtait silencieuse, assise au milieu des si?ges que ma m?re et moi occupions. Comme la rеsolution de mon p?re au sujet de mon voyage ne s'еtait pas effacеe de ma mеmoire, je devais lui para?tre triste, car elle me dit d'une voix presque basse :

Le voyage vous a-t-il fait du mal ?

Non, Maria, rеpondis-je, mais nous avons pris des bains de soleil et nous nous sommes tellement promenеs....

J'allais lui dire encore quelque chose, mais l'accent confidentiel de sa voix, la lumi?re nouvelle de ses yeux dont je m'еtonnais, m'emp?ch?rent de faire plus que la regarder, jusqu'? ce que, remarquant qu'elle еtait embarrassеe par la fixitе involontaire de mes regards, et me trouvant examinе par un de ceux de mon p?re (plus craintif quand un certain sourire passager errait sur ses l?vres), je sortis de la pi?ce pour aller dans ma chambre.

J'ai fermе les portes. Il y avait les fleurs qu'elle avait cueillies pour moi : je les ai embrassеes ; j'ai voulu respirer tous leurs parfums ? la fois, en y cherchant ceux des v?tements de Marie ; je les ai baignеes de mes larmes.... Ah, vous qui n'avez pas pleurе de bonheur comme cela, pleurez de dеsespoir, si votre adolescence est passеe, parce que vous n'aimerez plus jamais !

Premier amour !… noble orgueil de se sentir aimе : doux sacrifice de tout ce qui nous еtait cher auparavant en faveur de la femme aimеe : bonheur que, achetе pour un jour avec les larmes de toute une existence, nous recevrions comme un don de Dieu : parfum pour toutes les heures de l'avenir : lumi?re inextinguible du passе : fleur gardеe dans l'?me et qu'il n'est pas donnе aux dеceptions de flеtrir : seul trеsor que l'envie des hommes ne peut nous arracher : dеlire dеlicieux… inspiration venue du ciel… Marie, Marie, comme je t'ai aimеe, comme je t'ai aimеe, comme je t'ai aimеe, comme je t'ai aimеe, comme je t'ai aimеe…

Chapitre VII

Lorsque mon p?re fit son dernier voyage aux Antilles, Salomon, un de ses cousins qu'il aimait beaucoup depuis son enfance, venait de perdre sa femme. Tr?s jeunes, ils еtaient partis ensemble pour l'Amеrique du Sud et, au cours d'un de leurs voyages, mon p?re еtait tombе amoureux de la fille d'un Espagnol, intrеpide capitaine de vaisseau, qui, apr?s avoir quittе le service pendant quelques annеes, avait еtе forcе en 1819 de reprendre les armes pour dеfendre les rois d'Espagne et qui avait еtе fusillе ? Majagual le 20 mai 1820.

La m?re de la jeune femme que mon p?re aimait exigeait qu'il renonce ? la religion juive pour la lui donner comme еpouse. Mon p?re devint chrеtien ? l'?ge de vingt ans. ? l'еpoque, sa cousine aimait la religion catholique, mais il n'a pas cеdе ? son insistance de se faire baptiser ? son tour, car il savait que ce que mon p?re avait fait pour lui donner la femme qu'il voulait l'emp?cherait d'?tre acceptе par la femme qu'il aimait en Jama?que.

Apr?s quelques annеes de sеparation, les deux amis se retrouvent. Salomon еtait dеj? veuf. Sarah, sa femme, lui avait laissе un enfant qui avait alors trois ans. Mon p?re le trouva moralement et physiquement dеfigurе par le chagrin, puis sa nouvelle religion lui apporta des rеconforts pour son cousin, rеconforts que les proches avaient vainement cherchеs pour le sauver. Il pressa Salomon de lui donner sa fille pour l'еlever ? nos c?tеs, et il osa proposer d'en faire une chrеtienne. Salomon y consentit en disant : "Il est vrai que ma fille seule m'a emp?chе d'entreprendre un voyage aux Indes, qui aurait amеliorе mon esprit et remеdiе ? ma pauvretе ; elle a aussi еtе mon seul rеconfort apr?s la mort de Sarah ; mais si vous le voulez, qu'elle soit votre fille. Les femmes chrеtiennes sont douces et bonnes, et votre femme doit ?tre une sainte m?re. Si le christianisme apporte dans les malheurs supr?mes le soulagement que vous m'avez donnе, peut-?tre rendrais-je ma fille malheureuse en la laissant juive. Ne le dites pas ? nos parents, mais lorsque vous atteindrez la premi?re c?te o? il y aura un pr?tre catholique, faites-la baptiser et changez le nom d'Esther en celui de Marie. C'est ce que dit le malheureux en versant beaucoup de larmes.

Quelques jours plus tard, la goеlette qui devait emmener mon p?re sur la c?te de la Nouvelle-Grenade appareillait ? Montego Bay. Le bateau lеger essayait ses ailes blanches, comme un hеron de nos for?ts essaie ses ailes avant de s'envoler pour un long vol. Salomon entra dans la chambre de mon p?re, qui venait de finir de raccommoder son costume de bord, portant Esther assise dans un de ses bras, et suspendu ? l'autre un coffre contenant les bagages de l'enfant : elle tendit ses petits bras ? son oncle, et Salomon, la pla?ant dans ceux de son ami, se laissa tomber en sanglotant sur la petite botte. Cette enfant, dont la t?te prеcieuse venait de baigner d'une pluie de larmes le bapt?me de la douleur plut?t que la religion de Jеsus, еtait un trеsor sacrе ; mon p?re le savait bien, et ne l'oublia jamais. Au moment de sauter dans le bateau qui devait les sеparer, son ami rappela ? Solomon une promesse, et il rеpondit d'une voix еtranglеe : "Les pri?res de ma fille pour moi, et les miennes pour elle et sa m?re, monteront ensemble jusqu'aux pieds du Crucifiе.

J'avais sept ans lorsque mon p?re revint, et je dеdaignai les prеcieux jouets qu'il m'avait apportеs de son voyage, pour admirer cette belle, douce et souriante enfant. Ma m?re la couvrait de caresses, et mes sCurs de tendresse, d?s que mon p?re la dеposa sur les genoux de sa femme et lui dit : "Voici la fille de Salomon, qu'il t'envoie.

Au cours de nos jeux enfantins, ses l?vres ont commencе ? moduler les accents castillans, si harmonieux et sеduisants dans la bouche d'une jolie femme et dans celle, rieuse, d'un enfant.

Cela doit remonter ? six ans environ. Un soir, en entrant dans la chambre de mon p?re, je l'entendis sangloter ; ses bras еtaient croisеs sur la table et son front appuyе sur eux ; pr?s de lui, ma m?re pleurait et Marie appuyait sa t?te sur ses genoux, ne comprenant pas sa douleur et presque indiffеrente aux lamentations de son oncle ; c'est qu'une lettre de Kingston, re?ue ce jour-l?, donnait la nouvelle de la mort de Salomon. Je ne me souviens que d'une seule expression de mon p?re cet apr?s-midi-l? : "S'ils me quittent tous sans que je puisse recevoir leurs derniers adieux, pourquoi retournerais-je dans mon pays ? Hеlas ! ses cendres devraient reposer dans un pays еtranger, sans que les vents de l'ocеan, sur les rives duquel il s'est еbattu enfant, dont il a traversе l'immensitе jeune et ardente, ne viennent balayer sur la dalle de son sеpulcre les fleurs s?ches des rameaux de la floraison et la poussi?re des annеes !

Peu de personnes connaissant notre famille auraient soup?onnе que Maria n'еtait pas la fille de mes parents. Elle parlait bien notre langue, еtait gentille, vive et intelligente. Lorsque ma m?re lui caressait la t?te en m?me temps que mes sCurs et moi, personne n'aurait pu deviner qui еtait l'orpheline.

Elle avait neuf ans. Les cheveux abondants, encore d'un brun clair, flottant librement et virevoltant autour de sa taille fine et mobile ; les yeux bavards ; l'accent avec quelque chose de mеlancolique que nos voix n'avaient pas ; telle еtait l'image que j'emportais d'elle en quittant la maison de ma m?re : telle elle еtait le matin de ce triste jour, sous les plantes grimpantes des fen?tres de ma m?re.

Chapitre VIII

En dеbut de soirеe, Emma frappa ? ma porte pour venir ? table. Je me suis lavе le visage pour cacher les traces de larmes et j'ai changе de robe pour excuser mon retard.

Mary n'еtait pas dans la salle ? manger, et j'imaginais vainement que ses occupations l'avaient retardеe plus longtemps que d'habitude. Mon p?re, remarquant un si?ge inoccupе, la demanda, et Emma l'excusa en disant qu'elle avait mal ? la t?te depuis l'apr?s-midi et qu'elle dormait. J'essayai de ne pas me laisser impressionner et, m'effor?ant de rendre la conversation agrеable, je parlai avec enthousiasme de toutes les amеliorations que j'avais trouvеes dans les propriеtеs que nous venions de visiter. Emma et ma m?re se lev?rent pour mettre les enfants au lit et voir comment allait Maria, ce dont je les remerciai et ne m'еtonnai plus du m?me sentiment de gratitude.

Bien qu'Emma soit retournеe dans la salle ? manger, la conversation ne dura pas longtemps. Philippe et Elo?se, qui avaient insistе pour que je participe ? leur jeu de cartes, accus?rent mes yeux de somnolence. Il avait demandе en vain ? ma m?re la permission de m'accompagner ? la montagne le lendemain, et s'еtait retirе mеcontent.

Mеditant dans ma chambre, je crus deviner la cause de la souffrance de Maria. Je me rappelais la mani?re dont j'avais quittе la chambre apr?s mon arrivеe, et comment l'impression produite sur moi par son accent confidentiel m'avait fait lui rеpondre avec le manque de tact propre ? celui qui rеprime une еmotion. Connaissant l'origine de son chagrin, j'aurais donnе mille vies pour obtenir d'elle un pardon ; mais le doute aggravait la confusion de mon esprit. Je doutais de l'amour de Marie ; pourquoi, me disais-je, mon cCur s'efforcerait-il de croire qu'elle subissait ce m?me martyre ? Je me jugeais indigne de possеder tant de beautе, tant d'innocence. Je me reprochais l'orgueil qui m'avait aveuglеe au point de me croire l'objet de son amour, n'еtant digne que de son affection de sCur. Dans ma folie, je pensais avec moins de terreur, presque avec plaisir, ? mon prochain voyage.

Chapitre IX

Le lendemain, je me suis levе ? l'aube. Les lueurs qui dessinaient les sommets de la cha?ne centrale ? l'est, doraient en demi-cercle quelques nuages lеgers qui se dеtachaient les uns des autres pour s'еloigner et dispara?tre. Les pampas vertes et les jungles de la vallеe еtaient vues comme ? travers un verre bleutе, et au milieu d'elles, quelques huttes blanches, la fumеe des montagnes fra?chement br?lеes s'еlevant en spirale, et parfois les remous d'une rivi?re. La cha?ne de montagnes de l'Ouest, avec ses plis et ses poitrines, ressemblait ? des manteaux de velours bleu foncе suspendus ? leur centre par les mains de gеnies voilеs par les brumes. Devant ma fen?tre, les rosiers et le feuillage des arbres du verger semblaient craindre les premi?res brises qui viendraient faire tomber la rosеe qui scintillait sur leurs feuilles et leurs fleurs. Tout cela me paraissait triste. Je pris le fusil : je fis signe ? l'affectueux Mayo qui, assis sur ses pattes de derri?re, me regardait fixement, les sourcils froncеs par une attention excessive, attendant le premier ordre ; et, sautant par-dessus la cl?ture de pierre, je pris le sentier de la montagne. En entrant, je le trouvai frais et tremblant sous les caresses des derni?res auras de la nuit. Les hеrons quittaient leurs perchoirs, leur vol formant des lignes ondulantes que le soleil argentait, comme des rubans laissеs au grе du vent. De nombreuses volеes de perroquets s'еlevaient des fourrеs pour se diriger vers les champs de ma?s voisins ; et le diostedе saluait le jour de son chant triste et monotone depuis le cCur de la sierra.

Je descendis vers la plaine montagneuse de la rivi?re par le m?me chemin que j'avais empruntе ? maintes reprises six ans auparavant. Le tonnerre de son dеbit augmentait, et en peu de temps je dеcouvris les ruisseaux, impеtueux lorsqu'ils se prеcipitaient sur les chutes, bouillants dans les chutes, limpides et lisses dans les bras morts, roulant toujours sur un lit de rochers couverts de mousse, bordеs sur les rives d'iracales, de foug?res et de roseaux aux tiges jaunes, au plumage soyeux et aux semis pourpres.

Je m'arr?tai au milieu du pont, formе par l'ouragan avec un c?dre robuste, celui-l? m?me o? j'еtais passе autrefois. Des parasites fleuris pendaient ? ses lattes, et des clochettes bleues et irisеes descendaient en festons de mes pieds pour se balancer dans les vagues. Une vеgеtation luxuriante et alti?re vo?tait la rivi?re par intervalles, et ? travers elle pеnеtraient quelques rayons du soleil levant, comme ? travers le toit brisе d'un temple indien dеsertе. Mayo hurla l?chement sur la rive que je venais de quitter et, sous mon impulsion, se rеsolut ? passer sur le pont fantastique, empruntant aussit?t, devant moi, le sentier qui menait ? la propriеtе du vieux Josе, qui attendait de moi, ce jour-l?, le paiement de sa visite de bienvenue.

Apr?s une petite pente raide et sombre, et apr?s avoir sautе par-dessus les arbres secs de la derni?re coupe du highlander, je me suis retrouvе dans la petite place plantеe de lеgumes, d'o? je pouvais voir fumer la petite maison au milieu des collines vertes, que j'avais laissеe au milieu de bois apparemment indestructibles. Les vaches, belles par leur taille et leur couleur, mugissaient ? la porte du corral ? la recherche de leurs veaux. Les volailles domestiques еtaient en effervescence, recevant leur ration matinale ; dans les palmiers voisins, еpargnеs par la hache des cultivateurs, les oropendolas se balan?aient bruyamment dans leurs nids suspendus, et au milieu de tout ce joyeux brouhaha, on entendait parfois le cri strident de l'oiseleur qui, depuis son barbecue et armе d'un lance-pierre, chassait les aras affamеs qui voltigeaient au-dessus du champ de ma?s.

Les chiens de l'Antioquien l'ont prеvenu de mon arrivеe par leurs aboiements. Mayo, qui les craignait, s'approcha de moi d'un air maussade. Josе sortit pour m'accueillir, la hache dans une main et le chapeau dans l'autre.

La petite habitation еtait synonyme de travail, d'еconomie et de propretе : tout еtait rustique, mais confortablement arrangе, et chaque chose еtait ? sa place. Le salon de la petite maison, parfaitement balayе, avec des bancs de bambou tout autour, recouvert de nattes de roseau et de peaux d'ours, quelques gravures sur papier enluminеes, reprеsentant des saints, et еpinglеes avec des еpines d'orange sur les murs еcrus, avait ? droite et ? gauche la chambre ? coucher de la femme de Joseph et la chambre ? coucher des filles. La cuisine, faite de roseau et coiffеe de feuilles de la m?me plante, еtait sеparеe de la maison par un petit potager o? persil, camomille, pennyroyal et basilic m?laient leurs ar?mes.

Les femmes semblaient plus soignеes que d'habitude. Les filles, Lucia et Transito, portaient des jupons de sarsen violet, des chemises tr?s blanches avec des robes de dentelle garnies de galons noirs, sous lesquels elles cachaient une partie de leurs chapelets, et des colliers ras-de-cou d'ampoules de verre couleur d'opale. Les tresses еpaisses et couleur de jais de leurs cheveux jouaient dans leur dos au moindre mouvement de leurs pieds nus, prudents et agitеs. Ils me parlaient avec beaucoup de timiditе et c'est leur p?re qui, s'en apercevant, les encourageait en disant : "Ephra?m n'est-il pas le m?me enfant, puisqu'il sort de l'еcole sage et grandi ? Puis ils devinrent plus joviaux et plus souriants : ils nous liaient amicalement avec les souvenirs des jeux de l'enfance, puissants dans l'imagination des po?tes et des femmes. Avec la vieillesse, la physionomie de Josе avait beaucoup gagnе : bien qu'il ne port?t pas la barbe, son visage avait quelque chose de biblique, comme presque tous ceux des vieillards de bonnes mani?res du pays o? il еtait nе : d'abondants cheveux gris ombrageaient son front large et grillе, et ses sourires rеvеlaient une sеrеnitе d'?me. Luisa, sa femme, plus heureuse que lui dans la lutte contre les annеes, conservait dans ses v?tements quelque chose de la mani?re antioquienne, et sa jovialitе constante montrait clairement qu'elle еtait satisfaite de son sort.

Josе me conduisit ? la rivi?re et me raconta ses semailles et sa chasse, tandis que je plongeais dans le marigot diaphane d'o? l'eau se dеversait en une petite cascade. ? notre retour, nous avons trouvе le dеjeuner provocateur servi ? l'unique table de la maison. Le ma?s еtait partout : dans la soupe de mote servie dans des plats en terre vernissеe et dans les arepas dorеes еparpillеes sur la nappe. Le seul couvert еtait croisе sur mon assiette blanche et bordе de bleu.