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Absolution Providentielle
Absolution Providentielle
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Absolution Providentielle

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La petite foule applaudissait maintenant plus fort.

Super, me dis-je. Je suis l’imbécile continentale. Le touriste bouffon.

- Je ne vais pas vieillir ici. Continua Ava, une main sur sa hanche. Oh ouais.

Je déambulai en soupirant jusqu’à la scène dans la robe blanche que je portais depuis le matin, montais les trois marches du destin et me posai à ses côtés, devant la toile de fond noire. Mon profil angulaire contrastait à côté de ses courbes et son allure provocante. Si tu dois faire ça, fais-le en style, pensais-je en redressant le menton.

La foule s’était jointe à Ava pour applaudir et m’encourager. Elle me tendit le micro et pointa vers l’écran du moniteur.

- Chante, ordonna-t-elle.

Alors je me mis à chanter. Puis ce fut son tour, puis ensemble, et c’était époustouflant. Ma voix nasillarde, capable d’atteindre les notes les plus aiguës mais pas assez forte, était entremêlée et renforcée par sa voix plus profonde, plus jazz. J’harmonisai avec elle dans les refrains, je l’accompagnai dans les couplets, puis elle me rendait la pareille. J’étais détendue et j’imaginais que mon attitude guindée s’était assouplie, du moins un peu. Je m’amusais.

Nous quittâmes la scène vingt minutes plus tard sous les ovations, même si elle ne se composait que de dix soulards et d’une petite dame aux cheveux bleus qui s’était perdue en revenant des toilettes.

- Maintenant, qui est assez courageux pour prendre la relève ? demanda le DJ. La foule lui répondit bruyamment.

- Pas moi, pas question, non monsieur.

Il posa un disque sur la platine, nous fit un signe de la main et partit en pause.

Je m’effondrai sur ma chaise.

- Champagne, dis-je en me tournant vers la serveuse qui nous avait suivis jusqu’à notre table.

- La même chose, dit Ava.

Elle griffonna notre commande et s’éloigna, me donnant la meilleure démonstration que j’ai vue jusqu’à présent de vie au ralenti.

- On déchire, Katie Connell, s’exclama Ava. Et bon sang, tu es encore plus grande sur scène.

Je n’avais pas chanté depuis des années, sauf dans la voiture et sous la douche. Je me sentais soudainement électrifiée. Vivante, d’une manière que je n’avais jamais ressentie dans la pratique du droit, ça c’est sûr.

- On arrache, dis-je en gloussant.

On arrache. Comme si c’était une expression que j’utilisais souvent.

- Ouais ma sœur, dit Ava.

Notre serveuse revenait vers nous avec deux boissons sur un plateau. Alors qu’elle passait devant une petite table ronde de l’autre côté de la zone de karaoké, une femme tendit la main et l’attrapa par le bras. Sa voix trancha à travers le bruit de la foule.

- Où est ma boisson ? Je l’ai commandée il y a cinq minutes.

- Je l’apporte sous peu, dit la serveuse en se dégageant de l’emprise de la femme.

- Je veux mon verre immédiatement. C’est ridicule. Où est votre patron ? demanda la femme, dont l’accent indiquait qu’elle venait probablement de New-York ou des environs.

La serveuse hocha la tête, sourit et répondit :

- Oh, oui, madame, je vous l’apporte tout de suite.

Elle continua vers nous, encore plus lentement cette fois. Une fois à notre table, Ava lui dit :

- Ouah, elle pense qu’elle est spéciale.

- Pour de vrai, convint la serveuse. Elle n’est pas près d’être servie.

Elle posa nos boissons sur la table et s’en alla.

- Qu’est-ce que je disais ? Me dit Ava.

- Je ralentis, je ralentis... dis-je.

Nous bûmes notre champagne servit dans des gobelets en plastique ornés de dauphins bleus. Je pris une gorgée et les bulles me chatouillèrent le nez. Je gloussais à nouveau. Je ne buvais jamais ce truc. Je ne gloussais jamais.

- Santé, dis-je en levant mon verre. Ava et moi trinquâmes nos gobelets l’un contre l’autre, éclaboussant nos bras de champagne. Un peu plus de gloussements.

- Est-ce que cette chaise est occupée ? demanda une voix grave. Un de nos fans, peut-être ? Ses larges épaules bloquaient le soleil, wahou. Sauf qu’il n’y avait pas de soleil dans le casino. Il bloquait la lumière des luminaires de pacotille. Le halo de lumière autour de la tête à qui appartenait la voix occultait son visage.

Ava reconnut la voix, cependant.

- Jacoby, assieds-toi, mon ami. Elle tapota le siège rembourré en simili-cuir à côté d’elle. Petite île.

Darren Jacoby, toujours dans son uniforme de policier, s’assit face à Ava, et les deux autochtones s’échangèrent la bise sur la joue. Il avait eu l’air plutôt bien pendant un moment, dans le noir.

- Bonjour, Mlle Connell, dit-il par-dessus son épaule.

Il n’avait vraiment pas l’air de vouloir m’appeler Katie. Bon, enfin.

- Bonjour, officier Jacoby.

- Je ne peux pas rester longtemps, dit-il à Ava. Je suis en service. Mon quart se termine à dix heures. Je faisais juste une ronde quand je t’ai vue. Qu’est-ce que tu fais ?

- Nous sommes allées voir le détective privé que vous avez recommandé, dis-je, m’adressant à son profil.

Il se retourna, sans expression.

- Eh bien, j’espère que ça se passera bien pour vous. Quand retournez-vous aux États-Unis ?

La subtilité n’était pas son fort.

- Dans cinq jours, répondis-je.

- Soyez prudente, alors. Il reporta toute son attention sur Ava.

- Tu veux qu’on se voie plus tard ? J’ai Love and Basketball en DVD.

Oh, bon sang, encore moins subtile. Il aurait pu aussi bien se placarder sur un panneau d’affichage.

- Oh, Jacoby, je ne peux pas. J’ai un rendez-vous.

Sa mâchoire se contracta et la colère traversa ses yeux si vite que je faillis ne pas l’apercevoir.

- Il y a toujours quelqu’un, n’est-ce pas, Ava ? Sa mâchoire se détendit. Ses larges épaules s’affaissèrent.

- Eh bien, une autre fois.

- Bien sûr, dit-elle.

- Je vais y aller, alors.

Ava et lui se firent à nouveau la bise, il se retourna, me salua de la tête, et s’éloigna avec la démarche d’un grizzly. Il ne m’aimait pas beaucoup, mais j’avais quand même de la peine pour lui.

Ava avait l’air triste.

- Il a toujours été comme ça. Il n’abandonne pas facilement. Elle sortit son téléphone et dit : Je ferais mieux de vérifier mon rendez-vous. Quelques clics plus tard, elle continua.

- Guy a réservé une chambre ici, sur la colline. Une suite. Ooo là là.

- Est-ce que tu vas me le présenter ? Demandais-je.

- Non. Il est très discret à notre sujet.

Elle pointa le quatrième doigt de sa main gauche et chuchota le mot « marié ».

- Il ne me contacte même pas lui-même. C’est comme si j’avais une affaire avec son assistant, Eduardo.

- Je suis désolée, dis-je, parce que je ne savais pas quoi dire d’autre. Ça me semblait assez arrogant et grossier.

- Oh, ce n’est pas un problème, dit Ava en chassant le problème imaginaire de la main.

- C’est un sénateur. Les gens le connaissent. C’est une petite île.

J’avais cru remarquer.

Je pensais à ce que je ressentais quand Nick m’ignorait en public. Et je n’avais même pas « une affaire » avec lui. Jacoby n’était pas non plus avec Ava, mais cela ne semblait pas l’empêcher d’éprouver une certaine aigreur à propos de son rendez-vous.

- Mais ça ne te dérange pas ?

Ava pinça les lèvres.

- Je ne suis pas amoureuse de lui, Katie. Il est sympa et il essaye de m’obtenir un rôle dans une émission pilote de télévision qui se passera ici. Nous satisfaisons nos intérêts mutuels. Je préfère les riches aux puissants, de toute façon, et il n’est pas riche. Elle prit une autre gorgée de champagne.

Je coinçai une mèche de cheveux derrière mon oreille. Un pilote pour une émission de télé ? Son gars sénateur avait dû être mon compagnon de beuverie pendant mon vol. Je décidai de ne pas en parler, puisqu’il m’avait dragué sans relâche. Hé puis, si leur arrangement ne dérangeait pas Ava, je n’allais pas m’en faire. Je serais peut-être plus heureuse si j’étais aussi détachée qu’elle. Peut-être. Mais probablement pas.

- Alors, qui est le mauvais gars, de toute façon ? demanda-t-elle.

- Quoi ? J’étais embrouillée, pensant pendant un moment que nous parlions encore de son type.

- Celui pour lequel tu n’es pas censée mourir d’amour.

Ah, lui. Je fis signe à la serveuse d’apporter plus de champagne. Puis, prudemment, je me frayai un chemin dans l’histoire, en essayant de ne pas buter sur des mines qui feraient exploser ma fragile trêve sentimentale.

- Tu es mieux sans lui. Déclara Ava. Je vais m’occuper de toi et te trouver un homme pour t’occuper l’esprit cette semaine.

- Pas d’hommes, Ava.

- Oh Alors t’es pincée ? On dirait que tu ne fais pas trop d’efforts pour le fuir.

- Je ne suis pas pincée. Je l’évite. Vraiment.

Ava n’avait pas l’air trop convaincue.

- Si tu le dis, Katie. Si tu le dis.


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