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Absolution Providentielle
Absolution Providentielle
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Absolution Providentielle

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- Le déjeuner est toujours aussi cher sur cette île ? Demandais-je.

- Ben ouais. Si tu n’es pas d’ici.

J’étais indignée.

- Donc il t’aurait fait payer moins que ce qu’il m’a fait payer ?

Elle renifla.

- Lui ? Non, c’est un voleur. Mais en général, il y a une remise locale.

Oh d’accord. Je n’étais pas surprise. Je fis rouler ma tête, appréciant quelques craquements de cou. L’océan m’appelait.

- Ça te dérange si je me trempe les orteils pendant qu’on attend ? Demandais-je à Ava.

- Non, vas-y. Je reste ici et je t’appelle quand la bouffe est prête.

Le sable était chaud, presque brûlant. Mes pieds s’enfonçaient le talon en premier, ralentissant ma marche. Plus je me rapprochais de l’eau plus le sable devenait ferme et froid. Je n’hésitais pas. J’entrai dans l’eau, d’abord jusqu’aux chevilles, puis jusqu’aux genoux. Je remontai ma robe blanche de quelques centimètres. L’eau affluait contre mes genoux, puis la vague monta jusqu’à mes cuisses. Quand elle reflua devant mes jambes, je sentis la douce brise commencer à sécher ma peau. Je pouvais voir mes orteils sur le sable blanc à travers l’eau claire, et je les remuai. Une autre vague arriva, me soulevant presque. Un banc de petits poissons argentés tournait autour de moi, à quelques centimètres seulement de la surface.

- Katie, appela Ava. C’est prêt !

J’aurais pu rester là pendant des heures. Mais je revins vers la plage, m’éclaboussant à chaque foulée. J’imaginais ma mère, je me demandai si elle avait fait la même chose, si elle l’avait fait ici, sur cette plage. Si le vieil homme qui m’observait depuis la hutte l’avait vue, il devait penser que je lui étais familière. Depuis mon adolescence, les gens disaient qu’on pouvait passer pour des jumelles. Maman roulait les yeux et répondait : « De 100 mètres pour un septuagénaire myope. » Elle avait tort, cependant. Elle était morte bien trop jeune.

Je rejoignis Ava et nous embarquâmes nos sandwichs et nos accras au poisson emballés dans du papier gras dans la voiture. L’accras est un genre de pain frit, l’équivalent caribéen des beignets ou des sopapillas pour les Mexicains. Juste ce dont ma cellulite avait besoin. Sauf qu’en réalité, c’était à cause du manque d’exercice au cours des cinq dernières années, après avoir arrêté le karaté, et bien trop de calories. Ava tenait aussi les goulots de deux bouteilles de Red Stripes glacées entre ses doigts.

- C’est encore loin ? Demandais-je.

- Dix minutes, répondit-elle.

Après avoir conduit un autre kilomètre le long de la côte, nous tournâmes tout droit vers l’intérieur des terres en remontant. Je détestais quitter la sérénité du rivage. Les huit dernières minutes de notre trajet se déroulèrent sur des chemins de terre parsemés d’ornières qui disparaissaient dans des buissons denses à chaque virage.

- Ce n’est pas un endroit à explorer tout seul, dit Ava en désignant l’une des routes secondaires. Trop isolé.

- C’est magnifique ici, pourtant, rétorquais-je.

En fait, j’étais choquée de voir à quel point l’endroit était grandiose. Différent du rivage, évidemment, mais différent dans le bon sens, un sens qui était parfait. Les arbres étaient plus grands et se rencontraient au-dessus de la route, créant une arche au-dessus de nous et atténuant le bruit du ressac contre le sable et les rochers à seulement un kilomètre de là. Je vis un éclat de plumes dans un des arbres.

- C’est un ara ?

- Ben ouais. Ils vivent ici.

Je ne savais pas si je pourrais un jour être aussi blasée qu’Ava de cette flore et de cette faune. Je m’imprégnais de la scène : des orchidées plus belles que des fleurs de serre, des lianes flamboyantes fuchsia, rose et orange se dressant fièrement, me rappelant les mimosas de chez moi.

- Tourne ici, dit Ava, et je virais à droite, dans la direction générale de l’eau, mais à des centaines de mètres au-dessus.

Nous roulâmes trois cents mètres de plus, puis nous sortîmes des arbres. Le changement de notre environnement fut soudain, nous arrachant à la tranquillité de la forêt. Mon humeur se dégrada de même. De qui je me moquais ? Mes émotions étaient à vif, et mon humeur montait et descendait les octaves plus vite que Sarah Brightman dans le Fantôme de l’Opéra.

- Tu peux te garer où tu veux, indiqua-t-elle.

J’arrêtai la voiture pour me garer, puis coupai le moteur et retint ma respiration.

Me trouver à l’endroit où mes parents étaient décédés, c’était comme entrer dans les églises ornées de la Vallée de la Nativité au Texas. Nous y étions allés en famille lors d’un court voyage en voiture à La Grange quand j’étais au collège. Dans ces vieilles églises en bois, je savais que j’étais en présence de quelque chose de saint et de puissant, et que sous leurs toits, les problèmes de la vie et les bénédictions étaient liés, tout comme ici, là où la forêt tropicale se mêlait aux falaises. Où la vie rencontrait la mort.

Ava avait sauté de la voiture, à nouveau pieds nus et se dirigeait vers un chemin escarpé. Je trainai derrière elle. Je voulais tout absorber. Je voulais sentir mes parents à nouveau, et je voulais qu’ils sachent que j’étais venue sur ces lieux, qu’ils avaient compté pour moi. Que si je n’accomplissais rien d’autre au cours de ce voyage, je pourrai au moins leur dire au revoir.

- Je vous aime, maman et papa, chuchotais-je.

Ava avait franchi la colline et en trois pas, elle disparut. J’accélérais le pas. Je haletais en arrivant sur la crête et je dû faire un pas en arrière à cause d’un vertige. Le sol descendait sur trente mètres, puis disparaissait tout simplement. Au-delà, il n’y avait que le ciel, qui se confondait avec la mer des Caraïbes à l’horizon.

- Ils n’ont pas été les premiers à tomber de cette falaise, dit Ava sur un ton solennel.

- Oh mon Dieu, dis-je, sans pouvoir trouver d’autres mots. Je m’affalai dans l’herbe. Assise sur un monticule et tentais de rassembler mes pensées. Pourquoi ? Pourquoi étaient-ils venus à cet endroit précis ?

- C’est en quelque sorte notre coin des amoureux, dans un sens rude et inaccessible. Beaucoup de filles que je connais ont perdu leur virginité ici. Il a également été le site de quelques suicides d’amoureux. Il a toujours eu cette atmosphère romantique à laquelle les gens ne peuvent pas résister.

Je réfléchissais à ses mots. Est-il possible que mes parents aient recherché cet endroit ? Un dernier frisson pour leur anniversaire de mariage ? Je les imaginai tous les deux, main dans la main, yeux dans les yeux. Je l’espérais. Quelque chose en moi ne le croyait pas, mais Dieu, je l’espérais.

- Au-revoir, maman et papa, murmurais-je. Je fermais à nouveau les yeux, comptais à rebours à partir de cent en essayant de ne penser à rien et j’ouvris mon cœur au ciel.

Chapitre 11

Baptiste’s Bluff, St. Marcos, USVI

Le 18 mars 2012

Nous nous éloignâmes de Baptiste’s Bluff pour retraverser la forêt tropicale une demi-heure plus tard. J’avais retrouvé une partie de mon équilibre mental, suffisamment pour que la beauté des fleurs m’emporte à nouveau. Elles semblaient maintenant rendre hommage à mes parents. Compositions florales funéraires. La forêt tropicale n’était pas uniquement un plaisir pour les yeux, elle me faisait me sentir plus proche de maman et papa. Je détestais devoir m’éloigner.

- Tu sais, j’ai un ami qui organise des visites guidées de la forêt tropicale. Il a fait la navette avec son groupe depuis la Fleur de Paon. Tu devrais aller avec eux demain. Je vais l’appeler et le prévenir.

- Une randonnée ? Je ne suis pas une randonneuse. Mais je suis une excellente conductrice. Est-ce qu’il fait aussi des visites guidées en voiture ?

- Non. Il est botaniste. Arrête d’argumenter et suis-le. Ça va changer ta vie.

La totalité de ce séjour avait déjà l’air de changer ma vie, et je n’avais été sur place que depuis 24 heures.

Je succombai à une bouffée d’honnêteté.

- C’est pourquoi je suis ici, tu sais. Pour changer ma vie. Ou je suis censée le faire, en tout cas, autant que je peux en une semaine. Mon frère a vraiment insisté. Il pense que je bois trop. J’essaie de passer au-delà des symptômes et de remonter à la source. Ce n’est pas l’alcool. C’est mes parents. Mes mauvaises décisions. Courir après le mauvais gars. Tout ça et plus encore. Mes mots se trainaient, gênée de ne pas pouvoir les réexpédier à l’endroit d’où ils étaient sortis.

Ma confession n’impressionna pas Ava.

- La plupart des gens fuient quelque chose quand ils viennent ici. La plupart du temps, ils doivent comprendre s’ils fuient la bonne chose, ou si c’est la mauvaise chose qui les poursuit.

Sa déclaration était profonde. J’en avais fini avec la philosophie pour la journée, alors je gardai le silence.

Ava continua.

- Tu as dit que ton père était alcoolique ? Je crois avoir lu que c’est génétique, déclara-elle.

- Ouais.

Peut-être. Sauf que je n’étais pas Amy Winehouse.

- Beaucoup de gens qui s’installent ici deviennent alcooliques, dit-elle. C’est un environnement difficile pour arrêter de boire.

- J’avais un peu remarqué ça.

Au moins, elle ne s’était pas arrêtée sur le fait que je courais après le mauvais gars, mais j’étais prête à en finir avec le sujet des problèmes de Katie. Nous étions presque de retour en ville.

- Où est-ce que je te dépose ? Demandais-je.

- Emmène-moi chez moi pour que je puisse me changer. J’ai un rendez-vous plus tard, mais tu peux rester avec moi jusque-là.

- Tu ne chantes pas ce soir ? Demandais-je.

- Pas officiellement.

Quoi que ça veuille dire.

On s’arrêta devant la maison d’Ava et elle me fit signe d’entrer. C’était petit, mais propre. Mignon, avec des meubles en osier et des coussins blancs moelleux. Je regardai ses photos jusqu’à ce qu’elle sorte de sa chambre habillée d’une courte robe turquoise scintillante avec un décolleté en trou de serrure. Elle portait des sandales blanches à talons hauts qui reprenaient le design du décolleté de la robe dans le travail du cuir.

- Est-ce que c’est celui auquel je pense ? Demandais-je, en montrant une photo d’une Ava plus jeune avec un acteur magnifique et reconnaissable.

- Ouais, j’étais à l’école avec lui à NYU. Ne le dis à personne, mais il est gay. Tous ceux qui sont vraiment beaux sont gays. Elle fourra un tube de brillant à lèvres dans son sac à main blanc.

- Prête ?

- Ça dépend de ce pour quoi je dois être prête, mais, en général, je suis prête à partir.

- Tu parles comme une avocate.

- En fait, je suis une avocate.

- Oh, ça explique beaucoup de choses, dit-elle sur un ton qui laissait entendre que j’avais beaucoup de choses à expliquer.

- Ouais, ouais, ouais. Mais à quoi suis-je censé être prête ?

- À chanter.

J’éclatai de rire.

- Tu m’as surprise. Et non, je ne suis pas prête à ça.

- Très bien. Alors allons au casino. Ils ont un buffet et des boissons gratuites.

Il n’y avait rien à redire, alors j’acquiesçais.

Après un arrêt à mon hôtel qui dura plus longtemps que prévu pour pouvoir répondre à des courriels de travail, nous arrivâmes au casino Porcus Marinus. Le casino se trouvait sur la rive sud, à côté d’une station touristique du même nom et faisant face à une plage de sable blanc. La pleine lune se reflétait sur la surface de l’eau plissée par les vagues. De notre côté de la route se trouvait un énorme bâtiment ressemblant à un bunker avec son parking attenant, le plus large de l’île. Nous montâmes les marches du bunker et passèrent sous une énorme banderole au-dessus de la porte qui annonçait : « Soirée karaoké ».

- Soirée karaoké ? Demandais-je à Ava en plissant les yeux.

- C’est le destin, rétorqua-t-elle.

Après quelques pas à l’intérieur, je me mis immédiatement à tousser. La fumée de cigarettes s’accumulait vers les plafonds hauts du casino. Pour la première fois depuis mon arrivée à St Marcos, J’avais l’impression d’un minuit éternel. Pas de fenêtres. Beaucoup de bruit, cependant, au-dessus du bruit de fond des tintements des machines à sous éclataient les rugissements à intervalles réguliers des jeux de tables.

Et un autre bruit. En arrière-plan, j’entendais la voix d’un DJ qui faisait la promotion du karaoké auprès de la foule environnante.

- Qui sera le prochain ? Est-ce que c’est vous, ma belle ? Ou vous, monsieur, là-bas dans la chemise que vous avez empruntée à Jimmy Buffett ?

Ava me donna une petite poussée entre les omoplates en direction de la scène. L’endroit était bondé, et il n’était même pas encore neuf heures. Nous nous faufilâmes entre des Antillais moroses et quelques touristes titubants. La plupart d’entre eux auraient mieux fait de dépenser leur argent pour un repas décent ou des vêtements frais.

Une observation étrange et malvenue me frappa. Le Porcus Marinus n’était pas différent du bref aperçu que j’avais eu de l’intérieur du casino Eldorado à Shreveport. Je balayai cette idée de ma tête. C’était différent. Un monde à part, différent. Il n’y a pas de quoi avoir honte, différent. Je levais le menton un peu plus haut.

Lorsque nous arrivâmes à la scène, Ava ne s’arrêta pas. Elle passa devant moi pour rejoindre le DJ.

- Mlle Ava, annonça-t-il dans son micro. Quelques personnes dans la foule applaudirent et sifflèrent.

- Ce sera quoi ce soir, ma belle ?

- Commence avec No Doubt, des Fugees, et... Elle se tourna vers moi. Quoi d’autre ?

- Je suis du Texas. Trouve moi du Dixie Chicks et du Miranda Lambert.

Le DJ répondit :

- Miranda quoi ?

- Oublie ça. Dixie Chicks.

- C’est les trois gonzesses blondes ? demanda-t-il.

J’étais sûre qu’elles adoreraient cette description, mais elles s’en sortaient mieux que Miranda, de toute façon.

- Oui.

- Ouais, je les ai.

Ava jeta son sac à main dans la cabine du DJ comme un frisbee. Je m’approchais et je posais le mien sur son comptoir.

- Est-ce que je peux ? Lui demandais-je.

Il avait déjà chargé le morceau « Underneath It All » de No Doubt et balançait la tête en rythme avec la musique qui sortait des enceintes et du casque qu’il portait. Il ne regardait pas dans ma direction. Ses yeux étaient rivés sur Ava.

- Et puis merde, marmonnais-je en me dirigeant vers une table devant la scène pour la regarder.

- Huh uh, dit-elle dans le microphone.

- Amène tes fesses sur la scène, ma fille. Son accent s’était épaissi.