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J’étais anxieuse après avoir envoyé ce courriel à Nick. L’enfant terrible et le problème potentiel des poux me portaient sur les nerfs. J’étais en route pour conquérir des démons et affronter des problèmes personnels dans un environnement étranger. Même un buveur responsable aurait commandé un cocktail en première classe dans ces conditions.
- Un Bloody Mary, dit quelqu’un.
Moi.
Oups.
- Absolument, madame.
Eh bien, je n’étais pas à l’hôtel, je n’étais même pas encore à St. Marcos. Si on y pense vraiment, c’était le compte à rebours, mais il n’était pas encore à zéro. Je n’avais pas besoin de faire une pause dans ma consommation d’alcool jusqu’à mon arrivée. D’ailleurs, à quoi servaient les surclassements en première classe si ce n’était pas pour les boissons gratuites ? Bien sûr, ils vous servaient un bol de noix mélangées réchauffées au micro-ondes et vous tendaient une serviette chaude avec une pince, peut-être même vous donnaient-ils un biscuit gluant aux pépites de chocolat si vous étiez chanceux, mais l’alcool était ce qui comptait le plus.
- Même chose pour moi, dit mon nouvel ami Guy. Il se pencha légèrement vers moi et dit :
- Cela semblait parfait. J’étais à Los Angeles pour rencontrer des producteurs de télévision afin de tourner une émission sur St. Marcos. C’est exténuant.
- N’est-ce pas intéressant ? rétorquais-je.
Après l’atterrissage à St. Marcos, j’étais encore sous l’emprise de mes libations en vol. Je souhaitai un adieu chaleureux à Guy à qui j’avais menti sur mon nom de famille et sur le lieu de villégiature où je séjournais, afin de m’assurer que je ne le reverrai pas par hasard.
Je pris place dans le taxi-van pour l’hôtel de la Fleur de Paon, en balançant la tête de manière appréciative au rythme de « I Shot the Sheriff » de Bob Marley. Lorsque j’arrivai à l’hôtel, je le trouvai encore plus beau que je ne l’avais imaginé. Il se dressait fièrement, en stuc rose, sur deux étages, entouré de palmiers royaux. Je pouvais voir pourquoi mes parents avaient aimé séjourner ici. Alors que je passais l’entrée, le portier me tendit un gobelet en plastique transparent de punch au rhum avec un gros morceau d’ananas sur le bord.
Un fruit.
Dîner.
Les gens ici étaient parfaitement charmants.
Alors que je m’enregistrais à la réception, le réceptionniste appela le plus sympa des employés pour m’aider à trouver ma chambre. Ce faisant, il remplit à nouveau mon verre de punch au rhum.
- Vous allez avoir une longue marche déshydratante jusqu’à votre chambre, mademoiselle, dit-il avec un clin d’œil. Son accent était délicieux.
Ma chambre se trouvait en bordure de la plage, mais dans un bosquet de palmiers pour plus d’intimité.
- Beaucoup de gens célèbres ont séjourné dans cette chambre.
Il me regarda attentivement.
- Est-ce que je vous connais ? Vous êtes terriblement belle, mademoiselle. Êtes-vous un mannequin ?
Je choisis d’ignorer le fait qu’il me faisait ce commentaire à la porte de ma chambre, et que le moment coïncidait idéalement avec ma décision de lui donner un pourboire. Je lui répondis :
- Merci, en glissant un billet de vingt dollars dans sa main. Il s’inclina à moitié et me souhaita un « bon après-midi ».
J’explorai mon environnement. Ah, bien, l’espace de bureau était parfait. Je posai mon sac à main sur le sol à côté et je plaçai mon ordinateur portable parfaitement aligné sur la table, comme je l’aimais. Je consultai mon téléphone. La batterie était morte. Je fouillai dans la sacoche de mon ordinateur portable pour trouver le chargeur de téléphone et le branchai. Dieu sait combien de temps j’avais perdu à attendre des messages avec un portable éteint. Probablement juste au moment où Nick m’aurait aussi répondu par courriel. Je déballai mes affaires pendant que le téléphone rassemblait assez de jus pour pouvoir se connecter.
Je continuai mon exploration. Le site Internet de l’hôtel indiquait que la baignoire était assez grande pour deux personnes, et elle était telle que sur la photo. Assez grande pour contenir moi et mon alter ego maléfique à la langue acérée qui buvait trop. Des carreaux de marbre aux couleurs terre, de teintes, de textures, de tailles, de formes et de motifs variés, décoraient la salle de bains. Ça aurait pu être trop criard, mais ça ne l’était pas. C’était stupéfiant.
La palette tropicale atténuée du reste de la suite mettait magnifiquement en valeur les tons naturels de la salle de bains. C’était le meilleur de la nature incorporé délicatement à l’intérieur. Les meubles et le ventilateur de plafond étaient en bambou, les draps étaient en coton égyptien ivoire à rayures, d’une épaisseur moelleuse, recouverts d’une couette douillette de couleur crème. J’avais hâte de me glisser dans le lit et de me rouler dans ces draps, de frotter du coton frais sur ma peau. La plupart des couleurs de la pièce, jaunes éclatants, verts palmier et fuchsia, provenaient de boutures fraîches de plantes et de fleurs locales.
Une porte-fenêtre s’ouvrait depuis la chambre sur un patio carrelé de pavés en travertin de couleur amande. Le patio descendait sur une courte pelouse parsemée de cocotiers qui se terminait par un accès à la plage privée. Au-delà de la plage s’étalait la mer turquoise et saphir des Caraïbes. J’arborai un sourire. Cela ferait l’affaire.
Mon iPhone était assez chargé pour un téléchargement de données. Je le ramassai et fis défiler mes courriels. Ma secrétaire avait envoyé quelques questions, et Collin et Emily m’avaient tous deux demandé de leur faire savoir que j’étais bien arrivée. Je leur envoyai une note et je fis défiler d’autres messages, surtout des pourriels. Et puis j’arrivai à l’un qui me coupa le souffle : une réponse de Nick.
Je posai l’iPhone jusqu’à ce que je puisse respirer normalement. J’essuyai mes paumes moites sur ma jupe violette, puis je ramassai le téléphone. Pas de problème. J’étais calme. Le texte du courriel était court :
« Ok »
Ok. OK !! Deux lettres minuscules, un mot. Pas vraiment de quoi s’extasier. Il aurait pu supprimer mon courriel sans le lire. Il aurait pu le lire et ne pas répondre. Il aurait pu le lire et répondre en disant quelque chose de grossier (est-ce que « ok » était grossier ?). Ou, il aurait pu le lire et répondre par quelque chose de positif, comme « Je te verrai à ton retour » ou « Bonne chance ». Mon cerveau se mit à rouler à toute allure sur les pistes familières de Nick, comme un aspirant de Formule 1 sur un parking. Ce n’était pas bon.
Je vidai mon punch au rhum et mangeai mon dîner de garniture d’ananas. Je regardai dans le mini-frigo. Jackpot. Un pichet entier de punch au rhum m’attendait à l’intérieur. Malheureusement, il n’y avait pas de fruits. Le jus de fruit était assez sain, cependant. Le punch au rhum serait un parfait substitut insulaire au Bloody Mary. Je me versai un verre.
Nick. L’abruti incroyablement froid. Je me retenais de ne pas lui répondre. Je descendis le punch au rhum. J’essayai de résister un peu plus. Je gobai un autre verre. Et puis je pris ma décision. Il fallait que je sorte de là. J’attrapai mon sac à main, mon téléphone et la clé de ma chambre et je me dirigeai vers le bar que j’avais vu pendant l’enregistrement.
Le bar était un patio couvert au sommet d’une colline, avec vue sur la plage et l’océan. Je montai les marches de pierre et je débouchai au milieu d’une bonne foule se tenant autour du bar en acajou et des tables rondes disposées çà et là sur le sol carrelé. Quelques couples dansaient, collés et lascifs, sur un groupe de reggae qui sonnait plutôt bien. Ils jouaient une chanson parlant des 36 degrés à l’ombre. La chanteuse entonna le refrain : « Vraiment chaud, à l’ombre des palmiers ». Je m’assis au bar et je me retournai pour les regarder après avoir commandé mon Bloody Mary au barman blond à la coiffure rasta. Après une gorgée, je réalisai qu’il était mal dosé et je commandai un punch au rhum.
- Vous refusez une boisson parfaitement acceptable ? Qu’est-ce qui ne va pas chez vous, ma chère ? La voix avait prononcé « chère » comme « chay ». Je me retournais et réalisais que c’était la chanteuse.
- J’ai changé d’avis, lui dis-je.
- À moins que vous n’ayez une maladie contagieuse, vous pouvez me donner ce truc, dit-elle. « Donnay ce tuc. »
Je poussai le verre dans sa direction, luttant contre ma peur de partager des poux avec une étrangère. Je ne voulais pas paraître impolie.
- Je l’ai gouté, dis-je pour la prévenir.
Elle retira la paille du cocktail et la jeta vers la poubelle derrière le bar. Panier raté.
- Merci. Chanter donne soif. Elle me tendit la main.
- Je suis Ava.
Je lui serrai la main.
- Katie
- Les gens se lèvent et partent avant qu’on n’ait fini la soyée. Ça fait des poblèmes.
J’essayais de suivre, mais son accent chantant me déstabilisait. J’avais raté la moitié de ce qu’elle disait. Elle eut pitié de moi.
- Là, tu ne me comprends pas. Elle s’enfila le Bloody Mary.
- J’ai dit que mes camarades de groupe venaient de me quitter et que nous n’avions même pas fait notre dernier set. Nous allons avoir des problèmes avec le propriétaire. Elle s’était exprimée parfaitement cette fois, en prononçant chaque mot distinctement.
- Oh, woa, oui, je comprends maintenant.
- Désolée. Je parle avec l’accent local lorsque je me produis, ou lorsque je parle à d’autres habitants. Mais je peux faire l’aristo, quand j’en ai besoin.
- Faire l’aristo ?
- Parler comme une dame. C’est comme parler deux langues. Parler le patois graisse les pattes et impressionne les touristes. Ça fait partie de la vie d’un natal.
- Qu’est-ce que ça veut dire natal ?
- En local, ça veut dire « né ici ». Vous pouvez vivre à Saint Marcos pendant quarante ans, mais vous n’êtes vraiment local que si vous êtes natal.
Ce que j’étais.
- Maintenant, je vous dois un verre, dit-elle en faisant signe au barman, et je paie toujours mes dettes à mes amis.
Chapitre 6
Station balnéaire de la Fleur de Paon, St. Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
Je me réveillai sur ma chaise longue le lendemain matin, encore vêtue de ma maxi robe de la veille. Même chanson, différents couplets. Mais j’étais encore plus dégoûtée de moi-même que d’habitude. J’étais ici pour enquêter sur la mort de mes parents et retrouver mon équilibre, ce qui était censé inclure une réduction de ma consommation d’alcool. Et penser à autre chose qu’à Nick. Il semblait que tout ce que j’avais fait était déplacer mes problèmes dans ce nouvel univers, et que j’étais prête continuer le présent en me basant sur le passé. Bien joué, ma fille.
Dans un moment de panique, je me souvins d’une partie de la nuit précédente. Le courriel de Nick. Le punch au rhum. Le bar de l’hôtel. Est-ce que je lui avais envoyé un autre message ? Oh, par pitié, non.
Je sautai sur mes pieds, mon cœur résonnant dans mes tympans. L’eau bleue taquinait le sable ambré de la plage devant moi. Au loin, deux petits enfants jouaient avec des seaux près des vagues. Au-dessus de moi, le soleil du matin traversait les feuilles de palmier pour réchauffer le tapis d’herbe devant mon patio. La sérénité de ma retraite me réconfortait. Tout irait bien.
Je trouvai mon téléphone à côté de moi et je fis défiler les textes et les courriels envoyés sur mon iPhone. Rien, Dieu merci. J’avais tout gâché hier soir. Mais aujourd’hui, j’étais décidée à enquêter sur le mystère de la mort de mes parents, et à reprendre à zéro sur le plan personnel. Après quelques heures de sommeil supplémentaires. Je me repliai sur ma chaise.
- Hé, ma fille, on fait la fête comme des rock stars, articula une voie de femme. Une femme juste à côté de moi semblait-il.
Je me redressai d’un bon. Je reconnaissais la voix rauque. Le nom de la femme à qui elle appartenait ne me revenait pas. Je réfléchis. Abigail ? Ariel ? Eva ? Non. Ava. C’était Ava.
Je me forçais à rire.
- Ouais, je suppose que c’est ce que j’ai fait. Au moins, ce dont je me souviens.
Je regardais la chaise longue de l’autre côté du patio, et, bien sûr, Ava y était étalée. Elle se leva, s’étira de la pointe des pieds au bout des doigts en tendant les bras vers le ciel, ce qui aurait mieux donné dans une tenue autre qu’une mini-robe en lycra jaune. Je détournai mon regard. Elle se rassit et se renversa sur sa chaise, se tripotant la paupière.
- Eh bien, je suppose que nous ferions mieux de commencer, dit-elle en posant un faux cil sur la table du patio et tirant sur l’autre paupière.
- Je vote d’abord pour un baril d’eau et deux Excedrin avec des œufs.
Je n’avais absolument aucune idée de ce qu’elle voulait dire. J’essayai de dissiper les brumes de gueule de bois enfumant mon cerveau. Devrais-je m’inquiéter ? J’avais lu des histoires de pirates et d’escrocs dans les Caraïbes. Peut-être qu’elle était une sorte d’arnaqueuse. Je pourrai, par essence, être sa prisonnière. Bon, je délirais, mais pourquoi pas. Quelque chose chatouilla les cellules de ma mémoire, puis disparut.
Ava continuait à parler.
- Je connais le cuisinier du restaurant. C’est un pote. Ava attrapa le téléphone posé sur la table du patio à côté d’elle.
Je l’écoutais commander dans son patois insulaire. Elle avait continué ses ablutions pendant qu’elle était au téléphone, retirant des boucles d’oreilles, un bracelet et un collier, et elle se releva en raccrochant.
- Allez, allez, Katie. Ils nous attendent en bas. Elle retira sa robe d’un seul geste fluide, révélant des courbes café au lait impeccables, quelque peu contenues par un soutien-gorge et une culotte en satin imprimé léopard. Mes mains posées sur mes propres hanches saillantes, j’avais l’air de Pippi Longstocking à côté de Beyoncé. Elle s’engouffra dans ma chambre.
Je serrais les dents et me concentrai sur ses mots. Poste de police. Oui. C’est ça. Des bribes de notre conversation d’hier soir me revenaient en mémoire, notamment le fait que j’avais raconté à Ava ma quête pour découvrir ce qui était arrivé à mes parents, et son appel à un policier avec qui elle sortait ou qui voulait sortir avec elle ou quelque chose comme ça. Oui. C’est ça. Je me rappelais.
Soulagement.
Elle passa la tête derrière la porte en rassemblant ses longs cheveux noirs bouclés en un chignon haut.
- Ça te dérange si j’utilise la douche d’abord ?
- C’est bon, répondis-je.
Elle leva un sourcil.
- Tu vas bien ?
Je sautais sur mes pieds.
- Absolument. Dépêchons-nous avec les douches et essayons de finir avant que le service de chambre n’arrive.
- Ya mon, dit-elle, et elle disparut à nouveau.
Je renversai ma tête en arrière, les yeux fermés, et je me pinçai l’arête du nez. Ce n’est pas parce que je me rappelais de la veille au soir que la journée d’aujourd’hui était forcément une bonne idée. Je ne connaissais même pas Ava. Est-ce que je devenais folle ? Je redressai ma tête pour la remettre dans sa position normale.
Eh bien, j’étais sur le point de le découvrir.
Chapitre 7
Station balnéaire de ma Fleur de Paon, St. Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
- Je n’arrive pas à croire que tu laisses tout tomber pour m’aider, lui dis-je.
Ava avait engouffré ses courbes dans un haut de bikini et une mini-jupe en jean bleu, qui m’appartenaient tous les deux, puis elle avait enfilé par-dessus une de mes chemises et en avait noué les pans au-dessus de son nombril. Elle était pieds nus.
- C’est la meilleure offre que j’ai eue de la journée, dit-elle. Je suis revenue sur l’île il y a six mois. J’ai fait le truc danse-chante-agence-crève la faim à New York, mais mes parents vieillissent et, eh bien, je ne peux pas rester loin de l’île pour toujours. St. Marcos coule dans mes veines. Elle prit son téléphone, faisant dérouler sa galerie, puis me tendit l’appareil. Elle avait fait afficher une photo d’elle-même se tenant entre un homme blanc beaucoup plus âgé et une femme à la peau sombre qui avait l’air d’être la grande sœur d’Ava.
- Mes parents, expliqua-t-elle. Donc je peux comprendre l’objet de ta visite ici. Si quelque chose arrivait à maman ou papa, je ferai la même chose.
Il me semblait que je lui avais raconté beaucoup de choses la nuit dernière.
- Ils sont beaux, répondis-je. Tu es un parfait mélange des deux. Je lui ai rendis son téléphone.
Et elle l’était. Ava était très sexy et, avec sa peau couleur café au lait et ses cheveux noirs ondulés, elle pouvait passer pour n’importe quelle race, italienne, égyptienne, mexicaine, ou tout cela à la fois. C’est un mélange qui fonctionnait.
Elle sortit un rouge à lèvres de son sac à main et entra dans la salle de bains, toujours en parlant.
- Ouais, ils sont super. Quoi qu’il en soit, je suis revenue chez moi, mais il n’y a pas beaucoup de travail sur l’île pour les actrices de théâtre formées à l’université de New York, spécialisées dans les comédies musicales de Broadway, et qui n’ont pas d’autres compétences employables.
J’élevai la voix pour qu’elle puisse m’entendre dans la salle de bain.
- Je peux comprendre. J’ai étudié le chant à l’université avant de devenir raisonnable. J’ai passé trois ans à comprendre que je ne gagnerai jamais d’argent dans la musique.